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Les praticiens de l'insolvabilité, R.D.C.-T.B.H., 2018/3, p. 224-226

Les praticiens de l'insolvabilité

Jean-Philippe Lebeau [1]

1.La notion de « praticien de l'insolvabilité » est définie à l'article I.22, 7°, du Code de droit économique (C.D.E.) [2]. Cette disposition reproduit mot pour mot l'article 2, 5), du règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015 « relatif aux procédures d'insolvabilité », qui définit le praticien de l'insolvabilité comme:

« toute personne ou tout organe dont la fonction, y compris à titre intérimaire, consiste à exercer une ou plusieurs des tâches suivantes:

    • vérifier et admettre les créances soumises dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité;
    • représenter l'intérêt collectif des créanciers;
    • administrer, en tout ou en partie, les actifs dont le débiteur est dessaisi;
    • liquider les actifs visés au point iii) et le cas échéant, répartir le produit entre les créanciers; ou
    • surveiller la gestion des affaires du débiteur ».

    Comme souligné dans les travaux préparatoires [3], toutes les tâches mentionnées dans cette disposition sont alternatives et non cumulatives.

    A l'annexe B du règlement n° 2015/848, la Belgique a inscrit la liste des personnes qui, en droit national, doivent être considérées comme praticiens de l'insolvabilité parce qu'elles effectuent au moins l'une des tâches répertoriées à l'article 2, 5., du règlement; cette énumération comprend:

      • le curateur;
      • le juge-délégué;
      • le mandataire de justice;
      • le médiateur de dettes;
      • le liquidateur;
      • l'administrateur provisoire.

      2.Le Livre XX organise les règles relatives à la plupart des praticiens de l'insolvabilité identifiés à l'annexe du règlement: le curateur, le juge-délégué, le mandataire de justice ainsi que l'administrateur provisoire. Le médiateur de dettes et le liquidateur - volontaire ou judiciaire - relèvent d'autres législations [4].

      Le centre de la matière se situe à l'article XX.20 C.D.E., qui règle en un long texte: le profil des praticiens de l'insolvabilité, l'assurance de leur responsabilité professionnelle, l'obligation de figurer sur les listes de praticiens prévues par la loi, les modes de détermination et de perception des frais et honoraires, les modalités applicables à l'augmentation de leur nombre ou à leur remplacement, de même que ce qui a trait à la fin de leur mandat.

      Toutefois, certaines règles importantes qui régiront l'activité des praticiens de l'insolvabilité ne sont pas encore connues à l'heure où ces lignes sont écrites, parce qu'elles doivent être précisées dans des arrêtés royaux en cours de rédaction; en particulier on ne connaît pas encore la manière concrète dont seront calculés les frais et honoraires ou déterminées la formation particulière et les compétences nécessaires à l'inscription sur la liste des curateurs [5].

      3.En adoptant l'article XX.20, le législateur a veillé à mieux coordonner les missions dévolues à différents praticiens de l'insolvabilité qui étaient jusqu'ici disséminées dans les articles 14, 27 et 28 de la loi relative à la continuité des entreprises (L.C.E.) et dans les articles 8 et 27 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites (L.Faill.).

      La notion de praticien de l'insolvabilité est donc générique et couvre un ensemble de fonctions distinctes. Quand cela s'avère possible, le législateur applique aux mandataires judiciaires des règles communes. Ce ne peut toujours être le cas du curateur dont la mission est d'essence différente des autres praticiens de l'insolvabilité puisque le premier oeuvre dans une optique de liquidation des actifs, alors que les seconds sont désignés pour préserver la continuité de l'activité.

      4.Nous examinons succinctement les règles qui régiront les praticiens de l'insolvabilité, au regard de ce qu'elles sont actuellement dans la loi du 8 août 1997 sur les faillites et dans la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises:

