Article

Cour d'appel Bruxelles, 21/04/2016, 2015/AR/1395, R.D.C.-T.B.H., 2017/9, p. 973-984

Cour d'appel de Bruxelles 21 avril 2016

ASTREINTE
Imputabilité - Organe - Action en cessation - Pratiques du marché déloyales à l'égard d'autres que les consommateurs
L'organe d'une personne morale qui agit, dans les limites de ses attributions, pour le compte de la personne morale s'identifie à celle-ci. L'acte ainsi accompli par un organe, qu'il s'agisse d'un acte juridique ou d'un acte purement matériel liés à l'activité de la personne morale, comme un acte contraire aux pratiques honnêtes du marché, est imputable directement à la personne morale elle-même. L'action en cessation fondée sur les articles VI.97, VI.100, VI.104 et VI.105, 1° et 2°, du Code de droit économique vise exclusivement les pratiques ou actes commis par des entreprises et est donc non fondée si elle est dirigée contre la personne lorsque celle-ci agit comme organe.
Un ordre de cessation a une durée illimitée, sauf s'il prévoit expressément le contraire. Lorsque la législation sous-jacente à un ordre de cessation est ultérieurement modifiée, c'est la théorie de l'actualité du titre qui trouvera application et qui déterminera si l'ordre continue ou non à sortir ses effets, sous le contrôle du juge des saisies. Il n'y a donc pas lieu de préciser expressément dans un ordre de cessation que celui-ci ne vaut qu'aussi longtemps que les dispositions légales sous-jacentes ne sont pas modifiées.
Dans la détermination du montant de l'astreinte, il est tenu compte de la difficulté de constater chacune des éventuelles infractions. Il faut donc en fixer le montant à un niveau suffisamment élevé pour qu'il ne soit pas économiquement rationnel pour les parties condamnées d'enfreindre délibérément l'ordre de cessation en comptant sur la probabilité de ne pas être pris.
DWANGSOM
Toerekening - Orgaan van rechtspersoon - Vordering tot staking - Oneerlijke praktijken jegens anderen dan consumenten
De natuurlijke persoon-orgaan van de rechtspersoon die binnen de grenzen van zijn functie handelt voor rekening van de rechtspersoon, moet ermee worden geïdentificeerd. Zijn daden zijn rechtstreeks toerekenbaar aan de rechtspersoon, of het een rechtshandeling of een feitelijke handeling betreft, zoals een daad die strijdig is met de eerlijke handelsgebruiken. De vordering tot staking die steunt op de artikelen VI.97, VI.100, VI.104 et VI.105, 1° en 2° WER heeft uitsluitend betrekking op daden gepleegd door ondernemingen en is dus ongegrond indien zij gericht is tegen een persoon als deze handelt als orgaan.
Een stakingsbevel heeft een onbeperkte duur, tenzij indien het anders bepaalt. Als de aan het bevel onderliggende wetgeving later wordt gewijzigd, zal de theorie van de actualiteit van de titel toepassing vinden en bepalen of het bevel nog uitwerking heeft of niet, onder controle van de beslagrechter. Het stakingsbevel hoeft dus niet te preciseren dat het slechts geldt zolang de onderliggende wetgeving ongewijzigd is.
Bij de bepaling van het bedrag van de dwangsom dient rekening te worden gehouden met de moeilijkheidsgraad om elk van de eventuele inbreuken vast te stellen. Het bedrag moet dus voldoende hoog zijn opdat het economisch niet redelijk zou zijn voor de veroordeelde partijen om opzettelijk het bevel te schenden, rekenend op de waarschijnlijkheid dat men niet zal worden gevat.

FlibTravel International SA et Leonard Travel International SA / AAL Renting SA e.a.

Siég.: M.-F. Carlier (conseiller f.f. président), F. Custers (conseiller) et Y. Herinckx (conseiller suppléant)
Pl.: Mes P. Frühling, S. Golinvaux, H. Tacheny et V. Defraiteur, N. Marinov, D. Ribant, I. Ferrant, N. Berthold
Affaire: 2015/AR/1395

(…)

III. Faits et antécédents de la procédure
(1) Résumé de l'objet du litige

1. Le litige oppose FlibTravel e.c., des autocaristes qui exploitent une ligne régulière entre la gare du Midi à Bruxelles et l'aéroport de Charleroi, à des exploitants de taxis. Les autocaristes reprochent aux exploitants de taxis une concurrence prétendument déloyale, consistant à racoler à la gare du Midi des passagers à destination de l'aéroport de Charleroi et à les regrouper dans des taxis de type camionnette.

2. Par citations du 21 mai 2014, FlibTravel e.c. font citer les intimés devant le président du tribunal de commerce francophone de Bruxelles siégeant en cessation dans le cadre de la loi relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur (à laquelle a succédé le Code de droit économique).

Le jugement entrepris déboute FlibTravel e.c. de leurs demandes, au motif que les faits allégués ne sont pas prouvés. Il dit la demande reconventionnelle non fondée.

(...)

IV. Discussion
(1) La réalité de la pratique dénoncée

6. Vu le nombre de parties à la cause et les contestations relatives à la participation respective des différents intimés aux actes incriminés, la cour procédera à l'analyse des faits et des preuves en deux temps. Dans un premier temps, elle effectuera un examen d'ensemble et s'attachera à déterminer comment les services de taxis fonctionnent à la gare du Midi pour les voyageurs à destination de l'aéroport de Charleroi. Ceci fait l'objet des paragraphes 7 à 11 ci-dessous. Dans un second temps, la cour examinera si et dans quelle mesure les actes pertinents sont imputables à chacun des intimés individuellement (une partie des intimés ne devant toutefois plus faire l'objet de cette analyse individuelle parce que la cour aura entre-temps décidé que l'action dirigée contre ceux-ci n'est de toute manière pas fondée). Ceci fait l'objet des paragraphes 51 et 52 ci-dessous.

7. FlibTravel e.c. exploitent un service d'autocars qui dessert en particulier le trajet entre la gare du Midi à Bruxelles et l'aéroport de Charleroi. Elles ont conclu à cette fin une « convention de sous-concession » avec Brussels South Charleroi Airport, dont une version non signée, non datée et expurgée de ses dispositions financières figure à leur dossier (pièce 1). Cette convention prévoit en particulier la mise à disposition de FlibTravel e.c. de quatre emplacements de stationnement pour autocars à l'aéroport de Charleroi « destinés à l'exploitation, par le sous-concessionnaire, de services réguliers spécialisés de transport de personnes sur les lignes aller-retour (i) Luxembourg - Arlon - Bastogne - BSCA - Bruxelles-Midi et (ii) Lille - BSCA - Bruxelles-Midi » (art. I.3), de la marque enregistrée « Brussels City Shuttle » (art. III.2) et d'un emplacement de stationnement d'autocars situé à la rue de France face à la gare du Midi (art. III.3). La convention mentionne (art. I.5) qu'elle constitue un « contrat au sens de l'article 5, 2., in fine du règlement » n° 1073/2009 du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l'accès au marché international des services de transport par autocars et autobus.

8. Les intimés sont, dans le cas des personnes morales, des exploitants de taxis ou, dans le cas des personnes physiques, des chauffeurs qui travaillent (sous le statut d'indépendant) pour les personnes morales intimées. Le service Bruxelles Mobilité - Direction des Taxis de la Région de Bruxelles-Capitale a fourni à FlibTravel e.c. la liste des exploitants propriétaires des taxis portant les plaques d'immatriculation et les numéros de matricule relevés par FlibTravel e.c. (pièce 2 de leur dossier). Cette liste mentionne également, par exploitant, l'identité des chauffeurs et leur statut de salarié ou d'indépendant. Les chauffeurs salariés n'ont pas été cités et ne sont pas à la cause.

