Le Tribunal de l’Union européenne a examiné la légalité des décisions de la Commission ordonnant à plusieurs chaines de distribution françaises, soupçonnées d’avoir échangé des informations sensibles, de se soumettre à des inspections. Dans ce cadre, le Tribunal a apporté des précisions s’agissant de la forme et de la teneur des indices qui peuvent justifier l’adoption d’une décision d’inspection sur la base de l’article 20 du règlement n° 1/2003.
A l’appui de leurs recours contre les décisions d’inspection de la Commission, les distributeurs français ont notamment soulevé une exception d’illégalité de l’article 20 du règlement n° 1/2003 ainsi qu’une violation de leur droit à l’inviolabilité du domicile.
Dans ses arrêts du 5 octobre 2020 (Casino, Guichard-Perrachon et Achats marchandises Casino SAS (AMC)/Commission, T-249/17; Intermarché Casino Achats/Commission, T-254/17; Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission, T-255/17), le Tribunal a rejeté l’exception d’illégalité, considérant que l’article 20 du règlement n° 1/2003 ne méconnaissait pas le droit à un recours effectif. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à cet égard, il a en effet estimé que le système de contrôle du déroulement des opérations d’inspection, constitué de l’ensemble des voies de droit mises à la disposition des entreprises inspectées, est conforme aux exigences de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le Tribunal a notamment rappelé que les éventuelles irrégularités commises lors du déroulement d’une inspection pouvaient être contestées dans le cadre du recours contre la décision finale de la Commission.
S’agissant du moyen relatif à la violation du droit à l’inviolabilité du domicile, le Tribunal a examiné si la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par les entreprises concernées.
À cet égard, il a précisé que les indices obtenus avant une inspection, à savoir lorsqu’aucune enquête n’a encore été formellement ouverte, ne sont pas soumis au même formalisme que lors du recueil de preuves d’une infraction dans le cadre d’une enquête ouverte. Ainsi, des entretiens avec des fournisseurs, menés avant l’ouverture d’une enquête, sont susceptibles de constituer des indices même s’ils n’ont pas fait l’objet d’un enregistrement.
Par ailleurs, le Tribunal a souligné que le seuil permettant de considérer que la Commission détient des indices suffisamment sérieux pour justifier une inspection se situe nécessairement en deçà de celui permettant de constater l’existence d’une pratique concertée.
Sur la base de ces considérations, le Tribunal a constaté que la Commission détenait des indices suffisamment sérieux pour suspecter une pratique concertée concernant les échanges d’informations relatifs aux rabais obtenus sur les marchés de l’approvisionnement de certains produits et les prix sur le marché de la vente de services aux fabricants de produits de marque.
En revanche, le Tribunal a considéré que la Commission ne disposait pas de tels indices en ce qui concerne les échanges d’informations portant sur les stratégies commerciales futures des entreprises suspectées. En effet, s’agissant de ces pratiques, la Commission s’est fondée sur la simple présence d’un représentant de Casino à une convention organisée par Intermarché, durant laquelle cette dernière entreprise a présenté ses ambitions et priorités commerciales. Or, le Tribunal a constaté que cette convention s’était tenue publiquement, en présence de nombreux fournisseurs et journalistes, et qu’elle avait fait l’objet d’un compte rendu détaillé dans la presse spécialisée. Les informations portant sur les stratégies commerciales n’étaient donc pas confidentielles mais publiques. Rappelant qu’un système d’échange d’informations publiques n’est pas en tant que tel susceptible d’enfreindre les règles de concurrence, le Tribunal a dès lors conclu que les soupçons d’échanges d’informations retenus par la Commission n’étaient pas suffisants pour ordonner une inspection.
Par conséquent, le Tribunal a annulé partiellement les décisions de la Commission ordonnant les inspections litigieuses. Tous les documents et informations saisis lors de ces inspections qui concernent les échanges d’informations portant sur les stratégies commerciales doivent dès lors être écartés du dossier et ne pourront être utilisés par la Commission dans le cadre de son enquête.