Article

Prescriptions et nullités en droit de la distribution, R.D.C.-T.B.H., 2016/4, p. 395-400

TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Distributierecht - Precontractuele informatie - Verjaringstermijnen - Oorzaken van stuiting
Krachtens artikel 5 van de wet van 19 december 2005 betreffende de precontractuele informatie bij commerciële samenwerkingsovereenkomsten (nu art. X.30, al. 1 WER), kan de persoon die het recht verkrijgt, de nietigheid van de commerciële samenwerkingsovereenkomst inroepen binnen 2 jaar na het sluiten van de overeenkomst. Vóór het verstrijken van deze termijn kan geen bevestiging van de nietigheid worden afgeleid uit de loutere uitvoering van de overeenkomst met kennis van zaken. De wettelijke bepaling vereist enkel dat de nietigheid van de commerciële samenwerkingsovereenkomst wordt ingeroepen binnen de bepaalde termijn, en niet dat binnen die termijn een vordering in nietigverklaring wordt ingesteld.
INTERMÉDIAIRES
Droit de la distribution - Information précontractuelle - Délais de prescription - Causes d'interruption
Suivant l'article 5 de la loi du 19 décembre 2005 relative à l'information précontractuelle dans le cadre d'accords de partenariat commercial (aujourd'hui art. X.30, al. 1er, CDE), la personne qui obtient le droit peut invoquer la nullité de l'accord de partenariat commercial dans les 2 ans de la conclusion de l'accord. Avant l'expiration de ce délai, aucune confirmation de la nullité ne peut être déduite de la seule exécution de la convention en connaissance de cause. La disposition légale exige seulement que la nullité soit invoquée dans le délai mentionné, et non que dans ce même délai une action en nullité soit introduite.
Prescriptions et nullités en droit de la distribution
Laurent du Jardin [1]

Les délais de prescription sont une question rarement traitée en droit de la distribution. Elle est pourtant essentielle. En matière d'information précontractuelle, les dispositions du Code de droit économique prévoient un délai spécial de 2 ans. En réalité, c'est le délai de droit commun de 10 ans qui s'appliquera bien plus souvent. Les sanctions de nullité apparaissent alors particulièrement sévères. Raison de plus pour raison garder.

1.Depuis 2014, la codification des dispositions applicables en droit de la distribution sous le Livre X CDE « Contrats d'agence commerciale, contrats de coopération commerciale et concessions de vente », permet facilement d'en mesurer le volume précis: 40 articles en tout. Ce n'est pas beaucoup. Parmi ces quelques dispositions, celles qui organisent un délai de prescription sont encore plus rares. On relève seulement:

    • en matière d'agence commerciale: Art. X.18, dernier alinéa: « L'agent perd le droit à l'indemnité d'éviction s'il n'a pas notifié au commettant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat d'agence commerciale, qu'il veut faire valoir ses droits. » Art. X.24: « Les actions naissant du contrat [d'agence commerciale] sont prescrites un an après la cessation de celui-ci ou cinq ans après le fait qui a donné naissance à l'action, sans que ce dernier délai puisse excéder un an après la cessation du contrat. »
    • en matière d'information précontractuelle: Art. X.30, alinéa 1er: « En cas de non-respect d'une des dispositions de l'article X.27 et de l'article X.29, alinéa 1er  [2], la personne qui obtient le droit peut invoquer la nullité de l'accord de partenariat commercial dans les deux ans de la conclusion de l'accord. »

    A défaut de dispositions particulières, ce sont les règles du droit commun qui s'appliquent. Rappeler leur portée précise, ainsi que celle des dispositions applicables au contrat d'agence commerciale, permettra de bien comprendre les leçons à tirer de l'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2015 (publié supra) et du jugement du tribunal de commerce francophone de Bruxelles du 26 mai 2015 (publié infra).

    A. Concession et franchise

    2.Le délai de prescription est celui, d'application générale, de 10 ans conformément à l'article 2262bis, § 1er, du Code civil suivant lequel: « Toutes les actions personnelles sont prescrites par dix ans. » Le point de départ du délai n'est pas précisé dans la loi. La doctrine précise qu'il est « Le jour où l'obligation devient exigible, c'est-à-dire le jour de la naissance de l'action. » [3].