9. Face à l'emplacement de stationnement des autocars de FlibTravel e.c. à la gare du Midi est situé un rang de taxis. Ce rang est occupé par des taxis de type camionnette qui se rendent principalement à l'aéroport de Charleroi. Des chauffeurs de ces taxis, ou des personnes travaillant pour leur compte, accostent les voyageurs qui sortent de la gare et se dirigent vers les autocars, et proposent à ceux-ci de faire le trajet en taxi au prix de 13 EUR par personne. Les chauffeurs ou leurs préposés utilisent parfois une petite pancarte plastifiée, qu'ils tiennent en main et montrent aux voyageurs, portant d'un côté « shuttle to airport Charleroi 13 EUR » avec les photographies d'un taxi-camionnette et d'un avion et de l'autre côté « bus 17 EUR ». Les taxis démarrent lorsqu'ils sont complets, une fois que 7 ou 8 passagers sont à bord.

Les éléments de preuve fournis par FlibTravel e.c. démontrent la réalité du phénomène et le fait qu'il s'agit d'une pratique organisée entre les chauffeurs de taxis qui y participent. Ceci résulte en particulier de deux constats d'huissier, d'un rapport de détectives et de vidéos.

(…)

Les vidéos sont particulièrement convaincantes. Ainsi, l'on voit sur la vidéo marquée « 2013/10/07 » (pièce 5) à la minute « 18:25 » une personne debout à côté d'un autocar de FlibTravel e.c. qui tient à la main la petite pancarte décrite plus haut; cette personne dit « vous avez déjà un ticket? » et « vous avez le minibus là-bas » en montrant l'autre côté de la rue. On voit la même pancarte à la main d'une personne qui s'adresse à des voyageurs sur la vidéo marquée « 11-10-2013 » (pièce 6) à la minute « 9:02 » puis à la minute « 9:15 », et qui accompagne ces voyageurs vers des taxis successifs dans lesquels ils embarquent. Il est manifeste que cette personne opère comme rabatteur pour les taxis et qu'elle sollicite des voyageurs généralement seuls ou à deux plutôt que des groupes de 7 ou 8 personnes. Entre les minutes « 15:25 » et « 16:49 » de la même vidéo, on voit une autre personne opérer de la même manière avec la même pancarte et oeuvrer pour remplir les taxis, passager par passager. La vidéo marquée « 12-10-2013 » (pièce 6) montre un comportement identique à la minute « 8:55 », où l'on voit la personne à la pancarte faire monter un voyageur dans un taxi et l'y laisser patienter pendant qu'elle part à la recherche d'autres passagers. A la minute « 17:04 » de la même vidéo, un rabatteur se tient avec sa pancarte à côté de l'autocar de FlibTravel e.c. et convainc à grands renforts de gestes 2 voyageurs de traverser la rue pour prendre le taxi.

La vidéo marquée « 26-11-2015 » (pièce 43) ne fait plus apparaître la pancarte des vidéos précédentes et est à cet égard moins pertinente, mais l'on y voit encore des chauffeurs ou rabatteurs aborder des voyageurs et les faire embarquer successivement, seuls ou par deux, dans des taxis-camionnettes.

10. Les dénégations de Saratax e.c. et AAL Renting e.c. ne sont pas crédibles.

(…)

11. Mais, comme la cour l'a indiqué plus haut, les éléments de preuve versés aux débats sont convaincants quant à l'existence du phénomène dans son ensemble (la cour reviendra plus loin, aux paragraphes 51 et 52, sur les aspects d'imputabilité individuelle). Les vidéos sont indubitables et confirment la fiabilité des constats relatés par l'huissier et les détectives, avec lesquels elles concordent. Il n'y a pas de raison de douter de la sincérité de l'huissier lorsqu'il écrit avoir entendu des chauffeurs « clairement dire que le trajet vers l'aéroport de Charleroi ne coûte que 13 EUR/personne avec le taxi au lieu de 17 EUR avec le bus », d'autant plus que ceci est entièrement cohérent avec le message écrit sur les pancartes utilisées par les chauffeurs. Il est inévitable que les personnes figurant sur les vidéos ou mentionnées dans les constats n'aient pas pu être identifiées par l'huissier ou les détectives; ceci résulte nécessairement de la méthode de collecte de preuves à laquelle FlibTravel e.c. ont dû avoir recours. Ce qui pouvait être identifié par un observateur extérieur ne voulant pas être repéré, c'est-à-dire les numéros d'immatriculation et les numéros matricules des véhicules, l'a été. La cour ne voit pas bien comment FlibTravel e.c. auraient pu en pratique, dans les circonstances de l'affaire, faire beaucoup mieux pour recueillir des preuves utiles.

L'affirmation d'AAL Renting e.c. que ce serait en réalité chaque fois « un groupe de personnes qui ne se connaissent pas initialement [qui] se met[tent] d'accord pour utiliser un taxi ensemble pour une même destination en en partageant le coût » (conclusions additionnelles et de synthèse, p. 13), et celle de Saratax e.c. que les clients se grouperaient « spontanément » (conclusions de synthèse d'appel, p. 42), outre qu'elles sont manifestement contredites par les vidéos, sont invraisemblables.

(2) La recevabilité des demandes principales et reconventionnelles
(a) Position des parties

12. Saratax e.c. demandent, dans le dispositif de leurs conclusions de synthèse, de déclarer l'appel irrecevable à l'égard de ceux d'entre eux qui sont des personnes physiques. Il ressort toutefois des développements figurant dans les mêmes conclusions (pp. 21 à 23) et des explications fournies à l'audience que ce n'est pas l'irrecevabilité de l'appel qu'ils visent, mais plutôt l'irrecevabilité ou le non-fondement des demandes principales formées contre les personnes physiques. Le jugement entrepris a déclaré les demandes principales recevables à l'égard de tous les défendeurs, et c'est donc une réformation du jugement que Saratax e.c. sollicitent sur ce point par le biais d'un appel incident.

Les personnes physiques concernées sont des chauffeurs de taxis qui travaillent en tant qu'indépendants et sont gérants ou associés des personnes morales intimées. Saratax e.c. soutiennent qu'en vertu de la théorie de l'organe les actes accomplis par ces personnes physiques doivent être considérés comme des actes de la personne morale elle-même et que seule la personne morale en est responsable.

Interrogés par la cour sur la pertinence de ce moyen en ce qui concerne, parmi les intimés, les associés commandités de sociétés en commandite simple, Saratax e.c. ont invoqué à l'audience du 19 février 2016 le caractère subsidiaire de la responsabilité d'un associé commandité découlant de l'article 203 du Code des sociétés, qui ne permet selon eux de condamner un associé commandité que si la société a préalablement été condamnée lors d'une procédure distincte.

13. FlibTravel e.c. répondent que les personnes physiques concernées ont été citées non pas en tant qu'organes des sociétés exploitantes de taxis, mais en tant que chauffeurs indépendants travaillant pour ces sociétés. Elles soutiennent que l'exercice d'une activité de chauffeur de taxi indépendant en fait des « entreprises » susceptibles d'être visées par une action en cessation. Elles ajoutent que les associés commandités sont solidairement responsables avec la société concernée.

14. Le jugement entrepris a considéré que « ces personnes exercent donc la profession de chauffeurs de taxis en leur qualité d'indépendant et ont été citées en cette qualité. Le fait que ces personnes physiques soient par ailleurs également organes (gérants) de la société pour laquelle elles travaillent en tant qu'indépendant ne peut avoir aucune influence sur la validité de l'action intentée par les demanderesses. La théorie de l'organe [...] est donc inopérante et irrelevante dans le cadre de la présente procédure ».

15. En ce qui concerne les demandes reconventionnelles formées par Saratax e.c., la cour a interrogé ces parties lors de l'audience du 19 février 2016 sur la qualité d'« entreprise » de ceux d'entre eux qui sont des personnes physiques.

(b) Les actions principales en cessation

16. L'organe d'une personne morale qui agit, dans les limites de ses attributions, pour le compte de la personne morale s'identifie à celle-ci. L'acte ainsi accompli par un organe est imputable directement à la personne morale elle-même. Ceci vaut tant pour les actes juridiques - par exemple la signature d'un contrat - que pour les actes purement matériels liés à l'activité de la personne morale. L'organe personne physique incarne la personne morale.

