Cour d'appel de Bruxelles 28 juin 2013
DROIT INTERNATIONAL PUBLIC
Etat - Souveraineté - Immunité des Etats - Immunité d'exécution
DROITS DE L'HOMME - CEDH
Droits et libertés - Procès équitable (art. 6) - Droit à l'exécution des décisions de justice
L'immunité d'exécution d'un Etat étranger n'est pas contraire au droit à un procès équitable dès lors qu'il subsiste des possibilités d'exécution, notamment sur des biens affectés à des fins civiles ou commerciales en Belgique ou ailleurs.
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VOLKENRECHT
Staat - Soevereiniteit - Immuniteit van Staat - Uitvoeringsimmuniteit
MENSENRECHTEN - EVRM
Rechten en vrijheden - Eerlijk proces (art. 6) - Recht op tenuitvoerlegging van justitiële beslissingen
De uitvoeringsimmuniteit van een vreemde Staat schendt het recht op een eerlijk proces niet wanneer er mogelijkheden tot tenuitvoerlegging overblijven, met name op goederen die bestemd zijn voor burgerlijke of handelsdoeleinden in België of elders.
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La Société NML Capital Ltd / La République d'Argentine
Siég.: Degreef, Fiasse et Magerman (conseillers) |
Pl.: Mes F. Mourlon Beernaert, P. Sobrana Gennari Curlo, Th. Hudsyn et L. Ruzette, J.-L. Joris, E. Hupin |
(...)
2. Quant au droit d'accès à la justice et au procès équitable en vertu de l'article 6 CEDH.
L'application de l'article 6 CEDH qui consacre le droit d'accès à la justice et au procès équitable et s'applique aux personnes morales (dans ce sens: Civ. Bruxelles, 4 mars 2003, J.T., 2003, 684), en matière d'immunité de juridiction et d'exécution implique qu'il y a lieu d'apprécier l'immunité revendiquée par un Etat en examinant la compatibilité de cette immunité avec l'article 6 CEDH.
Par son arrêt du 4 mars 2003 la cour d'appel de céans a jugé que l'article 6 CEDH est applicable aux cas d'immunité d'exécution: « En cas de conflit entre une norme de la CEDH ayant des effets directs dans l'ordre interne et une norme interne, le juge doit donner la primauté à la norme du traité, même si la norme interne lui est postérieure. (...) la Cour (européenne) a décidé à maintes reprises que le droit à un tribunal serait illusoire si l'ordre juridique interne d'un Etat contractant permettait qu'une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d'une partie. L'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du 'procès' au sens de l'article 6 de la C.E.D.H. (Cour eur. D.H., 28 juillet 1999, Immobilière Saffi / Italie, Rec., 1999; Cour eur. D.H., 19 mars 1997, Homsby / Grèce, Rec., 1997, II, p. 510, par. 40).
(...) pour déterminer si une immunité est admissible au regard de la convention, il importe d'examiner si les requérants disposent d'autres voies raisonnables pour protéger efficacement leurs droits garantis par la convention (arrêt Waine et Kennedy / Allemagne, 18 février 1999, Rev. trim. dr. h., 2000, p. 77). » (Bruxelles, 4 mars 2003, J.T., 2003, 684.)
Le pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt a été rejeté: Cass., 21 décembre 2009, J.T., 2010, 129.
Dans cet arrêt la Cour de cassation a décidé: « S'il est vrai que des mesures qui reflètent des principes de droit international généralement reconnus en matière d'immunité des organisations internationales ne peuvent, de façon générale, être considérées comme une restriction disproportionnée au droit d'accès à un tribunal tel que consacre l'article 6, 1., de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il demeure que la question de la proportionnalité doit être appréciée en chaque cas à la lumière des circonstances particulières de l'espèce. Pour déterminer si l'atteinte portée aux droits fondamentaux est admissible au regard de l'article 6, 1., il importe d'examiner, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, si la personne contre laquelle l'immunité d'exécution est invoquée dispose d'autres voies raisonnables pour protéger efficacement les droits que lui garantit la convention.
Par les motifs vainement critiqués par la première branche du moyen, l'arrêt considère que « rien n'indique qu'il existerait des règles alternatives à l'immunité d'exécution dont bénéficie le demandeur, offrant des voies de recours en cas d'inexécution par celui-ci des décisions prises à son encontre.
