Article

Cour d'appel Bruxelles, 01/02/2013, R.D.C.-T.B.H., 2015/2, p. 176-179

Cour d'appel de Bruxelles 1er février 2013

BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Général - Chèque - Encaissement
La banque à laquelle il est uniquement demandé de porter un chèque à l'encaissement, n'est chargée que d'un simple mandat d'encaissement. Dans ce cadre, elle n'a pas à vérifier la régularité du chèque remis à l'encaissement.
BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Algemeen - Cheque - Incasso
De bank waaraan alleen gevraagd wordt om een cheque te innen, is alleen belast met een eenvoudig inningsmandaat. In deze context is zij niet gehouden de juistheid van de cheque ter incasso te controleren.

SPRL G.R.C. International / SA Fortis Banque

Siég.: H. Mackelbert (conseiller)
Pl.: Mes Ch. Defays et J.-P. Mahaux
I. Décision entreprise

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement le 11 juillet 2011 par le tribunal de commerce de Bruxelles.

Les parties ne produisent aucun acte de signification de cette décision.

II. Procédure devant la cour

L'appel est formé par requête, déposée par G.R.C. International au greffe de la cour, le 28 octobre 2011.

L'appel incident est formé par conclusions, déposées par Fortis Banque (dénommée ci-après « la banque ») au greffe de la cour, le 19 janvier 2012.

La procédure est contradictoire, ayant été mise en état sur la base de l'article 747 du Code judiciaire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Faits et antécédents de la procédure

1. G.R.C. International est une société active dans le commerce des véhicules d'occasion. Elle a pour client habituel M. A., de nationalité ivoirienne, qui dispose d'un passeport diplomatique.

Elle expose que le 20 mars 2008, elle a vendu à M. A. deux véhicules pour une somme de 63.200 EUR. En paiement de ceux-ci, M. A. tire un chèque de ce montant sur la banque Standard Chartered de Dubaï. Le document pré-imprimé, tiré du carnet de chèques, reprend le dirham comme monnaie de paiement. Même si le chèque est clairement libellé en euros, les mentions pré-imprimées « Dirhams » et « AED » ne sont pas biffées.

G.R.C. International expose qu'elle a des doutes sur l'authenticité de la signature apposée sur ce chèque et se rend auprès de son agence Fortis, en compagnie de M. A., afin que ce dernier signe une seconde fois le chèque en présence du préposé de la banque. Ce chèque contient dès lors deux signatures, mais qui sont différentes. G.R.C. International donne ensuite ce chèque à l'encaissement et livre les deux véhicules. Il convient également de constater qu'un cachet a été apposé sur le chèque avec la mention anglaise « signature verified » (traduction: signature vérifiée).

2. Le 13 mai 2008, la banque signale à G.R.C. International que son correspondant lui a signalé que le chèque n'a pas été payé, au motif que la modification de la monnaie de paiement requérait la signature du tireur.

G.R.C. International ne réagit pas à la réception de cet avis, mais, en juillet 2008, dépose plainte pour émission d'un chèque sans provision.

Le 22 janvier 2009, le procureur du Roi de Bruxelles donne mainlevée d'une saisie qui avait été pratiquée sur un des deux véhicules.

3. Ce n'est que le 22 avril 2010 que G.R.C. International fait citer la banque devant le tribunal de commerce de Bruxelles. Elle considère qu'elle a manqué à son devoir d'information en ne l'avertissant pas que le chèque ne contenait pas les mentions impératives qui devaient s'y trouver et lui réclame à titre de dommages et intérêts le paiement de la somme de 63.200 EUR qu'elle n'a pu encaisser.

Le jugement entrepris déboute G.R.C. International de sa demande.

4. G.R.C. International interjette appel de cette décision.

Elle réitère sa demande originaire, augmentée des intérêts compensatoires depuis le 20 mars 2008.

La banque demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, mais introduit, à titre subsidiaire, un appel incident, en ce qu'il y aurait lieu de faire application de l'article 4 du Code d'instruction criminelle et de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale introduite contre M. A.

IV. Discussion

5. Contrairement à ce que soutient G.R.C. International, la banque n'a pas été chargée d'une vérification de la validité du chèque préalablement à son encaissement.

G.R.C. International déclare elle-même que si elle a requis l'intervention de la banque, c'est parce qu'elle avait constaté que la signature apposée sur le chèque était différente de celle reprise sur le passeport de M. A. Cette explication n'est cependant pas crédible, dès lors que le passeport de M. A. ne contient aucune signature. Quoi qu'il en soit, il n'est pas contesté par la banque que le gérant de G.R.C. International s'est bien rendu avec M. A. à l'agence pour qu'il signe une deuxième fois le chèque devant le préposé, ce qui fut fait, mais aucune explication n'est donnée sur la circonstance que les deux signatures ne se ressemblent en rien. G.R.C. International ne fournit d'ailleurs pas un spécimen de la signature de M. A. qui est pourtant un client fidèle.

G.R.C. International soutient que le cachet « signature vérifiée » présent sur le chèque aurait été apposé par la banque, ce qu'elle conteste, affirmant par ailleurs qu'elle ne dispose pas de cachet rédigé en anglais. La thèse de la banque est tout à fait crédible puisqu'elle était dans l'impossibilité de vérifier la signature de M. A., dès lors qu'elle ne disposait pas d'un spécimen de sa signature et surtout pas de celle qui avait été enregistrée à la Standard Chartered Bank, dont elle n'était pas la correspondante. Il s'ensuit que ce cachet ne constitue pas la preuve d'une obligation quelconque qui aurait été souscrite par la banque en rapport avec la validité du chèque.

Il convient en outre de constater que le compte de G.R.C. International n'a pas été crédité « sauf bonne fin ».

Le mandat donné par G.R.C. International à la banque n'est donc qu'un simple mandat d'encaissement d'un instrument financier dont elle n'était pas chargée de vérifier la validité.

6. En l'espèce, il ne résulte d'aucune disposition légale ou réglementaire ou d'un quelconque usage bancaire que la stipulation de l'euro comme monnaie de paiement du chèque requérait une signature expresse du tireur, au motif que la formule de chèque utilisée a été extraite d'un carnet pré-imprimé mentionnant la monnaie du pays de la banque tirée.

Au contraire, il résulte du chèque que M. A. a très clairement exprimé sa volonté d'émettre un chèque en euros et pas en dirhams: d'une part, le sigle est mentionné juste avant l'indication du montant du chèque exprimé en chiffres (* 63.200 € *) et, d'autre part, le mot « euro » est reproduit dans l'indication du montant en toutes lettres (soixante trois mille deux cent euro seulement pour l'achat des deux voitures). Contrairement à ce que soutient G.R.C. International, la stipulation de l'euro comme monnaie de paiement ne constitue pas un faux.

Tout comme en matière de lettre de change, lorsque les termes de l'effet de commerce révèlent que le tireur a entendu imposer un paiement dans la monnaie indiquée, sa volonté doit être respectée, d'autant qu'il n'est pas prouvé en l'espèce que la loi du lieu du paiement s'y opposerait (J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, t. III, Bruylant, 1981, p. 337, n° 443).

La banque tirée ne pouvait dès lors refuser le paiement de ce chèque, sauf à demander une ultime confirmation au tireur si elle avait un quelconque doute sur la monnaie de paiement, ce qu'elle n'a pas fait. Il n'est pas prouvé non plus que M. A. se serait opposé au paiement. Il n'avait d'ailleurs aucune raison de le faire.

Au demeurant, le chèque comporte deux signatures, dont une est apposée juste au-dessus du cadre dans lequel est indiqué le montant du chèque exprimé en chiffres. Rien ne permet d'exclure que cette signature vise également la modification du sigle « AED » en « € », avec la conséquence qu'il aurait été satisfait à l'exigence de la banque tirée de voir la modification de la monnaie de paiement contresignée spécialement, à la supposer légitime.

Il se déduit de ce qui précède que le chèque ne présentait aucune irrégularité manifeste et le préposé de la banque n'a pas commis de faute en l'envoyant à la banque tirée sans attirer préalablement l'attention de G.R.C. International sur l'absence de contreseing spécial de l'usage de l'euro comme monnaie de paiement. N'ayant pas la qualité de banquier tiré, la banque n'avait pas à procéder à une analyse détaillée du chèque (tant sur le plan formel que juridique); partant, son devoir de conseil n'impliquait pas qu'elle était tenue d'avertir son client d'un risque éventuel que le chèque ne soit pas payé. Elle s'est bornée, sans faute de sa part, à suivre ses instructions de procéder, en l'état, à l'encaissement, d'autant que son client était coutumier des transactions financières internationales et que ce n'était pas la première fois qu'il donnait à l'encaissement un chèque tiré sur une banque étrangère.

7. En outre, il convient de constater que l'article 45 des conditions générales de la banque, applicables à l'époque des faits, prévoit que:

« La banque effectue au mieux l'encaissement des documents qui lui sont confiés, mais n'assume aucune obligation quant à la régularité de ces documents.

