Cour d'appel de Mons 3 février 2014
DROIT D'AUTEUR
Conditions de la protection du droit d'auteur - Oeuvre musicale - Contrefaçon (non) - Originalité - Doute raisonnable - Antériorité destructrice d'originalité - Charge de la preuve de l'originalité
Pour vérifier l'application de la protection des droits d'auteur à l'oeuvre prétendument plagiée, qualifiée « d'oeuvre première », la première question à se poser est celle de son originalité. L'originalité doit être marquée. L'adjectif marqué implique qu'après examen de l'originalité, si « un doute raisonnable » subsistait, la protection par le droit d'auteur devrait être écartée.
Les éléments repris ou copiés ne méritent une protection que si leur choix et leur combinaison sont suffisamment originaux en sorte que l'étendue de l'exclusivité dépend de l'originalité de l'oeuvre contrefaite, laquelle doit s'apprécier non pas au regard de l'oeuvre en tant que telle, mais des éléments repris.
Pour apprécier une contrefaçon entre deux chansons, la ressemblance doit s'apprécier de façon synthétique du point de vue de l'auditeur moyen et non du spécialiste, sans mettre l'accent sur les différences. Cette analyse synthétique se trouve en amont pour apprécier l'originalité, et en aval, pour juger la contrefaçon.
L'originalité peut être contestée par la preuve de la présence des éléments similaires dans des oeuvres antérieures, qualifiées de « destructrices d'originalité ». Dès lors que celui qui revendique la protection du droit d'auteur a décrit où réside l'originalité de son oeuvre prétendument contrefaite et que celui qui la conteste a prouvé l'existence de créations antérieures, il appartient au premier de réfuter ces antériorités.
En résumé, il ne peut y avoir contrefaçon que si la ressemblance porte sur des éléments suffisamment originaux de l'oeuvre première qui expriment une création intellectuelle propre à son auteur.
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AUTEURSRECHT
Beschermingsvoorwaarden auteursrecht - Originaliteit - Muziekwerk - Namaak (nee) - Redelijke twijfel - Originaliteitsschadelijke voorbekendheid - Bewijslast van de originaliteit
Om de toepassing van de auteursrechtelijke bescherming van een beweerdelijk geplagieerd werk, omschreven als “eerste werk”, te controleren, dient eerst de vraag naar de originaliteit ervan beantwoord worden. Originaliteit dient duidelijk aanwezig te zijn. Dit duidelijkheidsvereiste impliceert dat auteursrechtelijke bescherming moet worden uitgesloten, als er na het onderzoek naar de originaliteit “redelijke twijfel” over blijft.
Aan de overgenomen of gekopieerde elementen kan slechts dan bescherming worden toegekend als hun keuze en onderlinge combinatie voldoende origineel zijn, waardoor de mate van de exclusiviteit afhangt van de originaliteit van het nagemaakte werk, welke moet worden beoordeeld aan de hand van de overgenomen elementen eerder dan van het werk in zijn geheel.
Om namaak tussen twee liedjes te beoordelen moet de gelijkenis synthetisch worden beoordeeld vanuit het perspectief van de gemiddelde luisteraar en niet van de specialist, zonder daarbij de nadruk te leggen op de verschillen. Deze synthetische analyse gebeurt aan de ene kant ter beoordeling van de originaliteit en aan de andere kant ter beoordeling van de namaak.
De originaliteit kan worden aangevochten door het bewijs te leveren van de aanwezigheid van identieke elementen in oudere werken, die als “originaliteitsschadelijke voorbekendheden” worden gezien. Wanneer degene die de bescherming van het auteursrecht opeist, heeft omschreven waar de originaliteit van haar beweerdelijk nagemaakte werk ligt en wanneer de wederpartij in functie daarvan het bestaan van relevante eerdere werken heeft bewezen, moet de eerste deze voorbekendheden weerleggen.
