Article

Cour d'appel Bruxelles, 23/10/2013, R.D.C.-T.B.H., 2015/2, p. 198-205

Cour d'appel de Bruxelles 23 octobre 2013

DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN ET INTERNATIONAL
Compétence et exécution - Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 - Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale - Compétence - Le lieu de prestation des services - Crédit documentaire avec banque designée
En matière contractuelle, c'est le lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée qui peut justifier la compétence des tribunaux de ce lieu, par dérogation à la règle générale de compétence du domicile du défendeur.
Lorsque l'obligation qui sert de base à la demande - en l'espèce l'obligation de paiement de la banque confirmatrice - est l'accessoire d'une autre obligation, c'est le lieu d'exécution de l'obligation principale qui détermine la compétence des tribunaux en vertu de l'article 5, 1., b), du règlement CE n° 44/2001.
EUROPEES EN INTERNATIONAAL GERECHTELIJK RECHT
Executie en bevoegdheid - Verordening EG nr. 44/2001 van 22 december 2000 - Rechterlijke bevoegdheid, erkenning en tenuitvoerlegging van beslissingen in burgelijke en handelszaken - Bevoegheid - Plaats waar diensten verstrekt worden - Documentair krediet met aangewezen bank
In de materie van de overeenkomsten is de rechtbank bevoegd van de plaats waar de verbintenis die aan de basis ligt van de eis werd of zou moeten worden uitgevoerd, als afwijking op de algemene regel van de woonplaats van de verweerder.
Wanneer de verbintenis die aan de basis ligt van de eis - in deze de betalingsverplichting van de confirmerende bank - een bijzaak is aan een andere verbintenis, dan is het de plaats van de uitvoering van de hoofdverbintenis die de bevoegdheid van de rechter bepaalt in het kader van artikel 5, 1., b) van de verordening nr. 44/2001.

Fimbank Plc / Fortis Bank SA

Siég.: M.-Fr. Carlier, L. Massart et M. van der Haegen (conseillers)
Pl.: Mes J. Verbist, J. Biart et J.-P. Buyle, A.-P. André-Dumont

(...)

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. Le 26 octobre 2000, la Postbank, une société de l'Etat d'Azerbaïdjan, notifie par message swift à Fimbank qu'elle ouvre un crédit documentaire irrévocable pour un montant total de 2.666.960 USD au bénéfice d'Alcatel Turquie et demande à Fimbank d'y adjoindre sa confirmation.

Postbank précise dans son message swift que la banque désignée pour mettre le crédit à la disposition du bénéficiaire est Fortis Banque (Belgique). Le crédit expire le 26 octobre 2001 auprès de Fortis Banque (Belgique).

Le crédit est ouvert sur instruction d'une entité dénommée AZ Telecom dépendant du ministère des Communications de la République d'Azerbaïdjan.

Il couvre l'expédition d'équipements de télécommunication qui doivent être transportés par air de Turquie vers l'Azerbaïdjan. Les expéditions partielles sont autorisées. La date d'expédition ultime est le 28 février 2001. Le crédit documentaire irrévocable est soumis aux Règles et Usances de la Chambre de commerce internationale R.U.U. 500 (édition 1993: ci-après les « R.U.U. 500 »).

Les paiements doivent avoir lieu à concurrence de 10% contre présentation des documents de voyage et d'assurance, 40% après un délai de 180 jours à partir de l'émission du crédit et 50% après un délai de 360 jours à partir de l'émission du crédit.

2. Le 30 octobre 2000, Fimbank demande par message swift à Fortis Banque de notifier au bénéficiaire Alcatel Turquie le crédit documentaire émis par Postbank sur ordre d'AZ Telecom.

Ce second message swift contient les mêmes précisions que le premier.

3. Le 3 novembre 2000, Fimbank envoie un nouveau message swift à Fortis Banque pour préciser que le délai d'expiration du crédit est le 1er octobre 2001, que 10% doivent être payés contre présentation des documents, 40% le 24 avril 2001 et le solde de 50% le 22 octobre 2001, toujours moyennant la remise complète des documents lors du paiement de la première tranche de 10%.

4. Le 11 décembre 2000, Fortis Banque écrit à Fimbank afin de lui communiquer les documents faisant l'objet d'une première présentation dans le cadre du crédit documentaire, pour un montant total de 705.488 USD.

