Article

Cour d'appel Bruxelles, 21/12/2018, 2018/QR/43, R.D.C.-T.B.H., 2019/4, p. 575-577

Cour d'appel de Bruxelles 21 décembre 2018

FAILLITE
Faillite - Champ d'application - Notion d'entreprise - Gérant
Il y a trois conditions pour la qualification d'entreprise au sens de l'article I.1, alinéa 1er, du Code de droit économique. L'entreprise doit être une personne physique (1) qui exerce une activité professionnelle (2) à titre indépendant (3).
En exigeant que le dirigeant poursuive un but économique qui lui est propre, par la livraison de biens ou prestations de services sur un marché, le jugement entrepris a énoncé une condition inexistante.
FAILLISSEMENT
Faillissement - Toepassingsgebied - Ondernemingsbegrip - Zaakvoerder
Er zijn drie voorwaarden voor een kwalificatie als onderneming in de zin van artikel I.1, eerste alinea van het Wetboek economisch recht. De onderneming moet een natuurlijke persoon zijn (1) die een beroepsactiviteit uitoefent (2) op zelfstandige basis (3).
Door te vereisen dat de zaakvoerder ook een eigen economisch doel nastreeft, door het verstrekken van diensten of leveren van goederen op de markt, heeft het bestreden vonnis een onbestaande voorwaarde toegevoegd.

L. Renard

Siég.: M.-Fr. Carlier (président), Fr. Custers et C. Heilporn (conseillers)
Pl.: Me Ph. Dechamps
Affaire: 2018/QR/43
I. La décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 8 octobre 2018 par le tribunal de commerce du Brabant wallon.

Il n'est pas produit d'acte de signification de cette décision.

II. La procédure devant la cour

L'appel est formé par requête déposée par M. Renard au greffe de la cour, le 25 octobre 2018.

La cause a été attribuée à une chambre à trois conseillers en vertu d'une ordonnance rendue le 3 décembre 2018 sur la base de l'article 109bis, § 3, du Code judiciaire.

La procédure est contradictoire.

Mme V. Fischer, avocat général, a été entendue en son avis oral à l'audience du 3 décembre 2018.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. M. Renard est le gérant statutaire de la SPRL Aqua-Flo, qu'il a constituée le 5 janvier 2017. Les statuts prévoient que le mandat de gérant sera rémunéré ou gratuit suivant décision de l'assemblée générale. Aucune décision de l'assemblée générale n'est produite; cependant il est établi que M. Renard perçoit effectivement un « salaire gérant » de 1.400 EUR par mois.

2. Il a précédemment été le gérant de la SPRL Flod'eau, dont la faillite a été déclarée ouverte par jugement du tribunal de commerce du Brabant wallon le 20 mars 2017.

Aux termes d'un jugement d'accord prononcé le 27 septembre 2016 par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, M. Renard est tenu solidairement avec la SPRL Flod'eau de payer à la SA Belfius un montant provisionnel de 80.000 EUR. Ce jugement lui est signifié le 16 février 2017 avec un commandement de payer 80.583,08 EUR.

Le 19 mars 2018, M. Renard est condamné à payer 20.992,03 EUR à augmenter des intérêts à Me Dedobbeleer, curateur de la faillite de la SPRL Flod'eau. Ce jugement lui est signifié avec un commandement de payer 23.731,18 EUR le 29 mai 2018.

3. Par acte déposé dans le Registre central de la solvabilité, le 11 juillet 2018, M. Renard fait aveu de faillite.

Le 21 août 2018, le tribunal de commerce du Brabant wallon ordonne la réouverture des débats.

Par le jugement entrepris, le tribunal dit pour droit que M. Renard ne peut être déclaré en faillite.

M. Renard interjette appel de cette décision qu'il demande à la cour de mettre à néant. Il sollicite qu'il soit dit pour droit qu'il est une entreprise au sens de l'article I.1, alinéa 1er, du Code de droit économique et qu'il soit constaté qu'il est en état de cessation de paiement et d'ébranlement de crédit. Il demande dès lors de déclarer ouverte sa faillite sur aveu, d'ordonner l'accomplissement des formalités légales et de renvoyer la cause devant le tribunal de l'entreprise du Brabant wallon pour la suite des opérations de faillite.

IV. Discussion

4. Le jugement entrepris a dit pour droit que M. Renard n'est pas une entreprise au sens du Code de droit économique (ci-après CDE) et qu'il ne pouvait être déclaré en faillite. Il motive sa décision par les considérations suivantes; le fait qu'est une entreprise la « personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre d'indépendant » signifie que cette personne poursuit un but économique qui lui est propre, par la livraison de biens ou prestations de services sur un marché; M. Renard « était actif uniquement auprès de la SPRL Flod'eau, en sa qualité de gérant. Il n'avait pas de clients et ne poursuivait dès lors pas sur un quelconque marché un but économique qui lui est propre ».