Samenvattend gesteld kan er slechts dan namaak zijn als de gelijkenis voldoende op originele elementen van het oorspronkelijke werk teruggaat, die een eigen intellectuele schepping van de auteur uitmaken.
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Warner/Chappell Music Publishing Belgium SA, EMI Music Publishing Belgium SA, Sony/ATV Music Publishing Belgium BV / S.L. et S.A.
Siég.: C. Knoops, E. Mathieu et B. Inghels (conseillers) |
Pl.: Mes F. Brison, F. Lejeune et V.-V. Dehin, S. Ceulemans |
R.G. n° 2012/RG/933 |
La cour, après avoir délibéré, rend l'arrêt suivant:
Revu l'arrêt rendu le 5 décembre 2006 par la 9e chambre supplémentaire de cette cour, autrement composée, sous le n° 2006/RG/1, et la procédure y visée, lequel a, avant dire droit sur la recevabilité et le fondement des appels et des demandes nouvelles, ordonné la réouverture des débats;
Vu la réinscription de la cause au rôle sous le n° 2012/RG/933;
Vu les conclusions de synthèse et les dossiers de pièces des parties appelantes et intimées déposés au greffe;
Vu l'état de dépens des parties appelantes déposé à l'audience du 16 décembre 2013;
Entendu les conseils des parties en leurs plaidoiries à l'audience du 9 décembre 2013 à laquelle les débats ont été repris ab initio et à l'audience du 16 décembre 2013 à laquelle les débats ont été déclarés clos et la cause prise en délibéré.
I. | Objet des appels principal et incident et des demandes incidentes nouvelles |
Il convient de se référer à l'exposé détaillé de l'objet des appels principal et incident et des demandes incidentes nouvelles, tel que repris dans l'arrêt précité du 5 décembre 2006.
II. | Recevabilité des appels |
L'appel principal, régulier en la forme et introduit dans le délai légal à défaut de signification, est recevable.
Il en est de même de l'appel incident et des demandes incidentes nouvelles régulièrement formés par voie de conclusions.
III. | Faits et antécédents de procédure |
Le litige porte sur un plagiat musical que constituerait la chanson « Frozen » (enregistrée au « Copyright Office » des U.S.A. le 4 mai 1998), composée par Madonna et Patrick Leonard, compositeur américain, interprétée par Madonna, star américaine de la chanson de variété, et figurant sur son album « Ray of light », sorti en 1998.
S.A., compositeur, arrangeur et interprète, connu dans le monde du disco belge des années '70-'80, notamment pour sa participation au groupe les « Chocolat's » (produit par le tandem mouscronnois Marcel De Keukeleire-Jean Van Loo), et son éditrice, S.L. (M.P. Music), se plaignent de ce que la ligne mélodique de la chanson « Ma vie fout l'camp », composée selon eux à la fin des années '70, aurait été copiée.
Arrangée par Pascal Detoeuf, la mélodie de S.A. et le texte de Stéphane Dubois ont été enregistrés le 28 novembre 1991, dans une version « rock » au studio David à Mouscron, dans leur interprétation par le chanteur Fabrice Prevost.
Le texte seul avait été préalablement déposé par Stéphane Dubois à la SACEM le 27 mars 1981, mais enregistré le 27 octobre 1982.
Par contrat d'édition du 12 juillet 1993, les Editions M.P. Music ont obtenu « le droit d'édition à titre définitif, et pour tous les pays du monde, la propriété pleine entière et exclusive de l'oeuvre » « Ma vie fout l'camp », le titre (paroles et musique) étant déposé à la SABAM le 14 juillet 1993, sous le numéro 467.115, comme oeuvre musicale protégée.
