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Corporate Mobility in België en Europa, R.D.C.-T.B.H., 2014/6, p. 639-640

L. De Broe en M. Wyckaert, Corporate Mobility in België en Europa, (eds.), Jura Falconis, Intersentia, 2014, x + 142 p.


« Un besoin se fait sentir, un organe apparaît », enseignait le professeur Cyr Cambier, prodigieux pince-sans-rire du droit administratif. Le problème de la Corporate Mobility, c'est qu'elle est apparue, mais que, même après plusieurs arrêts de la Cour de justice, nul n'est sûr de l'intensité du besoin - en tout cas légitime - qu'elle servirait.

Le soussigné a ainsi rencontré une société luxembourgeoise qui déménageait au Panama pour échapper à l'huissier saisissant ou une dizaine de sociétés luxembourgeoises au bord de la faillite qui déménageaient à Anvers par actes notariés s'échalonnant à la minute près entre neuf heures du soir et minuit moins une. Il a aussi, il est vrai, rencontré des sociétés du Liechtenstein qui transféraient leur siège en Belgique pour y acquérir plus de respectabilité. Il faut donc que ces opérations de mobilité soient possibles, mais qu'elles soient encadrées.

Cet intéressant opuscule, issu d'une journée d'études, est destiné aux praticiens, mais n'est pas exempt de réflexions ou d'interrogations intéressantes pour une approche plus « scientifique ».

Marieke Wyckaert nous livre des réflexions introductives sur les sociétés en mouvement: quelle est la profondeur des eaux intérieures européennes?, non sans évoquer le risque - l'épouvantail? [1] - de la Delawarisation.

Hans De Wulf, avec la collaboration de Kristof Maresceau [2], nous parle des déplacements transfrontaliers du siège et de la liberté d'établissement pour les sociétés dans l'UE: qu'est-ce qui est permis et qu'est-ce qui n'est pas encore permis après les plus récents arrêts de la Cour de justice? Après une analyse de la jurisprudence de la Cour, ils s'interrogent avec justesse sur sa cohérence interdisciplinaire: développe-t-elle la même philosophie selon que la question relève du droit des sociétés, de l'insolvabilité ou des impôts?

Eric De Bie et Filip Jenné nous entretiennent du déplacement transfrontalier du siège en droit belge: où partir et où atterrir? Confrontés au silence du législateur, ils s'interrogent sur la procédure à suivre en droit des sociétés; après une analyse fouillée, ils concluent que le déplacement du siège s'apparente plus à une transformation qu'à une fusion transfrontalière. Cette démarche présente l'avantage d'offrir une solution raisonnée, là où beaucoup de praticiens se bornent à recommander d'essayer de décider si possible à l'unanimité, ce qui relève de l'aporie. Mais elle ne convainc pas, sinon de l'opportunité d'une intervention du législateur: à soutenir qu'une société anonyme française aurait une autre forme qu'une société anonyme belge, elle nie en définitive tout le processus d'harmonisation.

Luc De Broe nous livre une introduction à la problématique fiscale autour de la Corporate Mobility.

Steven Peeters nous parle des impôts à la sortie sur les sociétés émigrantes: un difficile équilibre après National Grid Indus. Il souligne que le Cour [3] permet à l'état d'émigration de prélever un intérêt sur l'impôt, ce qu'il critique [4]. Il conclut que la Cour renonce à garantir la neutralité lors de l'émigration, ce qui paraît commander l'intervention du législateur.

En permettant à l'état d'émigration de requérir des sûretés, nous nous demandons si la Cour a bien tiré toutes les conclusions de l'introduction de la directive sur l'assistance au recouvrement des créances fiscales [5].

Axel Haelterman nous parle - littéralement, car il s'agit d'une transcription - des règles fiscales belges en matière d'émigration et d'immigration de sociétés. Même si nos oeuvres nous dépassent, il connaît son sujet puisqu'il a écrit la loi, et expose volontiers les excellents principes qui l'ont guidé dans ce projet.

En conclusion, un ouvrage qui fait le point sur une problématique mouvante et à l'avenir incertain, mais qui n'a certes pas fini de faire parler d'elle.

Un ouvrage qui a sa place dans la bibliothèque de tout praticien et au coeur des préoccupations de tout théoricien.

[1] Ph. Malherbe et J.-M. Jonet, « Concurrence entre juridictions en droit américain des sociétés. Un regard européen sur le syndrome du Delaware », Rev.dr.intern.comp., 2003, pp. 141-232.
[2] Qui achevait à ce moment sa thèse sur le sujet Grensoverschrijdende mobiliteit van vennootschappen binnen de EU en regelgevende competitie op het vlak van het vennootschapsrecht, publiée en 2013.
[3] C.J.U.E. (gde ch.), 29 novembre 2011, C-371/10, National Grid Indus BV.
[4] A raison, ce que l'on vérifie immédiatement: en supposant que l'état d'émigration « E » et celui d'immigration « I » aient le même impôt, la plus-value totale subira en définitive l'impôt E augmenté des intérêts et additionné à l'impôt I, alors qu'en l'absence d'émigration le même total aurait été dû, mais sans intérêt. En outre, si l'état accorde un crédit d'impôt étranger, soit il refusera de créditer l'intérêt, soit il devra perdre une fraction de sa part légitime de l'impôt. La solution correcte consisterait à considérer que l'impôt E n'est pas exigible et donc ne saurait porter intérêts.
[5] Directive n° 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures.