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Actualité en bref : Cour de justice de l'Union européenne, 25/01/2018, C-498/16, Schrems, R.D.C.-T.B.H., 2018/3, p. 309-310

Cour de justice de l'Union européenne 25 janvier 2018

Affaire: C-498/16
DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN ET INTERNATIONAL
Compétence et exécution - Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale - Règlement n° 1215/20012/UE du 12 décembre 2012 (anc. n° 44/2001/CE du 22 décembre 2000) - Champ d'application - Action collective - Notion de consommateur


EUROPEES EN INTERNATIONAAL GERECHTELIJK RECHT
Bevoegdheid en executie - Rechterlijke bevoegdheid, erkenning en tenuitvoerlegging van beslissingen in burgerlijke en handelszaken - Verordening nr. 1215/2012/EU van 12 december 2012 (vroeger nr. 44/2001/EG van 22 december 2000) - Collectieve rechtsvordering - Begrip consument


Par un arrêt Schrems / Facebook du 25 janvier 2018 (C-498/16), la Cour de justice de l'Union européenne (« C.J.U.E. ») a considéré qu'un utilisateur d'un compte Facebook privé ne perd pas la qualité de « consommateur », au sens de l'article 15 du Règlement Bruxelles I (désormais art. 17 du Règlement Bruxelles Ibis), lorsqu'il publie des livres, donne des conférences, exploite des sites Internet et collecte des dons. Ce consommateur ne saurait cependant s'appuyer sur les règles de compétence protectrice du règlement pour lancer une « action collective» en faisant valoir les droits qui lui auraient été cédés par d'autres consommateurs.

Les faits de cette affaire ne manquent pas d'intérêt. Depuis l'automne 2011, M. Schrems a lancé une véritable croisade à l'encontre de Facebook, considérant que le plus célèbre des réseaux sociaux violerait la vie privée de ses utilisateurs et la législation protectrice des données à caractère personnel. C'était déjà suite à une de ses actions que, par un arrêt Schrems / Data Protection Commissioner du 6 octobre 2015 (C-362/14), la C.J.U.E. avait invalidé la décision de la Commission de 2000 selon laquelle les Etats-Unis assurent un niveau adéquat de protection aux données à caractère personnel transférées sur son sol depuis l'UE dans le cadre du régime Safe Harbor.

Dans le cadre de ses actions à l'encontre de Facebook, M. Schrems a notamment publié deux livres, donné des conférences (dont certaines rémunérées), enregistré de nombreux sites web (à la dénomination souvent limpide sur ses intentions, comme « Europe versus Facebook ») ou encore lancé des pétitions en ligne. Par ailleurs, il s'est fait céder par plus de 25.000 personnes du monde entier leurs droits afin de poursuivre une action en justice à l'encontre de Facebook Ireland en Autriche, état de son domicile, visant à mettre fin à d'alléguées violations de la législation en matière de droit à la vie privée.

Les juridictions autrichiennes saisies de cette « action collective » sur la base des règles protectrices en matière de consommation instituées par le Règlement Bruxelles I ont interrogé la C.J.U.E. sur la possibilité de les voir appliquées en l'espèce.

La C.J.U.E. s'est d'abord prononcée sur la qualité de consommateur de M. Schrems lui-même, eu égard à ses activités susmentionnées. Elle rappelle que cette qualité: « se définit par opposition à celle d'opérateur économique' et qu'elle est indépendante des connaissances et des informations dont la personne concernée dispose réellement, ni l'expertise que cette personne peut acquérir dans le domaine duquel relèvent lesdits services ni son engagement aux fins de la représentation des droits et des intérêts des usagers de ces services ne lui ôtent la qualité de 'consommateur'. En effet, une interprétation de la notion de 'consommateur' qui exclurait de telles activités reviendrait à empêcher une défense effective des droits que les consommateurs détiennent à l'égard de leurs cocontractants professionnels, y compris ceux relatifs à la protection de leurs données personnelles (§ 39-40). La Cour en conclut dès lors « qu'un utilisateur d'un compte Facebook privé ne perd pas la qualité de 'consommateur', au sens de cet article, lorsqu'il publie des livres, donne des conférences, exploite des sites Internet, collecte des dons et se fait céder les droits de nombreux consommateurs afin de faire valoir ces droits en justice » (§ 41).

Après avoir reconnu à M. Schrems la qualité de consommateur et, partant, de faire valoir ses propres droits dans le pays de son domicile sur la base des règles de compétence protectrices en la matière, la Cour lui a cependant daigné la possibilité de s'appuyer sur ces règles pour lancer une « action collective » au nom des 25.000 personnes lui ayant cédé leurs droits. En effet, la Cour a rappelé que ces règles sont inspirées « par le souci de protéger le consommateur en tant que partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant, le consommateur n'est protégé qu'en tant qu'il est personnellement demandeur ou défendeur dans une procédure. Dès lors, le demandeur qui n'est pas lui-même partie au contrat de consommation en cause ne saurait bénéficier du for du consommateur » (§ 44; cf. C.J.U.E., 19 janvier 1993, C-89/91, Shearson Lehman Hutton). Cette solution s'imposant également eu égard au fait qu'« une cession de créances ne saurait, en elle-même, avoir d'incidence sur la détermination de la juridiction compétente » (§ 48; cf. C.J.U.E., 21 mai 2015, C-352/13, CDC). Il en résulte, en conclut la Cour, que les règles de compétence dérogatoires en faveur des consommateurs « ne s'appliquent pas à l'action d'un consommateur visant à faire valoir, devant le tribunal du lieu où il est domicilié, non seulement ses propres droits, mais également des droits cédés par d'autres consommateurs domiciliés dans le même Etat membre, dans d'autres Etats membres ou dans des Etats tiers » (§ 49).