Suite à la plainte déposée par M.P. Music, la SABAM a constaté, après analyse par la Commission d'admission et des déclarations le 19 novembre 1998, approuvée par décision de son conseil d'administration le 12 janvier 1999, que les deux premières mesures des oeuvres « Ma vie fout l'camp » et « Frozen », répétées quatre fois dans le couplet, étaient identiques et a soumis le cas à un comité d'experts qui a statué comme suit le 29 juillet 2002: « Les experts constatent une grande similitude entre les 4 premières mesures chantées des 2 oeuvres. Ces 4 mesures reviennent plusieurs fois dans les deux oeuvres. Dans les deux cas, cette mélodie est l'élément qui accroche davantage l'oreille. Dans les deux cas, l'harmonie se limite à un accord mineur tenu pendant 4 mesures. Mélodiquement et rythmiquement, les experts constatent une différence de notes sur le troisième temps de la première mesure. Le genre est différent (ballade pour 'Frozen' et rock plus rapide pour 'Ma vie fout l'camp'). On notera quelques différences d'accentuation mais globalement l'impression est celle d'une similitude flagrante pour le passage concerné. »
La SABAM a bloqué à titre conservatoire les droits perçus pour l'exploitation de « Frozen » en Belgique et averti l'ASCAP (son équivalent américain).
En l'absence d'accord amiable, S.A. et son éditrice, S.L., ont introduit, par deux exploits distincts du 3 février 2005, une action en cessation en matière de droits d'auteur devant monsieur le président du tribunal de première instance de Mons, siégeant comme en référé, poursuivant la cessation de la communication au public et de l'exploitation sous les formes commerciales habituelles sur le territoire belge de l'oeuvre « Frozen » en ce qu'elle porte atteinte à leurs droits exclusifs pécuniaires et moraux, à défaut d'avoir obtenu l'autorisation de reproduction.
Ils affirment que la chanson « Frozen » reproduit plusieurs éléments qui caractérisent l'originalité attachée à l'oeuvre première « Ma vie fout l'camp ».
Ils ont dirigé leur action contre les sociétés Warner, EMI et Sony, éditeurs musicaux de la chanson « Frozen » sur le territoire belge.
Ces sociétés ont formé, par conclusions, une demande reconventionnelle de dommages et intérêts de 25.000 EUR pour action téméraire et vexatoire et sollicité, à titre subsidiaire, une expertise judiciaire.
Le jugement entrepris, rendu le 18 novembre 2005, après avoir dit pour droit que la mélodie soutenant la chanson « Frozen » constitue un plagiat de celle soutenant la chanson « Ma vie fout l'camp », dit la demande principale recevable et en grande partie fondée en application de la loi du 30 juin 1994 sur les droits d'auteur, ordonne des mesures de cessation sous astreinte et dit la demande reconventionnelle recevable, mais non fondée.
Les sociétés Warner, EMI et Sony ont interjeté appel par requête du 30 décembre 2005.
Par arrêt du 5 décembre 2006, cette cour, autrement composée, a ordonné la réouverture des débats et réservé à statuer dans l'attente de l'issue d'une nouvelle action en cessation du chef de plagiat d'une chanson « Bloodnight » (1982), introduite devant le tribunal de grande instance de Paris par citation du 20 octobre 2006 à la requête d'un sieur Edouard Scotto Di Suoccio, compositeur, et des sociétés Tabata Music et Atoll Music, contre les parties appelantes et intimées, revendiquant l'originalité et l'antériorité de cette chanson sur les oeuvres en cause dans le présent litige.
Par jugement du 29 mai 2009, le tribunal de grande instance de Paris a désigné le musicologue Gérard Spiers en qualité d'expert judiciaire.
Par jugement (définitif et non frappé d'appel) rendu le 6 janvier 2012, le tribunal français a débouté le sieur Scotto Di Suoccio et ses éditeurs musicaux de leur action, estimant la contrefaçon non caractérisée en fonction des divergences de métrique et du défaut d'originalité de la suite litigieuse des 5 notes communes entre les oeuvres.
Les parties ont alors fait refixer la présente cause pour plaidoirie.
IV. | Discussion |
1. | Principes |
L'article 1er de la loi du 30 juin 1994 sur les droits d'auteur précise que « l'auteur d'une oeuvre littéraire ou artistique a seul le droit de la reproduire ou d'en autoriser la reproduction, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit, qu'elle soit directe ou indirecte, provisoire ou permanente, en tout ou en partie ».
