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Droit international privé

La CJUE précise les règles de compétence internationale en matière d’atteinte aux droits de la personnalité sur Internet

Dans son arrêt Bolagsupplysningen du 17 octobre 2017 ([GC], C-194/16), la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a été amenée à préciser son interprétation des règles de compétence judiciaire internationale applicables en matière d’atteinte aux droits de la personnalité sur Internet.

Les faits de l’affaire peuvent être succinctement résumés comme suit : une société estonienne, Bolagsupplysningen, et une de ses employées de la même nationalité considèrent avoir été victimes d’une atteinte à leurs droits de la personnalité en raison de la diffusion, sur un site web édité par une société suédoise, d’informations selon lesquelles elles auraient commis des actes de fraude et de tromperie. Les demanderesses ont attrait la société suédoise devant les juridictions estoniennes afin d’obtenir la rectification de ces données et la suppression de commentaires.

Le tribunal de première instance de Harju a interrogé la CJUE sur l’interprétation devant être donnée, dans le cadre de ce litige, à la compétence spéciale prévue à l’article 7(2) du Règlement Bruxelles Ibis en vertu de laquelle « une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre […] en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».

Selon l’approche traditionnelle de la CJUE en matière d’atteinte multi-territoriale aux droits de la personnalité sur internet (voy. en particulier eDate Advertising, aff. jointes C‑509/09 et C‑161/10 du 25 octobre 2011, qui concernait une personne physique), la personne qui s’estime lésée doit avoir la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, les juridictions (i) de l’Etat membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts ou (ii) du pays du fait générateur du dommage (soit le lieu de résidence ou d’établissement de la personne responsable du contenu mis en ligne). Le demandeur peut également, en lieu et place d’une action en responsabilité au titre de l’intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été, qui sont alors compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre de la juridiction saisie (on parle de principe « mosaïque » ou de « doctrine Shevill »).

Dans Bolagsupplysningen, la CJUE a précisé que le critère du centre des intérêts de la victime devait également s’appliquer aux personnes morales (point 38) et correspondait, dans cette hypothèse, au lieu où la société exerce l’essentiel de son activité économique, sans que le lieu de son siège ne constitue un « critère décisif » (point 41). L’apport fondamental de cet arrêt est cependant ailleurs : la CJUE considère que, « eu égard à la nature ubiquitaire des données et des contenus mis en ligne sur un site Internet et au fait que la portée de leur diffusion est en principe universelle », « une personne qui prétend que ses droits de la personnalité ont été violés par la publication de données inexactes la concernant sur Internet et par la non-suppression de commentaires à son égard ne peut pas, devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel les informations publiées sur Internet sont ou étaient accessibles, former un recours tendant à la rectification de ces données et à la suppression de ces commentaires » (points 48 et 49).

Les demandes « en nature », tendant à la rectification ou à la suppression de données sur internet, ne peuvent donc être introduites que devant les juridictions de deux Etats membres : celles du responsable de la mise en ligne du contenu (généralement celles du siège/domicile du défendeur), ou celles du centre des intérêts du demandeur (généralement celles de son siège/domicile). Pour les demandes en réparation par équivalent (dommages et intérêts), la jurisprudence antérieure de la CJUE semble pouvoir continuer à s’appliquer.

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