    Les causes d'interruption du délai sont celles de l'article 2244 du Code civil qui prévoit:

    « § 1er. Une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, forment l'interruption civile. […]

    § 2. Sans préjudice de l'article 1146, la mise en demeure envoyée par l'avocat du créancier, par l'huissier de justice désigné à cette fin par le créancier ou par la personne pouvant ester en justice au nom du créancier (…) au débiteur dont le domicile, le lieu de résidence ou le siège social est situé en Belgique interrompt également la prescription (…). » [4].

    3.La mise en demeure est généralement définie comme étant l'acte par lequel le créancier (ou son représentant) manifeste sans équivoque la volonté de se prévaloir de ses droits [5]. En pratique, une discussion reste possible: suffit-il que le document mentionne « mise en demeure » pour qu'il le soit effectivement, alors que peut-être il ne précise ni la cause, ni l'objet de la demande? Et que penser de l'interpellation qui précise ces deux points, mais omet de mentionner expressément qu'elle vaut « mise en demeure » [6]?

    Ces questions expliquent le rôle prépondérant gardé en pratique par la citation en justice qui, dès lors qu'elle répond au prescrit du Code judiciaire [7], ne permet aucun doute sur sa cause, son objet et sa date.

    B. Agence commerciale

    4.A juste titre, la doctrine et la jurisprudence relèvent la nuance existant entre la notification au commettant de l'article X.18 CDE (qui ne concerne que l'indemnité d'éviction) et la prescription des actions naissant du contrat de l'article X.24 CDE (de portée générale). Elles en déduisent l'existence d'un double délai connaissant des causes d'interruption différentes [8]:

      • pour préserver son droit à indemnité d'éviction, l'agent pourra se contenter de s'en prévaloir expressément dans l'année suivant la cessation de son contrat. Une action en justice ne sera pas nécessaire: la simple demande au commettant suffira. Il ne sera même pas nécessaire de liquider le montant de l'indemnité réclamée;
      • pour tous les autres droits naissant de l'exécution ou de la résiliation du contrat, s'en prévaloir seulement ne suffira pas. On déduit du texte de l'article X.24 la nécessité d'une action en justice qui seule interrompra le délai d'1 an depuis la cessation du contrat ou de 5 ans après le fait qui a donné naissance à l'action.

      5.Reconnaissons que ce système à deux vitesses est peu commode. D'autant qu'il est appliqué sévèrement. L'interruption résultant de la citation en justice ne vaut pas d'office pour tous les droits résultant de l'exécution ou de la résiliation du contrat. Suivant le professeur Crahay, la citation n'interrompt que « la prescription de l'action qu'elle introduit et des demandes qu'elle contient virtuellement ». Il précise [9]:

      « On considérera normalement qu'une demande d'indemnité de préavis ne comprend pas virtuellement une demande d'indemnité d'éviction et vice versa, car les objets de ces demandes sont différents. De même, une demande de dommages et intérêts pour abus de droit de résiliation ne contient pas virtuellement une demande d'indemnité de préavis. » [10].

      6.Ces difficultés d'application [11] expliquent que, dans la pratique, nous conseillons de ne pas se contenter de la simple notification au commettant dans le délai d'1 an suivant la cessation du contrat, même si un conflit limité à la seule indemnité d'éviction permet en théorie de l'envisager. La citation que nous conseillons généralement:

        • décrit suffisamment le contexte contractuel pour que tous les incidents liés à l'exécution et à la résiliation du contrat puissent lui être rattachés: « à toutes fins », les réserves en ce sens sont alors brièvement formulées;
        • interrompt tous les délais sans aucune contestation possible;
        • interrompt tous les délais pour une durée qui se prolonge jusqu'à la clôture de l'instance là où, concernant l'indemnité d'éviction naissant à la fin du contrat, l'interruption par simple notification ne vaut que pour un nouveau délai d'1 an prenant cours le lendemain de la notification [12].
        C. Information précontractuelle

        7.A la lumière des commentaires qui précèdent, on comprend dans un même élan:

          • l'intérêt de l'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2015 (publié supra).
          • combien il laisse de nombreuses questions sans réponse.