Pour vérifier l'application de la protection des droits d'auteur à l'oeuvre prétendument plagiée, qualifiée d'« oeuvre première », la première question à se poser est celle de son originalité.
Suivant la doctrine et la jurisprudence, c'est au regard de l'originalité que doit s'apprécier la contrefaçon.
En amont, l'oeuvre première doit constituer une création intellectuelle propre à son auteur, expression originale de sa liberté créatrice, portant l'empreinte de sa personnalité (C.J.C.E., 16 juillet 2009, C-5/08, Infopaq, A&M, 2009, pp. 521-525; B. Michaux, « L'originalité en droit d'auteur, une notion davantage communautaire après l'arrêt Infopaq », A&M, 2009/5, pp. 481-482).
En aval, lorsqu'il y a une véritable création, la liberté de créer du créateur second entre en jeu pour tempérer les prétentions parfois démesurées du premier créateur.
L'originalité doit être marquée.
La doctrine relève que la Cour de justice Benelux, dans son arrêt du 22 mai 1987, a précisé que l'adjectif « marqué » impliquait qu'après examen de l'originalité, si un « doute raisonnable » subsistait, la protection par le droit d'auteur devait être écartée (F. De Visscher et B. Michaux, Précis du droit d'auteur et des droits voisins, Bruylant, 2000, p. 185).
Par ailleurs, il faut retenir que l'originalité ne se confond pas avec la nouveauté, que la beauté ou le succès commercial importent peu et que la combinaison d'éléments banals peut être originale.
En effet, l'originalité de l'oeuvre peut résider dans la combinaison de ses différents éléments constitutifs qui, pris individuellement, sont dépourvus d'originalité.
La conception la plus exigeante de l'originalité, conforme au droit européen, s'impose au juge national.
S'agissant de l'originalité résultant de la combinaison d'éléments en cas de reproduction partielle, l'arrêt Infopaq précité a précisé que les parties de l'oeuvre bénéficient de la protection « à condition qu'elles contiennent certains des éléments qui sont l'expression de la création intellectuelle propre à l'auteur de cette oeuvre » (point 39) et que « la reprise d'un extrait d'une oeuvre protégée (...) est susceptible de constituer une reproduction partielle (...) si un tel extrait contient un élément de l'oeuvre qui, en tant que tel, exprime la création intellectuelle propre à l'auteur » (point 48).
Cet arrêt indique que l'originalité, qui peut porter sur une combinaison d'éléments connus, s'apprécie différemment selon le genre de l'oeuvre.
D'autres décisions européennes récentes précisent la notion d'originalité faisant référence à la « touche personnelle » de l'auteur (C.J.U.E., 1er décembre 2011, C-145/10, Painer, A&M, 2012, pp. 322-330) et à ses « choix libres et créatifs » (C.J.U.E., 22 décembre 2010, C-393/09, BSA, A&M, 2011, pp. 324-327; C.J.U.E., 4 octobre 2011, C-403/08, Premier League; C.J.U.E., 1er mars 2012, C-604/10, Football Dataco, A&M, 2012, pp. 331-336).
La doctrine déduit de ces arrêts que « l'empreinte de la personnalité de l'auteur est et reste l'élément central, caractérisant l'originalité de la création. La Cour de justice ne se borne pas à examiner si l'oeuvre litigieuse est une création intellectuelle propre à l'auteur. Elle va plus loin. Elle recherche les éléments originaux qui marquent l'oeuvre litigieuse de la personnalité de l'auteur » (A. Joachimowicz, obs. sous Cass. 26 janvier 2012, J.L.M.B., 2012/21, p. 984).