Ainsi, lorsqu'un chauffeur de taxi est le gérant d'une SPRL ayant pour objet social l'exploitation d'un service de taxis, c'est la SPRL qui est censée être au volant du taxi. Le service de taxi est offert par la SPRL seule et le chauffeur ne peut pas être considéré comme offrant lui aussi, parallèlement à la SPRL, un tel service. La thèse de FlibTravel e.c. selon laquelle les chauffeurs sont à la cause en tant qu'indépendants et pas en tant qu'organes est inexacte: les chauffeurs ne fournissent aucun service à la clientèle indépendamment des sociétés dont ils sont les organes; tout ce qu'ils font dans ce cadre est imputable aux sociétés plutôt qu'à eux-mêmes personnellement. Le fait qu'ils ont le statut social d'indépendant ne veut pas dire que l'activité commerciale de services de taxis soit la leur. Cette indépendance signifie simplement que, dans leur relation avec leur SPRL, il n'y a pas de lien de subordination au sens du droit du travail. Elle n'implique pas l'existence d'une relation directe de fourniture de services entre les chauffeurs et la clientèle.

17. Ceci explique que l'organe d'une personne morale n'est en principe pas une « entreprise » au sens du Code de droit économique (G. Straetmans et J. Stuyck, « De wet van 6 april 2010 betreffende marktpraktijken en consumentenbescherming. Een onvoldoende stap in de goede richting », R.W., 2010-2011, p. 386, spéc. p. 391; T. Heremans, La nouvelle loi relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur, Larcier, 2010, p. 11, n° 21; R. Steennot e.a., Wet Marktpraktijken, Intersentia, 2010, p. 7, n° 7; de même au sens du Code judiciaire: I. Veroug­straete et J.-Ph. Lebeau, « Transferts de compétences: le tribunal de commerce devient le juge naturel de l'entreprise », R.D.C., 2014, p. 543, n° 21(f); D. Mougenot, « Les nouvelles compétences du tribunal de commerce », J.T., 2014, p. 597, n° 12).

L'action en cessation introduite par FlibTravel e.c. est fondée sur les articles 97, 100, 104 et 105, 1° et 2°, du Livre VI du Code de droit économique. Ces dispositions visent exclusivement les pratiques ou actes commis par des entreprises. Dans la mesure où elle est dirigée contre des personnes qui ne sont pas des entreprises, l'action est dès lors non fondée (Liège, 20 janvier 2003, Ann. prat. comm. & conc., 2003, p. 738, qui considère toutefois qu'une action en cessation dirigée contre un administrateur ou gérant de société est irrecevable plutôt que non fondée). Ceci s'applique aux intimés personnes physiques qui sont gérants ou associés d'une SPRL (intimés nos 12, 13, 17, 25, 29, 33, 43, 45, 50, 51, 52, 53 et 54), d'une SCRL (intimé n° 15) ou d'une SCRI (intimés nos 6 et 9), ou qui sont associés commanditaires d'une SCS (intimés nos 32, 46 et 48), ou encore qui ont un statut non établi (intimés n° 36, voir par. 19 in fine ci-dessous, et n° 44, monsieur A.T. dont FlibTravel e.c. soutiennent qu'il serait gérant de l'intimée n° 39, BKN Star SPRL, alors que Saratax e.c. soutiennent que le gérant de cette société n'est pas à la cause et en produisent l'acte constitutif où un tiers est identifié comme gérant).

18. Certes, une faute commise par l'organe d'une personne morale dans un contexte extracontractuel est susceptible d'entraîner tant la responsabilité de la personne morale que celle de son organe (Cass., 20 juin 2005, C.03.0105.F, Pas., 2005, I, p. 1354). La violation d'une norme légale ou réglementaire imposant ou interdisant un comportement déterminé constitue une faute et est source de responsabilité. Mais toutes les normes qui s'imposent à une personne morale ne s'imposent pas nécessairement à leurs organes personnellement (Cass., 21 septembre 2012, F.11.0085.N, Pas., 2012, I, p. 1719). En particulier, comme il a été dit ci-dessus, les dispositions du Code de droit économique qui servent de fondement à l'action de FlibTravel e.c. ne s'imposent qu'aux entreprises et pas aux personnes physiques qui en sont les organes.

19. L'analyse faite ci-dessus ne peut pas être transposée à ceux des intimés qui sont associés commandités de sociétés en commandité simple. Les sociétés en commandite simple ne bénéficient que d'une personnalité juridique incomplète et leurs actes sont assimilés à des actes de leurs associés commandités (J. Vananroye, « Het lot van de (werkende) vennoten bij het faillissement van een V.O.F. of Comm.V. », R.W., 2008-2009, p. 1429, n° 3; à propos de la situation identique de la SNC, Gand, 12 novembre 2012, T.R.V., 2014, p. 69). L'associé commandité d'une SCS a dès lors la qualité de commerçant pour l'application du droit de la faillite (Cass., 19 décembre 2008, C.07.0281.N, Pas., 2008, I, p. 3035; Liège, 30 juin 2011, J.L.M.B., 2012, p. 1170; Gand, 3 juin 2013, T.R.V., 2014, p. 61) et la qualité d'entreprise pour l'application du Code de droit économique.

Contrairement à ce que soutiennent Saratax e.c., le caractère subsidiaire de la responsabilité de l'associé commandité d'une SCS établi par l'article 203 du Code des sociétés n'empêche pas que l'associé commandité et la SCS soient condamnés par une même décision à l'occasion d'une même procédure (Cass., 6 octobre 2011, C.10.0290.N, Pas., 2011, I, p. 2142; V. Simonart, R.P.D.B., Société en nom collectif, Sociétés en commandite, Bruylant, 2014, n° 35).

Le moyen n'entraîne donc pas l'irrecevabilité ou le non-fondement de l'action en cessation en tant qu'elle est dirigée contre les intimés personnes physiques qui sont associés commandités d'une SCRI (intimés nos 6 et 9), ou qui sont associés commanditaires d'une SCS (…).

(…)

20. L'intimé n° 28 (monsieur M.) exploite un taxi en nom propre. Il constitue à ce titre une entreprise et l'action en cessation introduite contre lui est recevable.

(c) Les actions reconventionnelles en cessation

21. Saratax e.c. forment contre FlibTravel e.c. des actions reconventionnelles en cessation, fondées sur les articles 97, 4°, 104 et 105, 1°, du Livre VI du Code de droit économique.

L'article VI.97 porte sur les pratiques commerciales trompeuses à l'égard des consommateurs. L'article VI.104 vise des actes susceptibles de porter atteinte aux intérêts professionnels d'une entreprise. L'article Vl.105, 1°, vise des publicités susceptibles d'affecter le comportement économique de leurs destinataires ou de porter préjudice à une entreprise.

L'article XVII.7 du même code prévoit que l'action en cessation ne peut être formée qu'à la demande des « intéressés », ou de certaines autres catégories de personnes sans pertinence en l'espèce.

22. Pour être titulaire du droit d'agir en cessation en tant qu'intéressé », il faut avoir un intérêt, au sens des articles 17 et 18 du Code judiciaire, à la cessation de l'acte ou de la pratique incriminés (Bruxelles, 16 avril 2012, Ann. prat. mar., 2012, p. 83). Cet intérêt doit s'apprécier en fonction du champ d'application de la norme de droit invoquée (A. Talion, Concurrence et pratiques du marché. La procédure, Larcier, 2012, n° 79). Les dispositions du Code de droit économique qui visent spécifiquement la protection des entreprises ne peuvent donner lieu à une action en cessation par un intéressé que de la part d'entreprises, et les dispositions qui visent spécifiquement la protection des consommateurs ne peuvent de même donner lieu à une action en cessation par un intéressé que de la part de consommateurs (D. Mougenot, « L'action en cessation. Les particularités procédurales d'un mécanisme atypique », Actualités de droit commercial, Anthemis, 2010, p. 51, n° 39).

Les intimés, appelants sur incidents, ne sont pas des consommateurs susceptibles d'utiliser les services de transport par autocar faisant l'objet des publicités concernées et ne sont pas les destinataires de ces publicités. Celles-ci s'adressent aux voyageurs et pas aux exploitants ou chauffeurs de taxi. Ils ne peuvent donc pas invoquer l'article VI.97 du code, ni l'article VI.105, 1°, sur la base d'un effet sur le comportement économique des destinataires de la publicité. Ils ne sont pas des « intéressés » au sens de l'article XVII.7 pour l'application de ces deux dispositions et leur action reconventionnelle en cessation est irrecevable en tant qu'elle se fonde sur celles-ci.