          L'intérêt provient du fait que la Cour règle en quelques mots la question de la nécessaire application - ou non - des causes légales d'interruption de l'article 2244 du Code civil (en l'espèce: la citation en justice) pour interrompre le délai de 2 ans de l'article 5 de la loi du 19 décembre 2005 (aujourd'hui art. X.30, al. 1er, CDE [13]). Pour la Cour, il ne fait pas de doute que la disposition légale « vereist enkel dat de nietigheid van de commerciële samenwerkingsovereenkomst wordt ingeroepen binnen de bepaalde termijn en niet dat binnen die termijn een vordering in nietigverklaring wordt ingesteld ».

          Une fois ceci affirmé - sans plus - de nombreuses questions se posent que nous pensons pouvoir traiter comme suit:

          Quels doivent être la forme et le contenu de la demande de nullité en application de l'article X.30, alinéa 1er, CDE?

          8.A l'instar de ce qui est admis à propos de l'indemnité d'éviction de l'agent commercial [14], on peut penser qu'il n'y a pas d'exigence de forme. Quant au contenu, la demande sans équivoque devrait suffire. Mais alors que l'article X.18 CDE ne permet la simple notification au commettant, comme cause interruptive de prescription, qu'à propos d'un point très précis de la loi (l'indemnité d'éviction de l'agent commercial), c'est tout le régime protecteur de l'information précontractuelle du partenaire commercial qui peut ici être convoqué, par simple notification.

          La stricte portée réservée à la citation en justice permettant d'interrompre les délais de l'article X.24 CDE [15], illustre la nécessité de ne reconnaître que les contestations ciblées, pour éviter qu'un seul point porté en justice ne dégénère d'office en contestation générale de tous les droits et obligations résultant du contrat d'agence. En matière d'information précontractuelle, on est donc très loin de cette précaution, dès lors que la simple demande de nullité du partenaire en application de l'article X.30, alinéa 1er, CDE - même non adossée à une citation en justice - suffirait désormais pour tout remettre en question.

          Vers un « nullity shopping » en application de l'article X.30, alinéa 2, CDE?

          9.L'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2015 ne se prononce qu'à propos du délai de 2 ans - et son interruption éventuelle - de l'article X.30, alinéa 1er, CDE. Il ne nous aide pas concernant son alinéa 2 qui, à propos de la partie juridique du dossier d'information précontractuelle, prévoit:

          « Lorsque le document particulier ne comprend pas les données visées à l'article X.28, § 1er, 1°, et à l'article X.29, 2ème alinéa, la personne qui obtient le droit peut invoquer la nullité des dispositions en question de l'accord de partenariat commercial. »

          Il n'y a pas de délai dans l'article X.30, alinéa 2, CDE. Il faut en déduire l'application des règles de droit commun [16]: le délai de 10 ans de l'article 2262bis, § 1er, du Code civil et les seules causes d'interruption de l'article 2244 du Code civil. Concrètement, cela signifie que le partenaire peut contourner l'éventuelle prescription de son droit de demander la nullité générale de son contrat en application de l'article X.30, alinéa 1er, CDE chaque fois qu'il peut demander la nullité d'une ou de plusieurs de ses clauses particulières en application de l'article X.30, alinéa 2, CDE. Il a alors … 10 ans pour lancer citation, la simple demande ne suffisant pas pour interrompre le délai.

          Sous cette seule contrainte (il faut une action en justice), le partenaire bénéficie du meilleur de tous les mondes:

            • un long délai pour agir;
            • la possibilité de ne demander la nullité que des seules clauses qui le dérangent, en conservant le bénéfice de celles qui lui conviennent.

            10.Le jugement du tribunal de commerce francophone de Bruxelles du 26 mai 2015 (publié infra) est une belle illustration du risque de dérive que ceci permet. Dans cette affaire, le franchisé contestait avoir reçu un « DIP » (dossier d'information précontractuelle). Le franchiseur produisait pourtant un accusé de réception. Mais le tribunal constate:

            « Il y a, toutefois, lieu de constater qu'aucun exemplaire de DIP signé pour réception [par le franchisé] n'est déposé et que, dans le préambule des contrats signés (…), l'emplacement réservé à la date de la communication du DIP a été, à chaque fois, laissé vide.