Par un récent arrêt isolé (Cass., 26 janvier 2012, A&M, 2012/4, 336), la Cour de cassation belge, revenant sur sa jurisprudence antérieure, semble avoir adopté une position contraire à la jurisprudence européenne, estimant qu'« il n'est pas requis que l'oeuvre porte l'empreinte de la personnalité de l'auteur », ce que la doctrine qualifie de « faux pas », la définition communautaire du critère d'originalité s'imposant au juge national (B. Michaux, « La notion d'originalité en droit d'auteur: une harmonisation communautaire en marche accélérée », R.D.C., 2012/6, pp. 599-601).
Les éléments repris ou copiés ne méritent une protection que si leur choix et leur combinaison sont suffisamment originaux en sorte que l'étendue de l'exclusivité dépend de l'originalité de l'oeuvre contrefaite, laquelle doit s'apprécier non pas au regard de l'oeuvre en tant que telle, mais des éléments repris.
En matière de droits d'auteur, la contrefaçon ne requiert pas un risque de confusion, mais il faut, condition nécessaire mais non suffisante, une similarité substantielle entre les deux créations.
La composition musicale, qui utilise un vocabulaire musical limité, le nombre de notes n'étant que de 7, se compose de la mélodie, de l'harmonie et du rythme.
Seule la mélodie, création de forme par excellence, est appropriable en elle-même, tandis que l'harmonie et le rythme ne peuvent être protégés qu'appliqués à une mélodie (H. Desbois, Le droit d'auteur en France, Paris, Dalloz, 1976, p. 139, n° 109).
La ressemblance doit s'apprécier de façon synthétique, du point de vue de l'auditeur moyen, non du spécialiste, sans mettre l'accent sur les différences.
Cette analyse synthétique se retrouve en amont, pour apprécier l'originalité, et en aval, pour juger la contrefaçon.
Cette règle impose une concordance entre l'étendue de l'originalité et l'étendue de la protection.
Cette méthode est décrite comme suit: « S'agissant du droit d'auteur (...), il faudra donc apprécier si des similarités substantielles existent ou, plus exactement, s'il y a une reprise ou utilisation par le défendeur des éléments protégés de l'oeuvre. Avant de répondre à cette question, il faut donc délimiter avec soin ce qui constitue une expression originale dans l'oeuvre du demandeur. Ce travail d'analyse obligera le juge à exclure ce qui relève des idées (thèses, procédures, méthodes, etc.) ainsi que ce qui est purement factuel (informations brutes). Il faudra aussi que le juge apprécie l'originalité par des éléments repris à l'oeuvre du demandeur. Souvent l'évaluation de l'originalité recoupera l'exercice consistant à départager l'expression protégée des idées et faits non protégés. Il est rare que de pures idées soient originales et impossible que de simples faits le soient. Le tri devra le cas échéant être fait en distinguant les différents éléments ou composantes de l'oeuvre. Ainsi, devra-t-on analyser la composition ou la structure de l'oeuvre, qui peuvent être protégés, tout comme l'habillage final de l'oeuvre dans une forme d'expression » (A. Strowel, « La contrefaçon en droit d'auteur: conditions et preuve ou pas de contrefaçon sans 'plagiat' », A&M, 3/2006, p. 267).
En aval, pour apprécier une contrefaçon entre deux chansons, il convient de se référer aux similitudes existant entre les deux oeuvres, plutôt qu'à leurs différences.
L'originalité peut être contestée par la preuve de la présence des éléments similaires dans des oeuvres antérieures, qualifiées de « destructrices d'originalité ».
Suivant la doctrine, « En synthèse, il est permis d'affirmer que sur le plan de la preuve, il faut mais il suffit qu'au départ, l'auteur présumé identifie ses choix libres et créatifs, et qu'il les rende vraisemblables. En vertu de son obligation de contribuer à l'administration de la preuve, le défendeur devra ensuite, pour contester avec succès l'originalité apparente, produire des éléments de nature à contredire la liberté ou la créativité des choix, par exemple à l'aide d'antériorités. L'étape suivante, s'il doit y en avoir une, consisterait pour l'auteur présumé à réfuter ces derniers éléments de manière motivée. » (B. Michaux, « Le juge national et l'originalité en droit d'auteur après l'arrêt Infopaq », A&M, 2013/2, p. 93).