En outre, les personnes physiques dont il a été dit plus haut (par. 17) qu'elles ne sont pas des entreprises ne peuvent pas non plus invoquer à l'appui d'une action en cessation l'article VI.104 du Code de droit économique, ni l'article VI.105, 1°, sur la base d'un préjudice à une entreprise. Leur action reconventionnelle en cessation est donc irrecevable pour le tout.

Les demandes reconventionnelles sont pour le surplus recevables.

(…)

(4) Le groupage de clients

25. FlibTravel e.c. reprochent aux exploitants de taxis de grouper des passagers qui ont une même destination et de demander un prix individuel par passager plutôt qu'un prix global par voiture.

Comme indiqué plus haut, les exploitants de taxis s'adressent en effet aux voyageurs qui sortent de la gare du Midi et qui paraissent vouloir se rendre à l'aéroport de Charleroi pour leur proposer la course au prix de 13 EUR par personne. Chaque taxi attend d'être complet, c'est-à-dire d'avoir rassemblé 7 ou 8 passagers, avant de démarrer.

(a) Position des parties

26. FlibTravel e.c. soutiennent que le groupage de clients est contraire à la réglementation applicable aux services de taxis dans la Région de Bruxelles-Capitale, et en particulier à l'article 2, 1° (c) (« la mise à la disposition porte sur le véhicule et non sur chacune des places ») et (d) (« la destination est fixée par le client ») de l'ordonnance du 27 avril 1995 relative aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur. Elles ajoutent que les exploitants de taxis intimés ne disposent pas de l'autorisation d'exploiter des taxis collectifs conformément à l'arrêté bruxellois du 29 mai 2008 relatif à la fixation des conditions particulières d'exploitation des taxis collectifs, et que ce qu'ils font ne répond de toute manière pas aux conditions imposées par cet arrêté (service de nuit uniquement, maximum trois passagers, etc.). Les conditions d'exploitation d'un service de location de voitures avec chauffeur prévues par l'ordonnance du 27 avril 1995 (voiture de luxe, pas de stationnement ou de circulation sur la voie publique en l'absence de location préalable au siège de l'exploitant, paiement après facturation adressée au siège du client, etc.) ne sont pas remplies non plus.

L'exploitation de services de taxis en violation de la réglementation applicable à cette activité constitue, selon FlibTravel e.c., un acte contraire aux pratiques honnêtes du marché qui porte atteinte à leurs intérêts professionnels, interdit par l'article VI.104 du Code de droit économique.

27. Saratax e.c. répondent que l'ordonnance du 27 avril 1995 n'interdit pas aux taxis de transporter des groupes préalablement constitués et que ce sont les passagers eux-mêmes qui se groupent en vue de partager le prix de la course. Ils affirment que leurs taxis effectuent fréquemment des courses vers d'autres destinations que l'aéroport de Charleroi, ce qui démontre que la destination est choisie par les passagers et pas par les chauffeurs.

Ils considèrent en outre que l'article 2 de l'ordonnance du 27 avril 1995 ne contient que des définitions et n'établit aucune mesure d'interdiction.

AAL Renting e.c. développent une argumentation similaire.

(b) La réglementation des services de taxis

28. Les questions de fait ont été traitées plus haut aux paragraphes 7 à 11 et 25, et le sont encore ci-dessous aux paragraphes 51 et 52 quant aux questions d'imputabilité individuelle des comportements incriminés. Il est établi que ce ne sont généralement pas les passagers qui se groupent spontanément pour partager une course mais que ce sont au contraire les exploitants de taxis qui provoquent ce groupage. S'il n'est pas douteux, ni d'ailleurs contesté, que les taxis en cause effectuent aussi à certains moments des trajets vers d'autres destinations que l'aéroport de Charleroi, il est établi que les exploitants de taxis organisent à la gare du Midi un service de transport groupé vers l'aéroport de Charleroi et sollicitent spécifiquement les voyageurs qui veulent se rendre à cette destination-là.

29. Les services de taxis au départ de la Région de Bruxelles-Capitale sont réglementés en particulier par une ordonnance du 27 avril 1995. Les dispositions pertinentes de cette ordonnance sont les suivantes:

Art. 2. Pour l'application de la présente ordonnance, on entend par:

1° services de taxis: ceux qui assurent, avec chauffeur, le transport rémunéré de personnes par véhicules automobiles et qui réunissent les conditions ci-après:

[…]

c) la mise à la disposition porte sur le véhicule et non sur chacune des places lorsque le véhicule est utilisé comme taxi, ou sur chacune des places du véhicule et non sur le véhicule lui-même lorsque le véhicule est utilisé comme taxi collectif avec l'autorisation du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale;

d) la destination est fixée par le client;

2° services de location de voitures avec chauffeur: tous services de transport rémunéré de personnes par véhicules automobiles qui ne sont pas des services de taxis et qui sont assurés au moyen de véhicules de type voiture, voiture mixte ou minibus, à l'exception des véhicules aménagés en ambulance; [...]

Art. 3. Nul ne peut, sans autorisation du Gouvernement, exploiter un service de taxis au moyen d'un ou de plusieurs véhicules au départ d'une voie publique ou de tout autre endroit non ouvert à la circulation publique, qui se situe sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. [...]

Art. 5. [...] Le Gouvernement fixe le nombre maximum de véhicules pour lesquels des autorisations d'exploiter peuvent être délivrées notamment en fonction des besoins. [...]

Art. 16. Nul ne peut, sans autorisation du Gouvernement, exploiter sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale un service de location de voitures avec chauffeur au moyen d'un ou de plusieurs véhicules.

Seuls les exploitants titulaires d'une autorisation délivrée par le Gouvernement peuvent effectuer des prestations de services dont le point de départ pour l'usager est situé sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. [...]

Art. 35. [...] § 2. Sont punis d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de 26 euros à 10.000 euros ou d'une de ces peines seulement, sans préjudice des dommages-intérêts s'il y a lieu, ceux qui commettent une autre infraction à la présente ordonnance, aux arrêtés pris en exécution de celle-ci ou aux conditions de l'autorisation d'exploiter.

En outre, le juge peut ordonner la confiscation du ou des véhicules appartenant au condamné et à l'aide duquel ou desquels l'infraction aura été commise.

Outre les exigences d'autorisation administrative mentionnées dans les extraits cités ci-dessus, l'ordonnance et son arrêté d'application (arrêté du 29 mars 2007 relatif aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur) imposent de multiples conditions d'exploitation. Il s'agit notamment, pour les taxis, des obligations suivantes: paiement d'une taxe annuelle, interdiction de stationnement en surnombre sur les emplacements réservés, couleur ou livrée déterminée de la voiture, respect des normes de pollution, tarification imposée, assurance, contrôle technique du véhicule, interdiction de rémunérer des intermédiaires, formation du chauffeur, obligation (sauf certaines exceptions) d'accepter toute demande de course, usage d'un taximètre réglementaire, etc.

30. La lecture combinée des articles 2, 1° et 2°, 3 et 16 de l'ordonnance du 27 avril 1995 mène à la conclusion que les taxis ne peuvent pas offrir d'autres services de transport rémunéré de personnes que ceux qui répondent aux critères fixés par l'article 2, 1°. L'article 2, 1°, n'est qu'une définition et n'établit pas en lui-même une quelconque interdiction. Mais l'article 2, 2°, dispose que tout transport rémunéré de personnes qui sort de la définition de « services de taxis » fixée par l'article 2, 1°, tombe alors sous la définition résiduaire de « services de location de voitures avec chauffeur », et l'article 16 interdit d'offrir de tels services sans être autorisé à cette fin.

