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Tribunal de première instance Hainaut (div. Charleroi), 03/03/2016, R.D.C.-T.B.H., 2016/7, p. 683-686

Tribunal de première instance du Hainaut (div. Charleroi)3 mars 2016

CONSTRUCTION - ENTREPRISE DE TRAVAUX
Contrat d'entreprise - Conclusion et exécution - Clause de dédit - Pas de clause pénale - Force obligatoire - Pouvoir du juge - Pas de réduction de l'indemnité de résiliation - Abus de droit
La clause qui, en application de l'article 1794 du Code civil, fixe une indemnité forfaitaire pour l'entrepreneur en cas de résiliation par le maître de l'ouvrage constitue une clause de dédit et non une clause pénale. Le juge ne peut par conséquent pas la modérer.
Ainsi, la clause de dédit (…) n'est pas susceptible d'être annulée ou réduite par le juge, sous la réserve de sa licéité, de sa compatibilité avec l'ordre public ou d'un abus de droit dans sa mise en oeuvre.
En application de la théorie de l'abus de droit et de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil, il convient de réduire celui-ci à la somme de 1.500 EUR.
BOUW - AANNEMING VAN WERKEN
Aanneming - Sluiting en uitvoering - Opzeggingsbeding met bedongen opzeggingsvergoeding - Geen strafbeding - Bindende kracht - Bevoegdheid van rechter - Geen herleiding van het bedongen bedrag - Misbruik van recht
Het contractueel beding dat in toepassing van artikel 1794 BW een forfaitaire vergoeding bepaalt voor de aannemer voor het geval de opdrachtgever opzegt, is een opzeggingsbeding met bedongen opzeggingsvergoeding en geen strafbeding. De rechter heeft (in principe) niet het recht om dit bedrag te matigen.
Het opzeggingsbeding is niet vatbaar voor vernietiging en de opzeggingsvergoeding is niet vatbaar voor vermindering door de rechter, onder voorbehoud dat het beding geoorloofd is, dat het verenigbaar is met de openbare orde of onder voorbehoud van een abusieve inwerkingstelling.
In toepassing van de theorie van het verbod op rechtsmisbruik en artikel 1134, derde lid BW, komt het passend voor om de bedongen som te herleiden tot 1.500 EUR.

S.P.R.L. Bureau Immobilier Marchal / Ph.D. et N.Y.

Siég.: A. T'Kint (juge unique)
Pl.: Mes B. Vanhopstal loco J.-Cl. Derzelle et Lechien loco B. Dujardin
Affaire: 15/983/A

Vidant son délibéré, le tribunal prononce le jugement suivant:

Vu:

- la citation introductive d'instance du 2 mars 2015;

- les autres pièces du dossier de la procédure et notamment, les conclusions et dossiers des parties produits en forme régulière.

Entendu les conseils des parties en leurs plaidoiries à l'audience du 28 janvier 2016 où les débats ont été déclarés clos et la cause prise en délibéré;

Objet et recevabilité de la demande

La demande a pour objet la condamnation solidaire de monsieur Ph.D. et de madame N.Y. à payer à la S.P.R.L. Bureau Immobilier Marchal la somme de 6.292 EUR, outre les intérêts.

Régulièrement formée, celle-ci est recevable.

Faits de la cause

La S.P.R.L. Bureau Immobilier Marchal est une agence immobilière.

En date du 13 juin 2013, celle-ci signe avec monsieur et madame D.-Y. une convention de mission exclusive de vente ayant pour objet des immeubles-appartements, sis à (…), dont ceux-ci sont propriétaires (voir pièce 1 demanderesse).

Le contrat est conclu pour une durée de 3 mois prenant cours le 13 juin 2013 et expirant le 12 septembre 2013 (voir pièce 1, art. 4.1, 1er al., du contrat).