            Même à supposer qu'un exemplaire de DIP ait été effectivement remis [au franchisé], ce que [celui-ci] conteste, une telle remise ne fait en aucun cas (sic) la preuve de ce qui était contenu dans le DIP.

            [Le franchiseur], qui a la charge de prouver que les dispositions légales relatives à la communication du DIP ont été respectées, ne démontre donc pas qu'un DIP reprenant les données de l'article 4 de la loi du 19 décembre 2005 a été remis préalablement à la signature des contrats (…) ».

            11.Alors qu'il apparaît clair que le litige était un problème de communication du DIP au sens de l'article X.30, alinéa 1er, CDE, le tribunal accepte d'en faire un problème de contenu de DIP au sens de l'article X.30, alinéa 2, CDE. Ceci permet non seulement au franchisé de ne plus être tenu par le délai de 2 ans de l'article X.30, alinéa 1er, CDE (le tribunal constate expressément que cette nullité ne pouvait plus être invoquée, « le délai de 2 ans à compter de la date de la signature étant expiré »). Ceci permet surtout au franchisé de choisir - à sa meilleure convenance - les clauses dont il demande la nullité:

              • la nullité des clauses relatives à la durée permet au franchisé de prétendre que les contrats étaient à durée indéterminée et qu'ils ne pouvaient être terminés que moyennant un préavis raisonnable - quod non en l'espèce;
              • la nullité de la clause de non-concurrence pendant 1 an après la fin du contrat permet au franchisé de continuer d'emblée une activité concurrente;
              • la nullité de la clause obligeant, sous astreinte, au retrait des enseignes dans les 8 jours suivant la fin du contrat, permet au franchisé de ne plus être tenu des dommages et intérêts forfaitaires [17];
              • la nullité de la clause prévoyant des intérêts conventionnels et une clause pénale permet au franchisé, sur des factures où il était en retard de paiement, de n'être tenu que des seuls « intérêts de retard prévus par la loi du 2 août 2002 à dater du 30ème jour suivant la date de réception de chaque facture ».

              12.A la lumière des travaux préparatoires de la loi du 19 décembre 2005, une partie de la doctrine admet qu'il pourrait y avoir un choix dans la mise en oeuvre soit de l'article X.30, alinéa 1er, CDE, soit de l'article X.30, alinéa 2, CDE [18]. Au vu du jugement du tribunal de commerce francophone de Bruxelles du 26 mai 2015, n'est-il pas indispensable de revoir ce point de vue? Dans son jugement, le tribunal décide que « La nullité de l'article 5, alinéa 2 [note du rédacteur: aujourd'hui article X.30, alinéa 2, CDE], est, en effet, d'application lorsque, comme en l'espèce, il n'est pas prouvé qu'un DIP a été fourni. » Mais comment sanctionner un défaut de contenu s'il n'y a même pas de contenant?

              Trois motifs au moins nous persuadent de vivement désapprouver la décision du tribunal:

                • la décision du tribunal viole le texte de l'article X.30, alinéa 2, CDE, applicable « Lorsque le document particulier ne comprend pas les données visées à l'article X.28, § 1er, 1°, et à l'article X.29, 2ème alinéa, (…) ». Cette hypothèse suppose qu'il y a bien eu un document particulier: si la fourniture de ce dernier n'est pas établie, on sort donc de cette hypothèse;
                • la décision du tribunal est incompatible avec le système de l'article X.30, alinéa 1er, CDE auquel la doctrine attache une sanction d'office: si le juge constate que le dossier d'information précontractuelle n'a pas été fourni (situation à laquelle il faut selon nous assimiler l'absence de preuve de la fourniture effective), il est censé prononcer la nullité du contrat, sans marge d'appréciation [19];
                • la décision du tribunal conduit à un résultat déséquilibré, très éloigné de l'intention du législateur lorsqu'il adoptait la loi du 19 décembre 2005 (aujourd'hui Livre X, Titre II, CDE): créer les conditions d'une information précontractuelle suffisante en amont de la signature d'un contrat de partenariat commercial.