Ces dispositions aboutissent à diviser l'ensemble des activités de transport rémunéré de personnes au moyen de véhicules automobiles de type voiture, voiture mixte ou minibus (hors ambulances) en deux catégories mutuellement exclusives, celle des activités de taxi et celle des activités de location de voiture avec chauffeur. La première catégorie est réservée exclusivement à ceux qui sont autorisés comme taxis conformément à l'article 3 de l'ordonnance. Tout le reste est réservé exclusivement à ceux qui sont autorisés à faire de la location de voiture avec chauffeur conformément à l'article 16. Dans chaque catégorie, les exploitants doivent encore respecter l'ensemble des conditions qui leur sont imposées. Ceci a pour conséquence que certains types de services ne peuvent être fournis par personne: les services de « taxi collectif » en journée, par exemple, ne peuvent être offerts ni par les exploitants de taxis (ils peuvent en principe être autorisés à exploiter des taxis collectifs, mais les conditions d'une telle autorisation interdisent le service entre 6 heures du matin et 11 heures du soir ; cf.arrêté bruxellois du 29 mai 2008 relatif à la fixation des conditions particulières d'exploitation des taxis collectifs, art. 3) ni par les loueurs de voitures avec chauffeur (ils ne peuvent louer leurs véhicules qu'à une personne déterminée et la location ne peut porter que sur le véhicule et non sur des places dans le véhicule ; cf.ordonnance du 27 avril 1995, art. 17, § 1er, 4° et 6°).

Les exploitants de taxis ne peuvent, en raison du caractère mutuellement exclusif des définitions prévues au 1° et au 2° de l'article 2 de l'ordonnance du 27 avril 1995 et de l'exigence dans chacune des deux catégories d'une autorisation administrative distincte, offrir aucun service de transport rémunéré de personnes qui sorte du cadre défini au 1°. Il s'en déduit que des exploitants de taxis ne peuvent pas mettre à disposition des passagers des places individuelles plutôt que la totalité du véhicule, et qu'ils ne peuvent pas prédéterminer leur destination plutôt que de laisser le client fixer celle-ci. Les pratiques incriminées constituent donc bien une infraction à l'ordonnance du 27 avril 1995.

D'ailleurs, s'il était exact comme le soutiennent Saratax e.c. et AAL Renting e.c. qu'aucune disposition de l'ordonnance du 27 avril 1995 n'interdisait le groupage de clients, le régime d'autorisation prévu pour les taxis collectifs n'aurait pas d'objet: tous les taxis pourraient alors fonctionner comme taxis collectifs en groupant simplement des clients.

31. La violation, à l'occasion de l'exercice d'une activité économique, de dispositions légales réglementant cette activité est un acte contraire aux pratiques honnêtes du marché (Cass., 2 mai 1985, Pas., 1985, I, p. 1081; J. Stuyck, Handelspraktijken, Wolters Kluwer, 2015, nos 197 à 203). Un tel acte est interdit par l'article VI.104 du Code de droit économique, et est susceptible de faire l'objet d'un ordre de cessation à la demande d'un intéressé en application de l'article XVII.1 du code, s'il porte atteinte ou peut porter atteinte aux intérêts professionnels d'une ou de plusieurs autres entreprises.

Il n'est pas douteux en l'espèce que les pratiques incriminées portent atteinte aux intérêts de FlibTravel e.c., puisque les voyageurs à destination de l'aéroport de Charleroi sont les clients potentiels visés par FlibTravel e.c. et sont perdus pour ceux-ci dès qu'ils utilisent les taxis de Saratax e.c. ou d'AAL Renting e.c.

32. A ce stade du raisonnement, l'action en cessation paraît donc fondée. Il faut toutefois encore s'interroger sur la conformité au droit européen de la réglementation invoquée par FlibTravel e.c.

(c) L'article 96, 1., du TFUE

33. La cour a interrogé les parties sur la conformité des dispositions de l'ordonnance du 27 avril 1995 à l'article 96, 1., du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (le « TFUE »). L'affaire a été mise en continuation à l'audience du 9 mars 2016 pour leur permettre de s'exprimer sur la question. Les parties ont déposé des conclusions complémentaires sur ce point.

L'article 96, 1., du TFUE dispose:

L'application imposée par un Etat membre, aux transports exécutés à l'intérieur de l'Union, de prix et conditions comportant tout élément de soutien ou de protection dans l'intérêt d'une ou de plusieurs entreprises ou industries particulières est interdite sauf si elle est autorisée par la Commission.

L'ordonnance du 27 avril 1995 n'a pas été soumise à la Commission européenne pour autorisation. Si les dispositions de cette ordonnance qui servent de fondement à l'action en cessation de FlibTravel e.c. tombent dans le champ d'application de l'article 96, 1., du TFUE, il ne pourra dès lors pas leur être donné effet et l'action en cessation devra être rejetée.

34. FlibTravel e.c. soutiennent que l'article 96, 1., n'est pas applicable en l'espèce parce que, premièrement, les « prix et conditions » qui y sont visés ne concernent que les conditions tarifaires et les conditions d'obtention de l'autorisation à l'exclusion des autres conditions d'exploitation et, deuxièmement, l'ordonnance du 27 avril 1995 ne confère aucun soutien ou aucune protection aux exploitants d'autocars par rapport aux exploitants de taxis. FlibTravel e.c. considèrent que l'article 96 ne fait qu'appliquer dans le secteur des transports l'interdiction générale des aides d'Etat établie par l'article 107 du TFUE (L. Hancher, T. Ottervanger et P.J. Slot, EU State Aids, Sweet & Maxwell, 4e éd., n° 17-002) et le principe de non-discrimination entre ressortissants des Etats membres en raison de la nationalité (Cass.fr., 19 février 1964, pourvoi n° 63-90549).

Saratax e.c. soutiennent que l'article 96, 1., ne s'applique qu'aux transports communautaires et pas aux transports nationaux, et n'est donc pas applicable en l'espèce. AAL Renting e.c. considèrent que les « prix et conditions » visés par l'article 96, 1., ne concernent que les conditions tarifaires et les conditions d'obtention de l'autorisation, et que l'ordonnance du 27 avril 1995 ne donne lieu à aucune aide d'Etat en faveur d'une entreprise ou industrie particulière.

35. L'article 96, 1., concerne les « transports exécutés à l'intérieur de l'Union ». Cette formulation est susceptible d'interprétation quant à savoir si et dans quelle mesure elle requiert que les transports concernés aient une dimension transnationale. Littéralement, un transport local dans Bruxelles est exécuté à l'intérieur de l'Union; mais dans le contexte du TFUE, la référence à « l'intérieur de l'Union » peut aussi être lue comme une référence au « commerce (ou aux échanges) entre Etats membres » telle qu'elle apparaît aux articles 101, 1., 102, 107, 1., et 114, 6., du TFUE. Il y a donc lieu de poser à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle telle qu'indiquée au dispositif du présent arrêt.

Les éléments suivants pourront être utiles à la Cour de justice pour évaluer le caractère domestique ou international des transports concernés en l'espèce. Ces éléments proviennent du dossier ou sont de notoriété publique.

L'ordonnance du 27 avril 1995 s'applique, en ce qui concerne les services de taxis, aux courses dont le point de départ pour l'usager est situé dans la Région de Bruxelles-Capitale (C.C., 24 septembre 2015, n° 129/2015, B.6. et B.8.; C.C., 8 mars 2012, n° 40/2012, B.7.2.). La plupart des courses de taxis démarrant à Bruxelles sont domestiques; ce n'est qu'exceptionnellement qu'une course sortira des frontières nationales.

Une partie significative de la clientèle des taxis bruxellois est toutefois constituée de nationaux ou résidents non belges de l'Union européenne. La population bruxelloise inclut de nombreux étrangers citoyens de l'Union. Quant aux visiteurs venant de l'étranger, ils sont généralement plus susceptibles de se déplacer en taxi que les Bruxellois qui ont leur propre véhicule ou qui connaissent bien le réseau de transports en commun local.

Enfin, les circonstances concrètes de l'espèce concernent des courses en taxis de la gare du Midi à Bruxelles à l'aéroport de Charleroi. La gare du Midi est le point d'arrivée ou un point d'arrêt de nombreux trains internationaux: Thalys en provenance de Paris ou d'Amsterdam, Eurostar en provenance de Londres, etc. Quant aux vols partant de Charleroi, ils sont tous (ou pratiquement tous) internationaux, leur destination étant fréquemment située dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Les courses concernées ne sont dès lors très souvent, pour le passager, qu'une étape d'un voyage plus long dont le point d'arrivée ou le point de départ se situe dans un pays de l'Union autre que la Belgique.

