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Tribunal de commerce francophone Bruxelles, 22/01/2015, R.D.C.-T.B.H., 2016/3, p. 301-304

Tribunal de commerce francophone de Bruxelles 22 janvier 2015

LETTRE DE PATRONAGE
Obligation contractuelle - Autonomie - Droit applicable - Obligation devenue impossible suite à la perte de la qualité d'actionnaire - Caducité par disparition de l'objet
La lettre de patronage a en principe un caractère autonome. En application de l'article 4 de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, elle est soumise au droit du lieu d'établissement de sa société émettrice. Cette dernière s'étant engagée « en qualité d'actionnaire », la perte de cette qualité entraîne l'extinction des engagements de sûreté. La caducité par disparition de l'objet correspond à une impossibilité d'exécution dont la société émettrice ne peut plus être tenue responsable.
PATRONAATSVERKLARING
Contractuele verbintenis - Autonomie - Toepasselijk recht - Verbintenis onmogelijk geworden ingevolge het verlies van hoedanigheid van aandeelhouder - Verval door verdwijning van het voorwerp
De patronaatsverklaring heeft in principe een autonoom karakter. In toepassing van artikel 4 van het Verdrag van Rome inzake het recht dat van toepassing is op verbintenissen uit overeenkomst, is zij onderworpen aan het recht van de plaats waar de uitgevende vennootschap is gevestigd. Aangezien laatstgenoemde zich heeft verbonden “in de hoedanigheid van aandeelhouder”, brengt het verlies van deze hoedanigheid de uitdoving met zich mee van de waarborgverbintenissen. Het verval door verdwijning van het voorwerp, stemt overeen met een onmogelijkheid tot uitvoering waartoe de uitgevende vennootschap niet langer aasprakelijk kan worden gehouden.

Société de droit portugais Banco BPI / SA Spadel

Siég.: F. Jacques de Dixmude (juge), A. Lechien et A. Dufays (juges consulaires)
Pl.: Mes X. Taton, Ch-A. Leunen et G.-A. Dal, V. de Francquen
Affaire: A/14/00116

Après délibéré, le tribunal prononce le jugement suivant:

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Vu les pièces de la procédure et notamment:

- la citation introductive d'instance du 18 décembre 2013;

- les conclusions et les dossiers déposés par les parties.

Entendu les conseils des parties en leurs plaidoiries à l'audience publique du 20 novembre 2014, à laquelle la cause a été prise en délibéré.

1. Objet de la demande

La demanderesse, ci-après BPI, poursuit la condamnation de la défenderesse, ci-après Spadel, à lui payer une somme de 1.568.411,44 EUR, majorée des intérêts moratoires et judiciaires au taux légal depuis la mise en demeure du 20 février 2013 jusqu'à complet paiement;

Elle demande également un jugement exécutoire et le paiement des dépens.

2. Les faits

BPI est une banque privée portugaise;

Spadel est à la tête d'un groupe européen actif dans le secteur de la production et de la commercialisation d'eaux minérales et de boissons;

En 1996, une filiale portugaise de Spadel, dénommée Alardo, a conclu avec un institut public portugais (IAPMEI) une convention d'octroi de subsides, laquelle prévoyait diverses obligations à charge d'Alardo;

A titre de condition d'octroi du prêt remboursable prévu dans la convention d'octroi de subsides, il a été exigé d'Alardo que celle-ci fournisse une garantie bancaire à première demande constituée en sa faveur;

Le 8 juillet 1996, BPI a émis en faveur d'Alardo la garantie bancaire demandée par l'institut IAPMEI;

Préalablement à l'émission de cette garantie, BPI avait exigé d'Alardo que Spadel, en sa qualité de société mère, lui adresse une lettre de confort, ce qui fut fait le 5 juillet 1996;

Le 12 août 1997, le groupe Spadel a cédé la totalité des actions qu'elle détenait dans la société Alardo à des tiers, les consorts Cintra;

A l'occasion de cette cession, les consorts Cintra ont fourni à Spadel une garantie bancaire à première demande fournie par une banque tierce (Millenium BCP) et destinée à couvrir les engagements pris par Spadel en faveur des banques Générale de Banque et BPI;

Le 28 février 2008, l'institut public portugais IAPMEI a résilié la convention d'octroi de subsides, après avoir constaté qu'Alardo n'en respectait pas les termes;