Par un swift des 21-22 décembre 2000, Fimbank indique à Fortis Banque qu'elle a bien reçu sa lettre du 11 décembre 2000, ainsi que les documents qui y sont joints. Elle indique qu'elle a relevé, dans ces documents, 7 discordances et qu'elle tient en conséquence, à ses guichets, à la disposition de Fortis Banque les documents présentés dans l'attente des instructions de cette dernière tout en demandant si elle peut contacter la banque émettrice pour accepter les discordances.

Par un message swift du 22 décembre 2000, Fortis Banque demande à Fimbank de contacter la banque émettrice du crédit documentaire pour lui demander de lever les discordances relevées dans les documents présentés.

Par un message swift des 27-28 décembre 2000, Fimbank indique à Fortis Banque qu'elle a contacté la banque émettrice du crédit documentaire et qu'elle communiquera, prochainement, la réponse de celle-ci.

Le 9 janvier 2001, Fortis Banque adresse un rappel à Fimbank. En réponse, celle-ci lui indique le 11 janvier 2001 qu'elle est toujours dans l'attente des instructions de la banque émettrice.

Par un message swift des 15-16 janvier 2001, Fimbank indique à Fortis Banque qu'elle procède au paiement des 10 premiers pourcent du montant des factures, déduction faite de ses commissions, soit 43.879,20 USD.

Le 20 avril 2001, Fimbank indique à Fortis Banque qu'elle procède au paiement des 40% suivants du montant des factures, déduction faite de ses commissions, soit 266.193,44 USD.

5. Par une lettre du 5 janvier 2001, Fortis Banque envoie à Fimbank de nouveaux documents présentés dans le cadre du crédit documentaire, pour un montant total de 37.410 USD.

Fimbank accuse réception de cette lettre par un message swift du 12 janvier 2001 et indique qu'elle a relevé dans les documents qui y sont joints la présence de 4 discordances et qu'elle tient en conséquence, à ses guichets, les documents à la disposition de Fortis Banque.

Par un message swift du 15 janvier 2001, Fortis Banque demande à Fimbank de contacter la banque émettrice du crédit documentaire pour lui demander de lever les documents bien qu'ils ne soient pas conformes à l'accréditif.

Le 6 février 2001, Fortis Banque adresse un rappel à Fimbank.

Fimbank accuse réception de ce rappel le 7 février 2001 et indique que la banque émettrice n'a toujours pas accepté les documents et qu'elle attend toujours la réponse de la banque émettrice.

Le 12 avril 2001, Fortis Banque adresse un nouveau rappel dans lequel elle précise qu'elle est toujours dans l'attente du paiement de la première tranche de 10%.

Fimbank répond le 18 avril 2001 que les discordances n'ont toujours pas été levées par la banque émettrice et que les documents sont, en conséquence, toujours à ses guichets à la disposition de Fortis Banque, mais qu'elle s'en dessaisira dès l'acceptation des discordances, sauf avis contraire de Fortis Banque.

Le 28 juin 2001, Fortis Banque indique à Fimbank que le bénéficiaire du crédit documentaire l'a informée de ce qu'il avait invité sa banque, la Postbank, à réaliser le paiement de la première tranche de 10% et de la deuxième tranche de 40%.

Fimbank accuse réception de ce message swift le 29 juin 2001 et précise qu'elle est toujours dans l'attente des instructions de la banque émettrice.

Le 3 juillet 2001, Fimbank envoie un message swift à Postbank indiquant qu'elle paiera 50% du montant des factures et en lui demandant de provisionner ce paiement par avoir en compte.

Par un message swift du 4 juillet 2001, Fimbank informe Fortis Banque du paiement de 50% du montant des factures présentées lors de la deuxième remise de documents dans le cadre du crédit documentaire.

Par un swift des 5-6 juillet 2001, Fimbank informe Fortis Banque de ce que les documents sont toujours tenus à ses guichets et qu'elle n'en disposera que contre paiement de l'intégralité des sommes dues. Fimbank précise que le solde de 50% ne sera payé que si les fonds sont disponibles.

6. Par la suite, 7 autres remises documentaires ont lieu, et ce à concurrence du solde encore disponible dans le cadre du crédit documentaire.

Malgré l'existence de discordances, ces 7 autres remises connaissent un parcours similaire à celui décrit pour la deuxième remise documentaire. Ces 7 remises sont acquittées, à concurrence de 50% du montant des factures, au mois de juillet 2001.

De manière plus précise que dans les messages échangés à propos des 2 premières remises, Fimbank confirme cette fois expressément à Fortis Banque, par un message swift du 2 juillet 2001, que « nous acceptons (...) toutes les discordances mentionnées dans vos messages pour les montants de (...) [suivent les montants concernés par les 8 dernières remises]” (traduction libre de « we accept (...) all discrepancies in documents mentioned in you messages for amounts (...) »).

