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Cour de cassation, 25/06/2015, R.D.C.-T.B.H., 2016/7, p. 653-654

Cour de cassation 25 juin 2015

PREUVE DES OBLIGATIONS - BARREAU
Charge de la preuve - Fait négatif - Droits et devoirs des avocats - Communication - Charge de la preuve
Il résulte des règles relatives à la charge de la preuve que c'est à l'avocat qu'il incombe de prouver qu'il s'est conformé à son obligation d'informer son client, et non à ce dernier de prouver le fait négatif que l'information requise ne lui a pas été donnée.
BEWIJS VAN VERBINTENISSEN - BALIE
Bewijslast - Negatief feit - Rechten en plichten advocaat - Informatieverplichting - Bewijslast
Uit de regels betreffende de bewijslast volgt dat de advocaat dient te bewijzen dat hij zich van zijn plicht heeft gekweten om zijn cliënt in te lichten, en niet dat laatstgenoemde het negatieve feit dient te bewijzen dat de vereiste informatie hem niet werd gegeven.

Advocaten A. & Associés / S. B.

Siég.: Ch. Storck (président de section), M. Regout, M. Lemal, M.-Cl. Ernotte et S. Geubel (conseillers)
M.P.: Th. Werquin (avocat général)
Pl.: Me P.A. Foriers
Affaire: C.14.0382.F
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 21 juin 2013 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le conseiller M. Lemal a fait rapport.

L'avocat général Th. Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation

Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente trois moyens.

III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen

Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse faisait valoir que « la faute ne peut assurément exister que si la réglementation, qui n'était pas encore en vigueur au moment où le contrat de services d'avocat s'est noué, s'applique aux contrats en cours », que « la rétroactivité est une exception car elle est source d'insécurité juridique », qu'« 'en matière de conventions, l'ancienne loi demeure applicable, à moins que la loi nouvelle ne soit d'ordre public ou n'en prescrive expressément l'application aux conventions en cours' », qu'« une règle déontologique est d'ordre public si elle est essentielle à l'administration de la justice », que la cour d'appel « appréciera si le fait de faciliter l'accès à la justice est essentiel à son administration », que « 'la nouvelle loi ne s'applique pas uniquement aux situations nées après son entrée en vigueur mais également aux conséquences futures de situations nées sous l'empire de l'ancienne loi qui se produisent ou perdurent sous la nouvelle loi, pour autant que cette application ne fasse pas obstacle aux droits déjà irrévocablement consacrés' », et que « les parties se sont entendues sur une mission et sur un honoraire horaire. Des prestations ont été faites et des honoraires ont été payés. Ces droits consacrés semblent devoir faire obstacle à la nouvelle règle ».

Il suit de ces énonciations que la demanderesse ne contestait l'application de la règle déontologique querellée aux relations entre les parties que pour le cas où la cour d'appel déciderait que cette règle n'est pas d'ordre public.

Dès lors qu'il considère que cette règle est d'ordre public, l'arrêt n'était pas tenu de répondre au moyen déduit de l'application de la loi dans le temps, ce moyen étant devenu sans pertinence en raison de cette décision.

Le moyen ne peut être accueilli.

Sur le deuxième moyen

L'arrêt constate que « maître A. [...] a été le conseil [du défendeur] du 23 octobre 2003 au 19 juin 2006 », que, « par lettre du 19 juin 2006, maître A. a réclamé un solde de frais et d'honoraires de 4.533,15 EUR », que « [le défendeur] conteste l'état de frais et honoraires », que, « devant le premier juge, maître A. sollicitait la condamnation [du défendeur] au paiement d'une somme de 6.451,43 EUR », que « [le défendeur] demandait le remboursement des pensions alimentaires encaissées par maître A. », que, « suivant l'avis du conseil de l'Ordre du 16 juin 2009, l'état de frais et honoraires de maître A. dépasse les bornes d'une juste modération pour ce qui excède la somme de 1.367,43 EUR », que « le conseil de l'Ordre a [...] considéré, conformément à l'article 1er du règlement de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone des 15 octobre 2001 et 26 juin 2003 sur l'obligation d'information et le secret professionnel en matière juridique - entré en vigueur le 1er janvier 2004 -, que, 'lorsque l'avocat constate qu'un client est susceptible de bénéficier de l'aide juridique ou de l'assistance judiciaire, il a l'obligation de l'en informer' », et que, « en degré d'appel, maître A. invite la cour [d'appel] à déclarer sa demande originaire fondée et à débouter [le défendeur] de sa demande reconventionnelle ».

