Partie 1 disponible ici.
L’avocat général indique que le « contenu essentiel » de la liberté d’expression et d’information serait violé dans l’hypothèse où l’article 17 de la Directive DSM imposait, directement ou indirectement, aux prestataires de surveiller préventivement, de manière générale, tous les contenus mis en ligne par leurs utilisateurs. Toutefois, l’article 17 de la Directive DSM encourage les prestataires en question à rechercher parmi ces contenus des « œuvres ou autres objets protégés spécifiques » pour lesquels les titulaires de droits leur auront déjà communiqué les « informations pertinentes et nécessaires » ou un « avis suffisamment motivé ». De l’avis de l’avocat général, cela suffit à démontrer que l’article 17 prévoit, indirectement, une obligation de surveillance « spécifique » excluant toute atteinte au « contenu essentiel » du droit à la liberté d’expression et d’information.
S’agissant de l’exigence de proportionnalité, l’avocat général estime que la limitation de l’exercice du droit fondamental en cause, à savoir le droit à la liberté d’expression et d’information, par l’article 17 de la Directive DSM, est appropriée, nécessaire et proportionnée stricto sensu. Ce dernier énonce en effet que le choix du législateur européen de favoriser les titulaires de droits et les industries créatives n’est pas disproportionné compte tenu des garanties que prévoit précisément l’article 17 en vue de minimiser les blocages excessifs d’informations licites que pourraient avoir tendance à implémenter les prestataires de services afin d’éviter tout risque de responsabilité. Ces garanties comprennent :
(i) la reconnaissance, à l’article 17, paragraphe 7, de la Directive DSM, du droit des utilisateurs d’utiliser de manière légitime des œuvres et objets protégés, par exemple un contenu protégé mais couvert par les exceptions et limitations au droit d’auteur. L’article 17(7) prévoit à cet égard une obligation de résultat ;
(ii) le fait que l’article 17, paragraphe 8, de la Directive DSM exclut une obligation générale de surveillance exercée par les prestataires de services de partage de contenus en ligne. A cet égard, il est intéressant de constater que l’avocat général souligne qu’il ne peut souscrire sur ce point aux orientations de la Commission relatives à l’article 17 de la Directive DSM, dès lors qu’elles semblent imposer aux prestataires de services de bloquer ex ante certains contenus que les titulaires de droits auraient eux-mêmes identifiés comme « susceptibles de leur cause un préjudice », quand bien même ces contenus ne seraient pas manifestement contrefaisants. Selon l’avocat général, les dits prestataires devraient uniquement pouvoir détecter et bloquer les contenus « identiques » ou « équivalents » aux œuvres et aux autres objets protégés, c’est-à-dire les contenus portant manifestement atteinte aux droits des titulaires de droits qui ne nécessitent pas une « évaluation indépendante » de leur licéité par les prestataires. Ces conditions permettent de minimiser le risque de blocage excessif.
En conséquence, l’avocat général considère que l’article 17 de la Directive DSM est compatible avec le droit à la liberté d’expression et d’information en ce que cette disposition satisfait à toutes les conditions précitées, proposant ainsi à la Cour de justice de rejeter le recours en annulation introduit par la Pologne.
L’arrêt de la Cour de justice (en formation de Grande chambre) est particulièrement attendu par les législateurs nationaux des Etats membres qui n’ont, pour la majorité d’entre eux, pas respecté l’échéance de transposition qui était fixée au 7 juin dernier. Pour un aperçu de l’état des transpositions nationales, voy. ici.
Alice Asselberghs et Marion Nuytten