7. Fortis Banque paie à Alcatel Turquie, le bénéficiaire du crédit, la totalité du montant des 9 présentations faites en vertu de celui-ci (sous déduction des commissions à charge d'Alcatel Turquie) entre le 19 janvier 2001 (10% de la remise 1), le 26 janvier 2001 (90% de la remise 1) et le 9 juillet 2001 (100% des remises 2 à 9).

Fortis Banque reste toutefois en défaut de recevoir le solde restant dû de 50% de Fimbank, celle-ci n'ayant pas obtenu ce paiement de Postbank qui a connu des difficultés financières et dont la licence bancaire a apparemment été retirée en Azerbaïdjan.

8. Par message swift du 26 octobre 2001, Fortis Banque rappelle à Fimbank que 50% du crédit lui sont toujours dus. Fimbank répond le même jour qu'elle paiera si les fonds sont mis à sa disposition. Elle adresse simultanément un message à Postbank pour lui demander de la couvrir.

9. Le 9 novembre 2001, Fortis Banque adresse un nouveau rappel à Fimbank qui répond à nouveau qu'elle paiera si les fonds sont mis à sa disposition. Par un message swift des 22-23 novembre 2001, Fimbank indique à Fortis Banque que les documents présentés étaient affectés de discordances de sorte qu'elle ne doit payer que si elle est elle-même couverte par la banque émettrice, les documents étant toujours chez elle à la disposition de Fortis Banque. Fortis Banque répond les 29-30 novembre 2001 que les 2 premières tranches de 10% et de 40% ayant été payées, cela signifie que les documents ont été acceptés et que le solde est également dû.

10. Il s'ensuit un dialogue de sourds qui débouche sur une mise en demeure adressée par le conseil de Fortis Banque à Fimbank à Malte le 30 septembre 2004 et déposée le 1er octobre 2004 devant la juridiction civile de Malte. Aucune procédure ne sera intentée à Malte, Fimbank étant à nouveau mise en demeure par lettre du conseil de Fortis Banque à Bruxelles du 8 décembre 2005.

11. Cette mise en demeure étant restée sans suite, Fortis Banque assigne Fimbank devant le tribunal de commerce de Bruxelles par exploit introductif d'instance du 9 février 2006 en paiement d'un principal de 1.333.480 USD majoré des intérêts au taux de 7% l'an du 22 octobre 2001 au 1er décembre 2005, soit au total 1.717.395,31 USD, à augmenter des intérêts moratoires au taux légal à partir du 2 décembre 2002 sur la somme de 1.333.480 USD et des intérêts judiciaires sur cette somme à dater de la citation jusqu'au jour du complet paiement.

12. Par le jugement dont appel, le tribunal de commerce de Bruxelles condamne Fimbank à payer à Fortis Banque la somme de 1.717.595,31 USD à augmenter des intérêts moratoires au taux légal depuis le 2 décembre 2005 sur la somme de 1.333.480 USD. Le tribunal de commerce de Bruxelles condamne Fimbank aux frais et dépens, liquidés dans le chef de Fortis Banque à 15.508,55 EUR.

13. En appel, Fimbank demande qu'il plaise à la cour de:

« Entendre dire l'appel recevable et fondé,

En conséquence, entendre réformer le jugement rendu le 2 juillet 2008 par le tribunal de commerce de Bruxelles dans la cause 06/03640 en ce qu'il a déclaré recevable et fondée l'action introduite par Fortis Banque;

Et, émendant et faisant ce que le premier juge eut dû faire:

I. A titre principal, et titre définitif:

- se déclarer incompétent à statuer sur la demande introduite par Fortis Banque;

II. Avant dire droit:

- ordonner à Fortis Banque, sur la base des articles 871 et 877 du Code judiciaire, de déposer au dossier de la procédure les instructions reçues par Fortis Banque de Postbank la désignant en tant que banque notificatrice de la lettre de crédit;

- autoriser Fimbank à fournir la preuve, par le biais de l'audition d'un expert, du contenu et de l'interprétation généralement admise des R.U.U. 1993 publication 500;

- entendre les déclarations d'un expert international reconnu en matière de crédit documentaire international sur les questions suivantes:

° les limites du rôle d'une banque désignée;

° les conséquences de la présence d'irrégularités dans les documents quant au rôle de la banque émettrice / confirmatrice; et

° les R.U.U. 500 et les pratiques bancaires communément admises en matière de crédits documentaires.

