Dans deux affaires récentes, le Tribunal a dû connaitre de la notion de « dépôt de mauvaise foi » en droit des marques.
Dans la première affaire (T-663/19), le Tribunal confirme (en chambre élargie) que le dépôt réitéré effectué avec l’objectif de faire échapper le titulaire de la marque à l’obligation d’usage sérieux de la marque, doit être qualifié de « dépôt de mauvaise foi » et annulé sur cette base.
La marque « MONOPOLY », connue surtout pour le jeu de société en classe 28, est enregistrée auprès de l’EUIPO en 2011 pour des produits et services divers des classes 9, 16, 28 et 41, et ce alors qu’une très large partie de ces produits et services était déjà couverte par des enregistrements antérieurs, remontant à 1998, 2009 et 2010.
La chambre de recours avait conclu (sur la base des affirmations mêmes du titulaire de la marque) que son intention était bien de tirer profit des règles du droit des marques de l’Union européenne en créant artificiellement une situation dans laquelle le titulaire n’aurait pas à prouver l’usage sérieux de sa marque.
Le Tribunal rejette le recours et confirme l’examen de l’EUIPO. Il rappelle que l’objectif d’intérêt général de l’annulation d’une marque pour cause de mauvaise foi consiste à faire échec aux enregistrements de marque abusifs. L’inscription au registre des marques ne saurait, selon le Tribunal, être assimilée à un dépôt stratégique et statique conférant à un détenteur inactif un monopole légal d’une durée indéterminée.
Le Tribunal précise dans ce contexte qu’il peut être imposé au titulaire de la marque de fournir des explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis par la demande d’enregistrement, lorsque les circonstances de l’espèce sont susceptibles de conduire au renversement de la présomption de bonne foi de celui-ci.
Dans la seconde affaire (T-311/20), le Tribunal confirme qu’est également un « dépôt de mauvaise foi » celui qui vise à nuire aux intérêts d’un tiers déterminé. Ce tiers était, en l’espèce, une cheffe marocaine exclusivement connue sous le nom de Choumicha, dont la notoriété en France pouvait être établie antérieurement au dépôt de la marque contestée. Madame Choumicha Chafay utilisait le signe Choumicha, était titulaire d’un certain nombre de marques au Maroc comportant le mot « choumicha » et avait prêté son image pour la diffusion de produits en Europe. Elle avait également cédé son prénom Choumicha pour le dépôt d’un certain nombre de marques dans l’Union.
Il ressortait des circonstances que le titulaire de la marque contestée avait connaissant de la renommée de « choumicha » et qu’il avait, par le dépôt, tenté d’empêcher Madame Choumicha Chafay d’exploiter cette renommée sur le territoire européen. Il n’avait, par ailleurs, pas présenté de preuves de sa bonne foi ni expliqué la logique commerciale derrière le dépôt de la marque contestée « Choumicha Saveurs ».
Le tribunal précise que dans cette seconde affaire, à la différence de la première (voy. ég. CLUE, 29 janvier 2020, C‑371/18, Sky), il n’est pas possible d’annuler la marque pour certains produits et services uniquement. L’annulation partielle est possible en présence d’une pratique consistant à enregistrer des marques non seulement pour des produits ou des services que le déposant avait l’intention d’utiliser, mais également pour des catégories de produits et de services pour lesquelles une telle intention n’existait pas. La marque ne doit alors être annulée que dans la mesure où les finalités de celle-ci étaient abusives. A contrario, lorsque la mauvaise foi du déposant découlait de son intention de porter atteinte à un tiers particulier, il n’est pas possible d’effectuer une distinction au sein des mobiles du déposant. La marque doit alors être annulée dans son intégralité.