        • Le curateur de faillite: désormais, la liste établie par l'assemblée générale du tribunal de commerce pourra inclure tout avocat figurant au tableau d'un Ordre des avocats, quel que soit son lieu d'inscription (art. XX.123). L'évolution est notable puisque selon la loi sur les faillites, article 27, l'inscription sur cette liste était réservée aux seuls avocats de l'arrondissement judiciaire du tribunal qui prononce la faillite. Au 1 er mai 2018, tous les avocats, belges ou étrangers, inscrits au tableau d'un barreau belge, seront susceptibles de postuler leur inscription dans chacun des ressorts de tribunaux de commerce.
        • Par ailleurs, ainsi que l'article 27 de la loi sur les faillites le prévoit déjà, le tribunal est autorisé à adjoindre au curateur « principal », un curateur « spécialisé » disposant de compétences particulières et d'une expérience propre au secteur duquel relève le débiteur (art. XX.122, § 2). En application de l'article XX.123, cette possibilité devient une obligation lorsque le failli est titulaire d'une profession libérale. Dans ce cas, le tribunal désigne en tant que co-curateur, un membre de la profession libérale concernée qui offre des garanties de compétence en matière de procédure de liquidation. Ce curateur « spécifique » est choisi sur une liste tenue et publiée annuellement au Moniteur belge par l'autorité de la profession dont question - ordres, instituts ou autres associations professionnelles - (voir l'art. XX.123, qui renvoie à l'art. XX.20, § 1 er, al. 4).
        • Dans l'attente d'un arrêté royal sur le calcul des honoraires et frais, nous ne commenterons pas les orientations générales fournies à l'article XX.20, § 3 et 4. Déjà, il est intéressant de noter que l'article XX.20, § 4, in fine, légalise la pratique prétorienne de la couverture forfaitaire par l'Etat des frais et honoraires du curateur, lorsque l'actif est insuffisant pour y faire face [6]. Le montant du forfait sera fixé par l'arrêté royal et fera l'objet d'une indexation annuelle qui faisait défaut jusqu'ici.
        • Le juge-délégué: si le juge-délégué figure parmi les praticiens de l'insolvabilité repris à l'annexe B, cela n'implique pas qu'il sera soumis aux règles appliquées par le Livre XX aux praticiens en général. Son statut (tout comme celui du juge-commissaire qui, lui, n'est pas repris à l'annexe B) est différent de celui des véritables praticiens de l'insolvabilité. On aperçoit d'ailleurs qu'il n'est pas en charge, à titre principal, d'une quelconque des tâches énumérées à l'article 2, 5., du règlement n° 2015/848. Et comment pourrait-il être concerné par les règles applicables aux véritables praticiens de l'insolvabilité, par exemple celles qui établissent comment déterminer leurs honoraires et frais? Relevons également que le Livre XX marque bien la distinction entre les praticiens de l'insolvabilité et les juges-délégués ou les juges-commissaires [7].
        • En réalité, le juge-délégué est avant tout un juge soumis aux exigences particulières liées à cet état. Pour les fins du Livre XX, il ne doit pas être considéré comme un praticien de l'insolvabilité.
        • Le mandataire de justice « article XX.30 »: cette disposition remplace le régime des mandataires de justice visé à l'article 14 L.C.E. Elle organise une mesure conservatoire restreinte - en dehors de toute procédure d'insolvabilité - qui permet au tribunal de désigner un mandataire de justice lorsque des manquements graves et caractérisés du débiteur ou de l'un de ses organes menacent la continuité de l'entreprise ou de ses activités et que la mesure sollicitée est de nature à préserver cette continuité. La demande peut émaner de tout intéressé, comme c'est déjà le cas de l'article 14 L.C.E., mais l'article XX.30 précise expressément qu'elle peut aussi être le fait du ministère public, ce qui est nouveau. La mission est limitée à ce que le tribunal détermine. On trouvera une situation typique des conditions d'application de cette disposition dans l'exemple d'une société en déshérence à la suite du décès de son gérant.
        • L'exposé des motifs explique que la désignation du mandataire de justice peut subsister même lorsqu'un débiteur entame formellement une procédure de réorganisation; celle-ci « ne met pas en tant que telle fin à la mission du mandataire de justice » [8]. Lors de l'ouverture de la procédure, le jugement précisera dans quelle mesure la mission doit être maintenue, modifiée ou supprimée.
        • Le mandataire de justice en cas de transfert sous autorité de justice (art. XX.85): au regard de l'article 60 L.C.E., le seul changement relatif à la désignation du mandataire au transfert résulte de l'extension de la procédure de réorganisation judiciaire aux professions libérales. Lorsque le transfert a trait à une activité de profession libérale, le tribunal est tenu de désigner au moins un mandataire de justice membre de l'ordre, de l'institut ou de l'association professionnelle concernée, à choisir sur la liste visée à l'article XX.20, § 1 er, alinéa 4.
        • L'administrateur provisoire « article XX.31 »: l'article XX.31 se substitue à l'article 28, § 1 et 2, L.C.E., relatif à la désignation pendant le sursis d'un mandataire de justice (§ 1 er) ou d'un administrateur provisoire (§ 2). Aux termes de l'article XX.31, il n'est plus question que de la désignation d'un administrateur provisoire, et le seul élément déclencheur consistera désormais en l'existence d'un manquement grave et caractérisé du débiteur ou d'un de ses organes, à la différence de l'article 28 L.C.E. où un administrateur provisoire ne pouvait être nommé que sur le constat d'une faute grave et caractérisée. La désignation d'un administrateur provisoire par application de l'article XX.31 nécessite qu'une procédure de réorganisation judiciaire ait été déclarée ouverte. Elle est d'une plus grande portée que celle d'un mandataire de justice « article XX.30 » parce qu'elle vise le remplacement du gestionnaire par un administrateur provisoire.
        • L'administrateur provisoire « article XX.32 »: il prend la relève de l'administrateur provisoire « article 8 L.Faill. », désigné par le président du tribunal lorsqu'il existe des indices graves, précis et concordants que les conditions de la faillite sont réunies.
      1. Par rapport à l'article 8 L.Faill., plusieurs nouveautés peuvent être relevées:
          • à défaut d'une citation émanant d'une partie intéressée au rang desquelles l'administrateur provisoire, la mesure de désignation conserve ses effets pendant un maximum de 21 jours au lieu de 15 jours dans le régime de l'article 8 L.Faill.; l'administrateur provisoire disposera donc de plus de temps pour se faire une opinion de l'état de cessation de paiement;
          • l'administrateur provisoire ou tout autre partie intéressée n'est plus limité à la citation en faillite, mais peut également citer en dissolution judiciaire ou introduire une procédure de réorganisation judiciaire; l'on relèvera que dans le cas d'une dissolution judiciaire, aucune règle ne prévoit la désignation d'un co-liquidateur émanant de la profession libérale concernée;
          • l'article XX.33 prévoit que la désignation d'un administrateur provisoire doit être publiée au Moniteur belge (et par le fait même, dans Regsol) au même titre que celle des praticiens de l'insolvabilité visés aux articles XX.30 et XX.31; ce n'était pas le cas sous l'égide de l'article 8 L.Faill.
        1. 5.Soulignons que le médiateur d'entreprise (art. XX.36) n'est pas un praticien de l'insolvabilité. Les travaux préparatoires expliquent que la désignation d'un médiateur de ce type n'est pas considérée pour le Livre XX comme une mesure provisoire [9], mais comme une mesure d'assistance.

