Liège 29 septembre 2014
Affaire: 2011/RG/746 |
Les décisions portant sur la question de l'aggravation du risque en cours de contrat d'assurance sont peu nombreuses.
Hormis pour les contrats d'assurance sur la vie, d'assurance maladie ou d'assurance-crédit, le preneur d'assurance doit déclarer, en cours de contrat, les circonstances nouvelles ou les modifications de circonstances qui « sont de nature à entraîner une aggravation sensible et durable du risque de survenance de l'événement assuré » (art. 81 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances (antérieurement, art. 26 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance)). Ces circonstances sont celles connues du preneur d'assurance et qu'il doit raisonnablement considérer comme constituant pour l'assureur des éléments d'appréciation du risque. Toutefois, il ne doit pas déclarer à l'assureur les circonstances déjà connues de celui-ci ou que celui-ci devrait raisonnablement connaître (art. 58 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances (antérieurement art. 5 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance)).
Lorsque le risque de survenance de l'événement assuré s'est aggravé de telle sorte que, si l'aggravation avait existé au moment de la souscription, l'assureur n'aurait consenti l'assurance qu'à d'autres conditions, il doit réagir dans un délai d'un mois à compter du jour où il a eu connaissance de l'aggravation. Il peut soit proposer la modification du contrat avec effet rétroactif au jour de l'aggravation (avec possibilité de résiliation en cas de non-acceptation ou de refus de la proposition de modification), soit résilier le contrat s'il apporte la preuve qu'il n'aurait en aucun cas assuré le risque aggravé.
L'assureur qui n'a pas résilié le contrat ni proposé sa modification dans les délais indiqués ci-dessus ne peut plus se prévaloir à l'avenir de l'aggravation du risque.
Dans le cadre de la modification d'un des contrats visés à l'article 43 de la loi du 4 avril 2014, l'assureur doit motiver, à l'intention du preneur d'assurance consommateur, les critères de segmentation qu'il a utilisés (art. 81).
Si l'aggravation du risque a été déclarée par le preneur d'assurance et qu'un sinistre survient avant la modification ou la résiliation du contrat, l'assureur est tenu d'effectuer la prestation convenue. Par contre, en l'absence de déclaration d'aggravation du risque, trois hypothèses sont distinguées par l'article 81 selon que le défaut de déclaration peut être reproché ou non au preneur d'assurance ou encore lorsque le preneur d'assurance a agi dans une intention frauduleuse.
Diverses hypothèses d'aggravation du risque ont été examinées par les juridictions.
Ainsi, ne constitue pas une aggravation du risque devant être notifiée:
- la mise hors service d'un système d'alarme en vue de la réparation de la télécommande qui même si elle constitue une aggravation sensible du risque ne revêt pas le caractère durable requis. La loi vise l'aggravation de risque susceptible de se prolonger pendant un temps suffisamment long pour qu'elle vaille la peine d'envisager une modification du contrat (Mons, 27 mai 2002, R.G.A.R., 2003, n° 13.788);
- l'augmentation du nombre de palettes entreposées à ciel ouvert au motif que cet élément est susceptible d'affecter l'ampleur d'un dommage éventuel mais non le risque de survenance (Gand, 13 février 2003, R.D.C., 2005, p. 864);
- les attentats du 11 septembre 2011 qui aurait fait apparaître la gravité insoupçonnée de la menace terroriste pour la police incendie couvrant également le risque « attentats » de l'immeuble du Parlement européen en raison de l'absence de preuve d'augmentation de la probabilité de réalisation du risque assuré (C.J.C.E., 16 juin 2005, R.D.C., 2005, p. 1041);
- le fait qu'un immeuble soit donné en location à plusieurs ménages, l'assureur n'établissant pas qu'il aurait imposé une limite quant au nombre de locataires de sorte que le preneur d'assurance ne pouvait savoir qu'une information plus complète sur le nombre de locataires occupant l'immeuble était un élément essentiel d'appréciation du risque par l'assureur (Liège, 19 octobre 2006, 2005/RG/838, disponible sur www.juridat.be);
- le passage de la vente de bijoux anciens vers celle de bijoux modernes et de pierres précieuses au motif que les assureurs ne faisaient pas cette distinction dans leur questionnaire (police d'assurance vol globale de bijoutier) (Gand, 19 février 2009, R.D.C., 2011, p. 147);
- l'augmentation de la valeur des marchandises en magasin dans le cadre d'une assurance vol car elle ne modifie pas le risque de survenance de l'événement assuré ou l'intensité du risque mais constitue une situation de sous-assurance (Bruxelles, 25 mai 2009, R.G.A.R., 2011, n° 14.710).
Par contre, constitue une aggravation du risque devant être notifiée:
- l'usage régulier d'un véhicule assuré par un autre conducteur qui venait d'obtenir son permis de conduire (prestation de l'assureur selon le rapport entre la prime payée et la prime que le preneur aurait dû payer si l'aggravation avait été prise en considération) (Pol. Bruxelles, 19 mai 2006, J.J.P., 2007, p. 79);
- le fait de ne pas signaler en cours de contrat l'installation dans l'immeuble du local du parti AGIR entouré de polémiques et cible d'actes de violence (Liège, 9 février 2007, 2004/RG/52, disponible sur www.juridat.be);
- la mise en exploitation d'un restaurant qui était décrit au contrat comme en transformation (avec prime adaptée à cet état et obligation d'avertir l'assureur dès que le restaurant serait exploité) (prestation de l'assureur selon le rapport entre la prime payée et la prime que le preneur aurait dû payer si l'aggravation avait été prise en considération) (Liège, 25 juin 2008, 2005 /RG/1708, disponible sur www.juridat.be);
- la transformation d'un immeuble assuré comme immeuble d'habitation en un commerce de vente et de réparation de vélomoteurs (Civ. Charleroi, 5 janvier 2009, C.R.A., 2009, p. 250);
- le fait de ne pas remplacer les clés d'un véhicule volé (puis retrouvé sans la clé), de continuer à circuler avec celui-ci et de le garer sur la voie publique, en sachant que le voleur était toujours en possession d'une clé (remboursement des primes, l'assureur ayant démontré qu'il n'aurait pas assuré le risque aggravé (Liège, 13 novembre 2012, 2011/RG/1004, disponible sur www.juridat.be));
- le fait de ne pas déclarer auprès du secrétariat social, en cours de contrat, une personne au titre de membre du personnel sous une assurance accident du travail (Cass. (3e ch.), 14 janvier 2013, C.11.734.N, disponible sur www.juridat.be).
Par un arrêt du 29 septembre 2014, la cour d'appel de Liège rappelle les critères à prendre en compte pour établir l'aggravation du risque assuré en cours de contrat.
L'assureur avait limité son intervention dans le cadre d'une police assurance individuelle accident prévoyant notamment, en cas de décès le paiement d'un capital. Selon l'assureur, le preneur d'assurance qui était également la tête assurée ne l'avait pas informé de son changement de profession (passage de chauffeur de poids lourd indépendant à celui de débardeur de grumes).
L'assureur considérait que l'exercice de la profession de débardeur constituait une aggravation sensible et durable du risque et relevait d'une tarification du risque différente.
La cour constate toutefois l'absence de document précontractuel révélant que le métier de débardeur constituait pour l'assureur un élément d'appréciation du risque entraînant une augmentation de prime et qu'il n'est pas établi que le preneur d'assurance devait considérer l'exercice de la profession de débardeur comme de nature à aggraver de façon sensible le risque de survenance de l'événement assuré. La cour considère dès lors que l'assureur ne pouvait réduire sa prestation selon la prime payée et la prime que le preneur aurait dû payer si l'aggravation avait été prise en considération.
En raison de la nature du risque (couverture décès), la cour ne retient pas le critère de l'augmentation de l'intensité du risque mais se limite à celui de l'aggravation du risque de survenance du risque, seul visé expressément par l'article 81. La doctrine a, à plusieurs reprises, souligné que les éléments d'appréciation du risque dans le chef de l'assureur ne se limitent pas au risque de survenance de l'événement assuré mais concernent également l'intensité du risque, à savoir l'augmentation des conséquences de la réalisation du risque. Elle propose une interprétation large de l'article 81 et suggère d'étendre contractuellement le devoir d'information du preneur d'assurance via les conditions générales (M. Fontaine, Droit des assurances, 4e éd., Larcier, 2010, p. 189; V. De Wulf, note d'observations sous Civ. Nivelles (1ère ch.), 22 juin 2011, For. ass., 2012, p. 90).