Article

Cour d'appel Bruxelles, 07/06/2013, R.D.C.-T.B.H., 2014/1, p. 96-98

Cour d'appel de Bruxelles 7 juin 2013

INSOLVABILITE
Insolvabilité transnationale - Règlement n° 1346/2000 - Procédure secondaire - Conditions d'ouverture
Avant dire droit, la cour décide de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante:
« Le règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil relatif aux procédures d'insolvabilité, notamment en ses articles 3, 16, 27, 28 et 29 doit-il être interprété en ce sens que:
a) 'l'établissement' dont il est question à l'article 3, 2., doit s'entendre comme une succursale du débiteur à l'encontre duquel la procédure principale a été ouverte et s'oppose à ce que, dans le cadre de la mise en liquidation concomitante de plusieurs sociétés appartenant à un même groupe, celles-ci puissent faire l'objet d'une procédure secondaire dans l'Etat membre dans lequel elles ont leur siège social, au motif qu'elles sont dotées d'une personnalité juridique?
b) la personne ou autorité habilitée à demander l'ouverture d'une procédure secondaire doit être domiciliée ou avoir son siège social sur le territoire de la juridiction de l'Etat membre à laquelle cette procédure est demandée ou ce droit doit-il être réservé à tous les ressortissants de l'Union, pour autant qu'ils démontrent l'existence d'un lien de droit avec l'établissement concerné?
c) dès lors que la procédure d'insolvabilité principale est une procédure de liquidation, l'ouverture d'une procédure secondaire d'insolvabilité d'un établissement ne peut être ordonnée que si elle répond à des critères d'opportunité laissés à l'appréciation de la juridiction de l'Etat membre devant laquelle la procédure secondaire est introduite? »


INSOLVENTIE
Grensoverschrijdende insolventie - Verordening n° 1346/2000 - Secondaire procedure - Voorwaarden tot opening
Bij wege van tussenbeslissing, beslist het Hof de volgende prejudiciële vraag te stellen aan het Europees Hof van Justitie:
“Moet verordening (EG) nr. 1346/2000 van de Raad van 29 mei 2000 betreffende insolventieprocedures, inzonderheid de artikelen 3, 16, 27, 28 en 29 ervan, aldus worden uitgelegd dat:
a) 'vestiging' als bedoeld in artikel 3, lid 2, moet worden begrepen als een filiaal van de schuldenaar tegen wie een hoofdprocedure is ingeleid en zich ertegen verzet dat in het kader van de gelijktijdige liquidatie van verscheidene ondernemingen die deel uitmaken van dezelfde groep, deze in de lidstaat waarin zij hun maatschappelijke zetel hebben aan een secundaire procedure kunnen worden onderworpen op grond dat zij rechtspersoonlijkheid hebben?
b) de persoon of autoriteit die bevoegd is om een secundaire procedure aan te vragen zijn woonplaats of zijn maatschappelijke zetel moet hebben binnen het rechtsgebied van het gerecht van de lidstaat waarbij deze procedure wordt aangevraagd, of dit recht is voorbehouden aan alle onderdanen van de Unie mits zij aantonen dat zij rechtens een band hebben met de betrokken vestiging?
c) aangezien de hoofdinsolventieprocedure een liquidatieprocedure is, de inleiding van een secundaire insolventieprocedure voor een vestiging slechts kan worden gelast wanneer zij voldoet aan opportuniteitscriteria die ter beoordeling staan van het gerecht van de lidstaat waarbij de secundaire procedure is aangevraagd?”

Burgo Group / SA Illochroma en liquidation et J. Theetten, en sa qualité de liquidateur de la société Illochroma

Siég.: H. Mackelbert et M.-Fr. Carlier (conseillers) et M. Van Der Haegen (conseiller suppléant)
MP: P. De Wolf (avocat général)
Pl.: Mes R. Huberty, S. Voisin et B. Van Haelst, J.E. Kuntz, L. Chevalier
I. Décision entreprise

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement le 11 mai 2009 par le tribunal de commerce de Bruxelles.

Les parties ne produisent aucun acte de signification de cette décision.

II. Procédure devant la cour

L'appel est formé par requête, déposée par Burgo Group au greffe de la cour, le 20 juillet 2009.

La procédure est contradictoire, ayant été mise en état sur la base de l'article 747 du Code judiciaire. Par ailleurs, la cour a autorisé les parties à prendre de nouvelles conclusions par son arrêt du 1er février 2013.

M. Y. Moiny, substitut du procureur du Roi, délégué auprès du parquet général, dépose un avis écrit et est entendu en ses explications aux audiences des 18 avril et 16 mai 2013.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Faits et antécédents de la procédure

1. Le 21 avril 2008, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing met toutes les sociétés du groupe Illochroma en redressement judiciaire, en ce compris la société de droit belge, actuelle intimée, et désigne Me Theetten en qualité de mandataire. Le 25 novembre 2008, ce même tribunal met la société de droit belge Illochroma (ci- après dénommée « Illochroma ») en liquidation judiciaire et désigne Me Theetten cette fois en qualité de liquidateur.