III. A titre subsidiaire, et à titre définitif:

- déclarer la demande de Fortis Banque non fondée, si elle est recevable.

IV. En tout état de cause:

- condamner Fortis Banque aux dépens des deux instances, en ce comprises les indemnités de procédure, soit un montant de 30.000 EUR (2 x 15.000 EUR). »

14. Fortis Banque demande à la cour:

« De déclarer l'appel non fondé;

de confirmer le jugement entrepris sous les émendations suivantes:

- quant à la condamnation

de condamner la société de droit maltais FIMbank PLC anciennement First International Merchant Bank Ltd à payer à la SA Fortis Banque la somme de USD 1.717.595,31 ou sa contrevaleur en euro à la date [au montant le] plus élevé au jour du paiement à augmenter des intérêts moratoires au taux légal à partir du 2 décembre 2002 sur la somme de USD 1.333.480 et des intérêts judiciaires sur cette somme à dater de la citation jusqu'au jour du complet paiement;

- quant aux intérêts

de constater la capitalisation des intérêts échus à la date du dépôt par [Fortis Banque] de ses conclusions d'appel [le 30 novembre 2009];

De condamner la société de droit maltais FIMbank PLC, anciennement First International Merchant Bank Ltd aux dépens des deux instances, en ce compris les indemnités de procédure. »

L'indemnité de procédure demandée par Fortis Banque est de 10.000 EUR pour la procédure d'appel.

IV. Discussion
1. Quant au déclinatoire de juridiction

15. Selon Fimbank, seules les juridictions maltaises seraient compétentes en vertu du règlement CE n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et en particulier de l'article 2 de ce règlement qui attribue en règle la compétence internationale au tribunal du domicile du défendeur originaire.

C'est à bon droit toutefois que le premier juge a rejeté ce déclinatoire de juridiction par application de l'article 5, 1., b), in fine du règlement en vertu duquel:

« Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre:

1. a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;

b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est:

- pour la vente de marchandises, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées;

- pour la fourniture de services, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis. »

L'article 5, 1., b), du règlement contient ainsi une innovation importante par rapport à la convention de Bruxelles du 17 septembre 1968: « Dans deux types de contrats, le lieu d'exécution est défini de façon substantielle et évitera le recours à la méthode conflictuelle: il s'agit de deux cas particulièrement fréquents, la vente de marchandises, et la fourniture de services. Le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est le lieu où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis. » (G.A.L. Droz et H. Gaumet-Tallon, « La transformation de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 en Règlement du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale », Rev. crit. dr. internat. privé, 2001, p. 634, n° 39).

16. Fortis Banque était en l'espèce non seulement la banque notificatrice du crédit, mais également la banque désignée pour payer contre réception des documents présentant l'apparence de conformité avec les termes et conditions du crédit.

Cela résulte des clauses 31D, 41D et 57D du crédit lui-même: le crédit était stipulé disponible chez Fortis Banque, Belgique, avisé par Fortis Banque, Belgique, et expirant auprès de Fortis Banque, Belgique.

Les relations entre la banque émettrice et la banque par elle désignée pour réaliser le crédit sont régies par les articles 10, d) et 19, d), des R.U.U. 500 qui prévoient respectivement que « en désignant une banque ou en autorisant la négociation par toute banque ou en autorisant ou en invitant une autre banque à ajouter sa confirmation, la banque émettrice autorise cette banque à payer, à accepter une ou plusieurs traites ou à négocier, selon le cas, contre des documents présentant l'apparence de conformité avec les termes et conditions du crédit, et s'engage à rembourser cette banque conformément aux dispositions des présents articles » et que « la banque émettrice sera responsable envers la banque 'réclamante' de toute perte d'intérêts si le remboursement n'est pas effectué dès la première demande présentée à la banque de remboursement ou de toute autre manière prévue dans le crédit, ou par accord mutuel selon le cas ».

17. C'est à tort que Fimbank soutient que son obligation, en sa qualité de banque confirmatrice, à l'égard de Fortis Banque, banque désignée, ne serait pas une obligation de prestation de services au sens de l'article 5, 1., b), précité, mais une simple obligation de paiement qui ne permet pas de déroger à la règle de compétence de base du domicile du défendeur originaire.

