En vertu de l’article 1153 de l’ancien Code civil, les dommages et intérêts en cas de retard de paiement sont les intérêts au taux légal. L’alinéa 5 prévoit une exception : « S’il y a dol du débiteur, les dommages et intérêts peuvent dépasser les intérêts légaux. »
Dans un arrêt du 17 novembre 2021 la Cour d’appel de Mons avait considéré que le dol civil requiert l’existence dans le chef de l’auteur du dommage non seulement de la volonté de causer le fait dommageable mais aussi de la volonté de causer les effets dommageables de
ce fait, en renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 11 mars 2014 (P.12.0946.N).
Le moyen en cassation défendait que l’arrêt de 2014 concernait le cas spécifique du dol au sens de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail et que la conception restrictive adoptée par la Cour, qui s’expliquait par la protection du travailleur, ne saurait être transposée à toute notion de dol, dont celle de l’article 1153, alinéa 4, de l’ancien Code civil. Le demandeur en cassation soutenait la position défendue entre autres par Pierre Van Omeslaghe selon laquelle la simple conscience par l’auteur de la faute d’un dommage ou d’un dommage possible suffit pour qu’il y ait dol, sans qu’une volonté déterminée de nuire ou de s’assurer un avantage soit nécessaire.
Dans son arrêt du 16 janvier 2023 (C.22.0217.F) la Cour de cassation a rejeté cette position en considérant que « le dol au sens de l’article 1153 de l’ancien Code civil est la faute intentionnelle commise dans le but de nuire ou de réaliser un gain. Il ne suffit pas que le débiteur ait, ou dût avoir, conscience du dommage causé par son retard d’exécution. »
Il est vrai que pour ce qui concerne le retard de paiement, l’approche restrictive soutenue par la Cour de cassation peut se comprendre. La loi prévoit déjà un dédommagement forfaitaire plus que raisonnable (le taux légal actuel est de 5.25%) et une lecture plus large du dol, englobant tous les cas où le débiteur aurait conscience du retard de paiement et du dommage que cela cause au créancier, reviendrait à généraliser les demandes dépassant les intérêts légaux. Comme le souligne l’avocat-général, il serait « exagéré de considérer que tout retard de paiement autre que procédant de l’oubli ou de la négligence serait pour autant dolosif. »
Dans le nouveau Code civil, l’article 5.240, al. 4 est quasiment identique à l’ancien article 1153 al. 4 mais la notion de dol (opzet) y est remplacée par celle de faute intentionnelle (opzettelijke fout): « En cas de faute intentionnelle du débiteur, la réparation peut dépasser les intérêts au taux légal. » Dans ses conclusions, l’avocat-général indique que cette notion de faute intentionnelle « est désormais définie par l’article 1.11 du Code civil qui indique que c’est la faute qui est commise dans un but de nuire ou de réaliser un gain. » L’article 1.11 (intitulé « intention de nuire », qui consacre le principe frais omnia corrumpit) dit : « La faute intentionnelle, commise dans le but de nuire ou de réaliser un gain, ne peut procurer d’avantage à son auteur. » Faut-il effectivement (virgules à l’appui) voir dans cet article une définition de la « faute intentionnelle », qui serait de surcroît applicable à toutes les occurrences de cette notion dans le Code civil ? Ou pourrait-on au contraire y lire une indication que la faute intentionnelle constitue une catégorie plus large, dont la faute visant à nuire ou à réaliser un gain ne serait qu’une sous-catégorie plus restrictive ?
La lecture que l’on fait de la notion de « faute intentionnelle » (avec ou sans cette volonté particulière) a surtout une grande importance pour l’article 5.89 du Code civil (« clause exonératoire de responsabilité ») selon lequel sont « réputées non écrites les clauses qui exonèrent le débiteur de sa faute intentionnelle. » Suffit-il pour cette faute intentionnelle que l’auteur ait conscience de sa faute et du dommage qu’elle peut causer, ou faut-il, en considérant l’article 1.11 comme une définition, qu’il y ait en plus une volonté spécifique « de nuire ou de réaliser un gain” ? Et à supposer que cette définition restrictive s’applique, ne pourrait-on considérer que le manquement dont est conscient le débiteur, aura rarement pour but de nuire, mais au contraire souvent pour but de faire des économies, et donc de « réaliser un gain » ? Ces questions devront tôt ou tard être tranchées par les tribunaux.