5. Aux termes de l'article XX.99 du CDE, « le débiteur qui a cessé ses paiements de manière persistante et dont le crédit se trouve ébranlé est en état de faillite ».

Aux termes de l'article I.22, 8°, du CDE (au Chapitre 14 relatif aux définitions particulières au Livre XX), le débiteur est « une entreprise à l'exception de toute personne morale de droit public ».

Aux termes de l'article I.1 du CDE (inséré par l'art. 35 de la loi du 15 avril 2018 portant réforme du droit des entreprises), est une entreprise, « chacune des organisations suivantes:

(a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant;

(...) ».

Cette nouvelle définition se caractérise, selon de nombreux commentateurs, à la fois par son caractère inabouti et sa vocation à s'appliquer très largement. Elle dépasse la notion de commercialité au profit de critères présentés par le législateur comme devant garantir plus de sécurité juridique.

Les trois conditions qu'elle pose sont réunies, en l'espèce.

M. Renard est une personne physique.

L'activité de gérant est exercée par M. Renard à titre indépendant; il a le statut de dirigeant d'entreprise et dirige seul la société; il est assujetti au régime de sécurité sociale pour travailleurs indépendants.

L'exercice du mandat de gérant par M. Renard constitue une activité « professionnelle » au sens commun du terme, s'agissant d'un métier et non pas d'une activité exercée à titre d'amateur. « La 9e édition du dictionnaire de l'Académie française donne du mot profession la définition suivante: 'Métier; activité qu'une personne exerce régulièrement afin de se procurer les moyens nécessaires pour subvenir à son existence' » (W. Derijcke, « Les nouveaux champs d'application du droit de l'insolvabilité », in C. Alter (dir.), Le nouveau droit de l'insolvabilité, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 23). Les travaux préparatoires de la loi du 15 avril 2018 précitée, justifiant l'absence de nécessité de définir l'expression « activité professionnelle », indiquent que « le terme 'profession' est utilisée (sic) par le législateur depuis 1807 et encore aujourd'hui pour la définition de 'commerçant' ('Sont commerçants ceux qui exercent des actes qualifiés commerciaux par la loi et qui en font leur profession habituelle, soit à titre principal, soit à titre d'appoint') sans que cela soit défini par le législateur » (projet de loi portant réforme du droit des entreprises, exposé des motifs, Doc. parl., n° 54-2828/001, p. 11). L'exercice de son mandat de gérant par M. Renard est effectué à titre professionnel, en vue de lui procurer son revenu.

En exigeant que M. Renard poursuive un but économique qui lui est propre, par la livraison de biens ou prestations de services sur un marché, le jugement entrepris a énoncé une condition inexistante.

6. Le passif de M. Renard s'élève à plus de 100.000 EUR. Il déclare n'avoir aucun actif et rien n'indique qu'il pourrait mobiliser à bref délai des liquidités pour faire face à son passif exigible. La cessation des paiements est établie. Eu égard à l'ancienneté des dettes, elle est persistante.

Il a par ailleurs été rappelé que M. Renard a fait l'objet de deux jugements de condamnation suivis de significations-commandement de la part de la SA Belfius et de Me Dedobbeleer q.q., ce qui indique que ces créanciers ne lui font plus confiance.

Le crédit de M. Renard est dès lors ébranlé.

7. Il se déduit de ce qui précède que les conditions de la faillite sont réunies et que, par conséquent, l'appel est fondé.

V. Dispositif

Pour ces motifs, la cour,

Reçoit l'appel et le dit fondé;

Déclare ouverte sur aveu la faillite de M. L. Renard, domicilié à (...),

Activité: gérant

Nomme M. Jean-Pierre Jaucot juge commissaire;

Désigne Me Bernard Vanham avocat à 1400 Nivelles, rue de Charleroi, 2, à l'effet de remplir sous la surveillance dudit juge-commissaire les fonctions de curateur;

Ordonne aux créanciers de faire la déclaration de leurs créances, dans le Registre central de la solvabilité, dans un délai qui ne peut excéder 30 jours à compter du prononcé du présent arrêt;

Fixe 4 février 2019 la date à laquelle le premier procès-verbal de vérification des créances sera déposé dans le Registre central de la solvabilité;

Ordonne que le présent arrêt soit publié par extraits par les soins du curateur dans les 5 jours du prononcé du présent arrêt conformément à l'article XX.107 du CDE;

Ordonne la gratuité de la procédure conformément à l'article 666 du Code judiciaire;

Désigne Thierry Avaux huissier de justice de l'arrondissement du Brabant wallon dont l'étude est établie à 1480 Tubize, rue de la Déportation, 183, qui aura à prester gratuitement son ministère;

Met les dépens à charge de la masse;

Renvoie la cause au tribunal de l'entreprise du Brabant wallon pour les suites de la procédure;

(...)