L'article 4.1, 2e alinéa, du contrat est le suivant: « Sauf renonciation notifiée par courrier recommandé à l'autre partie un mois avant cette échéance, le présent contrat sera prolongé tacitement pour une durée indéterminée, et ce aux mêmes conditions, chacune des parties pouvant en ce cas mettre fin au contrat sans frais et à tout moment moyennant préavis d'un mois notifié par courrier recommandé à l'autre partie. »

L'article 4.2, du contrat est le suivant: « Le commettant a le droit de mettre fin immédiatement au contrat à tout moment, et sans motif, moyennant le paiement à l'agent d'une indemnité de résiliation équivalente à 50% (maximum 50%) de la rémunération de l'agent. Toutefois, si l'immeuble est vendu endéans un délai de 6 mois prenant cours à dater de la résiliation de la convention, l'indemnité due par le commettant sera équivalente à 75% (maximum 75%) de la rémunération de l'agent, sans préjudice de l'article 5.3. »

Au début du mois de septembre 2013, le Bureau Immobilier Marchal reçoit des demandes de visite des appartements.

Par courrier du 9 septembre 2013, monsieur et madame D.- Y. écrivent à l'agence immobilière un courrier en ces termes: « Nous soussignons, D.Ph. et Y.N., souhaitons ne pas prolonger la mission exclusive de vente signée le 13 juin 2013 et pour laquelle la date de fin arrive bientôt à échéance. Cette demande est due au fait de raisons privées. ».

Le Bureau Immobilier Marchal leur répond, par courrier du 11 septembre 2013, qu'il a bien reçu leur courrier « mettant fin à sa mission avec effet au 12 octobre 2013 », leur adresse la liste des personnes intéressées et indique que le bureau M. « garde toutefois l'espoir de réaliser le bien avant l'échéance impartie » (voir dossier défendeurs).

En date du 16 septembre 2013, monsieur J.-M. Marchal adresse un mail aux propriétaires leur demandant « ce qu'il se passe ». Il souhaite, en effet, faire visiter le bien mais ne parvient pas à joindre ceux-ci par téléphone (voir pièce 3 demanderesse).

En date du 27 septembre 2013, monsieur J.-M. Marchal adresse à ceux-ci, à nouveau, un mail, dans les termes suivants: « Mon collaborateur B.D. m'a fait part du contenu de votre dernière communication téléphonique par laquelle vous sembliez mécontents ... du fait que le contrat se poursuivait un mois de plus ...? (...) votre dossier en nos bureaux est en renon qui prendra fin ce 12 octobre prochain. Aussi je tente avec insistance de visiter le bien en compagnie de notre premier client M. V. depuis dimanche 8 septembre, annulé par vos soins, (...) Un nouveau message vous est alors laissé en vous demandant quelles sont vos disponibilités ... Plus de nouvelles de votre part. (...) N'ayant pu vous joindre par voie téléphonique (...) je vous demanderais une position claire et précise sur ce que vous attendez de ma part et sur la possibilité de maintien ou pas de ce rendez-vous. (...). »

Par mail du 4 octobre 2013, monsieur J.-M. Marchal signale à monsieur et madame D.-Y. que, ne parvenant pas à les joindre, par quelque moyen que ce soit, il a fait annuler la visite et il remet le dossier à son conseil juridique (voir pièce 3 demanderesse).

Par courrier recommandé du 12 décembre 2013, le conseil de la S.P.R.L. Bureau Immobilier Marchal met en demeure monsieur et madame D.-Y. de leur payer la somme de 6.292 EUR TVA comprise, correspondant à 4,84% du prix de vente des biens (voir pièce 4 demanderesse).

Discussion

1. Attendu que la S.P.R.L. Bureau Immobilier Marchal affirme avoir correctement accompli sa mission; qu'elle considère que sa mission devait se prolonger, à tout le moins, jusqu'au 12 octobre 2013, soit 1 mois après la fin théorique du contrat (pendant un préavis d'1 mois); qu'elle reproche à ses clients d'avoir résilié unilatéralement la convention et leur réclame, à ce titre, l'indemnité de résiliation prévue au contrat équivalente à 50% de sa rémunération, laquelle, selon elle, s'élèverait à 6.292 EUR, sur base de l'article 4.2 de la convention signée entre parties, précisant qu'en application de l'article 1794 du Code civil, cette indemnité de dédit ne peut en aucun cas être réduite puisqu'il s'agit de la contrepartie financière due par celui qui a pris l'initiative de résilier unilatéralement le contrat de louage d'ouvrage et parce qu'en outre, l'article 2 de l'arrêté royal du 12 janvier 2007 relatif à l'usage de certaines clauses dans les contrats d'intermédiaires d'agents immobiliers, autorise l'agent à percevoir une indemnité de cette importance (50%);