Par un courrier du 8 août 2008, l'IAPMEI a informé BPI de la résiliation intervenue et a exigé le paiement de la totalité du montant couvert par la garantie bancaire à première demande émise à son profit;

BPI a contesté que les conditions d'appel à la garantie soient réunies et une procédure judiciaire a été initiée dans le courant de l'année 2009; le 30 novembre 2010, Alardo a été déclarée en faillite;

Par jugement définitif du 29 février 2012, BPI a été condamnée à verser les montants dus, soit la somme de 1.568,411,44 EUR, à l'IAPMEI; elle s'est exécutée le 1er février 2013;

Par courrier du 20 février 2013, BPI a informé Spadel de cette condamnation et elle a exigé le remboursement du montant versé, sur le fondement de la lettre de patronage de juillet 1996;

Spadel a refusé de payer et la procédure a été introduite par citation du 18 décembre 2013.

3. En droit
3.1. Quant au droit applicable

Les parties s'opposent tout d'abord quant au droit applicable au présent litige; Spadel soutient que le litige serait régi par le droit portugais, tandis que BPI invoque le droit belge;

Elles s'accordent toutefois pour considérer que la lettre de confort litigieuse a un fondement contractuel, en sorte que, eu égard à la relative ancienneté de la lettre de confort (1996), la loi applicable en l'espèce doit être recherchée au regard des principes contenus dans la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles;

En vertu de l'article 4 de cette convention, en l'absence de choix des parties, « le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits »;

L'article 4, 2. dispose quant à lui que « sous réserve du paragraphe 5, il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale. (...) »;

L'article 4, 5. prévoit une clause d'exception rédigée comme suit: « (...) les présomptions des paragraphes 2, 3 et 4 sont écartées lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays »;

En l'espèce, il est acquis que c'est Spadel qui assume la prestation caractéristique découlant de la lettre de confort, dès lors qu'elle en est l'émettrice et qu'elle est la partie qui s'oblige au travers de cette lettre;

En application de l'article 4, 2. précité, Spadel ayant, au jour de l'émission de la lettre, son siège en Belgique, c'est le droit belge qui paraît applicable;

Spadel soutient toutefois qu'il résulterait de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présenterait des liens plus étroits avec le Portugal; elle fait valoir que la prestation prévue dans la lettre devait être exécutée au Portugal en faveur d'une banque portugaise; elle ajoute que la lettre elle-même est rédigée en portugais, et qu'elle a été donnée en contre-garantie d'une garantie bancaire fournie par une banque portugaise;

Le tribunal estime tout d'abord que la langue dans laquelle la lettre de confort a été rédigée n'est pas un critère pertinent pour déterminer la loi applicable; à juste titre, BPI relève qu'il s'agit d'un choix commercial dont il ne peut être tiré de conséquences juridiques;

Ensuite, le fait que la lettre de confort ait été fournie en contre-garantie d'une garantie à première demande fournie par BPI, banque portugaise, ne suffit pas davantage à pouvoir conclure que la lettre de confort en elle-même présenterait plus de liens avec le Portugal, qu'elle n'en présente avec la Belgique;

Il est en effet communément admis, notamment par la doctrine citée par les parties, que la lettre de confort présente un caractère autonome par rapport aux autres obligations sou­scrites par les parties intéressées par son émission; en vue de déterminer la loi applicable à cet engagement autonome, il est dès lors sans pertinence de prendre en considération la nationalité des parties au rapport bancaire sous-jacent;

De plus, le fait que ce rapport bancaire sous-jacent soit noué entre la filiale portugaise de l'époque de Spadel, Alardo, et la banque portugaise BPI, ne fait pas de la lettre de confort souscrite par une société belge un engagement devant s'exécuter au Portugal;

BPI ne s'y est du reste pas trompée, en assignant Spadel en exécution de la lettre de confort devant notre tribunal et non devant une juridiction portugaise; Spadel n'a pas davantage décliné notre compétence; elle ne peut dès lors soutenir que « la prestation prévue dans la lettre de patronage devait se voir exécutée au Portugal » (conclusions Spadel, p. 12, n° 40);