En matière contractuelle, c'est le lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée qui peut justifier la compétence des tribunaux de ce lieu, par dérogation à la règle générale. Lorsque l'obligation qui sert de base à la demande - en l'espèce, l'obligation de paiement de Fimbank - est l'accessoire d'une autre obligation, c'est le lieu d'exécution de l'obligation principale qui détermine la compétence des tribunaux en vertu de l'article 5, 1., b), précité (R. Steennot, « International privaatrechtelijke problemen bij documentair krediet », Rev. Banq., 1999, p. 208; G. Cauwenbergh, « Documentair krediet: internationale bevoegdheid en toepasselijk recht », R.D.C., 2006, p. 36; C.J.C.E., 15 janvier 1987, n° 266/85, H. Shenavai / H. Kreischer, Rec., 1987, 256, par. 19).

En l'espèce, l'obligation de payer de Fimbank est l'accessoire de son obligation principale, qui consiste, en sa qualité de banque confirmatrice, à mettre à la disposition du bénéficiaire le crédit émis par Postbank, après avoir vérifié les documents présentés et leur conformité avec les stipulations du crédit documentaire. Cette obligation principale est réalisable par des opérations complexes mais indivisibles qui doivent s'exécuter en Belgique à l'intervention de Fortis Banque. Fortis Banque est le mandataire de Fimbank, même si elle a été désignée par la banque émettrice, Postbank (J.-P. Mattout, Droit bancaire international, Paris, Banque Editeur, 1996, p. 236, n° 270; Ch. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire. Institution - Comptes - Opérations - Services, Paris, Litec, 1999, p. 314, n° 627; N. de Gottrau, Le crédit documentaire et la fraude, Bâle, Helbing & Lictenhahn, 1999, p. 71, n° 5.2.2.3.).

Ce contrat de mandat oblige, dès lors que le crédit a été régulièrement réalisé, la banque émettrice ou confirmatrice, à savoir en l'espèce Fimbank, à rembourser les sommes payées par la banque désignée, à savoir en l'espèce Fortis Banque, au bénéficiaire (art. 10, d et 19 précités des R.U.U. 500).

18. Il est dès lors indifférent qu'en droit maltais, les obligations de paiement soient quérables et non portables. L'obligation de paiement de Fimbank s'inscrit en l'espèce dans une opération complexe, dont elle est l'accessoire, le principal étant l'obligation de Fimbank en sa qualité de banque confirmatrice, de mettre à la disposition du bénéficiaire le crédit émis par Postbank, après avoir vérifié les documents présentés et leur conformité avec les stipulations du crédit documentaire. Cette obligation principale est réalisable à Bruxelles à l'intervention de son mandataire, Fortis Banque. Il s'agit donc bien d'une opération complexe de prestation de services dont l'obligation qui sert de base à la demande - à savoir celle de rembourser Fortis Banque, si celle-ci paie le crédit conformément aux dispositions de celui-ci - est intimement liée à l'exécution de l'obligation principale de Fimbank qui est réalisable en Belgique.

Il résulte des clauses 31D, 41D et 57D du crédit lui-même que l'obligation de paiement de Fimbank qui fait partie de la prestation de services qu'elle fournit, doit être exécutée en Belgique au siège de Fortis Banque.

19. Il n'y a là pas de syllogisme: si Fimbank prétend que Fortis Banque a payé le crédit sans y être autorisée en raison de la non-conformité initialement constatée des documents et que Fortis Banque a payé le crédit en vertu d'une autre cause que le crédit documentaire (à savoir une confirmation silencieuse de ce crédit que Fortis Banque aurait donnée au bénéficiaire en dehors du mandat à elle conféré par Postbank et Fimbank), cette question concerne le fond du litige et non la question de la juridiction des tribunaux belges, qui doit s'apprécier selon le fondement de la demande telle que la formule le demandeur. En l'espèce, il est incontestable que ce fondement est bien l'opération complexe de prestation de services décrite ci-dessus qui devait s'exécuter en Belgique.

20. C'est donc à bon droit que le premier juge a rejeté le déclinatoire de juridiction et s'est reconnu internationalement compétent pour connaître de la présente cause, en exécution de l'article 5, 1., b), du règlement (E n° 44/2001).

2. Quant à l'intérêt de Fortis Banque

21. C'est à bon droit que le premier juge a décidé que:

« dès lors que Fortis Banque établit qu'elle a payé Alcatel Turquie (cf. pièces 23 et 24 du dossier de Fortis Banque), elle justifie de son intérêt à l'action ».

Il n'est pas nécessaire, pour justifier d'un intérêt né et actuel au moment de l'introduction de l'action, qu'il soit établi que Fortis Banque a effectué ces paiements dans le cadre de la lettre de crédit litigieuse et pas en dehors de celle-ci, comme le soutient à tort Fimbank.