Dès lors qu'il constate que la défenderesse était privée pour faire valoir ses droits de toute voie de droit effective autre que la saisie litigieuse, l'arrêt, sans avoir à exercer quelque autre contrôle de proportionnalité, justifie légalement sa décision d'écarter l'immunité invoquée par le demandeur ».
Voir également: Civ. Bruxelles (sais.), 28 mars 2011, J.T., 2011, pp. 398 et s.
Selon NML Capital le respect du droit de NML Capital au procès équitable tel qu'il découle de l'article 6 CEDH commande que l'immunité prétendue qui couvrirait les comptes bancaires des ambassades de la République d'Argentine soit écartée.
La République d'Argentine réplique que l'immunité dont bénéficient les comptes bancaires de l'Ambassade et de la Mission poursuit un but légitime et est proportionnée de sorte qu'elle ne se heurte pas à l'article 6 CEDH et que la Cour de cassation a considéré que l'immunité dont bénéficient les comptes bancaires de l'Ambassade et de la Mission ne viole par l'article 6 CEDH.
La cour constate qu'en l'espèce NML Capital a développé de très nombreux efforts en vue d'obtenir le paiement de sa créance en sollicitant d'autoriser des mesures de saisie en en pratiquant des saisies visant les avoirs de la République d'Argentine sous les formes les plus diverses et détenus à des endroits divers, ainsi:
(1) aux Etats-Unis d'Amérique
- des obligations offertes lors d'une offre publique d'échange organisée par la République d'Argentine ;
- les avoirs de la Banco Central de la Republica Argentina (BCRA) détenus à la Federal Reserve Bank de New York (FRBNY) ;
- le compte trust de la Banco Hipotecario ;
- le compte de nantissement d'actifs de la 'Banco de la Nacion Argentina' (BNA) ;
- le compte de l'Instituto Nacional de TecnologiaAgropecuaria (INTA) ;
- le compte de Agencia Nacional de Promocion Cientifica y Tecnologia (ANPCT) ;
- les fonds de pensions argentins nationalisés ;
- la SA Energia Argentina ;
- l'Empresa Argentina de Soluciones Satelitales SA ;
- certains biens immobiliers dans le district de Colombia ;
- la Comision Nacional de Actividades Espaciales (CONAE),
(2) au Ghana
- le navire Ara Libertad,
(3) en Suisse
- des fonds détenus par la BCRa à la Banque des règlements internationaux à Bâle (Suisse) ;
- des comptes bancaires en Suisse,
(4) en France
- les avoirs argentins entre les mains de Total Austrial SA ;
- les avoirs argentins entre les mains de la BNP Paribas SA ;
- les avoirs de Aerolineas Argentinas entre les mains de la HSBC ;
- les avoirs argentins et de ses 'alter ego' entre les mains de Air France ;
- les avoirs de la Provincia del Chubut entre les mains de la Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (BBVA) ;
- les comptes de l'Ambassade à la BBVA,
(5) en Belgique
- les saisies pratiquées en 2009 et en 2011.
La contestation de ces mesures d'exécution a dans la plupart des cas mené à des procédures en justice qui, à des exceptions près, ont abouti à un échec pour le saisissant.
Face aux difficultés multiples que NML Capital rencontre lors de ses tentatives d'obtenir le règlement de sa créance il apparaît que la République d'Argentine n'a à ce jour fait aucune proposition concrète de paiement afin de pouvoir désintéresser son créancier ni même une proposition de cantonnement.
Il convient d'examiner si en l'espèce l'immunité d'exécution dont se prévaut la République d'Argentine pour obtenir la mainlevée des mesures d'exécution contestées doit être considérée comme une des limitations auxquelles se prête l'article 6 CDEH qui n'est pas de nature à restreindre l'accès à la justice.
La cour relève d'abord que l'immunité dont bénéficient les comptes bancaires d'ambassades et de missions diplomatiques qui ne sont pas affectés à l'activité commerciale ou économique relevant du droit privé poursuit un but légitime dès lors qu'elle permet et renforce les relations entre les Etats souverains (en vertu de la règle coutumière internationale « ne impediatur legatio ») par l'accomplissement des fonctions diplomatiques.