                13.En l'espèce, le franchisé avait successivement conclu, entre avril 2004 et octobre 2009, quatre contrats de franchise avec le même franchiseur. Il est donc manifeste que le problème n'était pas un défaut d'information précontractuelle. Le tribunal aurait été bien inspiré de suivre Me Dupont et le professeur Glansdorff qui, en dénonçant la lourdeur des sanctions de l'article X.30 CDE (« Une telle radicalité se justifie-t-elle? » [20]) rappellent le tempérament, tiré de la théorie de l'abus de droit, qui leur est normalement apporté:

                « Des juridictions ont à bon droit décidé que le bénéficiaire de la formule commerciale ne pouvait abuser en invoquant la loi pour des motifs autres que sa protection légitime. (…).

                Les critères d'abus qui ont été retenus sont l'existence de relations antérieures entre les parties et le bénéfice abusif tiré des conséquences de la nullité. » [21].

                Que faire encore avec l'article X.30, alinéa 3, CDE?

                14.Depuis juin 2014, le texte de l'article X.30 CDE (ancien art. 5 de la loi du 19 décembre 2005) a été complété d'un alinéa 3 rédigé comme suit: « Si l'une des données du document particulier visées à l'article X.28, § 1er, 2°, et X.29, 2ème alinéa, 2°, est manquante, incomplète ou inexacte, ou si l'une des données du document particulier visées à l'article X.28, § 1er, 1°, et X.29, 2ème alinéa, 1°, est incomplète ou inexacte, la personne qui obtient le droit pourra invoquer le droit commun en matière de vice de consentement ou de faute quasi-délictuelle, et ce, sans préjudice de l'application des dispositions du précédent alinéa. »

                Tant la partie juridique que la partie économique du dossier d'information précontractuelle sont ici visées. Concernant la partie juridique, est-il raisonnable de s'interroger sur la nuance pouvant être introduite entre une donnée « non comprise » (absente) au sens de l'article X.30, alinéa 2, CDE et une donnée « incomplète » au sens de l'article X.30, alinéa 3, CDE [22]? Concernant la partie économique, ne peut-on considérer, vu la complexité des rubriques sur lesquelles il faut communiquer [23], qu'il sera toujours possible de prétendre qu'une donnée était « manquante, incomplète ou inexacte » [24]?

                15.A défaut de délai prévu dans l'article X.30, alinéa 3, CDE, il faut logiquement considérer que ce sont les règles de droit commun - notamment le délai pour agir de 10 ans - qui ici aussi sont d'application, ouvrant donc une longue période d'incertitude. Ce que confirmeraient les derniers mots de l'article X.30, alinéa 3, CDE qui, organisant son application « sans préjudice de l'application des dispositions du précédent alinéa » (ici souligné), omet toute référence à l'article X.30, alinéa 1er, CDE et au délai de 2 ans qui y est prévu. En l'état, on ne peut donc exclure que même passé le délai de 2 ans depuis la signature du contrat de partenariat, sa nullité complète puisse être réclamée:

                  • non plus en application de l'article X.30, alinéa 1er, CDE;
                  • mais en raison d'un vice de consentement invoqué en application de l'article X.30, alinéa 3, CDE.

                  On le comprend bien maintenant: ce n'est qu'une infime partie des questions posées par le nouvel article X.30 CDE que règle l'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2015 (ici annoté).

                  D. Conclusion: tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se brise

                  16.Cette phrase est une de nos préférées [25]. C'est peut-être parce qu'il l'avait lui aussi à l'esprit que, devant la multitude des recours et sanctions qu'il organisait au moment de reprendre et de compléter la loi du 19 décembre 2005 dans le Code de droit économique de 2014, le législateur a cru bon de compléter l'article X.30 CDE d'un dernier alinéa rédigé comme suit: « La personne qui reçoit le droit ne peut valablement renoncer au droit de demander la nullité de l'accord, ou d'une des dispositions de celui-ci, qu'après l'écoulement du délai d'un mois suivant sa conclusion. Cette renonciation doit expressément mentionner les causes de la nullité à laquelle il est renoncé. »

                  On ne pourrait que vivement recommander la mise en oeuvre de cette disposition. On peut craindre que cela soit souvent difficile en pratique, tant la mention expresse des « causes de la nullité à laquelle il est renoncé » risque de sonner comme une reconnaissance de responsabilité à laquelle la personne qui octroie le droit ne soit à aucun moment disposée [26].

                  17.Dans l'attente de nouveaux éclaircissements de la doctrine et de la jurisprudence, les commentaires ci-dessus indiquent que, malgré les récents efforts du législateur (ou à cause d'eux?), de nombreux contrats de partenariat ressembleront à des champs truffés de mines. Ce le sera souvent pour de nombreuses années car les mêmes commentaires établissent que le délai de prescription de droit commun de 10 ans s'appliquera bien plus souvent [27] que le délai de 2 ans de l'article X.30, alinéa 1er, CDE [28].

                  Pourvu que toujours les partenaires se souviennent qu'en distribution, ce sont les ventes qu'il faut faire exploser, pas les litiges.

                  [1] Professeur à l'Université catholique de Louvain, avocat Janson Baugniet.
                  [2] Ce sont les dispositions qui prévoient la période d'attente d'un mois et la communication du projet d'accord et du dossier d'information précontractuelle en cas de conclusion, renouvellement ou modification du contrat de partenariat.
                  [3] M. Marchandise, « La prescription libératoire en matière civile », Dossiers du J.T., Bruxelles, Larcier, 2007, p. 54. Egal.: A. Van Oevelen, « Algemeen overzicht van de bevrijdende verjaring en de vervaltermijnen in het Belgisch privaatrecht », T.P.R., 1987, pp. 1781 et s. Voir désormais M. Marchandise, « Chapitre 4 - Des prescriptions particulières » in Traité de droit civil belge, t. VI, La prescription, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 409-495.
                  [4] Pour rappel, c'est par une loi du 23 mai 2013, entrée en vigueur le 11 juillet 2013, que l'art. 2244 a été complété des mentions permettant l'interruption de la prescription par la mise en demeure de l'avocat.
                  [5] Cass. 28 mars 1994, R.G. S.93.0130.F, Pas., 1994, I, p. 319; Cass. 25 novembre 1991, R.G. 9239, Arr. Cass. 1991-1992, 272; Pas. 1992, I, p. 231, note; R.W., 1991-1992, 1364; J.T., 1992, p. 221; Cass. 16 septembre 1983, R.G. 3804, Arr. Cass. 1983-1984, 45; Pas. 1984, I, p. 48; R.W., 1984-1985, 464. En doctrine voir: P. Wery, Droit des obligations, vol. 1, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 425; P. van Ommeslaghe, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, Bruxelles, Bruylant, 2013, n° 1502; S. Stijns, Leerboek Verbintenissenrecht, vol. 1, Bruges, die Keure, 2005, p. 170.
                  [6] Par son arrêt du 9 avril 1976 (Pas., 1976, I, p. 887, note), la Cour de cassation a érigé en principe général de droit - dont l'art. 1146 du Code civil est une application - la nécessité d'une mise en demeure avant tout remède à l'inexécution par le débiteur de ses obligations. La mise en demeure est donc en principe le nécessaire préalable à une action en résolution judiciaire. Nous gardons le souvenir précis d'un litige, où malgré la violence du conflit entre un concédant et un concessionnaire résilié, l'existence même de la mise en demeure avait été contestée, amenant les plaideurs à longuement devoir s'expliquer sur ce point. Pourtant, le concessionnaire avait amplement expliqué ses griefs en amont de la procédure. Mais le courrier de son avocat ne mentionnait pas expressément qu'il était une « mise en demeure » (omission sans doute décidée pour atténuer le ton des revendications et préserver le cadre d'un éventuel règlement amiable). Mal lui en avait pris!
                  [7] Suivant l'art. 702 C. jud.:

                  « A peine de nullité, l'exploit de citation contient, outre les mentions prévues à l'article 43:

                  (…)

                  3° l'objet et l'exposé sommaire des moyens de la demande;

                  (…)

                  5° l'indication des lieu, jour et heure de l'audience. »
                  [8] En ce sens: P. Demolin, Le contrat d'agence. Droits et obligations, Waterloo, Wolters Kluwer, 2014, p. 135, n° 126; P. Crahay, La rupture du contrat d'agence commerciale, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 35 et 130; M. Willemart et S. Willemart, « Le contrat d'agence commerciale (…) », Dossiers du J.T., Bruxelles, Larcier, 2005, pp. 94-95. Voir p. ex. Liège, 26 avril 2010, R.R.D., 2011, p. 346; Comm. Liège, 28 janvier 2002, J.L.M.B., 2003/4, p. 158. B. Tilleman, E. Dursin, E. Terryn, Ch. Heeb et P. Naeyaert (« Overzicht van rechtspraak. Bijzondere overeenkomsten: tussenpersonen (1999-2009) », T.P.R., 2010, pp. 1030-1031) rappellent opportunément que la question a parfois été discutée. Ils citent (note 1737) un arrêt de la cour d'appel d'Anvers du 8 juin 2004 ayant considéré, concernant l'indemnité d'éviction, que les conditions des art. X.18 et X.24 étaient cumulatives. On s'interroge cependant vainement sur l'intérêt de la notification au commettant dans le délai d'un an si, de toutes manières, l'action en justice doit elle aussi être introduite dans le même délai.
                  [9] P. Crahay, La rupture du contrat d'agence commerciale, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 35-36.
                  [10] Dans le même sens: B. Tilleman, E. Dursin, E. Terryn, Ch. Heeb et P. Naeyaert, « Overzicht van rechtspraak. Bijzondere overeenkomsten: tussenpersonen (1999-2009) », T.P.R., 2010, p. 1030, n° 630, qui citent Kh. Gent, 12 januari 2009 (T.G.R.-T.W.V.R., 2010, afl. 1, 28): dans le cadre d'une action en justice introduite avec pour objet la poursuite du contrat, des conclusions plus d'un an plus tard ne pouvaient avoir pour effet de ressusciter une demande en indemnisation, elle déjà prescrite. Voir encore M. Willemart et S. Willemart, « Le contrat d'agence commerciale (…) », Dossiers du J.T., Bruxelles, Larcier, 2005, p. 94, note 202, qui citent Comm. Bruxelles, 19 octobre 2000 (R.G. 96/3514, inédit): dans le cadre d'une action en paiement de commissions introduite avant la fin du contrat, une action en paiement d'indemnités de préavis et de clientèle ne pouvait plus être introduite par conclusions déposées plus d'1 an après la fin du contrat.
                  [11] On pourrait y ajouter celles qui concernent la prise de cours du délai. P. Demolin (Le contrat d'agence. Droits et obligations, Waterloo, Wolters Kluwer, 2014, p. 141, n° 131) souligne ainsi que lorsque les créances sont soumises à un terme ou à une condition suspensive dont l'échéance a lieu après la fin du contrat, le délai de prescription d'1 an ne court que depuis l'échéance du terme ou la réalisation de la condition suspensive. En ce sens concernant une clause de non-concurrence après contrat, voir la décision de principe Cass. 18 mai 2006, C.05.0270.N, R.W., 2006-2007, 682.
                  [12] En ce sens: P. Crahay, La rupture du contrat d'agence commerciale, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 131, n° 132.
                  [13] Pour rappel, cet article a déjà été cité au n° 1 supra.
                  [14] Cf. supra, n° 4.
                  [15] Voir supra, n° 5: la citation n'interrompt que la prescription de l'action qu'elle introduit et des demandes qu'elle contient virtuellement - à l'exclusion des autres droits qui ne peuvent pas y être attachés au moment de l'introduction.
                  [16] Cf. supra, n° 2.
                  [17] Le tribunal daigne reconnaître que, même à défaut de clause, le franchisé doit « s'abstenir de toute atteinte aux droits intellectuels [du franchiseur] et de tout acte de concurrence déloyale à son encontre ». Au moins ça.
                  [18] En ce sens: D. Mertens, « De nieuwe wet precontractuele informatie doorgelicht », in Actualia handelstussenpersonen, Anvers-Oxford, Intersentia, 2006, pp. 31 et 35, et les références citées.
                  [19] En ce sens: P. Demolin, L'information précontractuelle et la Commission d'arbitrage, Dossiers du J.T., Bruxelles, Larcier, 2014, p. 70: « La sanction de la nullité figurant dans la loi oblige les cours et tribunaux à la prononcer quand les conditions légales sont réunies. » Et ce, même si les conséquences sont sévères (voir la description qu'en donne Me Demolin, p. 74). A la p. 69, Me Demolin va même jusqu'à reconnaître: « Le texte des articles X.27 et X.29 permet de mettre en oeuvre la sanction de nullité sans exiger d'autre condition ni prévoir de tempérament, ce qui laisse penser que la nullité sera automatiquement prononcée en présence d'une irrégularité, même si cette irrégularité dans l'information précontractuelle est mineure et ne peut avoir eu d'influence sur la décision du partenaire. Tel serait le cas d'un document d'information précontractuelle communiqué 29 jours et non pas 1 mois avant la conclusion du contrat de partenariat. » (sic).
                  [20] M. Dupont et Fr. Glansdorff, « L'information précontractuelle dans les accords de partenariat commercial », in L'entreprise et ses partenaires commerciaux, Limal, Anthémis, 2015, p. 33.
                  [21] O.c., pp. 27-28 et les références citées.
                  [22] Imaginons qu'à l'occasion d'une modification de son contrat de partenariat, un franchiseur rassemble 4 articles « 12, 13, 14 et 15 » sous de nouveaux intitulés « 12.1, 12.2, 12.3 et 12.4 ». Dans le dossier d'information précontractuelle, « 12.4 » a disparu. Est-on en présence d'un article 12.4 manquant ou d'un article 12 incomplet? Cet exemple illustre la vacuité des subtilités légales ici dénoncées.
                  [23] Il faut voir la tête des clients concédant ou franchiseur quand on leur demande de rassembler les informations sur:

                  Art. 28, § 1er, 2°, g): « l'historique, l'état et les perspectives du marché où les activités s'exercent, d'un point de vue général et local », surtout si on leur demande de bien faire la distinction avec le point h) qui impose de communiquer « l'historique, l'état et les perspectives de la part de marché du réseau d'un point de vue général et local »;

                  Art. 28, § 1er, 2°, k): « les charges et les investissements auxquels s'engage la personne qui reçoit le droit au début et au cours de l'exécution de l'accord de partenariat commercial en indiquant leur montant et leur destination ainsi que leur durée d'amortissement, le moment où ils seront engagés ainsi que leur sort en fin de contrat. »
                  [24] A propos de l'insertion d'un business plan dans le dossier d'information précontractuelle, voir: O. Clevenbergh, « La place de l'étude de marché et du plan prévisionnel au sein de l'information précontractuelle à fournir au franchisé en vertu de la loi du 19 décembre 2005 et du droit commun - La sanction du caractère inexact ou incomplet des informations communiquées », R.D.C., 2008, pp. 189-205. Suivant notre expérience, la pratique en ce sens est fréquente. Elle est pourtant inutilement dangereuse, l'article 28, § 1er, 2°, CDE imposant de très nombreuses informations dans la partie économique du dossier d'information précontractuelle - mais pas celles-là!
                  [25] A. Rey et S. Chantreau (Dictionnaire des expressions et locutions, Paris, Le Robert, 1993, p. 247) nous apprennent que l'existence de ce proverbe est attestée depuis le XIIIe siècle. Comme quoi, en faire trop n'est pas l'apanage de notre prétendue modernité.
                  [26] Que faire si après la mention expresse des causes de nullité, la personne qui reçoit le droit refuse d'y renoncer, sans pour autant demander la nullité qui s'y rattache? Voilà son partenaire parti pour 2 ans d'incertitude, voire de chantage, en application de l'art. X.30, al. 1er, CDE - 10 ans dans les autres hypothèses.
                  [27] Surtout si malheureusement le jugement du tribunal de commerce francophone de Bruxelles du 26 mai 2015 fait des émules.
                  [28] D. Mertens, « De nieuwe wet precontractuele informatie doorgelicht », in Actualia handelstussenpersonen, Antwerpen-Oxford, Intersentia, 2006, p. 35, n° 47, relève à juste titre: « Behoudens wanneer hij onmiddellijk na ondertekening maar voor uitvoering van de overeenkomst vaststelt zich te hebben vergist, heeft de partner bij een bonafide netwerk er meestal geen belang bij de nietigheid van de hele overeenkomst in te roepen. »