En définitive, le seul lien de rattachement de la lettre de confort litigieuse avec le Portugal est sa langue de rédaction, dont il faut considérer qu'elle est le fruit d'un choix exclusivement commercial;

Le caractère autonome de la lettre de confort empêche de considérer qu'en l'espèce, la lettre de confort souscrite par une société ayant son siège en Belgique en faveur d'une banque portugaise présenterait des liens plus étroits avec le Portugal qu'avec la Belgique;

La preuve contraire apte à renverser la présomption de l'article 4 de la Convention de Rome, et dont le professeur Fallon rappelle qu'elle vise fondamentalement à désigner la loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits, n'est pas rapportée en l'espèce (M. Fallon, « Le clair-obscur du droit applicable aux garanties internationales à première demande », dans L'actualité des garanties et première demande, p. 76);

Il n'y a dès lors pas lieu, en l'espèce, à application de l'exception du point 5. de l'article 4 de la Convention de Rome; la loi applicable à la lettre de confort souscrite par Spadel est celle de son siège social, c'est-à-dire la loi belge.

3.2. Quant au fond

Quant au fond, il ressort des conclusions des parties que celles-ci se sont opposées quant à la traduction exacte de la lettre de confort litigieuse;

A l'audience du 20 novembre 2014 toutefois, le conseil de BPI a déclaré que sa cliente acceptait la traduction de la lettre de confort fournie par Spadel;

La lettre de confort litigieuse se lit dès lors comme suit:

« Par la présente, nous vous informons que, en qualité d'actionnaire de EMPRESA DAS AGUAS DO ALARDO, LDA, (...), notre entreprise apportera tout son soutien, jusqu'à concurrence de la somme de 259.325.500,00 $, concernant la garantie et/ou des garanties bancaires à fournir à l'IAPMEI par cet établissement de crédit, majorée de toutes les obligations découlant desdites garanties, et disposera des fonds nécessaires au règlement des intérêts et de la dette, si celui-ci est exigé.

En ce sens, nous ferons respecter intégralement les obligations à votre égard et souhaitons également augmenter le chiffre d'affaires.

Nous vous prions (...) »

Spadel soutient que la lettre de confort qu'elle a fournie à BPI en juillet 1996 serait devenue caduque par disparition de son objet;

Elle fait valoir qu'à la suite de la cession de sa participation dans Alardo, elle s'est trouvée dans l'impossibilité d'exécuter ses engagements résultant de la lettre de patronage;

Elle plaide que la perte de sa qualité d'actionnaire majoritaire de sa filiale a impliqué la perte du contrôle, ou à tout le moins de l'influence décisive sur la gestion de sa filiale, et que dans ces conditions, elle n'était plus en mesure de respecter ses engagements, dès lors qu'elle ne pouvait plus exercer une influence décisive sur la gestion de la société dont elle n'était plus actionnaire depuis plus de 15 ans;

BPI repousse cet argument en soutenant que la référence à la qualité d'actionnaire dans la lettre de confort serait d'usage dans ce type d'engagement, mais ne limiterait nullement la validité de l'engagement dans le temps;

Le tribunal ne partage pas cette analyse; la référence à la qualité d'actionnaire de l'émetteur de la lettre de patronage vis-à-vis du débiteur de l'obligation sous-jacente est une référence importante dans une lettre de patronage; la doctrine confirme que la perte de la qualité d'actionnaire de sa filiale « patronnée » a un impact sur la lettre de patronage dans laquelle la société mère a fait une déclaration relativement à sa qualité d'actionnaire; la fin de la relation « mère-fille » peut, selon certains auteurs, signifier la perte de la cause de l'engagement de patronage, voire entraîner la caducité de l'obligation de patronage; la formulation de la lettre de confort sera déterminante, les parties désirant se voir libérées en cas de fin de la relation « mère-fille » étant bien inspirées de le préciser dans leur lettre de patronage (K. Byttebier et R. Feltkamp, « Juridische aard, grondslagen, geldigheidsvoorwaarden et rechtsgevolgen van de patronaats-verklaring », T.P.R., 2002, p. 955, spéc. p, 1048, nos 72 et s.);

Les termes « en qualité d'actionnaire de EMPRESA (...) » ne peuvent être tout simplement écartés ou regardés comme une clause de style en l'espèce;