Il suffit que Fortis Banque invoque, dans l'acte introductif d'instance, l'existence d'un droit né et actuel dont elle poursuit la reconnaissance en justice à l'encontre de Fimbank pour que son action soit recevable au sens des articles 17 et 18 du Code judiciaire.

3. Quant au fondement de la demande originaire de Fortis Banque

22. Fimbank conteste tout d'abord le fondement de la demande originaire de Fortis Banque en soutenant que l'ensemble des éléments du dossier démontrent que Fortis Banque a payé le bénéficiaire en raison d'un engagement distinct, inconnu de Fimbank, qui serait contraire aux dispositions du crédit. Dès lors, même s'il est établi que Fortis Banque a payé l'intégralité du crédit au profit du bénéficiaire, d'autres documents démontreraient, selon Fimbank, que Fortis Banque a effectué ces paiements en raison d'un engagement contractuel distinct, non divulgué à Fimbank, en vertu duquel elle a consenti à « confirmer silencieusement » le crédit au profit du bénéficiaire, et à effectuer un paiement anticipé des montants prévus dans le cadre du crédit.

23. Ce soutènement trouve un appui dans la pièce 11 du dossier de Fortis Banque qui consiste en un échange de correspondance entre Fortis Banque et le bénéficiaire du crédit, Alcatel Turquie, antérieur à l'ouverture du crédit (il s'agit d'un fax de Fortis Banque à Alcatel Turquie du 12 septembre 2000 et d'un fax d'acceptation d'Alcatel Turquie à Fortis Banque du 25 septembre 2000), dont il résulte que Fortis Banque a en effet pris un engagement distinct de confirmation silencieuse du crédit à l'égard d'Alcatel Turquie dans les mêmes conditions d'approbation des documents que celles du crédit ouvert d'ordre de Postbank avec la confirmation de Fimbank.

Il est exact qu'une telle pratique est critiquée par d'éminents auteurs (J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, 2e éd., 1988, n° 642, p. 508), en raison du conflit d'intérêts qu'elle crée entre les obligations de la banque désignée à l'égard de la banque émettrice et de la banque confirmante, d'une part, et les obligations distinctes que la banque désignée souscrit à l'égard du bénéficiaire, d'autre part. Nul ne conteste toutefois que cette pratique est relativement fréquente. La révision des Règles et Usances uniformes R.U.U. 600 qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2007 en reconnaît d'ailleurs expressément l'existence. Même avant l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, il était admis que l'engagement distinct pris par la banque désignée à l'égard du bénéficiaire ne posait de réelle difficulté qu'en cas de fraude commise par le bénéficiaire: la banque désignée, en faisant une avance au bénéficiaire qui n'est pas couverte par la banque émettrice ou la banque confirmatrice, assume elle-même le risque de fraude commise par le bénéficiaire, car elle ne peut dans ce cas se retourner contre la banque émettrice ou la banque confirmatrice (J. Van Ryn et J. Heenen, o.c.).

En l'espèce, il n'est toutefois aucunement question de fraude. Ainsi qu'il sera démontré ci-après, Fortis Banque a payé le bénéficiaire en conformité avec le mandat qui lui était conféré par Fimbank, après vérification et acceptation des documents par Fimbank.

Ce n'est donc pas parce que Fortis Banque a anticipé le paiement des 50% litigieux au bénéfice d'Alcatel Turquie, en vertu de l'engagement distinct qu'elle a pris à l'égard de celle-ci, qu'elle ne peut pas en demander le remboursement à Fimbank, à partir du moment où ce remboursement lui est dû en vertu des engagements pris par Fimbank à son égard, ce qui est le cas, ainsi qu'il sera examiné ci-après.

24. En l'espèce, Fimbank a relevé, lors de l'examen des documents présentés par le bénéficiaire pour les 9 utilisations du crédit, des discordances qu'elle a qualifiées elle-même de « légères » (traduction libre de « slight »), mais qui l'ont conduite à ne pas payer sans contacter la banque émettrice Postbank pour que celle-ci accepte les discordances constatées et lève les documents.

Contrairement à ce que soutient Fimbank, son refus d'accepter les documents de sa propre autorité n'a pas pour conséquence que le crédit soit définitivement éteint et qu'elle soit elle-même définitivement libérée de son obligation de rembourser la banque désignée si ultérieurement, dans un délai raisonnable, les documents sont levés et les discordances acceptées par la banque émettrice.