L'inviolabilité des comptes bancaires d'une ambassade ou mission diplomatique ne concerne que les comptes destinés et/ou utilisés aux fins de cette mission.
Quant à l'exigence de la proportionnalité, la cour considère que l'immunité invoquée répond à ce critère si:
- elle est conforme au droit international ;
- la personne contre laquelle cette immunité est invoquée dispose d'autres voies raisonnables pour protéger efficacement les droits que lui garantit la CEDH.
La conformité au droit international relatif aux immunités n'est pas contestée.
NML Capital fonde sa thèse sur le deuxième critère, à savoir l'impossibilité d'obtenir le paiement de sa créance.
Contrairement à ce que prétend la République d'Argentine, il n'y a pas lieu de réserver l'application de ce critère uniquement aux immunités dont bénéficient les organisations internationales. Ce n'est pas parce que l'immunité d'un Etat couvre uniquement les biens nécessaires aux fonctions « iure imperii » de cet Etat, que le critère d'autres voies raisonnables d'exécution ne pourrait être retenu pour déterminer si une immunité est proportionnée.
Il est exact que NML Capital a rencontré des difficultés pour obtenir le paiement de sa créance sur la base d'un titre exécutoire régulier rendu il y a plus de 6 ans (voir plus haut) et s'est vu confrontée au refus persistant de la République d'Argentine d'exécuter les condamnations prononcées contre elle par les cours et tribunaux dans différents pays tel qu'il ressort des décisions et/ou observations suivantes:
- l'ordonnance rendue par le « United States District Court for the Southern District of New York » du 12 septembre 2008 (pièce 48 du dossier de NML Capital);
- les déclarations du juge Thomas P. Griesa du tribunal fédéral du district sud de New York - Etats-Unis du 25 mars 2005 et du 12 janvier 2006;
- la sentence arbitrale du 7 août 2009 (pièce 54 du dossier de NML Capital) lue ensemble avec la conclusion du Comité ad hoc du 29 juin 2010 (pièce 27 du dossier de NML Capital),
l'immunité d'exécution dont se prévaut la République d'Argentine constitue une restriction importante au regard de la CEDH.
Il n'en découle cependant pas que l'article 6 CEDH soit violé.
Le fait que NML Capital a pu saisir en 2007 le compte trust de la Banco Hipotecario et qu'à la suite de cette saisie un chèque de 270.866,67 USD a été émis à l'ordre de NML Capital, montant correspondant à sa part dans l'actif du trust soutient cette conclusion.
Même si les efforts et moyens financiers considérables que NML Capital a dû exposer n'ont permis d'obtenir que le paiement de ce montant d'environ 270.000 USD ainsi que d'un autre montant saisi auprès de la BNA comme l'ont affirmé les conseils de NML Capital à l'audience du 17 juin 2013, et que ces deux montants ne représentent ensemble que 0,06% de la créance, alors que le principal de la dette de la République d'Argentine s'élève à 284.184.632,30 USD à majorer des intérêts que NML Capital évalue à 98.277.334,84 EUR au 14 février 2013, il subsiste néanmoins des possibilités d'exécution d'autant plus que la République d'Argentine dispose de moyens suffisants pour honorer ses dettes: voir à ce sujet la présentation de la République d'Argentine dans les conclusions de NML Capital, pp. 8-9, conclusions non contredites sur ce point.
Quant au compte de l'ANPCT, il n'est pas contesté qu'il a été jugé que le montant correspondant à la moitié de ce compte revient à NML Capital, décision obtenue suite à une procédure que la République d'Argentine a perdue tant en degré d'appel que devant la Cour Suprême des Etats-Unis, et que ce compte contient suivant l'information de NML Capital (voir ses conclusions, p. 38) un solde créditeur de 3.260.000 USD.
A l'audience de plaidoirie NML Capital a affirmé avoir reçu le paiement des sommes auxquelles elle a droit, ce qui soutient le principe que son droit d'accès à la justice a manifestement été respecté.