Dès lors que celui qui revendique la protection du droit d'auteur a décrit où réside l'originalité de son oeuvre prétendument contrefaite et que celui qui la conteste a prouvé l'existence de créations antérieures, il appartient au premier de réfuter ces antériorités.
En résumé, il ne peut y avoir contrefaçon que si la ressemblance porte sur des éléments suffisamment originaux de l'oeuvre première qui expriment une création intellectuelle propre à son auteur.
2. | Application |
Il ne peut être raisonnablement contesté que la chanson « Ma vie fout l'camp », composée par S.A., est en soi une création originale, empreinte de la personnalité de son compositeur, et mérite protection dans son ensemble.
Encore faut-il vérifier l'étendue de cette protection en fonction des éléments précis d'originalité revendiqués par S.A.
En effet, le plagiat musical reproché ne concerne pas l'ensemble de la chanson, mais seulement quelques mesures, et plus particulièrement les deux premières mesures du premier couplet chanté « 3.3.3. 2.2.2. 1.7.1 », répétées à deux reprises, qui se retrouvent dans la chanson « Frozen » de Madonna, sous une forme comparable (mais avec une note en plus, dix au lieu de neuf, 3.3.3.2 222 1.7.1) et selon une structure similaire (mais avec un couplet en plus, trois au lieu de deux).
La cour n'est pas tenue par l'opinion, qui n'a aucune valeur contraignante, émise par la SABAM laissant le soin aux tribunaux de se prononcer sur l'existence d'une contrefaçon (voir en ce sens l'arrêt Eminem, Bruxelles (9e ch.), 6 décembre 2007, Ing.-Cons., 2008/1, p. 29, n° 10).
Il convient de vérifier si les éléments repris sont l'expression de la création intellectuelle propre à leur auteur.
Les mesures litigieuses sont en soi relativement banales et il a pu être démontré par les appelantes que ces lignes mélodiques - 3.2.1.7.1 - se retrouvent dans de nombreuses autres oeuvres antérieures.
La plupart des experts consultés (Anthony Ricigliano, Gérard Spiers, Lawrence Ferrara et Paul-Baudouin Michel) sont d'accord pour considérer que les mesures de la chanson « Ma vie fout l'camp » se retrouvant dans « Frozen » ne présentent pas une originalité suffisante, susceptible de bénéficier d'une protection.
Il a été jugé par le tribunal de grande instance de Paris le 6 janvier 2012 que ce passage relativement courant, utilisé sous une forme plus ou moins dépouillée, qui se retrouve également dans l'oeuvre musicale « Bloodnight » créée en 1982, n'est pas en tant que tel susceptible d'appropriation, ce qui ne remet pas en cause l'originalité de l'oeuvre dans son ensemble.
La question soumise au tribunal français était celle de la contrefaçon reprochée aux parties appelantes et intimées par l'auteur de l'oeuvre musicale « Bloodnight » créée en 1982.
Elle portait sur les mêmes mesures litigieuses, répétées à diverses reprises.
L'expertise judiciaire ordonnée par ce tribunal et confiée au musicologue Gérard Spiers a permis de démontrer le caractère original des trois oeuvres dans leur ensemble, ainsi que l'existence de similitudes, sans cependant que la juridiction française ne décide que la contrefaçon de l'oeuvre « Bloodnight » était établie.
La question de la contrefaçon de l'oeuvre « Ma vie fout l'camp » par l'oeuvre « Frozen » n'a donc pas été tranchée et reste à examiner, sans qu'aucun aveu judiciaire ne puisse être tiré de l'attitude de S.A. qui, dans le cadre du litige français où il avait la qualité de défendeur, contestait l'originalité de l'oeuvre « Bloodnight », et non celle de sa propre chanson.