Ceci résulte de l'article 13, (6), des R.U.U. 500:

« La banque émettrice, la banque confirmante le cas échéant ou une banque désignée agissant pour leur compte disposeront chacune d'un délai raisonnable ne dépassant pas sept jours ouvrés (...) pour examiner les documents et décider si elles les lèvent ou les refusent... ».

La Commission de Technique et Pratique Bancaire de la Chambre de Commerce Internationale a confirmé, au moins à deux reprises, qu'en vertu de cette disposition (applicable en l'espèce en vertu du renvoi qui y est fait dans les documents d'ouverture de crédit), la banque confirmatrice est tenue de payer si les documents incorrects sont ultérieurement approuvés soit par elle-même soit par la banque émettrice (décisions 470/38 et 470/330 de la Commission de Technique et Pratique Bancaire de la CCC et étude de cas 183 de la même Commission).

En l'espèce, il résulte du message swift du 2 juillet 2001 adressé par Postbank à Fimbank que Postbank a accepté toutes les discordances signalées dans les documents faisant l'objet des 8 dernières présentations faites par le bénéficiaire et a autorisé Fimbank à payer l'intégralité de ces 8 tranches de crédit (pièce 2.b du dossier de Fimbank). Fimbank a immédiatement confirmé qu'elle payait les 50% qui étaient déjà exigibles à ce moment et qu'elle paierait les 50% restants à leur échéance (pièce 12.a à 12.h du dossier de Fimbank). Ces mêmes documents ne sont pas produits pour la première présentation mais on ne peut douter que la situation soit exactement la même puisque, le 15 janvier 2001 et le 20 avril 2001, Fimbank confirme à Fortis Banque (après lui avoir dit qu'elle avait contacté la banque émettrice) qu'elle paie les 2 premières tranches de 10% et de 40% de cette première présentation (pièce 3.g et 3.h du dossier de Fimbank).

En exécution de l'article 13, (b), des R.U.U. 500, Fimbank était donc, à dater de l'envoi des documents et de leur acceptation par Postbank, tenue de payer non seulement les 50% qu'elle a payés, mais également le solde à l'échéance précisée au point 3 ci-dessus.

Fimbank n'exprime d'ailleurs aucune réserve dans ses messages swift à Fortis Banque du 4 juillet 2001 par lesquels elle confirme le paiement des 2 premières tranches à concurrence de 50% des 8 dernières présentations (pièces 4.j, 5.e, 6.g, 7.f et 8.e du dossier de Fimbank). Aucune réserve ne figure davantage dans les messages swift envoyés par Fimbank à Fortis Banque les 15 janvier 2001 et 20 avril 2001 confirmant le paiement de 50% sur la première présentation (pièce 3.g et 3.h du dossier de Fimbank). La réserve exprimée ultérieurement par Fimbank selon laquelle elle ne disposera des documents ou ne paiera que si elle est elle-même payée (messages swift des 5-6 juillet 2001, 26 octobre 2001, 9 novembre 2001...) est inopérante car tardive.

25. L'article 10, (c), des R.U.U. 500, cité par Fimbank, ne s'oppose pas à la conclusion que celle-ci est tenue pour le tout par l'effet de l'acceptation des documents par Postbank. Cette disposition prévoit seulement que la banque désignée n'est tenue d'aucune obligation de payer si elle n'est pas banque confirmante. Cette règle de base est sans préjudice de l'article 10, (d), des mêmes R.U.U. 500: la banque émettrice (ainsi que la banque confirmatrice) doivent rembourser la banque désignée si celle-ci paie le crédit en conformité avec l'article 13, (b), des R.U.U. 500.

Il est donc inexact de la part de Fimbank de prétendre qu'elle est libérée définitivement par la simple constatation faite initialement par elle de discordances (quelles qu'elles soient) dans les documents présentés: si ces discordances sont ensuite levées par la banque émettrice, Fimbank est, en sa qualité de banque confirmatrice, tenue de rembourser Fortis Banque pour le tout, quelle que soit la qualité en exécution de laquelle Fortis Banque a payé, pourvu que ce soit conforme au mandat qu'elle a reçu de Fimbank.