Elle n'assume pas davantage de responsabilité quant au fait de tiers, belges ou étrangers (comme par exemple la Poste ou d'autres entreprises de transport) intervenant dans une opération d'encaissement, sauf si le choix de cet intervenant par la banque est constitutif de dol ou de faute lourde. »

Eu égard à l'existence de cette clause d'exonération de responsabilité - dont l'opposabilité ne peut être valablement contestée - la demande de G.R.C. International n'est, en tout cas, pas fondée.

Une telle clause n'est pas nulle, car elle n'a pas pour effet de détruire l'objet de l'obligation qui est limité à un simple encaissement d'un chèque, c'est-à-dire à l'envoi de cet instrument financier à la banque tirée, afin que cette dernière crédite le compte de M. A. ouvert auprès de la banque, pour autant que la situation du compte du tireur ouvert auprès de la banque tirée le permette. Pour les mêmes motifs, la faute reprochée à la banque ne constitue pas non plus une faute lourde - au sens de « négligence flagrante » - puisqu'un tel manquement doit s'analyser en fonction des obligations habituelles qui pèsent sur tout banquier chargé d'une opération identique; or, aucun banquier chargé d'un simple encaissement n'est tenu de procéder à la vérification du titre, d'autant que, en l'espèce, le chèque n'est pas remis dans le cadre d'un crédit sauf bonne fin.

Le fait que G.R.C. International se soit présentée avec le tireur du chèque afin qu'il signe celui-ci une deuxième fois devant un préposé de la banque, n'implique nullement dans le chef de cette dernière une renonciation au bénéfice de ses conditions générales, d'autant qu'en l'espèce elle n'est pas la banque tirée.

Enfin, à défaut de responsabilité de la banque, l'article 44.2 des conditions générales ne s'applique pas et c'est à tort qu'il est invoqué par G.R.C. International.

8. En tout état de cause, G.R.C. International n'établit pas l'existence d'un lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage, et, de plus, ne justifie pas de la réalité de ce dommage.

Le dommage revendiqué est constitué par le montant nominal du chèque équivalent aux prix des voitures. Cela suppose que G.R.C. International considère que si la faute n'avait pas été commise, elle aurait dû encaisser la somme de 63.200 EUR. Or, rien n'est moins certain. En effet, G.R.C. International a livré les voitures dès la réception du chèque, sans aucune garantie et avant d'avoir été créditée du montant de celui-ci. Elle a donc accepté le risque de ne pas être payée. Par ailleurs, il n'est pas établi que si l'indication de l'euro comme monnaie de paiement avait été spécialement contresignée par M. A. - à supposer que la deuxième signature ne valait pas contreseing - le chèque aurait certainement été payé par la banque tirée. Il appartient en effet à G.R.C. International de prouver que toutes les autres conditions requises pour le paiement du chèque par la banque tirée étaient réunies. Or, il convient de constater que G.R.C. International a déposé plainte contre M. A. pour émission d'un chèque sans provision, ce qui permet de conclure qu'en tout état de cause le chèque n'aurait pas été payé, même si la faute n'avait pas été commise. Vainement G.R.C. International soutient-elle qu'il existait une provision suffisante: non seulement elle n'en rapporte pas la preuve, mais n'explique pas pourquoi elle a déposé plainte pour émission d'un chèque sans provision, si tel n'avait pas été le cas!

Eu égard au caractère incertain du lien de causalité, la demande n'est pas non plus fondée.

Enfin, G.R.C. International ne donne aucune indication sur la valeur des véhicules qu'elle a vendus et dont elle prétend qu'ils constituent l'élément central de son dommage. Elle ne produit d'ailleurs pas les factures correspondantes. De plus, il est constant qu'à la suite de la plainte qu'elle a déposée, un des deux véhicules a été saisi et lui a été restitué. Le dommage ne pourrait donc, tout au plus, que concerner le prix de l'autre véhicule, mais dont on ignore la valeur et ce qu'il en est advenu. Il s'en déduit que la demande doit également être déclarée non fondée pour défaut de preuve du dommage réellement subi.

9. L'appel principal n'étant pas fondé, l'appel incident est sans objet.

V. Dispositif

Pour ces motifs, la cour,

1. Reçoit les appels.

2. Dit l'appel principal non fondé et l'appel incident sans objet.

3. Met les dépens d'appel à charge de G.R.C. International et la condamne à payer à Fortis Banque, la somme de 3.300 EUR à titre d'indemnité de procédure.

(…)