L'expert mandaté par les intimés, Daniel Capelletti, considère que des éléments qui présentent, isolément, un caractère banal, peuvent devenir originaux lorsqu'ils se retrouvent regroupés et deviennent dès lors susceptibles de contrefaçon.
Cette théorie peut être acceptée, mais doit être justifiée en l'espèce.
La cour ne peut que constater que les similitudes rencontrées entre les oeuvres « Frozen » et « Ma vie fout l'camp », à savoir les quelques mesures, certes pratiquement identiques (mais avec une note en plus) et répétées à plusieurs reprises (mais avec une répétition en plus), qui accrochent l'oreille, se retrouvent dans de nombreuses oeuvres antérieures à la chanson composée par S.A.
Outre les oeuvres de musique classique ou les chansons anciennes et folkloriques tombées dans le domaine public, on retrouve des antériorités plus récentes, notamment des chansons de variété, blues ou rock.
Contrairement à ce qu'a estimé en 2005 le premier juge, qui ne disposait à l'époque que des seuls premiers rapports de l'expert Ricigliano et s'est fondé uniquement sur neuf antériorités - les neuf mélodies de comparaison citées dans le rapport du 23 juin 2005 -, la cour a constaté que d'autres antériorités relevées présentent également un caractère très proche de la chanson « Ma vie fout l'camp » et une similarité à l'audition qui peut être aisément perçue par une oreille non avertie, sans procéder à une savante analyse, et ce de manière particulièrement flagrante pour les titres « The Nights The Lights Went Out in Georgia » (Bobby Russell, 1972) et « Livin'On A Prayer » (John Bon Jovi, 1986).
Confrontées à ces antériorités destructrices d'originalité, il appartient aux intimés de prouver que, malgré cet emprunt apparent, l'originalité de la chanson « Ma vie fout l'camp », et plus particulièrement des mesures litigieuses reprises dans la chanson « Frozen », n'est pas restreinte ou compromise par les éléments antérieurs.
Leur expert, Daniel Capelletti, affirme de manière péremptoire, mais sans le démontrer, dans son dernier rapport du 13 avril 2013, que « toutes les antériorités relevées par les experts n'atteignent jamais le même quota de points objectifs de démonstration de similitude », et estime qu'il n'existe aucune similarité à l'audition entre les antériorités et la chanson « Ma vie fout l'camp » (voir pièces 3.1.1 et 3.2.7 annexe 1 du dossier des intimés), avant de procéder exclusivement à une comparaison entre « Frozen » et « Ma vie fout l'camp ».
Cette analyse n'est pas partagée par la cour qui décèle, à l'oreille, aux termes d'une première écoute, une similarité manifeste de « Ma vie fout l'camp » avec les chansons « The Nights The Lights Went Out in Georgia » (antériorité n° 2 du premier rapport Ricigliano) et « Livin'On A Prayer » (antériorité du rapport Ferrara), ces similarités s'accentuant lors d'auditions répétées.
Les intimés critiquent le fait que certaines antériorités invoquées seraient postérieures à la création de « Ma vie fout l'camp » (officiellement déposée en 1993, mais composée selon eux à la fin des années '70).
Cette critique doit être écartée.
D'une part, la date exacte de création de « Ma vie fout l'camp » n'est pas établie de manière certaine.
D'autre part, il est admis que, pour démontrer le manque d'originalité d'une oeuvre, notamment en raison de son caractère banal, des oeuvres postérieures peuvent également être prises en compte.
Le doute subsiste quant à la marque de l'originalité des mesures litigieuses dont les intimés ne parviennent pas à apporter la preuve, leur répétition à diverses reprises sous forme de début de couplet dans le cadre d'une structure commune à de nombreuses chansons populaires n'étant pas significative.
Il s'en déduit que ces mesures, leur combinaison et leur répétition ne portent pas suffisamment la touche personnelle de S.A. pour présenter l'originalité requise pour être protégées par le droit d'auteur.
La partie de la ligne mélodique de « Ma vie fout l'camp » se retrouvant dans « Frozen » ne présente pas une originalité suffisamment marquée pour justifier cette protection.
