SOCIÉTÉS
SPRL - Durée et dissolution - Dissolution judiciaire - Article 333 C. soc. - Perte du capital social - Notion d'intéressé - Intérêt concret et légitime - Abus de droit
Un tiers intéressé au sens de l'article 333 C. soc est toute personne ayant un intérêt quelconque à la dissolution de la société. Cette notion ne vise pas uniquement les créanciers et les concurrents de la société; il faut mais il suffit que le demandeur ait un intérêt à la dissolution de la société. Une banque qui dispose d'une hypothèque sur un immeuble mis à disposition de la société dans le cadre d'une convention de location-financement peut avoir un intérêt à la dissolution de la société même si elle n'est pas créancière de celle-ci.
Le demandeur doit cependant disposer d'un intérêt légitime à demander la dissolution. L'intérêt du demandeur ne peut être légitime que si son intérêt n'est pas abusif. Il convient d'appliquer à la demande le contrôle de proportionnalité pour vérifier en quoi l'intérêt du demandeur à solliciter la dissolution est légitime.
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VENNOOTSCHAPPEN
BVBA - Duur en ontbinding - Gerechtelijke ontbinding - Artikel 333 W.Venn. - Verlies van het maatschappelijk kapitaal - Begrip belanghebbende - Concreet en gewettigd belang - Rechtsmisbruik
Een belanghebbende derde in de zin van artikel 333 W.Venn. is iedere persoon die om het even welk belang heeft bij de ontbinding van de vennootschap. Dit begrip viseert niet alleen de schuldeisers en concurrenten van de vennootschap; het is noodzakelijk maar het volstaat dat de eiser een belang heeft bij de ontbinding van de vennootschap. Een bank die over een hypotheek beschikt op een onroerend goed dat ter beschikking wordt gesteld van de vennootschap in het kader van een financiële leaseovereenkomst kan een belang hebben bij de ontbinding van de vennootschap zelfs indien zij niet schuldeiser ervan is.
De eiser dient echter te beschikken over een gewettigd belang om de ontbinding te vorderen. Het belang van de eiser kan slechts gewettigd zijn indien zijn/haar belang niet abusief is. De vordering dient onderzocht te worden op haar evenredigheid, om na te gaan in welke mate de eiser een gewettigd belang heeft om de ontbinding te vorderen.
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1.Même si les décisions en matière de dissolution pour perte du capital social sont nombreuses, le présent arrêt de la cour d'appel de Mons présente un intérêt pour deux raisons.
D'une part, la cour précise ce qu'il faut entendre par « intéressé » au sens de l'article 333 du Code des sociétés en énonçant expressément que cette dernière notion n'est pas limitée aux seules qualités de créancier, concurrent ou ministère public mais qu'il suffit, plus généralement, que la partie qui demande la dissolution ait un intérêt à celle-ci.
D'autre part, la décision commentée met en oeuvre les enseignements apportés par la Cour de cassation dans son arrêt du 2 avril 2015 concernant l'abus de droit en matière de dissolution d'une société pour perte du capital social [2]. A la suite de cet arrêt, la cour d'appel de Mons après avoir établi que le demandeur a bien un intérêt concret à obtenir la dissolution, examine si cette demande en dissolution est légitime et ne constitue pas en l'occurrence un abus de droit.
2.Pour rappel, l'article 333 (tout comme les art. 432 et 634) du Code des sociétés prévoit que tout intéressé peut demander la dissolution au tribunal d'une SPRL (ainsi que d'une SCRL ou SA) si l'actif net de cette société est réduit à un montant inférieur au capital minimum à libérer lors de la constitution, sauf à accorder à la société un délai de régularisation.
L'intérêt à agir s'apprécie au regard des articles 17 et 18 du Code judiciaire. Le demandeur doit donc justifier d'un intérêt légitime, concret, personnel et direct [3].
Sur cette base, la jurisprudence et la doctrine ont estimé que les personnes suivantes peuvent être considérées comme des tiers intéressés au sens des articles précités du Code des sociétés: le ministère public [4], un actionnaire (même minoritaire), un créancier dès lors qu'il démontre d'un intérêt effectif au-delà de sa simple qualité de créancier, ce qui sera notamment le cas dès lors qu'il nourrit des craintes raisonnables quant au recouvrement de sa créance [5] ou encore un concurrent [6].
La décision commentée enrichit ainsi une jurisprudence bien établie en la matière qui est par ailleurs rappelée par la cour dans son arrêt.
3.La particularité de l'arrêt annoté est que le demandeur dans le cas d'espèce n'était ni créancier, concurrent ou actionnaire de la société dont il sollicite la dissolution sur base de l'article 333 du Code des sociétés pour perte du capital social. En effet, dans cet arrêt, le demandeur était une banque qui avait octroyé un prêt à une SA pour la construction d'un centre commercial moyennant notamment l'octroi d'hypothèques sur ce dernier, la SA ayant ensuite donné les bâtiments en location sur base de conventions de location-financement à une SPRL, qui n'a par ailleurs pas respecté ces conventions. La SA restant en défaut d'exécuter ces engagements envers la banque, les crédits hypothécaires sont dénoncés et la SA est ultérieurement déclarée en faillite. La banque, entre-temps, cite la SPRL (dont elle n'est pas créancière) en dissolution pour perte du capital social.
Contrairement au tribunal de commerce de Charleroi qui avait jugé, en première instance, la demande irrecevable à défaut d'intérêt personnel, direct et concret de la banque, la cour d'appel considère que la banque dispose bien en l'occurrence d'un intérêt effectif à demander la dissolution de la SPRL. La cour rappelle à cette fin que l'action en dissolution est ouverte « à toute personne ayant un intérêt quelconque, en l'occurrence économique » et que cette notion n'est pas limitée à la notion de créancier. En effet, la cour décide à juste titre que la qualité de créancier n'est pas requise et que considérer autrement viendrait rajouter une condition que l'article 333 du Code des sociétés n'exige pas. La cour souligne que dans le cas d'espèce, la banque a un intérêt concret, légitime, né et actuel à demander la dissolution de la SPRL dont il est établi qu'elle est mal gérée et qu'elle ne respecte pas ses obligations à l'égard de la SA, le propre débiteur de la banque. Cette dernière a donc un intérêt à obtenir la désignation d'un liquidateur judiciaire qui permettra de rationaliser et d'optimaliser la gestion de la SPRL pour valoriser les actifs hypothéqués à son profit et d'améliorer les revenus locatifs.
4.Après avoir établi que le demandeur a bien un intérêt à son action en dissolution de la SPRL, la cour se penche sur la question de la légitimité de cet intérêt. En effet, si cette action en dissolution est un droit octroyé à tout intéressé, ce dernier ne peut en abuser.
Dans son arrêt du 2 avril 2015, la Cour de cassation a confirmé qu'une demande en dissolution pour pertes prononcées du capital social peut être constitutive d'abus de droit. La Cour de cassation énonce clairement qu'il peut y avoir abus du droit de tout intéressé à demander la dissolution d'une société pour ces motifs, même si ce droit est d'ordre public. Dans le cas qui lui était soumis, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi contre la décision de la cour d'appel qui avait déclaré la demande en dissolution irrecevable considérant que le seul but poursuivi par la demanderesse en diligentant cette action était d'ordre stratégique afin d'influencer le conflit plus large opposant les parties.
Concernant l'abus de droit, la cour d'appel de Mons précise que « l'insuffisance de fonds propre ne peut ainsi être utilisée à titre de pur prétexte pour obtenir la dissolution judiciaire d'une société, impliquant la disparition de l'entreprise. Par conséquent, il ne suffit pas d'invoquer la lésion d'un simple intérêt économique pour obtenir gain de cause ». Autrement dit, il ne suffit pas d'avoir un simple intérêt économique à obtenir la dissolution de la société et de démontrer formellement que les conditions de l'article 333 sont réunies, l'intérêt du demandeur doit en outre être légitime, ce qui ne sera le cas que si celui-ci n'est pas abusif. L'abus de droit est ainsi intrinsèquement lié à la notion d'intérêt.
Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d'abus de droit, la cour d'appel soumet la demande de la banque au test de proportionnalité et considère en l'espèce que les avantages que la banque pourra retirer de la mise en liquidation de la SPRL ne sont pas hors de proportion avec les désagréments subis par cette dernière. L'intérêt de la banque est donc légitime, il n'y a pas abus de droit.
5.Enfin, sur un plan plus général, les conditions d'applications des règles en matière de dissolution pour perte du capital social doivent s'apprécier à la lumière de l'évolution du rôle du capital social, comme semble l'indiquer la cour d'appel de Mons, dans l'arrêt annoté, en citant un commentateur de l'arrêt précité de la Cour de cassation [7]. En effet, l'insuffisance de fonds propres paraît, à l'heure actuelle, une justification peu convaincante pour décider de la dissolution d'une société. La conception traditionnelle du capital social comme mesure de protection des créanciers apparaît un peu dépassée au regard notamment des formes de société sans capital ou avec un capital symbolique [8]. En outre, une société peut être viable même si elle est peu capitalisée ou endettée tant qu'elle dispose des liquidités suffisantes, ou peut en emprunter, pour assurer le paiement de ses dettes.
Cette évolution pourrait ainsi conduire à une appréciation plus vigilante par les cours et tribunaux des conditions d'application de l'article 333 (et des art. 432 et 634) du Code des sociétés.
[1] | Avocat au barreau de Bruxelles. |
[2] | Cass., 2 avril 2015, C.14.0281.F, www.juridat.be. |
[3] | Gand, 28 juin 2010, R.D.C., 2012/1, p. 60, note Y. De Cordt, « Dissolution des sociétés pour pertes prononcées du capital social », p. 61. |
[4] | R. Aydogdu, « Examen de jurisprudence. Les sociétés commerciales (2010-2013) (deuxième partie) », R.C.J.B.,2016/2, p. 344, n° 121 et jurisprudence citée. |
[5] | Y. De Cordt, « Dissolution des sociétés pour pertes prononcées du capital social », R.D.C., 2012, p. 61. |
[6] | R. Aydogdu, o.c., p. 343, n° 121 et jurisprudence citée. |
[7] | H. Culot, « Qui croit encore au capital? », Rev. prat. soc., 2005/3, pp. 422-429. |
[8] | Sur l'évolution de la notion de capital social, voy. not. M. Wyckaert, « Het kapitaal in het vennootschaps- en boekhoudrecht - waar staan we vandaag met het kapitaalbegrip? », 10 ans d'entrée en vigueur du Code des sociétés - problématiques actuelles, Malines, Kluwer, 2011, pp. 233-262. |