          Le médiateur d'entreprise « article XX.36 » reprend par ailleurs la mission qui pouvait être confiée au mandataire de justice « article 27 L.C.E. ». Cette disposition permettait au débiteur d'obtenir la désignation d'un mandataire de justice pour l'assister dans sa réorganisation judiciaire. Dorénavant, à cette fin, le débiteur pourra solliciter du président du tribunal la désignation d'un médiateur d'entreprise; c'est ce que stipule expressément l'article XX.36, § 4: la mission du médiateur d'entreprise s'exerce « en dehors ou, le cas échéant, dans le cadre d'une procédure de réorganisation judiciaire ».

          [1] Président du tribunal de commerce du Hainaut.
          [2] Introduit par l'art. 2 de la loi du 11 août 2017 « portant insertion du Livre XX 'Insolvabilité des entreprises', dans le Code de droit économique, et portant insertion des définitions propres au Livre XX, et des dispositions d'application au Livre XX, dans le Livre I du Code de droit économique ».
          [3] Doc. parl., Chambre, n° 54 2407/001, p. 22, in fine.
          [4] Pour le médiateur de dettes: art. 1675/2 à 1675/26 C. jud.; pour le liquidateur: art. 182 et s. C. soc.
          [5] Le renvoi à des arrêtés royaux est prévu à l'art. XX.20, § 3 et à l'art. XX.122, § 3, auquel renvoie l'art. XX.20, § 2.
          [6] Pour rappel, la plupart des tribunaux allouent actuellement la somme forfaitaire de 750 EUR par faillite sans actifs.
          [7] Voir p. ex. l'art. XX.9: « Toute notification ou toute communication ou tout dépôt, prévus par le présent livre, à, auprès de ou par un praticien de l'insolvabilité, un juge-délégué ou un juge-commissaire, se fait par le biais du registre. »
          [8] Doc. parl., Chambre, n° 54-2407/001, p. 47.
          [9] Doc. parl., Chambre, n° 54-2407/001, p. 48.