L'arrêt relève que « maître A. prétend avoir, dès la première consultation du 23 octobre 2003, informé verbalement [le défendeur] de son droit à l'aide juridique » et qu'« il précise que [le défendeur] ne devait pas être 're-prévenu' le 1er janvier 2004, date de l'entrée en vigueur de l'article 1er du règlement des 15 octobre 2001 et 26 juin 2003 [précité] ».

Dès lors qu'il résulte des règles relatives à la charge de la preuve que c'est à l'avocat qu'il incombe de prouver qu'il s'est conformé à son obligation d'informer son client, et non à ce dernier de prouver le fait négatif que l'information requise ne lui a pas été donnée, l'arrêt ne viole pas les dispositions légales visées au moyen en décidant « qu'il appartient à maître A., qui prétend avoir informé son client, de rapporter la preuve du fait qu'il allègue ».

Le moyen ne peut être accueilli.

Sur le troisième moyen
Quant à la première branche

L'arrêt considère que:

- si le défendeur « avait refusé le droit à l'aide juridique, dont maître A. l'aurait expressément informé, celui-ci aurait dû le confirmer dans [sa lettre] du 30 octobre 2003 où il est expressément question des conditions financières de son intervention » et « il aurait, à tout le moins, dû le faire au plus tard le 1er janvier 2004 »;

- « il résulte des pièces du dossier [du défendeur] que celui-ci était parfaitement en mesure [d'obtenir l'aide juridique], dès lors qu'il était partiellement chômeur et bénéficiait par ailleurs d'un petit complément de salaire en tant que surveillant dans un collège »;

- « en l'espèce, rien ne permet d'affirmer que [le défendeur] n'aurait pas entrepris les démarches nécessaires pour bénéficier de l'aide juridique, si maître A. l'avait correctement informé de son droit de l'obtenir, à tout le moins à partir du 1er janvier 2004 », et « la situation financière [du défendeur] tend à démontrer le contraire »;

- « le fait que [le défendeur] ait payé les provisions demandées par maître A. ne suffit pas à démontrer qu'il n'aurait pas fait appel à l'aide juridique s'il avait été correctement informé »;

- « il est établi [...] que [le défendeur] réunissait les conditions pour obtenir l'aide juridique, comme le conseil de l'Ordre l'a d'ailleurs constaté dans son avis du 16 juin 2009 ».

Il suit de ces énonciations que, contrairement à ce que soutient le moyen, en cette branche, l'arrêt constate qu'en l'absence de la faute de maître A., le dommage subi par le défendeur consistant dans la perte de l'obtention de l'aide juridique ne se serait pas produit tel qu'il s'est réalisé.

Quant à la seconde branche

Il suit de la réponse à la première branche du moyen qu'en l'absence de la faute de maître A., le dommage subi par le défendeur consistant dans la perte de l'obtention de l'aide juridique ne se serait pas produit tel qu'il s'est réalisé.

L'arrêt, qui énonce que « la cour [d'appel] retiendra, à l'instar du premier juge, qui a suivi à juste titre l'avis du conseil de l'Ordre, que maître A. est en droit de réclamer des honoraires à concurrence de 75 EUR l'heure pour les prestations effectuées jusqu'au 1er janvier 2004, date de l'entrée en vigueur de l'article 1er du règlement des 15 octobre 2001 et 26 juin 2003, outre les frais jusqu'à cette date et les débours », justifie légalement sa décision que « le surplus perçu par maître A., notamment par prélèvement des pensions alimentaires revenant [au défendeur], doit être remboursé ».

Le moyen, en aucune de ses branches, ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi;

Condamne la demanderesse aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de 596,96 EUR envers la partie demanderesse.

(…)