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L'arrêt Sneller: le libre choix de l'avocat est de droit en cas de procédure, non à tout moment, R.D.C.-T.B.H., 2014/10, p. 975-980

VERZEKERING
Landverzekering - Rechtsbijstandverzekering - Gerechtelijke procedure tussen de verzekerde en een derde - Polisbeding dat aan de verzekeraar de bevoegdheid geeft te oordelen of het noodzakelijk is beroep te doen op de diensten van een externe advocaat - Strijdigheid met beginsel van vrije keuze van de advocaat door de verzekerde
Artikel 4, 1., sub a) van richtlijn nr. 87/344/EEG van 22 juni 1987 betreffende de rechtsbijstandverzekering, moet aldus worden uitgelegd dat het zich ertegen verzet dat een rechtsbijstandverzekeraar die in zijn verzekeringsovereenkomsten regelt dat rechtsbijstand in beginsel wordt verleend door zijn werknemers, tevens bedingt dat de kosten van rechtsbijstand van een door de verzekerde vrij gekozen advocaat of rechtsbijstandverlener slechts vergoed kunnen worden indien de verzekeraar van mening is dat de behandeling van de zaak aan een externe rechtshulpverlener moet worden uitbesteed.
ASSURANCES
Assurances terrestres - Assurance protection juridique - Procédure judiciaire entre l'assuré et le tiers - Clause du contrat conférant à l'assureur le droit d'apprécier s'il est nécessaire de recourir aux services d'un avocat externe à la compagnie - Contrariété avec le principe du libre choix de l'avocat par l'assuré
L'article 4, 1., sous a) de la directive n° 87/344/CEE du 22 juin 1987 concernant l'assurance-protection juridique, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un assureur de la protection juridique, qui prévoit dans ses contrats d'assurance que l'assistance juridique est en principe assurée par ses collaborateurs, prévoie également que les coûts d'assistance juridique d'un avocat ou d'un représentant choisi librement par le preneur d'assurance ne sont susceptibles d'être pris en charge que si l'assureur estime que le traitement de l'affaire doit être délégué à un conseil externe.
L'arrêt Sneller: le libre choix de l'avocat est de droit en cas de procédure, non à tout moment
Catherine Paris [1]

1.La Cour de justice de l'Union européenne a rendu récemment 3 arrêts qui se rapportent au droit de l'assuré en protection juridique de désigner librement son avocat. De ces 3 arrêts prononcés respectivement les 10 septembre 2009 [2], 26 mai 2011 [3] et 7 novembre 2013, c'est le dernier - ou l'arrêt Sneller - qui retient notre attention à présent. La Cour de justice y énonce que l'article 4, 1., sous a), de la directive du 22 juin 1987 sur l'assurance protection juridique « doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un assureur protection juridique, qui prévoit dans ses contrats d'assurance que l'assistance juridique est en principe assurée par ses collaborateurs, prévoie également que les coûts d'assistance juridique d'un avocat ou d'un représentant choisi librement par le preneur d'assurance ne sont susceptibles d'être pris en charge que si l'assureur estime que le traitement de l'affaire doit être délégué à un conseil externe ».

Isolée du contexte dans lequel elle a été prononcée, la réponse que donne la Cour de justice à la question préjudicielle qui lui fut posée pourrait prêter à confusion. Certains avocats, qui détestent entendre l'assureur protection juridique de leur client dire que leur intervention est prématurée, pourraient essayer d'en déduire qu'il n'appartient pas à l'assureur de porter un jugement sur la volonté de l'assuré de confier sa défense à un avocat. Il serait tentant de soutenir que, dès que l'assuré a fait appel à son propre conseil, l'assureur devrait aussitôt s'incliner et fournir sa garantie en en supportant le coût. Il serait tentant d'inférer de cet arrêt que la Cour de justice ne permettrait plus à l'assureur de fournir des services à partir du moment où l'assuré a pris l'initiative de s'adresser à un avocat.

C'est cette confusion que nous voulons lever. Pour bien comprendre la portée de l'arrêt (III), il est essentiel de rappeler le contexte factuel à l'occasion duquel il a été rendu (I) ainsi que l'objet de la question préjudicielle, qui est limité à l'interprétation d'une seule disposition de la directive européenne (II).

I. Les faits de l'espèce

2.Monsieur Sneller, ressortissant des Pays-Bas, estime avoir été victime d'un licenciement abusif et entend réclamer en justice la réparation de son dommage à son ancien employeur. Bénéficiaire d'une couverture d'assurance protection juridique, il demande à son assureur de prendre en charge le coût de l'intervention de son conseil. L'assureur marque son accord sur l'introduction de la procédure mais il considère qu'il n'est pas contractuellement tenu de supporter les frais et honoraires de l'avocat choisi par l'assuré. Il se déclare prêt à assurer lui-même l'assistance juridique de l'assuré par l'un de ses propres collaborateurs qui n'est pas avocat [4].

C'est ici que réside la particularité de cette affaire. L'assureur reconnaît la nécessité de la procédure mais il estime que, pour que sa garantie soit due, elle doit être conduite par son propre collaborateur. Ainsi que nous l'exposerons ultérieurement, ces deux propositions sont incompatibles. A partir du moment où l'assureur et l'assuré admettent que les prétentions que l'assuré formulent envers le tiers doivent être portées en justice, le premier ne peut refuser au second le droit de choisir son avocat. Le mode d'exécution de la garantie d'assurance, s'il consistait jusqu'alors en la fourniture de services, se mue en l'obligation de couvrir les honoraires du conseil librement choisi par l'assuré, conformément aux limites contractuelles c'est-à-dire au plafond de garantie prévu pour le litige en cause.

La position de l'assureur nous paraissait d'emblée contraire à la directive européenne. Pourtant, elle a été accueillie favorablement par les juridictions nationales. Tant le juge d'instance que la cour d'appel d'Amsterdam ont considéré que la demande de l'assuré n'était pas fondée. L'assuré a ensuite porté le litige devant la Cour suprême du Royaume des Pays-Bas qui a posé la question préjudicielle dans les termes suivants:

« L'article 4, 1., de la directive n° 87/344/CEE autorise-t-il un assureur de la protection juridique, qui prévoit dans ses polices que l'assistance juridique dans les procédures judiciaires ou administratives sera en principe assurée par les travailleurs de l'assureur, à prévoir également que les coûts d'assistance juridique d'un avocat ou d'un représentant choisi librement par l'assuré ne seront couverts que si l'assureur estime que le traitement de l'affaire doit être délégué à un conseil externe?

La réponse à la première question est-elle différente selon que, pour la procédure judiciaire ou administrative en cause, l'assistance juridique est ou non obligatoire? »

II. L'objet de la question préjudicielle
A) Le texte de l'article 4, 1., de la directive

3.L'objet de la question préjudicielle est ainsi circonscrit: il porte sur l'interprétation de l'article 4, 1., de la directive n° 87/344/CEE du 22 juin 1987 sur l'assurance protection juridique (ci-après, la directive n° 87/344/CEE) [5].

Celui-ci dispose que:

« Tout contrat de protection juridique reconnaît explicitement que:

    • lorsqu'il est fait appel à un avocat ou à toute autre personne ayant les qualifications admises par la loi nationale, pour défendre, représenter ou servir les intérêts de l'assuré, dans toute procédure judiciaire ou administrative, l'assuré a la liberté de le choisir;
    • l'assuré a la liberté de choisir un avocat ou, s'il le préfère et dans la mesure où la loi nationale le permet, toute autre personne ayant les qualifications nécessaires, pour servir ses intérêts chaque fois que surgit un conflit d'intérêts. »

    Cette disposition impose aux entreprises d'assurances de garantir contractuellement à l'assuré le droit de choisir son conseil dans deux hypothèses précises: le litige dans lequel l'assuré est impliqué en tant que défendeur ou demandeur est porté en justice, d'une part, il existe un conflit d'intérêts entre l'assureur protection juridique et l'assuré, d'autre part.

    B) Justification

    4.Le droit de l'assuré de choisir librement son conseil est considéré comme un principe fondamental de l'assurance protection juridique. Il découle directement de l'objet de cette assurance.

    En vertu de l'article 2, 1., de la directive n° 87/344/CEE, l'engagement de l'assureur protection juridique porte sur la prise en charge des frais de procédure judiciaire et la fourniture d'autres services « notamment en vue de:

      • récupérer le dommage subi par l'assuré (…);
      • défendre ou représenter l'assuré dans une procédure civile, pénale, administrative ou autre, ou contre une réclamation dont il est l'objet ».

      La directive européenne précise que l'obligation de l'assureur vise un objectif déterminé: il s'agit de permettre à l'assuré de faire valoir ses propres droits, tantôt l'accompagner dans sa recherche d'indemnisation du dommage dont il a été victime (il faut récupérer le dommage subi par l'assuré), tantôt l'aider à se défendre dans une procédure ou à résister à une réclamation qu'un tiers a formulée à son encontre (il faut défendre ou représenter l'assuré). Seuls sont en jeu les droits de l'assuré envers le tiers; seuls ces droits doivent guider l'engagement de l'assureur envers l'assuré et la façon dont il l'exécute.

      C'est précisément parce que la couverture est centrée sur la défense des intérêts de l'assuré que le législateur européen a considéré qu'elle devait inclure le droit de l'assuré de désigner librement son conseil en cas de procédure ou de conflit d'intérêts.

      Comment s'assurer que les seuls intérêts de l'assuré seront pris en considération en cas de procédure? La réponse du législateur est sans équivoque: il faut que l'assuré puisse désigner le conseil de son choix. L'idée qui sous-tend la règle repose sur le risque, si elle n'était imposée, que d'autres intérêts que ceux de l'assuré n'influencent la défense de celui-ci. Si l'on autorisait l'assureur à prendre l'initiative de la désignation, on pourrait craindre qu'il donne des directives à l'avocat qui ne soient pas toutes animées par le seul souci de défendre l'assuré.

      Comment s'assurer que les seuls intérêts de l'assuré seront pris en considération en cas de conflit d'intérêts entre l'assureur et l'assuré, indépendamment de la nécessité d'engager une procédure [6]? La réponse est tout aussi claire: il faut empêcher l'assureur - qui, par définition, est pris entre son intérêt et celui de son assuré - de s'occuper de la gestion du dossier. Il faut confier cette gestion à autrui, il faut donc que l'assuré puisse confier sa défense à un conseil librement choisi.

      Le 11ème considérant de la directive n° 87/344/CEE l'énonce sans ambiguïté: « L'intérêt de l'assuré en protection juridique implique que ce dernier puisse choisir lui-même son avocat ou toute autre personne ayant les qualifications admises par la loi nationale dans le cadre de toute procédure judiciaire ou administrative et chaque fois que surgit un conflit d'intérêts. »

      La doctrine a très justement écrit que le principe du libre choix fait partie du droit de la défense et que « l'indépendance de l'avocat et le climat de confiance qui doit exister entre celui-ci et le client exigent que, dans le cadre de la protection juridique, l'assuré puisse choisir la personne la mieux à même de défendre ses intérêts, sans être tenu de s'en remettre à un avocat désigné par l'assureur » [7].

      La consécration légale de ce droit a notamment permis de reconnaître que le risque de protection juridique constitue un risque à part entière, distinct du risque de responsabilité civile [8].

      Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt de la Cour de justice du 7 novembre 2013, ce droit était au centre des débats à l'occasion de l'exercice d'une procédure judiciaire. Monsieur Sneller souhaitait agir en justice contre son ancien employeur auquel il reprochait de l'avoir fautivement congédié. Son assureur protection juridique avait consenti à l'introduction du procès. La première des situations dans lesquelles la directive n° 87/344/CEE reconnaît à l'assuré le droit de faire appel au conseil de son choix était seule en cause, raison pour laquelle notre commentaire ne s'étendra pas à l'hypothèse du conflit d'intérêts.

      C) La notion de conseil de l'assuré

      5.Le conseil de l'assuré peut être aussi bien un avocat qu'une autre personne disposant, en vertu de la loi nationale, des qualifications requises pour assumer la défense de l'assuré. En droit belge, les avocats jouissent d'un quasi-monopole de la représentation en justice et de la plaidoirie. En vertu de l'article 440 du Code judiciaire, et hormis les exceptions prévues par la loi, ils ont seuls le droit de plaider. La plupart des procédures judiciaires suppose l'intervention d'un avocat si bien que lorsque l'on évoque le droit de l'assuré en protection juridique tel qu'il est visé par l'article 4, 1., de la directive, on pense aussitôt au droit de choisir librement un avocat.