36. La thèse de FlibTravel e.c. selon laquelle les « prix et conditions » visés par l'article 96, 1., ne concerneraient pas les conditions d'exploitation autres que les conditions tarifaires et les conditions d'obtention de l'autorisation ne s'appuie sur aucune source identifiable. Il s'indique de poser sur ce point également une question préjudicielle à la Cour de justice.

37. L'article 96, 1., ne s'applique qu'aux mesures qui comportent un « élément de soutien ou de protection dans l'intérêt d'une ou de plusieurs entreprises ou industries particulières ». Le texte de la disposition ne précise pas si, et dans quelle mesure, il faut avoir égard au but ou aux effets des mesures concernées, ni ce qu'il faut entendre exactement par les notions de « protection » et d'« industrie particulière ». Ici encore il s'indique d'interroger la Cour de justice, en lui fournissant les éléments d'appréciation suivants.

38. En ce qui concerne les buts poursuivis par l'ordonnance du 27 avril 1995, les travaux préparatoires indiquent que les objectifs étaient multiples. L' exposé des motifs du projet d'ordonnance mentionne ainsi la volonté d'« assurer à la clientèle un service qui allie sécurité, rapidité et efficacité » (projet d'ordonnance relative aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur, exposé des motifs, Doc., Cons. Rég. Brux.-Cap., 1994-1995, n° A-368/1, p. 2). Il mentionne également l'objectif de résoudre un problème d'insuffisance de rentabilité dans le secteur des taxis (ibid.) et celui de contrôler la concurrence faite aux exploitants de taxis par les entreprises de location de voitures avec chauffeur:

N'étant soumis à aucune obligation particulière, à aucune réglementation propre, ni au moindre contrôle, les services de location de voitures avec chauffeur ont rapidement constitué dans certains cas une nouvelle source de concurrence déloyale au préjudice des entreprises de taxis soumises, quant à elles, aux nombreuses obligations légales et réglementaires découlant de la loi du 27 décembre 1974 et de ses arrêtés d'exécution.

L'absence totale de réglementation applicable aux services de location de voitures avec chauffeur rend impossible toute lutte à l'encontre de ceux de ces services qui constituent en réalité des services de taxis déguisés. Le présent projet tend à combler cette lacune grave avec l'accord des milieux concernés tant dans le secteur du taxi que dans celui de la location de voitures avec chauffeur, tous deux subissant des conséquences dommageables des actes de ceux qui profitent actuellement de la confusion (ibid., pp. 6 et 7).

L'absence de contrôle préventif de ces services [de location de voitures avec chauffeur] a en effet permis par le passé des abus à ce point importants que de véritables services de taxis parallèles bien organisés ont causé et causent toujours une concurrence déloyale et préjudiciable aux services autorisés (ibid., p. 20).

On insistera toutefois sur la restriction apportée à la liberté de circulation des véhicules [de location] mais rendue nécessaire par les fraudes constatées actuellement: de trop nombreuses voitures de location racolent des clients légalement destinés aux taxis en circulant ou en stationnant aux abords des hôtels, restaurants, lieux de spectacles ... ce qui engendre non seulement des conflits entre les deux secteurs considérés mais aussi de nombreuses plaintes de clients trompés sur la nature du véhicule et dès lors sur le prix de la course! (ibid., pp. 21 et 22).

En raison de la nature particulière des services de location de voitures avec chauffeur, les véhicules affectés à ce type de service ne pourront circuler et stationner sur la voie publique que pour les besoins exclusifs du service. L'objectif poursuivi est à nouveau d'éviter dans toute la mesure du possible la confusion entre les services de location de voitures avec chauffeur et les services de taxis (ibid., p. 23).

Le secrétaire d'Etat souligne l'urgence du projet eu égard à la détérioration de la situation dans le secteur. Il fait plus particulièrement allusion à la guerre entre les sociétés de taxis et les sociétés dites de limousines (rapport, Doc., Cons. Rég. Brux.-Cap., 1994-1995, n° A-368/2, p. 3).

La Cour constitutionnelle (à l'époque « Cour d'arbitrage »), à l'occasion de l'examen d'un recours en annulation introduit contre l'ordonnance, a confirmé que celle-ci avait notamment pour but de réguler la concurrence entre les taxis et les loueurs de voitures avec chauffeurs:

Les services de taxis étant considérés comme des prestations de services à caractère d'utilité publique, le législateur régional peut prendre des mesures afin d'éviter que les services de location de voitures avec chauffeur ne compromettent l'activité des services de taxis. La distinction découlant des mesures litigieuses repose sur un critère objectif présentant un rapport raisonnable de proportionnalité avec le but poursuivi qui est d'assurer la survie et la rentabilité des services de taxis. [...] De telles exigences sont de nature à différencier les deux activités réglées par l'ordonnance attaquée et à ne pas permettre que celles des services de location de voitures avec chauffeur empiètent sur celles des services de taxis (C.C., 15 octobre 1996, n° 56/96, B.11. et B.14.).

L'un des buts de l'ordonnance est donc de délimiter les terrains d'action respectifs de deux catégories d'intervenants dans le domaine du transport rémunéré de personnes, les exploitants de taxis et les entreprises de location de voitures avec chauffeurs, et d'empêcher que les seconds ne fassent concurrence aux premiers sur le terrain réservé à ceux-ci. L'ordonnance poursuit également d'autres objectifs, relatifs à la qualité du service offert au client.

39. En ce qui concerne les effets produits par l'ordonnance du 27 avril 1995, il est vraisemblable que de manière générale ils correspondent aux buts poursuivis et que l'ordonnance aboutit effectivement à protéger les exploitants de taxis contre la concurrence des entreprises de location de voitures avec chauffeur, mais la cour ne dispose pas des données de marché qui lui permettraient à l'heure actuelle de se prononcer de manière définitive sur cette question. En ce qui concerne spécifiquement l'interdiction de groupage des clients, elle constitue une contrainte imposée aux taxis et ne leur accorde aucune protection.

L'analyse faite aux paragraphes 25 à 32 ci-dessus démontre en revanche que l'ordonnance, si elle n'est pas jugée contraire au droit européen, protégera les exploitants d'autocars que sont FlibTravel e.c. contre la concurrence des exploitants de taxis - même si ceci ne figurait pas parmi les buts du législateur bruxellois lorsqu'il a adopté l'ordonnance - puisque la cour devra alors accorder à FlibTravel e.c. l'ordre de cessation qu'elles sollicitent à l'encontre des exploitants de taxis intimés.

(5) Le racolage

40. FlibTravel e.c. reprochent aux exploitants de taxis de racoler les clients à la sortie de la gare du Midi, en abordant les personnes qui se dirigent vers les autocars à destination de l'aéroport de Charleroi et en leur disant, une petite pancarte à l'appui, qu'il sera moins cher et plus rapide de faire le trajet en taxi. FlibTravel e.c. invoquent, en plaidoiries, l'article 31 de l'arrêté du 29 mars 2007 relatif aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur, qui dispose: « Il est interdit aux chauffeurs: [...] 7° de racoler des clients ou de faire racoler des clients par autrui ».

Saratax e.c. et AAL Renting e.c. répondent que les actes allégués ne sont pas établis. Saratax e.c. ajoutent que le terme « racolage » n'a aucune signification légale et que l'interdiction établie par le 7° de l'article 31 ne porte que sur le fait de « faire circuler leur véhicule en vue de racoler des clients ».

41. Quant aux faits, la cour renvoie à ce qui a été dit plus haut aux paragraphes 7 à 11, ainsi qu'aux paragraphes 51 et 52 ci-dessous pour les questions d'imputabilité individuelle. Les faits allégués par FlibTravel e.c. sont suffisamment démontrés.

42. La version originale de l'arrêté du 29 mars 2007 interdisait aux chauffeurs de taxi, au 7° de l'article 31, de « faire circuler leur véhicule en vue de racoler des clients » (« om met hun voertuigen heen en weer te rijden teneinde klanten te ronselen »). Elle a été modifiée par un arrêté du 27 mars 2014, entré en vigueur le 27 avril 2014, et dispose dorénavant qu'il est interdit aux chauffeurs « de racoler des clients ou de faire racoler des clients par autrui » (« om klanten te ronselen of om klanten te doen ronselen door derden »).

Le jugement entrepris ainsi que les conclusions de Saratax e.c. citent à tort la version originale de l'article 31, 7°. Les citations introductives d'instance datent du 21 mai 2014, et un ordre de cessation qui vaut pour l'avenir ne pourrait de toute manière pas s'appuyer sur une disposition légale qui n'est plus en vigueur.

43. La signification précise du terme « racoler » n'est pas explicitée par les arrêtés du 29 mars 2007 et du 27 mars 2014, qui ont été publiés sans rapport explicatif. Le sens commun du terme vise le fait d'« attirer par des moyens publicitaires ou autres » (Petit Larousse); le dictionnaire en ligne de l'Académie française donne « Péj.Chercher à s'attirer la faveur du public, de la clientèle, de l'électorat, etc. par des manoeuvres insistantes, grossières et peu scrupuleuses » et Littré donne « Engager soit de gré, soit par astuce dans le service militaire ». Le dictionnaire van Dale donne pour « ronselen » les définitions « 1 werven, m.n. met de gedachte dat dit met list of geweld, of voor de vijand geschiedt; 2 zwerven in 't alg. » (1 recruter, notamment avec l'idée que ceci a lieu par ruse ou violence, ou pour l'ennemi; 2 recruter de manière générale).

Une interdiction identique figure dans l'arrêté du Gouvernement wallon du 3 juin 2009 portant exécution du décret du 18 octobre 2007 relatif aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur, dont l'article 23 « interdit aux chauffeurs: [...] 7° de racoler ou de faire racoler des clients par autrui ». L'arrêté du Gouvernement flamand du 18 juillet 2003 relatif aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur prévoit en revanche dans son article 40 qu'il est « interdit au chauffeur: [...] 6° de racoler illégalement des clients » (« onwettig klanten te ronselen »), ce qui suggère que certaines formes de racolage sont illégales et d'autres pas. Comme à Bruxelles, ces deux textes visaient originellement le fait de « faire circuler leur véhicule afin de racoler des clients » (« met zijn voertuig heen en weer te rijden om klanten te ronselen ») et ont été modifiés par des arrêtés datés respectivement du 11 juillet 2013 et du 18 juin 2010. Ces différents arrêtés ont également été publiés sans rapport explicatif.

Il n'est pas nécessaire pour la cour, dans le cadre de la présente action en cessation, d'interpréter exactement le concept de « racolage » tel qu'il est visé par l'article 31, 7°, de l'arrêté du 29 mars 2007 (tel que modifié par l'arrêté du 17 mars 2014) et de fixer précisément les limites des comportements interdits par cette disposition. Quel que soit le périmètre de la notion, il est certain que les comportements visés en l'espèce - c'est-à-dire le fait pour les chauffeurs de taxis, ou pour des personnes agissant pour leur compte, d'accoster d'initiative des personnes sortant de la gare du Midi et de les inviter verbalement à utiliser un taxi pour se rendre à l'aéroport de Charleroi en vantant le prix ou la rapidité de la course - tombent à l'intérieur de ce périmètre.

44. Pour les raisons indiquées au paragraphe 31 ci-dessus, la violation de l'article 31, 7°, de l'arrêté du 29 mars 2007 (tel que modifié) est un acte contraire aux pratiques honnêtes du marché. Le racolage en question fait perdre des clients à FlibTravel e.c. et porte ainsi atteinte à leurs intérêts professionnels.

A ce stade du raisonnement, l'action en cessation paraît donc fondée également en ce qui concerne les allégations de racolage.

45. Compte tenu en particulier de l'imprécision de la notion de racolage visée par l'arrêté du 29 mars 2007 (tel que modifié), l'ordre de cessation qui sera, le cas échéant, prononcé par la cour ne pourra pas être formulé de la manière générique sollicitée par FlibTravel e.c. (« Condamner les parties intimées [...] à cesser immédiatement les activités litigieuses »). Une formulation du type « ordonne aux intimés nos 1, 2, 3, 4, 8, 10, 11, 14, 16, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 26, 27, 28, 30, 31, 34, 35, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 47 et 49 de cesser tout acte de racolage par lequel ceux-ci, ou des tiers agissant pour leur compte, accostent d'initiative des personnes sortant de la gare du Midi et les invitent verbalement à utiliser un taxi pour se rendre à l'aéroport de Charleroi » sera probablement plus appropriée. Cette question sera réexaminée ultérieurement par la cour en fonction de ce qu'aura dit la Cour de justice.

46. Il faut ici encore s'interroger sur la conformité au droit européen de l'interdiction de racolage en question.

Le but poursuivi par cette interdiction est incertain. La cour n'a connaissance d'aucune source divulguant les objectifs qui ont inspiré le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale lorsqu'il a édicté cette interdiction. Un arrêt du Conseil d'Etat (C.E., 26 mai 2003, n° 119.891) fournit des informations sur les raisons d'être d'une interdiction similaire de racolage imposée par la ville de Bruxelles aux restaurateurs du quartier de l'Ilot Sacré près de la Grand Place: la pratique importune les passants, provoque des rixes sur la voie publique entre racoleurs concurrents et constitue une concurrence déloyale. Il n'est pas impossible que des motivations du même ordre aient justifié l'interdiction de racolage applicable aux chauffeurs de taxis, mais en l'absence d'information fiable, la cour se refuse à spéculer sur les motivations du Gouvernement.

Les effets de l'interdiction, en revanche, sont manifestes: elle réduit la capacité des exploitants de taxis d'attirer certains clients potentiels. Les faits de l'espèce montrent que c'est en particulier grâce au racolage dont FlibTravel e.c. demandent la cessation que les taxis ont acquis de nombreux clients qui s'apprêtaient à prendre l'autocar.

Il s'indique de poser à la Cour de justice une question préjudicielle sur ce point également.

(6) La publicité pour les taxis

47. FlibTravel e.c. reprochent aux exploitants de taxis diverses pratiques de publicité prétendument trompeuse ou dénigrante: ceux-ci (…) (d) attribueraient faussement à leurs services la nature de services de taxis.

(…)

Quant à l'allégation que Saratax e.c. et AAL Renting e.c. attribueraient faussement à leurs services la nature de services de taxis, elle est fondée sur l'idée que des taxis ne peuvent pas effectuer de groupage de clients, que lorsque Saratax e.c. et AAL Renting e.c. procèdent à un tel groupage ils ne font donc pas du « taxi », et qu'il est trompeur d'alors se présenter comme taxi.

Mais il ne s'agit pas ici de tromperie. Saratax e.c. et AAL Renting e.c. sont titulaires des autorisations requises pour exploiter des services de taxis et il n'est absolument pas trompeur de leur part de se présenter comme taxis. Si, dans le cadre de leurs activités de transport rémunéré de personne, ils empiètent illégalement sur un domaine réservé à d'autres catégories d'intervenants, il y a peut-être un acte contraire aux pratiques honnêtes du marché susceptible de faire l'objet d'un ordre de cessation en tant que tel - c'est ce qui a été examiné aux paragraphes 25 à 39 ci-dessus - mais il ne s'agit pas d'une pratique trompeuse au sens des articles VI.97, VI.100 ou VI.105 du Code de droit économique.

50. La demande de FlibTravel e.c., en tant qu'elle est fondée sur les articles VI.97, VI.100 ou VI.105 du code, est non fondée.

(7) L'imputabilité individuelle des comportements incriminés

51. La cour a procédé plus haut à un examen des preuves des faits allégués dans une perspective d'ensemble. Elle a conclu à la réalité du phénomène de groupage de clients et de racolage. Reste à examiner si ces faits sont imputables à chacun des intimés individuellement (sauf ceux contre qui l'action de FlibTravel e.c. a déjà été déclarée ci-avant non fondée, la question d'imputabilité n'ayant alors plus de pertinence).