Les parties s'accordent à considérer que la lettre de confort litigieuse doit être interprétée en application des principes généraux d'interprétation des contrats; en application de l'article 1157 du Code civil, il convient de donner un effet aux termes précités, plutôt que de les considérer comme une clause de style inopérante; en application de l'article 1161 du Code civil, l'interprétation retenue par Spadel se trouve confortée par les autres clauses de la lettre de confort, telles que « notre entreprise apportera tout son soutien » et « nous ferons respecter intégralement les obligations à votre égard », ou encore « [nous] souhaitons également augmenter le chiffre d'affaires »;

Il suit de cette analyse que les termes: « en qualité d'actionnaire de EMPRESA (...) » que Spadel a fait figurer dans la lettre de patronage doivent être vus comme un élément constitutif de l'objet de l'engagement contenu dans la lettre de confort; c'est bien en qualité d'actionnaire que Spadel a fait la déclaration de patronage; c'est en cette qualité qu'elle a pu déclarer qu'elle apportera tout son soutien, qu'elle fera respecter les engagements pris; cette qualité ayant pris fin, aucun de ces engagements n'est encore réalisable; 16 ans après la vente de sa participation dans Alardo, Spadel ne peut plus apporter le moindre soutien, ni faire respecter les engagements pris par son ancienne filiale;

Selon P. Wéry, « Dans son arrêt du 14 octobre 2004, la Cour de cassation élève au rang de principe général la caducité des obligations par disparition de leur objet, en précisant toutefois qu'il n'est ni impératif, ni d'ordre public. » (P. Wéry, Droit des obligations, vol. 1, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2011, p. 944);

P.-A. Foriers écrit quant à lui: « La dissolution du lien obligatoire par la disparition de son objet trouve son fondement (...) dans ce qu'il est convenu d'appeler la 'nature des choses', c'est-à-dire d'un ordre de faits contraignant, ici une impossibilité d'exécution. » (P.-A. Foriers, La caducité des obligations contractuelles par disparition d'un élément essentiel à leur formation, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 23, cité par P. Wéry, o.c.);

En l'espèce, c'est bien de la disparition de l'objet de l'engagement de Spadel dont il s'agit en l'espèce, entraînant la caducité de la lettre de patronage;

BPI plaide que la thèse de Spadel serait contredite par l'attitude que toutes les parties ont adoptée depuis la cession des actions en août 1997;

D'une part, elle souligne que lors de la cession, Spadel a pris soin d'obtenir des cessionnaires une contre-garantie bancaire à première demande, ce qui ne s'expliquerait que parce qu'elle aurait considéré que la lettre de confort restait en vigueur malgré la cession; cette explication ne convainc pas; la garantie obtenue par Spadel à l'occasion de la cession de sa participation dans Alardo a un objet plus large que la seule lettre de confort; Spadel a pu estimer qu'il convenait d'englober le plus d'engagements possibles, indépendamment de la question de savoir si une telle garantie était dans tous les cas nécessaire; de même, le fait qu'en 2013, cette contre-garantie semblait toujours en vigueur ne peut avoir aucune conséquence quant à la libération de Spadel dès 1997;

D'autre part, BPI pointe le fait que les cessionnaires ont tenté d'obtenir le remplacement de la lettre de confort par une autre sûreté; Spadel n'a toutefois pris aucune part à ces démarches, en sorte que l'on ne peut en déduire la moindre conséquence en droit à l'égard de cette partie; il en va de même des lettres que BPI a estimé devoir écrire à Spadel en avril 2002;

Il convient de constater qu'en l'espèce, la lettre de patronage litigieuse est devenue caduque par disparition de son objet depuis la date de la cession par Spadel de sa participation dans Alardo, le 12 août 1997; Elle ne peut dès lors sortir aucun effet;

la demande manque de fondement;

Quant aux dépens, le tribunal relève que les deux parties postulent le paiement de l'indemnité de procédure maximale, et qu'aucune ne critique cette demande dans le chef de l'autre; en application du principe dispositif, cette demande sera admise.

Par ces motifs,

Le tribunal,

Statuant contradictoirement,

Reçoit la demande, la dit non fondée et en conséquence,

En déboute la demanderesse et la condamne aux dépens, liquidés pour la défenderesse à la somme de 33.000 EUR.

(…)