26. Les discordances ayant été acceptées par la banque émettrice, il est sans intérêt de déterminer où se trouvaient à l'époque des faits les originaux de ces documents: Fimbank reconnaît qu'elle a transmis les originaux de la première présentation à Postbank, mais non ceux des 8 dernières présentations. Pour ces 8 présentations, les pièces se contredisent. Les messages swift que Fimbank envoie à Postbank les 3 et 4 juillet 2001 (pièces 12.a à 12.h du dossier de Fimbank) contiennent tous les 8 la mention « nous avons aujourd'hui remis des documents pour (...) [suit le montant] » (traduction libre de « we have today remitted documents for (...) »). (Pourtant, dans ses messages swift des 5-6 juillet 2001 à Fortis Bank, Fimbank écrit: « Nous vous informons que les documents sont toujours détenus dans nos bureaux et ne seront libérés que moyennant paiement intégral. Dans ces circonstances, le paiement des 50% restants ne sera effectué que dans la mesure des fonds disponibles. » (traduction libre de « Kindly be informed that documents are still held at our counters and will only be released against full payment. In the circumstances remaining 50 percent payment will be effected upon availability of funds. ») (pièces 4.k, 5.f, 6.h, 7.g, 8.f, 9.e, 10e et 11.e du dossier de Fimbank). Que Fimbank ait envoyé à Postbank les originaux ou pas, à partir du moment où Postbank accepte les discordances et autorise le paiement de l'intégralité de ces 8 tranches de crédit, Fimbank est tenue de la même obligation à l'égard de Fortis Banque, dès qu'elle notifie à celle-ci l'acceptation des documents et le paiement des 2 premières tranches, sans réserve.

27. L'article 14, (c), des R.U.U. 500, cité par Fimbank, et qui autorise la banque émettrice à approcher le donneur d'ordre afin d'obtenir de celui-ci la levée des irrégularités constatées dans les documents, ne modifie en rien cette conclusion, à partir du moment où Fimbank a, comme il est dit ci-dessus, notifié à Fortis Banque l'acceptation des documents et le paiement des 2 premières tranches, sans réserve. Il ne s'agit pas d'un retrait d'un refus antérieur, ou d'une renonciation quelconque, mais d'une acceptation des documents par la banque émettrice, après que la banque confirmatrice et la banque désignée aient refusé de se prononcer, comme les y autorise l'article 13, (b), des R.U.U. 500.

28. Enfin, rien ne démontre, comme Fimbank l'allègue à tort, que Fortis Banque aurait conclu un nouvel accord avec Postbank en vue d'obtenir un paiement direct de celle-ci ou d'obtenir un autre engagement quelconque qui nuirait à Fimbank ou rendrait sans cause le paiement dû par celle-ci.

4. Quant à la demande de production de documents

29. Il n'existe aucune indication que, contrairement aux dénégations de Fortis Banque, il y aurait eu des instructions directes de Postbank à Fortis Banque pour la désigner comme banque notificatrice.

La demande de production de pièces qui démontreraient ce fait dont aucune présomption grave, précise et concordante n'accrédite l'existence ne peut être admise.

30. La demande d'audition d'experts internationaux sur les questions évoquées dans le dispositif des conclusions de Fimbank ne présente quant à elle aucune nécessité, ni utilité, la cour étant suffisamment informée sur les règles et usances rendues contractuellement applicables au crédit litigieux.

5. Quant à l'indemnité de procédure

31. Il y a lieu d'allouer à Fortis Banque l'indemnité de procédure réclamée par elle, le taux demandé étant inférieur au taux de base pour la tranche correspondante fixée par application de l'arrêté royal du 26 octobre 2007.

32. Il y a lieu par ailleurs d'allouer à Fortis Banque la capitalisation des intérêts échus à la date du dépôt de ses conclusions d'appel, qui n'est pas contestée. Cette capitalisation ayant été demandée par sommation dès les premières conclusions d'appel déposées par Fortis Banque le 27 février 2009, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts échus à cette date.

V. Dispositif

Pour ces motifs, la cour,

Reçoit l'appel, mais le dit non fondé,

Confirme le jugement dont appel, dans la mesure où il a déclaré l'action originaire recevable et fondée et a condamné Fimbank PLC aux frais et dépens de première instance, liquidés dans le chef de la SA Fortis Banque, à la somme de 15.508,55 EUR;

Réforme le jugement dont appel dans la mesure suivante;

Condamne la société de droit maltais Fimbank PLC à payer à la SA Fortis Banque la somme de 1.717.595,31 USD, ou sa contre-valeur en euro au montant le plus élevé au jour du paiement, à augmenter des intérêts moratoires au taux légal à partir du 2 décembre 2002 sur la somme de 1.333.480 USD et des intérêts judiciaires sur cette somme à dater de la citation jusqu'au jour du complet paiement;

Dit que les montants au paiement desquels la société de droit maltais Fimbank PLC est condamnée, en principal et intérêts, sont augmentés des intérêts sur les intérêts échus capitalisés depuis la sommation du 27 février 2009, jusqu'au parfait paiement;

(…)