Par un arrêt du 21 décembre 2023 (C-281/22), la CJUE a jugé que le procureur européen délégué (« PED ») doit soumettre la justification d’une mesure d’enquête invasive à un contrôle juridictionnel préalable, à la suite duquel l’Etat membre du PED assistant ne peut contrôler que les aspects relatifs à l’exécution de cette mesure
En l’espèce, une société et ses deux dirigeants étaient soupçonnés d’avoir réalisé de fausses déclarations pour importer du biodiesel américain en fraude de la réglementation douanière européenne. Une enquête a été ouverte en Allemagne, au nom du Parquet européen, par un PED allemand. Dans le cadre de l’assistance apportée à l’enquête ouverte en Allemagne, un PED assistant autrichien a ordonné des perquisitions et des saisies pénales dans les locaux professionnels de la société visée et de sa société mère, ainsi qu’aux domiciles des deux directeurs généraux, tous situés en Autriche. Il a également demandé l’autorisation de ces mesures aux tribunaux autrichiens compétents, conformément aux dispositions du code de procédure pénale autrichien.
Les mesures d’enquête ont été dûment autorisées et exécutées par la suite. Elles ont toutefois fait l’objet d’un recours par les suspects devant le tribunal régional supérieur de Vienne. Les suspects ont notamment fait valoir que les mesures ordonnées n’étaient ni nécessaires ni proportionnées et que les autorisations délivrées par les tribunaux autrichiens n’étaient pas suffisamment motivées.
La juridiction viennoise a saisi la CJUE de trois questions préjudicielles relatives aux articles 31 et 32 du règlement 2017/1939 (Règlement « Parquet européen »). En substance, la juridiction de renvoi demandait si ces dispositions devaient être interprétés en ce sens que le contrôle effectué au sein de l’État membre du PED assistant, lorsqu’une mesure d’enquête déléguée requiert une autorisation judiciaire conformément au droit de cet État membre, peut porter tant sur les éléments relatifs à la justification et à l’adoption de cette mesure que sur ceux relatifs à son exécution. La juridiction de renvoi s’interrogeait également sur l’incidence du contrôle judiciaire de ladite mesure préalablement opéré dans l’État membre du PED chargé de l’affaire sur l’étendue du contrôle de la même mesure dans l’État membre du PED assistant.
Dans ses conclusions du 22 juin 2023, l’Avocate Générale a fait référence à deux écoles de pensée sur le sujet. La première préconisait un contrôle judiciaire complet dans l’État membre du PED assistant. La seconde école de pensée impliquait un contrôle plus limité dans cette même situation, portant uniquement sur les aspects formels et procéduraux de l’exécution de la mesure d’enquête déléguée. Après avoir examiné les différents arguments de chacune des deux écoles, l’Avocate Générale a conclu que la deuxième approche qui, selon elle, répondait mieux à l’objectif du Règlement Parquet Européen de créer un système efficace de lutte contre la criminalité portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE.
Dans son arrêt du 21 décembre 2023, la CJUE a partiellement suivi la conclusion de l’Avocate Générale. La Cour a en effet jugé que « (…), le contrôle lié à l’autorisation judiciaire qui serait requise en vertu du droit de l’État membre du procureur européen délégué assistant ne peut porter que sur les éléments tenant à cette exécution ». Toutefois, la Cour a ajouté un nouvel élément intéressant en obligeant l’État membre de la procédure pénale européenne à prévoir un contrôle juridictionnel préalable de la justification et de l’adoption de la mesure d’enquête lorsque, dans l’Etat membre du PED assistant, une telle mesure est soumise à un contrôle juridictionnel. Selon la Cour, cela est nécessaire s’agissant de mesures qui constituent des ingérences dans le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications, garanti à l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, ainsi que dans le droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte (perquisitions au domicile privé, les mesures conservatoires relatives aux biens personnels et le gel des avoirs).
Il semble donc que la Cour n’était pas disposée à accepter la conclusion de l’Avocate Générale selon laquelle il appartiendrait au droit de l’État membre de la procédure pénale européenne de déterminer si le contrôle judiciaire doit avoir lieu avant l’exécution de la mesure d’enquête dans un autre État membre, ou ultérieurement (par exemple pendant la phase de jugement de l’affaire).