K. Maresceau, Grensoverschrijdende mobiliteit van vennootschappen. De effecten van regelgevende competitie op vennootschapsrechtelijk vlak, Antwerpen-Cambridge, Intersentia, 2014, pp. 542.
Dans le présent ouvrage, qui consacre l'aboutissement de sa thèse de doctorat, monsieur K. Maresceau a pris le parti d'étudier la problématique de la mobilité des sociétés à travers le prisme du phénomène de concurrence régulatoire qui affecte - selon des modalités diverses - les espaces régionaux américain et européen.
Schématiquement, l'ouvrage se subdivise en cinq parties (outre un sixième titre dédié aux conclusions générales). La première d'entre elles vise à contextualiser la principale question de recherche posée à l'entame de cette étude: la concurrence réglementaire peut-elle donner lieu à un mouvement de convergence dans le domaine du droit des sociétés?
Au vu de l'influence du modèle américain dans cette matière, l'auteur a logiquement dédié la deuxième partie de son étude à la présentation des conditions et modalités de la regulatory competition aux Etats-Unis. A cet égard, K. Maresceau a montré la manière dont le fédéralisme étasunien a permis de faire émerger un « marché » des incorporations de sociétés, dont les effets ont donné lieu à une importante controverse théorique. Si l'idée d'une race to the bottom et d'une race to the top ont successivement cristallisé le consensus de la doctrine américaine, les travaux récents donneraient à penser qu'aucune « course » n'est plus à l'oeuvre aujourd'hui: la position dominante de l'Etat du Delaware, qui dispose d'avantages comparatifs difficilement imitables, aurait ainsi mené à une situation « d'équilibre » lui permettant de voir structurellement s'incorporer sur son territoire une majorité de sociétés publiques. Du point de vue européen, l'un des principaux intérêts de l'expérience américaine réside dans le constat qu'à certaines conditions, la concurrence réglementaire peut faire émerger une convergence souhaitable entre les droits des entités fédérées, sans qu'il soit nécessaire de développer sensiblement la réglementation fédérale.
La troisième partie, consacrée à l'examen des possibilités d'arbitrage réglementaire au sein de l'UE, constitue certainement la plus importante de l'ouvrage. Celle-ci examine successivement (i) le traitement des sociétés « boîtes aux lettres » dans le droit des sociétés des Etats européens, à travers la présentation d'une classification originale, ainsi que (ii) la portée du droit d'incorporation et (iii) de re-incorporation garantis par les articles 49 et 54 T.F.U.E. Sous cet angle, monsieur Maresceau met efficacement en lumière la complexité des rapports entre les règles de droit international des sociétés adoptées par les Etats membres et le droit d'établissement des sociétés garanti par le traité européen.
Le degré de mobilité offert aux entreprises européennes leur fournit désormais d'importantes possibilités d'arbitrage réglementaire dans le domaine du droit des sociétés. En consacrant successivement le principe de la reconnaissance mutuelle et la transformation transfrontalière des sociétés, la C.J.U.E. permet ainsi - presque librement - aux entreprises d'opter ab initio ou en cours de vie sociale pour la lex societatis de leur choix. Néanmoins, après avoir rappelé que la localisation du siège social des sociétés influence également - quoique de façon différenciée - la détermination de la loi applicable aux procédures d'insolvabilité et les modalités de leur assujettissement à l'impôt, K. Maresceau s'est judicieusement intéressé, dans la quatrième partie de l'ouvrage, aux interférences que ces matières génèrent par rapport aux décisions de (re)incorporation des sociétés. Dans la mesure où, tant le facteur de rattachement à la lex concursus que le critère d'imposition privilégié dans la pratique fiscale internationale reposent sur la localisation du siège réel, l'on aperçoit finalement que les modalités d'exercice de la liberté d'établissement - et donc du regulatory arbitrage - peuvent varier selon que la société en cause entend bénéficier d'un droit des sociétés jugé attractif, d'un régime de l'insolvabilité plus clément, ou encore d'une neutralité fiscale.
La cinquième partie de l'ouvrage a, quant à elle, permis à l'auteur de poursuivre l'analyse du marché européen du droit des sociétés, en explicitant d'abord la manière dont les entreprises ont, jusqu'à présent, fait usage de leur liberté de choix d'une forme sociétaire au sein de l'UE (dimension de demande), avant de présenter les réactions législatives de certains Etats membres face au succès de la limited de droit anglais (dimension d'offre). A la suite d'autres auteurs, K. Maresceau a toutefois rappelé que, dans le contexte actuel, il est peu probable que les Etats membres de l'UE se livrent activement une concurrence réglementaire dans le domaine du droit des sociétés, sous réserve de certaines manifestations d'une forme défensive de concurrence.
Diverses modifications du cadre réglementaire européen ont finalement été proposées par K. Maresceau, en particulier (i) l'introduction d'une quatorzième directive relative au transfert transfrontalier du siège social des sociétés, (ii) la suppression du critère du « centre des intérêts principaux du débiteur » dans le règlement relatif aux procédures d'insolvabilité, et (iii) le développement d'une plate-forme électronique permettant l'interconnexion des registres des sociétés des Etats membres. Ces initiatives devraient idéalement permettre de créer les conditions d'une concurrence réglementaire socialement souhaitable entre les Etats membres, à titre d'alternative à une harmonisation positive du droit des sociétés qui est devenue difficilement réalisable au niveau de l'UE.
Dans l'ensemble, cette étude présente l'avantage de fournir une analyse efficace au lecteur désireux de découvrir les différentes sources juridiques qui encadrent concomitamment la mobilité des sociétés en droit privé. Si cette problématique n'est pas neuve dans la littérature internationale [1], l'approche suivie par l'auteur aboutit néanmoins à enrichir la doctrine belge d'un outil qui identifie et contextualise les principales questions théoriques soulevées par la mobilité des sociétés au sein de l'UE.
A l'heure où l'on peut douter du soutien politique à la mise en oeuvre d'une initiative favorisant la mobilité des sociétés [2], l'étude livrée par K. Maresceau arrive à point nommé et constitue indubitablement un outil précieux, tant pour le praticien soucieux d'aborder sereinement les opérations de transformation transfrontalière des sociétés, que pour le théoricien intéressé aux débats relatifs à l'évolution du droit des sociétés dans l'espace européen.
[1] | Voy. not., parmi les travaux récents relatifs à des questions connexes, M. Myszke-Nowakowska, The Role of Choice of Law Rules in Shaping Free Movement of Companies, Anvers-Cambridge, Intersentia, 2014; L. De Broe et M. Wyckaert (eds.), « Corporate Mobility in België en Europa. Vennootschapsrechtelijke en fiscaalrechtelijke perspectieven », Jura Falc., vol. 17, Anvers-Cambridge, Intersentia, 2014; J. Borg-Barthet, The Governing Law of Companies in EU Law, Hart Publishing, 2012; A. Cotiga, Le droit européen des sociétés. Compétition entre les systèmes juridiques dans l'Union européenne, Larcier, 2013; P. Paschalidis, « Freedom of Establishment and Private International Law for Corporations », Oxford Private International Law Series, Oxford University Press, 2011; T. Mastrullo, Le droit international des sociétés dans l'espace régional européen, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2009. |
[2] | Pour autant, rappelons que la Commission européenne vient juste de lancer un appel d'offres pour l'élaboration d'une étude dédiée à l'harmonisation de la loi applicable aux sociétés Voy. l'appel d'offres lancé par la Commission européenne, le 6 août 2014, pour la réalisation d'une nouvelle étude préalable à une initiative réglementaire, (JUST/A/4/MB/ARES(2014)2599553). |