Que monsieur et madame D.-Y. reprochent à l'agence immobilière de ne pas avoir correctement effectué sa mission notamment en ne faisant pas suffisamment de publicité quant à la vente de leurs biens; qu'ils prétendent ne pas avoir mis fin immédiatement au contrat mais avoir simplement signalé désirer prolonger celui-ci d'1 mois maximum comme l'atteste le courrier de l'agence leur envoyé en réponse à leur renom en date du 11 septembre 2013; que par rapport à l'indemnité de résiliation leur réclamée, ils contestent celle-ci arguant que l'agence ne leur a adressé aucune mise en demeure durant la période contractuelle, préalable indispensable, selon eux, à la sanction d'inexécution; Que subsidiairement, ils affirment que l'indemnité de résiliation est excessive et abusive, conférant au commerçant un avantage disproportionné par rapport aux inconvénients subis par eux; qu'ils en sollicitent la réduction en invoquant la théorie de l'abus de droit et le principe d'exécution de bonne foi des conventions; que tout au plus, devraient-ils être redevables envers l'agent immobilier, au regard de la jurisprudence des tribunaux en matière de réduction des clauses pénales, de la somme de 835 EUR;

2. Attendu qu'il n'apparaît pas que l'agence immobilière n'ait pas exercé correctement sa mission;

Que l'agence produit un long listing de personnes par qui elle a été contactée (voir dossier défendeurs);

Qu'elle démontre, par ses e-mails envoyés au début du mois de septembre, avoir (tenté) d'organiser des visites du bien par des acheteurs potentiels;

Que par ailleurs, les clients, in tempore non suspecto, soit avant leur lettre de renom du 9 septembre 2013, n'ont jamais critiqué le travail fourni par l'agence;

Que cet argument sera dès lors rejeté;

3. Attendu qu'il est constaté que monsieur et madame D.-Y. n'ont pas résilié la convention dans les temps, comme l'article 4.1, alinéa 2 le prescrit, classiquement, soit 1 mois avant l'expiration de la durée du contrat; qu'en effet, pour ce faire, ils auraient dû envoyer leur renom pour le 12 août 2013 maximum, ce qu'ils n'ont pas fait;

Qu'en conséquence, à défaut de renom, le contrat de 3 mois a été prolongé (reconduit), aux même conditions, ce qui veut dire que le contrat litigieux a été prolongé au-delà du 12 septembre 2013;

Que le contrat étant prolongé, la mission de l'agent - trouver des acquéreurs pour les appartements - devait donc, en règle, se poursuivre;

Que par ailleurs, en application de l'article 4.2 du contrat, en cours du contrat, les clients de l'agence sont autorisés à mettre fin à celui-ci, immédiatement, moyennant une indemnité de résiliation équivalente à 50% du montant de la rémunération de l'agent;

Qu'en l'espèce, monsieur et madame D.-Y. n'ont pas opté, comme précisé ci-avant, pour la résiliation du contrat avec un préavis d'1 mois, précisant dans leur lettre de renom « ne pas vouloir prolonger la mission »; que ceux-ci n'ont, en outre, plus donné signe de vie à l'agence, une fois ce renom envoyé alors même que l'agence immobilière, en réponse à ce courrier, considérait qu'elle disposait encore d'1 mois (le mois de préavis) pour exercer sa mission;

Que c'est dès lors une demande de résiliation avec effet immédiat que les clients ont notifié à l'agence, et c'est l'article 4.2 du contrat qui, en théorie, trouve application en l'espèce;

4. Attendu que la convention par laquelle un agent immobilier est chargé d'un mandat exclusif de vente a comme composante principale l'obligation de faire tout le nécessaire pour trouver un acquéreur potentiel et est donc un louage de services; que la clause qui, en application de l'article 1794 du Code civil, fixe une indemnité forfaitaire pour l'entrepreneur en cas de résiliation par le maître de l'ouvrage constitue une clause de dédit et non une clause pénale; que le juge ne peut par conséquent la modérer (voir Mons, (18e ch.), 21 avril 2004, n° 2003/RG/646; Cass., 22 octobre 1999, C.98.0134.F);