La cour rappelle préalablement qu'elle a constaté que le racolage de clients voyageant de la gare du Midi à l'aéroport de Charleroi en vue de leur groupage dans des taxis-camionnettes est une pratique organisée entre les chauffeurs de taxis qui y participent. Ceci implique que, pour pouvoir imputer les faits incriminés à un intimé en particulier, il suffira de constater la participation de cet intimé à l'organisation ainsi mise en place et il ne sera pas nécessaire de démontrer à charge de cet intimé en particulier chacune des composantes de la pratique. Par exemple, la preuve du fait qu'un taxi-camionnette identifié par son matricule est présent dans le rang de taxis de la rue de France à un moment où la pratique de racolage et de groupage des clients est en cours, que ce taxi quitte le rang avec 7 ou 8 passagers à bord et arrive à peu près 40 minutes plus tard à l'aéroport de Charleroi suffit à imputer à l'exploitant de ce taxi les faits de groupage et de racolage incriminés, même si les vidéos ne montrent par exemple pas spécifiquement le chauffeur de ce taxi-là en train d'accoster des voyageurs sortant de la gare du Midi.

(…)

(8) La publicité relative au prix des autocars

54. Sur reconvention, Saratax e.c. reprochent à FlibTravel e.c. une publicité prétendument trompeuse: ces dernières affichent sur leurs autocars et sur leur site Internet un prix de 5 EUR, alors que le prix réel est de 17 EUR.

FlibTravel e.c. répondent que leur publicité indique « à partir de 5 EUR » et que le prix réel varie selon les réservations: un certain nombre (limité) de billets est disponible au prix de 5 EUR pour les premières réservations faites en ligne longtemps à l'avance, d'autres billets promotionnels sont disponibles en ligne au prix de 10 EUR, le prix standard pour les réservations en ligne est de 14 EUR et le prix en cas de paiement au chauffeur sans réservation préalable est de 17 EUR.

Le jugement entrepris a rejeté la demande reconventionnelle de Saratax e.c. au motif que le prix de 5 EUR est effectivement pratiqué pour des réservations à long terme. Saratax e.c. réitèrent leur demande reconventionnelle devant la cour par le biais d'un appel incident.

55. Le marquage publicitaire des autocars de FlibTravel e.c. indique « from 5 EUR* » et « *conditions on our website » (voir les photographies au dossier de Saratax e.c., pièce 1). Le marquage apparaît sur le flanc du bus et sur la vitre arrière. Sur le flanc, le prix « 5 EUR » est imprimé en caractères d'à peu près 50 cm de haut, la taille des caractères composant le mot « from » (à partir de) est quatre fois plus petite, la taille de l'astérisque est d'une dizaine de centimètres et les mots « *conditions on our website » (conditions sur notre site internet) font à peu près 5 cm de haut. Sur la vitre arrière, les différents éléments de l'inscription ont les mêmes proportions que sur le flanc mais sont deux fois moins grands. L'impression d'ensemble qui s'en dégage est que le tout est bien lisible. Un observateur trop éloigné pour pouvoir déchiffrer plus que les signes « 5 EUR » verra de toute manière que quelque chose est imprimé à côté et en dessous de ces signes et devinera facilement que cela veut dire que tout n'est pas toujours aussi bon marché que 5 EUR ...

Les impressions d'écran du site internet de FlibTravel e.c. (pièces 36 du dossier de Saratax e.c.) montrent également la publicité « from 5 EUR », dans la même police de caractères où la taille du mot « from » est approximativement un quart de celle des caractères « 5 EUR ». Ici aussi, le tout est bien lisible.

56. Saratax e.c. ne contestent pas que certains billets offerts par FlibTravel e.c. sont disponibles au prix de 5 EUR. Ils ne soutiennent pas que les conditions associées à ce prix seraient tellement strictes, ou que les quantités de billets disponibles à ce prix seraient tellement faibles, que ce prix de 5 EUR ne serait pas réellement pratiqué. Dans ces conditions, la publicité de FlibTravel e.c. qui mentionne lisiblement le terme « from » (à partir de) n'est pas trompeuse.

57. La demande reconventionnelle concernant la publicité relative au prix des trajets en autocars, dans la mesure où elle est recevable, est non fondée.

(…)

(10) La confiscation

61. FlibTravel e.c. demandent que l'ordre de cessation qu'elles sollicitent soit accompagné de la « confiscation de chaque véhicule utilisé pour commettre une des infractions litigieuses à partir du jour qui suivra la signification de l'arrêt à intervenir ». Elles fondent cette demande sur l'article 35, § 2, de l'ordonnance du 27 avril 1995.

Saratax e.c. objectent qu'une mesure de confiscation est excessive et aboutirait à les priver de leur outil de travail. AAL Renting e.c. ajoutent qu'une telle mesure ne peut constituer une mesure de cessation.

62. La mesure de confiscation demandée n'a pas de base légale. Elle ne relève pas des mesures prévues par l'article XVII.1 du Code de droit économique, qui permet uniquement de constater l'existence de l'infraction et d'en ordonner la cessation. L'article 35, § 2, de l'ordonnance du 27 avril 1995 invoqué par FlibTravel e.c. est une disposition pénale, qui permet au juge pénal de prononcer une peine de confiscation au profit de l'Etat; elle ne confère aucun pouvoir au juge de la cessation.

Même si un ordre de cessation est prononcé par la cour après que la Cour de justice aura répondu aux questions préjudicielles qui lui sont posées, la demande de confiscation sera en toute hypothèse non fondée.

(…)

66. La décision sur les dépens doit être réservée jusqu'à la décision finale de la cour, dont elle dépendra.

En ce qui concerne toutefois les intimés à propos desquels la cour a décidé que les demandes principales formées par FlibTravel e.c. sont non fondées et que leurs demandes reconventionnelles sont irrecevables ou non fondées, c'est-à-dire les intimés nos 5, 6, 7, 9, 12, 13, 15, 17, 25, 29, 32, 33, 36, 43, 44, 45, 46, 48, 50, 51, 52, 53 et 54, il y a lieu d'ores et déjà de compenser les dépens puisqu'ils prévalent sur les demandes principales et succombent sur les demandes reconventionnelles, et d'ainsi les mettre hors cause pour la suite de la procédure.

Pour ces motifs, la cour,

(…)

Pour le surplus, pose les questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice de l'Union européenne et sursoit à statuer dans l'attente de la réponse de la Cour:

(1) L'article 96, 1., du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit-il être interprété comme pouvant s'appliquer à des prix et conditions imposés par un Etat membre aux exploitants de services de taxis lorsque (a) les courses des taxis concernés ne sortent qu'exceptionnellement des frontières nationales, (b) une partie significative de la clientèle des taxis concernés est constituée de nationaux ou résidents de l'Union européenne qui ne sont pas des nationaux ou résidents de l'Etat membre en question et (c) dans les circonstances concrètes de l'affaire, les courses en taxi litigieuses ne sont très souvent, pour le passager, qu'une étape d'un voyage plus long dont le point d'arrivée ou le point de départ se situent dans un pays de l'Union autre que l'Etat membre en question?

(2) L'article 96, 1., du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit-il être interprété comme pouvant s'appliquer à des conditions d'exploitation autres que les conditions tarifaires et les conditions d'obtention de l'autorisation d'exercer l'activité de transport concernée, telles qu'en l'espèce une interdiction pour les exploitants de taxis de mettre à disposition des places individuelles plutôt que l'ensemble du véhiculé et une interdiction pour ces exploitants de déterminer eux-mêmes la destination d'une course proposée à la clientèle, qui aboutissent à empêcher ces exploitants de grouper des clients ayant une même destination?

(3) L'article 96, 1., du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit-il être interprété comme interdisant, sauf autorisation par la Commission, des mesures du type de celles visées à la deuxième question (a) qui ont pour but général, parmi d'autres objectifs, de protéger les exploitants de taxis contre la concurrence des entreprises de location de voitures avec chauffeur et (b) qui ont pour effet spécifique dans les circonstances concrètes de l'affaire de protéger des exploitants d'autocars contre la concurrence des exploitants de taxis? (4) L'article 96, 1., du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit-il être interprété comme interdisant, sauf autorisation par la Commission, une mesure qui interdit aux exploitants de taxis le racolage de clients, lorsque cette mesure a pour effet dans les circonstances concrètes de l'affaire de réduire leur capacité d'acquérir les clients d'un service d'autocar concurrent?

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Note / Noot

Zie noot Olivier Vanden Berghe onder Brussel 30 juni 2017, p. 1002.