La société de droit italien Burgo Group (ci-après dénommée « Burgo Group ») est créancière d'Illochroma pour la livraison de marchandises demeurées impayées.

Le 4 novembre 2008, le conseil de Burgo Group adresse à Me Theetten une déclaration de créance d'un montant de 359.778,48 EUR.

Par courrier du 5 novembre 2008, ce dernier l'informe qu'il ne peut prendre en considération cette déclaration de créance car elle est tardive.

Par exploit du 15 janvier 2009, Burgo Group fait citer Illochroma en faillite devant le tribunal de commerce de Bruxelles, dans le cadre d'une procédure secondaire d'insolvabilité.

Le jugement entrepris déboute Burgo Group de sa demande.

2. Burgo Group interjette appel de cette décision. Elle réitère sa demande originaire devant la cour.

IV. Discussion

(...)

3. La position de la cour
A. Sur l'intérêt à agir

5. Burgo Group expose que c'est Illochroma qui a choisi d'entamer une procédure d'insolvabilité en France, alors qu'elle avait son siège social en Belgique et qu'Illochroma France ne lui était redevable d'aucune somme. Il n'existait donc aucun lien de rattachement avec la France. Elle soutient par ailleurs qu'elle n'a pas été prévenue, dans les formes prévues à l'article 40 du règlement, de l'existence de la procédure principale et des délais à observer, ce qui l'a empêchée d'introduire une déclaration de créance dans ces délais.

Quelles que soient les contestations d'Illochroma à cet égard, il convient de constater que rien dans le règlement n'interdit à un créancier d'introduire une déclaration de créance dans le cadre de la procédure secondaire, laquelle est, par ailleurs, expressément prévue par le règlement. En tout état de cause, la cour n'est pas saisie de la validité d'une éventuelle déclaration de créance puisque la procédure secondaire n'est pas encore ouverte.

Quoi qu'il en soit, il convient de rappeler que, son droit subjectif fût-il contesté, la partie au procès qui prétend être titulaire d'un tel droit - ce qui est le cas en l'espèce - a l'intérêt et la qualité requis pour introduire une demande en justice; l'examen de l'existence ou de la portée du droit subjectif invoqué relève non pas de la recevabilité mais du fondement de la demande (Cass., 16 novembre 2007, Pas., 2007, I, 2043; Cass. (1re ch.), RG C.06.0180.F, 28 septembre 2007; Cass. (1re ch.), RG C.02.0609.N, 2 avril 2004; Cass., 26 février 2004, J.T., 2005, p. 437).

Burgo Group a donc intérêt à agir. Le moyen d'irrecevabilité de sa demande n'est dès lors pas fondé.

B. Sur la qualité à agir

6. Illochroma soutient que Burgo Group n'aurait pas qualité à agir dans la mesure où il existe une imprécision sur la titularité de la personne morale à laquelle les factures - non contestées - doivent être payées; est-ce Burgo Group ou son agent belge la société Burgo Benelux? Une même imprécision existerait en ce qui concerne la personnalité du débiteur: est-ce Illochroma ou une société Illospear mentionnée sur les factures?

7. Les factures sont établies au nom de la société Burgo Group, demanderesse originaire et appelante dans la présente cause. Elle a donc qualité pour introduire l'action. Le fait que ses factures mentionnent le nom de l'agent commercial (Burgo Benelux) à l'intervention duquel les ventes ont été conclues n'implique pas l'existence d'un lien de droit entre cet agent et l'acheteur des marchandises.

Par ailleurs, Illochroma doit savoir mieux que quiconque que Illospear était son ancienne dénomination et que la modification de celle-ci n'entraîne aucun changement quant à sa personnalité juridique.

Le moyen ne peut être admis.

C. Sur l'interprétation du règlement

8. Les moyens et arguments en défense, identifiés sous c), d), e) et f), supposent une interprétation du règlement et que soit posée une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, seule habilitée à une telle interprétation.

Conformément aux recommandations de la Cour à l'attention des juridictions nationales, relatives à l'introduction de procédures préjudicielles (2012/C 338/01, J.O. 6 novembre 2012), la cour expose ci-après les raisons qui l'ont amenée à s'interroger sur l'interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l'Union, et, succinctement, son point de vue, prima facie, sur la réponse à apporter aux questions posées à titre préjudiciel.

9. Le règlement définit l'établissement comme tout lieu où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains et des biens, ce qui est le cas en l'espèce puisque Illochroma est une société de droit belge qui a deux sièges d'exploitation en Belgique, qui est propriétaire d'un immeuble, qui achète et revend des marchandises et qui y emploie du personnel. Illochroma soutient cependant que dès lors qu'elle a son siège social en Belgique, elle ne peut être considérée comme un établissement; le règlement ne connaîtrait pas la notion de groupe et si une juridiction nationale prononce la liquidation judiciaire d'une société d'un autre Etat membre, parce qu'elle aurait son centre d'intérêt dans l'Etat membre de cette juridiction, il ne serait pas possible d'ouvrir une procédure secondaire, au motif qu'elle n'est réservée qu'aux établissements ne disposant pas de la personnalité juridique, ce que ne semble pas préciser le règlement.

10. Le règlement dispose que l'ouverture d'une procédure secondaire peut être demandée par toute personne habilitée à demander l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité en vertu de la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel l'ouverture de la procédure secondaire est demandée; aux termes de la loi belge, tout créancier, même établi en dehors de la Belgique, peut citer son débiteur en faillite devant un tribunal belge; le règlement ne prévoit pas que ce droit serait réservé aux créanciers établis dans l'Etat membre de la juridiction saisie de la demande d'ouverture de la procédure secondaire (soit, en l'espèce, la Belgique); c'est pourtant ce que soutient Illochroma, aux motifs que la procédure secondaire aurait pour objectif de protéger des intérêts locaux (cf. considérant 19); une telle interprétation est-elle compatible avec le droit de l'Union?

11. Le règlement ne précise pas si la faculté ouverte aux personnes visées à son article 29 de solliciter, dans l'Etat membre où est situé l'établissement, l'ouverture d'une procédure secondaire est un droit qui doit être reconnu par la juridiction appelée à se prononcer ou si cette dernière dispose d'une faculté d'appréciation de l'opportunité d'y faire droit, notamment en vue de protéger des intérêts locaux; le règlement n'indique pas quels sont les critères à prendre en considération si le tiers intéressé ne dispose pas d'un tel droit; certes, dans son arrêt du 22 novembre 2012 (C-116/11, Bank Handlowy w Warszawie SA) la C.J.U.E. a dit pour droit que « l'article 27 du règlement n° 1346/2000, tel que modifié par le règlement n° 788/2008, doit être interprété en ce sens qu'il permet l'ouverture d'une procédure secondaire d'insolvabilité dans l'Etat membre dans lequel se trouve un établissement du débiteur, alors que la procédure principale poursuit une finalité protectrice. Il incombe à la juridiction compétente pour ouvrir une procédure secondaire de prendre en considération les objectifs de la procédure principale et de tenir compte de l'économie du règlement dans le respect du principe de coopération loyale »; cette dernière obligation s'impose-t-elle également lorsque la procédure principale ne poursuit pas une finalité protectrice, ce qui est le cas dans la présente espèce, puisqu'elle tend à la liquidation de toutes les sociétés du groupe; dans l'affirmative, sur quelles constatations la juridiction compétente doit-elle se baser pour refuser l'ouverture d'une procédure secondaire?

V. Dispositif

Pour ces motifs, la cour,

1. Reçoit l'appel.

2. Avant d'y faire droit au fond, décide de poser à la Cour de justice de l'Union européenne, la question préjudicielle suivante:

« Le règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil relatif aux procédures d'insolvabilité, notamment en ses articles 3, 16, 27, 28 et 29 doit-il être interprété en ce sens que:

a) 'l'établissement' dont il est question à l'article 3, 2., doit s'entendre comme une succursale du débiteur à l'encontre duquel la procédure principale a été ouverte et s'oppose à ce que, dans le cadre de la mise en liquidation concomitante de plusieurs sociétés appartenant à un même groupe, celles-ci puissent faire l'objet d'une procédure secondaire dans l'Etat membre dans lequel elles ont leur siège social, au motif qu'elles sont dotées d'une personnalité juridique?

b) la personne ou autorité habilitée à demander l'ouverture d'une procédure secondaire doit être domiciliée ou avoir son siège social sur le territoire de la juridiction de l'Etat membre à laquelle cette procédure est demandée ou ce droit doit-il être réservé à tous les ressortissants de l'Union, pour autant qu'ils démontrent l'existence d'un lien de droit avec l'établissement concerné?

c) dès lors que la procédure d'insolvabilité principale est une procédure de liquidation, l'ouverture d'une procédure secondaire d'insolvabilité d'un établissement ne peut être ordonnée que si elle répond à des critères d'opportunité laissés à l'appréciation de la juridiction de l'Etat membre devant laquelle la procédure secondaire est introduite? »

3. Renvoie la cause au rôle particulier dans l'attente de la réponse de la Cour de justice de l'Union européenne.

4. Réserve les dépens.

(...)


Observations / Noot

Sur cette question, voy. déjà Comm. Bruxelles, 26 septembre 2012, R.D.C., 2013, 459 et Comm. Bruxelles, 11 mai 2009, R.D.C., 2013, 452, note R. Jafferali.