Il convient en outre de rappeler que l'immunité invoquée ici ne concerne que les biens affectés à l'exercice de la mission diplomatique en Belgique et qu'elle ne prive pas NML Capital d'exécuter sur des biens affectés à des fins civiles ou commerciales (« iure gestionis ») en Belgique ou ailleurs.
Compte tenu de l'immunité dont bénéficie la République d'Argentine, NML Capital n'a d'autre choix que de procéder - dans la mesure du possible - à un examen préalable des possibilités réelles de saisie avant de prendre des mesures d'exécution afin d'éviter des démarches infructueuses.
Finalement la cour relève que:
- la discussion entre les parties sur la question de savoir si la Cour de cassation s'est prononcée sur la question du respect de l'article 6 CEDH dans son arrêt du 22 novembre 2012 est sans incidence, dans la mesure où cet arrêt ne lie pas la cour dans le cadre du litige actuel;
- la décision de la Cour de cassation ne contient aucune considération ni décision à ce sujet puisque les moyens de cassation ne portent pas sur cette question. Le fait que dans son mémoire en réponse NML Capital a développé son argumentation en ce qui concerne la violation de l'article 6 CEDH ne signifie pas que la Cour de cassation s'est prononcée quant à ce.
Il découle de ce qui précède que le critère de la proportionnalité est respecté.
3. Quant à la renonciation à l'immunité d'exécution.
NML Capital ne conteste pas que les Etats bénéficient d'une immunité d'exécution.
L'immunité d'exécution signifie « qu'aucune mesure de contrainte ne peut être mise en oeuvre contre un Etat étranger qui ne peut dès lors être l'objet d'aucune saisie conservatoire ou exécutoire » (conclusions du procureur-général J.F. Leclercq précédant l'arrêt du 22 novembre 2012).
Selon NML Capital:
1) la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 ne vise pas les comptes bancaires, comptes-titres ou autres avoirs en banque. Cette thèse peut être suivie: la convention ne comporte aucune disposition concernant les mesures d'exécution qui peuvent être exercées sur les comptes bancaires d'une mission diplomatique (voir dans le même sens: J. Verhoeven, « La jurisprudence belge et le droit international de l'immunité d'exécution », in Mélanges offerts à Jacques Van Compernolle, 2004, 882; P. D'Argent, « La jurisprudence relative au droit international public », R.B.D.I., 2003, 610).
2) la doctrine et jurisprudence belge s'accordent sur le point que la Convention de Vienne ne crée pas une immunité diplomatique distincte s'appliquant aux comptes d'ambassades de l'immunité générale dont bénéficient les Etats.
Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2012 par lequel la Cour consacre sans ambiguïté qu'en vertu de la règle coutumière internationale ne impediatur legatio suivant laquelle le fonctionnement de la mission diplomatique ne peut être entravé, l'ensemble des biens de cette mission qui servent à son fonctionnement bénéficie d'une immunité d'exécution autonome, se superposant à celle de l'Etat accréditant, cet argument ne convainc pas.
3) ni la Convention de Vienne de 1961 ni aucune autre convention en vigueur ne crée une immunité spécifique s'appliquant aux comptes d'une ambassade.
Le fait que ni la Convention de Vienne ni d'autres conventions en vigueur ne visent explicitement les comptes bancaires des missions diplomatiques et des ambassades n'empêche pas que les comptes bancaires qui font l'objet des saisies contestées bénéficient d'une immunité spécifique basée sur le principe du droit international public « ne impediatur legatio » (voir l'arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2012, pièce 2 du dossier de la République d'Argentine).
4) dans l'hypothèse d'une immunité diplomatique, distincte de l'immunité générale d'exécution reconnue aux Etats, ce que conteste NML Capital, la République d'Argentine y aurait renoncé de façon expresse et claire.
La renonciation invoquée par NML Capital est en effet claire et expresse.
Elle n'est cependant pas spécifique, ce qui est pourtant le pendant nécessaire de l'immunité d'exécution spécifique, autonome des comptes bancaires des missions diplomatiques fondée sur la règle coutumière « ne impediatur legatio ».
La clause de renonciation contenue dans le Fiscal Agency Agreement et les conditions d'émission n'a pas été signée par un organe de la République d'Argentine ayant le pouvoir de renoncer à l'immunité d'exécution en ce qui concerne des biens (comptes en banque) diplomatiques.
Elle ne peut dès lors être considérée comme emportant une renonciation par la République d'Argentine à l'immunité dont bénéficient ses biens diplomatiques, plus particulièrement les comptes bancaires de la mission ou ambassade dans le monde entier. (dans ce sens: Cass., 22 novembre 2012, cité in extenso sous le point 1., notamment où la Cour considère: « L'arrêt qui, sans constater que les sommes saisies étaient affectées à d'autres fins que le fonctionnement de la mission diplomatique de la demanderesse (ici la République d'Argentine), décide que la renonciation générale contenue dans les actes susmentionnés (c'est-à-dire le Fiscal Agency Agreement et les contrats d'émission d'obligations) s'étend aux biens de cette mission diplomatique, y compris ses comptes bancaires, sans qu'il soit besoin d'une renonciation expresse et spéciale en ce qui concerne ces biens, viole les articles 22, 3., et 25 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 et la règle coutumière internationale ne impediatur legatio) ».
5) si la République d'Argentine devait être suivie dans sa thèse qu'une renonciation spécifique s'imposait sur la base de la « coutume du 22 novembre 2012 » (voir les dernières conclusions de NML Capital, pp. 79-80), il y aurait lieu d'en déduire selon NML Capital qu'elle était tenue d'en avertir ses investisseurs et créanciers et à tout le moins ne pouvait leur faire croire qu'elle renonçait à toutes ses immunités. Le fait de ne pas avoir agi de la sorte constituerait une faute dont la réparation en nature consiste en la privation de l'immunité (diplomatique) dont la République d'Argentine se prévaut ici.
Partant NML Capital conclut au non-fondement de l'opposition initiale de la République d'Argentine.
Compte tenu de ce qui précède NML Capital ne peut être suivi dans son raisonnement. Le fait de se prévaloir de l'immunité dont bénéficient les comptes bancaires de la mission diplomatique et de l'ambassade en vertu du droit international public, ne constitue pas une faute dans le chef de la République d'Argentine.
Le contexte général de la cause ne mène pas à une autre conclusion. Il convient de remarquer ici que les mesures d'exécution prises par NML Capital ont donné lieu à des procédures judiciaires qui ont abouti - dans la grande majorité des cas - à la mainlevée des saisies en question notamment sur la base du fait que ces saisies portaient sur des biens nécessaires au fonctionnement de l'Etat, qu'elles pouvaient porter préjudice aux citoyens argentins, qu'elles visaient des comptes d'ambassades protégées, que les sociétés saisies devaient être considérées comme des entités distinctes de la République d'Argentine.
Dans la mesure où les avoirs visés étaient saisissables, les saisies ont sorti des effets.
Le fait que NML Capital a pratiqué des mesures conservatoires ou exécutoires sur des biens exclus du champ d'application de la renonciation ne permet pas de conclure à la responsabilité de la République d'Argentine.
Au moment de la conclusion des contrats dans lesquels figuraient les clauses de renonciation litigieuses, rien n'indiquait que l'exécution de ces mêmes contrats allait donner lieu à des mesures d'exécution forcée. C'est à la suite de la crise économique et sociale qu'a subie la République d'Argentine qu'elle a dû élaborer un plan de restructuration.
Le fait que la République d'Argentine ait proposé des offres de change s'inscrit dans le cadre de sa stratégie de rééchelonnement de sa dette.
A juste titre la République d'Argentine fait valoir que les comptes bancaires de l'ambassade et de la mission bénéficient d'une présomption d'affectation au fonctionnement de la mission qui n'est pas renversée par le créancier saisissant et que les biens saisis sont en tout état de cause affectés au fonctionnement de ces missions diplomatiques de sorte qu'ils bénéficient de l'immunité d'exécution spécifique qui s'attache aux biens diplomatiques à laquelle elle n'a pas renoncée.
Il découle des éléments du dossier que:
- NML Capital a saisi-arrêté entre les mains de treize tiers-saisis les avoirs revenant ou appartenant à la République d'Argentine pour sûreté à concurrence de 284.184.632,30 USD en principal et intérêts et de 5.484,56 EUR en frais;
- les fonds bloqués entre les mains de la BNP Paribas Fortis et de ING sont déposés sur des comptes à vue et sur un compte devises, ce dernier auprès de ING;
- il n'est pas prouvé que ces comptes ne seraient pas exclusivement utilisés pour les besoins du fonctionnement de la mission diplomatique. Le fait que la charge de la preuve pèse sur le créancier saisissant ne constitue pas une violation des articles 10 et 11 de la Constitution comme le suggère à tort NML Capital qui demande à titre subsidiaire de poser une question préjudicielle quant à ce vu que cette charge de la preuve « renversée » constitue la conséquence logique de la règle coutumière applicable ici (« ne impediatur legatio ») (dans ce sens: P. d'Argent, « Saisies de comptes d'ambassade, immunité d'exécution et renonciation contractuelle » (note sous Cass., 22 novembre 2012), J.T., 2013, 290-294). Il s'ensuit qu'il n'y pas lieu de poser une question préjudicielle quant à ce.
NML Capital invoque que la République d'Argentine ne démontre pas que les biens saisis ont entravé ou entravent le fonctionnement de sa mission diplomatique en Belgique et encore moins entre la Belgique et la République d'Argentine.
Ce raisonnement ne peut être suivi dans la mesure où il appartient, eu égard à la présomption susdite, au créancier saisissant d'établir que les sommes saisies sont distinctes des autres dépôts de la mission en ce qu'elles sont affectées à une activité autre que celle qui concerne la mission diplomatique.
Le fait que la République d'Argentine bénéficie d'une immunité d'exécution portant également sur les comptes bancaires de ses ambassades et missions diplomatiques justifie qu'elle invoque cette immunité.
Agissant de la sorte elle ne fait nullement preuve d'un comportement fautif.
Comme il a été dit plus haut, la clause de renonciation a été rédigée à un moment où aucune des parties ne prévoyait que la République d'Argentine serait confrontée à une situation financière telle que le rééchelonnement de sa dette s'imposait. Dans ses dernières conclusions, la République d'Argentine reconnaît que ce n'est que fin 2001 que sa situation financière avait dégradé au point de ne plus pouvoir assurer à la fois le service de sa dette et les services régaliens de l'Etat.
Il découle de ce qui précède que la demande de NML Capital de priver la République d'Argentine de son immunité diplomatique à titre de réparation « in natura » du dommage causé, ce qui rejoint sa demande de déclarer non fondée l'opposition initiale de la République d'Argentine, est non fondée.
4. Quant à la demande de NML Capital de déclarer non fondée la demande de la République d'Argentine de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, cette demande, formulée dans les conclusions antérieures de la République d'Argentine, n'est plus retenue dans les dernières conclusions de l'intimée de sorte que la cour ne doit pas examiner cette question.
5. Vu ce qui précède, les dépens sont à charge de NML Capital.
Compte tenu de la nature du litige il y a lieu d'accorder à la République d'Argentine le montant de 1.320 EUR à titre d'indemnité de procédure et ce tant pour la procédure en première instance qu'en degré d'appel.
Par ces motifs,
La cour,
Statuant contradictoirement,
Vu la loi du 15 juin 1935 relative à l'emploi des langues en matière judiciaire,
Ecarte les pièces déposées par la République d'Argentine à l'audience du 17 juin 2013 des débats,
Déclare l'appel recevable mais non fondé,
Dit qu'il n'y pas lieu de poser une question préjudicielle,
En déboute l'appelante, ainsi que de sa demande formulée à titre subsidiaire,
Par conséquent:
Ordonne la mainlevée des saisies-arrêts conservatoires contestées pratiquées le 30 juin 2011 et ce dans les 48 heures de la signification du présent arrêt qui à défaut de ce faire vaudra mainlevée,
Condamne NML Capital aux dépens, liquidés à 210 EUR (droit de mise au rôle);
Indemnité de procédure pour République d'Argentine: 1.320 EUR par instance plus les dépens.
(...)
Cette décision fait l'objet d'un pourvoi en cassation encore pendant à ce jour. Sur les rapports entre immunité d'exécution et droit à un procès équitable, voy. la contribution d'Anne Lagerwall et Arnaud Louwette parue dans le présent numéro, p. 30.