Dans un arrêt rendu sur question préjudicielle le 22 février 2024 (C-661/22), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la distinction entre la prestation de services de paiement (réglementée au niveau européen par la Directive (UE) 2015/2366[1] – « PSD II ») et l’émission de monnaie électronique (réglementée au niveau européen par la Directive 2009/110/CE[2] – « EMD II »). La Cour de justice était plus particulièrement interrogée sur la potentielle requalification de services de paiement en tant qu’émission de monnaie électronique en raison du dépassement du délai légal d’exécution des ordres de paiement.
En l’espèce, ABC Projektai, un établissement de paiement réglementé de droit lituanien, s’était vu retirer sa licence par la Lietuvos bankas (Banque centrale de Lituanie) en 2020. Le régulateur considérait notamment que les activités d’ABC Projektai s’apparentaient à l’émission de monnaie électronique, ce qui est un service réglementé sous EMD II et qui n’est pas autorisé aux établissements de paiement mais aurait dû faire l’objet d’un autre agrément spécifique.
En fait, le régulateur lituanien considérait qu’ABC Projektai conservait les fonds de clients au-delà de la durée nécessaire à l’exécution d’opérations de paiement fixée par PSD II. D’après le régulateur, le fait de porter des fonds reçus de clients au crédit des comptes pour paiements reçus sans destination concrète et de les conserver pendant plusieurs jours (ou plusieurs mois) sans effectuer de transfert des fonds vers les comptes des destinataires constituait de fait une émission de monnaie électronique.
ABC Projektai a contesté cette décision, considérant que ses services constituent exclusivement des services de paiement. Appelée à se prononcer sur la question, la Cour administrative suprême de Lituanie pose une question préjudicielle à la Cour de justice afin de déterminer si les services prestés par ABC Projektai doivent être qualifiés de services de paiement ou d’émission de monnaie électronique.
La Cour de justice souligne d’abord que la mise à disposition de fonds crédités sur un compte de paiement doit, en principe, être considérée comme faisant partie d’une opération de paiement. Surtout, la Cour clarifie que ces opérations ne sauraient perdre cette qualification au seul motif que les fonds reçus ne seraient pas accompagnés d’un ordre de paiement le jour même ou le jour ouvrable suivant.
La Cour considère en outre, en s’appuyant sur les conclusions de l’avocat général, que rien ne permet de démontrer que les fonds concernés devraient être qualifiés de monnaie électronique[3] mais qu’il s’agissait au contraire de fonds déposés sur des comptes de paiement et utilisables uniquement pour exécuter les ordres de paiement.
Finalement, la Cour rappelle que si la méconnaissance par le prestataire de services de paiement de certaines exigences réglementaires ou contractuelles est susceptible d’engager sa responsabilité, de telles irrégularités n’auraient toutefois pas, en elles-mêmes, pour conséquence de faire sortir l’opération en cause du champ d’application de PSD II.
En conséquence, la Cour de justice décide que l’activité d’un établissement de paiement consistant à recevoir des fonds de la part de l’utilisateur d’un service de paiement, sans que ces fonds soient immédiatement accompagnés d’un ordre de paiement, de sorte qu’ils restent disponibles sur un compte de paiement, constitue un service de paiement fourni par cet établissement de paiement, au sens de PSD II, et non l’émission de monnaie électronique, au sens d’EMD II.
[1] Directive (UE) 2015/2366 du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, J.O.U.E., L 337/35, 23 décembre 2015.
[2] Directive 2009/110/CE du 16 septembre 2009 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique, J.O.U.E., L 267/7, 10 octobre 2009.
[3] L’article 2, 2) d’EMD II définit la monnaie électronique comme : « une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement [au sens de PSD II] et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique ».