Les articles 15, point 5, et 16, point 5, du règlement Bruxelles Ibis permettent aux parties de déroger aux règles de compétence protectrices des bénéficiaires, assurés et preneurs d’assurances lorsque le contrat d’assurance couvre un « grand risque » au sens de la directive solvabilité II.
Par une question préjudicielle, une cour d’appel danoise interroge la Cour de justice sur cette faculté de dérogation : un contrat d’assurance sur corps de navire portant sur un bateau de plaisance utilisé à des fins non commerciales relève-t-il de ces deux dispositions qui autorisent une clause attributive de juridiction favorable à l’assureur ?
Le litige opposait un assureur établi aux Pays-Bas et deux personnes physiques domiciliées au Danemark ayant acquis un voilier au Pays Bas et souscrit une assurance de responsabilité et sur corps de navire auprès de cet assureur. La demande d’assurance précisait d’une part que ledit voilier aurait son port d’attache au Danemark et, d’autre part, qu’il ne serait utilisé qu’à des fins privées et récréatives et qu’il ne serait ni loué ni affrété.
La clause attributive de juridiction du contrat imposait au titulaire de la police d’assurance de soumettre tout litige à « un tribunal compétent aux Pays-Bas ».
En raison du refus de l’assureur de couvrir les dommages survenus au bateau à la suite d’un échouement en Finlande, ses propriétaires ont porté le litige devant le tribunal d’Elseneur (Danemark) qui a fait droit à l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’assureur. Les assurés ont interjeté appel.
La Cour de justice prend appui sur plusieurs considérations contextuelles:
– l’agencement des divers alinéas de l’article 16 duquel il ressort qu’une interprétation large du point 5 de cet article, priverait les points 1 à 4 (visant certains véhicules maritimes utilisés à des fins spécifiques) d’un contenu propre (points 39 et suivants) ;
– l’application du principe d’interprétation stricte des dérogations aux règles de compétence en matière d’assurances, telles que celles permises par l’article 15, point 5, du Règlement Bruxelles Ibis (point 45 et jurisprudence citée) ;
– la nécessité d’assurer une cohérence avec l’application par l’Union européenne de la convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for qui, schématiquement vise les contrats d’assurance grands risques couvrant les dommages aux navires de mer dans le cadre d’une utilisation à des fins commerciales mais pas lorsque ces navires ne sont pas utilisés à de telles fins (point 46) ;
– la prise en compte de l’objectif des dispositions de la section 3 du règlement Bruxelles Ibis : règles de compétence plus favorables pour les assurés qui n’agissent pas en qualité de professionnels (point 49 et suivants).
Ces constats lui permettent d’opter pour une interprétation étroite de l’article 16, point 5, du règlement Bruxelles Ibis, selon laquelle les dommages subis par des véhicules utilisés à des fins non commerciales ne sont pas visés à cette disposition, de telle sorte qu’un contrat d’assurance sur corps de navire portant sur un bateau de plaisance utilisé à des fins non commerciales ne relève pas de l’article 15, point 5, de ce règlement. Une telle interprétation prive d’effet la clause d’attribution de juridiction du contrat mais elle est, selon la Cour de justice, conforme aux objectifs poursuivis par la section 3 du règlement Bruxelles Ibis, à savoir la protection spéciale de l’assuré et la prévisibilité des règles de compétence.