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– Réforme du droit des contrats en France et en Belgique, R.D.C.-T.B.H., 2016/5, p. 506-507

Réforme du droit des contrats en France et en Belgique

Le droit français des contrats vient d'être réformé par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. La réforme vise à simplifier, clarifier et rendre plus équilibré le droit des contrats. La majeure partie des nouveaux articles du Code civil consacrent des solutions jurisprudentielles existantes, mais l'ordonnance a également introduit quelques nouveautés importantes. Un exercice de « profonde réforme du Code civil » a également été amorcé en Belgique [1] avec la création de groupes de travail, dont un se penche sur le droit des contrats. L'on peut supposer que la réforme française sera une source d'inspiration.

Parmi les nouveautés françaises [2] notons que dans la phase précontractuelle le Code civil impose expressément à une partie « qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre » de l'en informer. En outre, le code français tranche la question délicate de la « battle of the forms » entre conditions générales, en optant pour l'annulation des clauses contraires. Le nouvel article 1119 stipule qu' « en cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l'une et l'autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet ». L'on peut se demander si cette solution, qui a certes l'avantage de la clarté, n'est pas trop lapidaire pour être adaptée à la réalité contractuelle.

La réforme française sonne le glas de la cause comme condition de validité. Dorénavant, pour être valide, il faudra, outre le consentement et la capacité (conditions qui demeurent), un « contenu licite et certain ». Soulignons qu'en matière de vices de consentement, qui restent inchangés, le Code civil étend le cas de violence à celui où « une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif », qui fait penser à notre lésion qualifiée.

Le nouvel article 1186 du Code civil introduit la caducité: un contrat devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît, la disparition d'un autre contrat pouvant mener à une telle caducité.

L'ordonnance française consacre l'interdiction jurisprudentielle d'une clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur (art. 1170), qui en France comme en Belgique, visait généralement les clauses d'exonération excessives. Le projet d'ordonnance prévoyait en outre une interdiction bien plus fondamentale: « Une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée. » Cet article, qui aurait fortement ébranlé le principe du caractère obligatoire des contrats, n'a finalement pas été adopté. L'article 1169 stipule à présent de façon plus modérée qu'« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire » et ce alors que l'article 1168 précise que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d'équivalence des prestations n'est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n'en dispose autrement ». Une plus grande sévérité demeure toutefois pour les contrats d'adhésion, pour lesquels l'article 1171 prévoit que « toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite » tout en ajoutant que « l'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation ».

L'imprévision est à présent ancrée dans l'article 1195 du Code civil français: « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. » Les droits découlant d'une situation d'imprévision n'étant pas impératifs, des clauses de « hardship » peuvent exclure ou encadrer les droits qui découlent du nouvel article 1195.

Le nouveau Code civil français énumère et clarifie les remèdes contractuels dont dispose une partie au contrat en cas de manquement de son cocontractant (tels que l'exécution en nature, l'exécution par un tiers, la réduction du prix, la résolution) tout en introduisant expressément la limite de l'abus de droit. Le code permet en outre le recours à l'exception d'inexécution de façon préventive: « Une partie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. » (art. 1220). De façon générale, appliquer une sanction contractuelle sans recours préalable au juge devient la règle (en ce compris pour la résolution). Cette volonté de donner un rôle plus secondaire et marginal au juge en matière de remèdes contractuels semble également être un souci du groupe de travail en charge du projet belge.

Egalement intéressantes dans l'ordonnance française sont les « actions interrogatoires », dont celle offrant la possibilité pour une partie de demander que l'autre partie confirme le contrat ou agisse effectivement en nullité dans un délai de 6 mois à peine de forclusion (nouvel art. 1183 C. civ.).

L'ordonnance devrait, après ratification par le Parlement, s'appliquer aux contrats conclus après le 1er octobre 2016, mais les actions interrogatoires, dont celle relative à la nullité, s'appliqueront également aux contrats en cours.

Il n'y a pas d'indication que la réforme belge se calquera sur la française mais il est probable qu'elle s'inspirera au moins des sujets traités. La réforme belge n'en est qu'à ses premiers pas, mais il semble dès à présent qu'outre l'intention d'inscrire dans la loi ce qui est déjà ancré dans notre réalité juridique (l'exception d'inexécution, la résolution extrajudiciaire, la lésion qualifiée, la nullité partielle, ...), le groupe de travail ait l'intention d'introduire l'imprévision en droit belge.

OBLIGATIONS CONTRACTUELLES
VERBINTENISSEN UIT OVEREENKOMST
[1] K. Geens, Note de politique générale - Justice, Chambre, Doc. 54-1428/008, p. 44.
[2] A propos du projet d'ordonnance, voir déjà S. Van Loock, « Hervorming van het Frans verbintenissenrecht uit de startblokken. Le nouveau droit des obligations est presque arrivé », R.D.C., 2015, p. 619.