Partant, les extraits litigieux de « Frozen » ne constituent pas une reproduction illégale des extraits litigieux de la chanson « Ma vie fout l'camp » et la contrefaçon n'est pas établie.
Dans cette mesure, l'appel doit être déclaré fondé.
Par conséquent, toutes les considérations relatives au contexte de la création de la chanson « Ma vie fout l'camp » et au séjour de Madonna dans le Nord de la France ou en Belgique à la fin des années '70 (dont la star affirme n'avoir conservé aucun souvenir - pièce I/17 du dossier des appelantes) ne doivent pas être rencontrées dans le cadre du présent litige.
3. | Dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire |
Les appelantes ne démontrent pas que S.A. et son éditrice ont exercé leur droit d'agir en justice d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente (voir Cass., 31 octobre 2003, J.T., 2004, p. 135 et note J.F. Van Drooghenbroeck).
Les intimés ont pu légitimement se méprendre sur la portée de leurs droits au regard des similitudes existant entre les deux chansons, de la position adoptée par les experts de la SABAM et du long silence des appelantes, bien qu'en définitive la contrefaçon n'ait pu être établie.
Les intimés n'ont nullement abusé de leur droit d'agir en défendant une thèse non dénuée de pertinence, fût-elle jugée non fondée en degré d'appel.
Partant, l'appel doit être déclaré non fondé sur ce point.
4. | Appel incident et demandes incidentes nouvelles |
La contrefaçon n'étant pas établie, l'appel incident et les demandes incidentes nouvelles doivent être déclarés non fondés.
5. | Dépens |
Il convient de condamner S.L. et S.A., parties succombantes, aux dépens des deux instances.
Les appelantes sollicitent la taxation de leurs dépens pour chaque instance au montant maximal de l'indemnité de procédure applicable pour les affaires non évaluables en argent, soit 11.000 EUR.
La première instance s'est terminée par un jugement définitif rendu le 18 novembre 2005, soit avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des honoraires et frais d'avocat (1er janvier 2008).
L'article 13 de cette loi prévoit que ses dispositions sont applicables aux affaires en cours au moment de son entrée en vigueur.
L'article 1er, alinéa 2, de l'arrêté royal du 26 octobre 2007 précise toutefois que les montants de l'indemnité de procédure sont fixés par instance.
Aucune demande d'indemnisation pour les frais et honoraires d'avocat n'avait été formulée en première instance.
Partant, l'indemnité de procédure de première instance doit être limitée au montant en vigueur à l'époque de 237,98 EUR, tel que fixé par le premier juge.
Quant à l'indemnité de procédure d'appel, il ne se justifie pas de s'écarter du montant de base, le caractère manifestement déraisonnable de la situation n'étant pas démontré, notamment en raison de la position prise par la SABAM, et le litige ne présentant pas une complexité particulière pour la matière des droits d'auteur.
En effet, les appelantes justifient cette complexité par l'intervention de quatre experts et leurs multiples rapports, alors qu'elles l'ont elles-mêmes créée en choisissant de recourir unilatéralement à trois experts différents, sans qu'aucune expertise judiciaire n'ait été ordonnée.
Partant l'indemnité de procédure d'appel doit être limitée au montant de base de 1.320 EUR.
Par ces motifs
La cour,
Statuant contradictoirement,
Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 dont il a été fait application,
Reçoit l'appel principal,
Dit l'appel incident et les demandes incidentes nouvelles recevables, mais non fondées;
Dit l'appel principal fondé dans la mesure précisée ci-après;
Met à néant le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a déclaré la demande principale recevable et la demande reconventionnelle recevable, mais non fondée;
Réformant pour le surplus;
Dit la demande principale originaire non fondée;
En déboute S.L. et S.A.;
Les condamne aux dépens des deux instances des appelantes, ramenés à la somme de 1.557,98 EUR, et leur délaisse leurs propres dépens.
(...)