Qu'ainsi, la clause de dédit contenue dans un contrat d'intermédiaire d'agents immobiliers fixant l'indemnité conventionnelle due par le consommateur en cas de résiliation unilatérale de ce contrat avant son terme n'est pas susceptible d'être annulée ou réduite par le juge, sous la réserve de sa licéité, de sa compatibilité avec l'ordre public ou d'un abus de droit dans sa mise en oeuvre (voir Bruxelles (7e ch.), 14 janvier 2014, J.T., 2014, p. 269);

Attendu que l'abus de droit consiste à exercer un droit d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente; que tel est le cas spécialement lorsque le préjudice causé est sans proportion avec l'avantage obtenu par le titulaire du droit; que le juge doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause (Cass., 9 mars 2009, C.08.0331.F; Cass., 12 décembre 2005, Pas., 2005, I, p. 664); qu'il suppose qu'une partie exerce son droit dans son seul intérêt et retire de cet exercice un avantage disproportionné à la charge corrélative de l'autre partie (Cass., 19 septembre 1983, J.T., 1985, p. 56);

5. Attendu que le contrat d'espèce portant sur un mandat exclusif de vente, l'indemnité de résiliation litigieuse est bien une clause de dédit et non une clause pénale; que celle-ci ne peut dès lors être réduite par le juge;

Que théoriquement, en application de l'article 4.2 du contrat, c'est le montant de 6.271 EUR qui devrait être dû par monsieur et madame D.-Y. obtenu comme suit:

- 255.000 EUR (prix de vente estimé par l'agent) x 4,84% = 12.342 EUR divisé par 2 = 6.171 EUR;

Que ce montant excède manifestement les inconvénients subis par l'agence immobilière M. suite à la rupture du contrat moins de 3 mois avant la conclusion de celui-ci;

Qu'eu égard au travail accompli par l'agence durant 3 mois (couvrant les mois de vacances d'été de juillet-août, généralement plus calmes) et au fait que les clients ont perdu de vue le délai - qui expirait au milieu du mois d'août - pour donner à l'agence immobilière un préavis (d'1 mois), omettant d'avoir égard au contenu d'une convention rédigée par un professionnel à laquelle ils n'étaient pas habitués, le montant postulé par l'agence, à titre de dédommagement, est excessif;

Qu'en application de la théorie de l'abus de droit et de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil, il convient de réduire celui-ci à la somme de 1.500 EUR; qu'il y a lieu d'accorder les intérêts compensatoires sur cette somme, à dater, du 12 décembre 2013, date de la mise en demeure, comme sollicité;

6. Attendu que quant aux frais et dépens, chacune des parties succombant sur quelque chef, ceux-ci seront compensés dans la mesure précisée au dispositif ci-après;

Par ces motifs, le tribunal, statuant CONTRADICTOIREMENT à l'égard des parties,

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, usage de la langue française ayant été fait;

Reçoit la demande et la dit fondée dans la mesure précisée ci-après.

En conséquence, condamne monsieur Ph.D. et madame N.Y., solidairement, à payer à la S.P.R.L. Bureau Immobilier Marchal la somme de 1.500 EUR, majorée des intérêts compensatoires, au taux légal, à dater du 12 décembre 2013 jusqu'au jour du présent jugement des intérêts judiciaires ensuite jusqu'à parfait paiement.

Déboute celle-ci du surplus de sa demande.

Délaisse à monsieur Ph.D. et madame N.Y. leurs frais et dépens et les condamne solidairement aux frais et dépens de la S.P.R.L. Bureau Immobilier Marchal à concurrence de la somme totale de 775,28 EUR (frais de citation: 335,28 EUR, indemnité de procédure réduite suite à la compensation: 440 EUR).

Autorise l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant tous recours et sans caution.

(…)


Note / Noot

Zie noot Flavie Vermander in dit nummer, p. 663.