      D) La thèse de l'assureur

      6.L'arrêt de la Cour de justice reproduit le texte de l'article 4:67, paragraphe 1er, de la loi sur le contrôle financier qui transpose, dans le droit néerlandais, l'article 4, 1., de la directive du 22 juin 1987 [9]. Dans sa traduction en français, ce texte dispose que:

      « L'assureur de la protection juridique veille à ce que, dans la convention relative à la couverture de la protection juridique, il soit expressément prévu que le preneur d'assurance peut choisir librement un avocat ou un autre professionnel légalement habilité si:

        • il est fait appel à un avocat ou à un autre professionnel légalement habilité pour défendre, représenter ou servir les intérêts du preneur d'assurance dans une procédure judiciaire ou administrative; ou
        • un conflit d'intérêts se présente. »

        Tel quel, ce texte est conforme au prescrit européen. M. Delvaux estime toutefois que sa version d'origine comporte une ambiguïté dans la mesure où elle oblige l'assureur à garantir à l'assuré le droit de choisir son conseil lorsque celui-ci « est requis ('wordt verzocht') » d'assurer la défense dans une procédure judiciaire ou administrative. Cette formule passive, dit l'auteur, « ne précise pas qui doit requérir ni s'il s'agit d'une réquisition légalement obligatoire » [10].

        Le texte de la loi belge n'est pas plus précis à cet égard. « Lorsqu'il faut recourir à une procédure judiciaire ou administrative », dit l'article 156 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, sans indiquer qui estime quand il faut recourir à cette procédure [11].

        La thèse que l'assureur a défendue devant la Cour de justice reposait sur ce qu'il disait être une imprécision du texte européen. L'assureur tirait parti de l'expression « lorsqu'il est fait appel à un avocat » pour en déduire que l'Europe ne déterminait pas qui, de l'assureur ou de l'assuré, pouvait, dans une procédure, décider de la nécessité de recourir aux services d'un conseil externe. L'assureur s'estimait dès lors autorisé à régler cette question lui-même dans le contrat d'assurance en y spécifiant que, dans le cadre d'une procédure, il lui appartenait de décider s'il faut faire appel à un conseil externe à la compagnie et que ce n'est que dans l'hypothèse où il aura donné son autorisation préalable que l'assuré aura la liberté de le choisir.

        III. La portée de l'arrêt
        A) Une réponse limitée à une question limitée

        7.La position que l'assureur défendait s'est traduite dans les termes de la question préjudicielle que l'on pourrait, nous semble-t-il, reformuler comme suit: lorsque l'assureur stipule qu'il assume lui-même, par l'intervention de ses collaborateurs, la défense de l'assuré dans une procédure judiciaire ou administrative, est-il encore en droit de préciser que les honoraires de l'avocat que l'assuré choisirait librement ne seront couverts qu'à la condition qu'il estime que le recours à cet avocat s'impose, en lieu et place de l'intervention de ses propres collaborateurs?

        La réponse de la Cour de justice s'imposait sans discussion. Quand l'intérêt ou la nécessité de la procédure sont admis par les deux parties, l'assureur ne peut pas prévoir dans le contrat que l'assuré n'a le droit de faire appel à un avocat externe qu'à la condition que l'assureur y consente. Pareille disposition contractuelle constitue, à l'évidence oserions-nous dire, une entrave à l'exercice d'un droit que la directive reconnaît de manière inconditionnelle à l'assuré.

        La directive n'interdit pas à l'assureur de prodiguer des conseils à l'assuré qui est engagé dans une procédure. L'assuré n'est toutefois pas tenu de s'en satisfaire. La directive prévoit qu'il doit, dans cette hypothèse, avoir le droit d'être représenté par l'avocat de son choix aux frais de l'assureur. L'assureur n'a aucune bonne raison d'empêcher l'assuré d'exercer ce droit.

        La Cour de justice a rappelé que l'objectif général de la directive n° 87/344/CEE est de protéger de manière large les assurés et que l'article 4, 1., de celle-ci, est fondé sur l'intérêt de l'assuré pour conclure que l'interprétation restrictive de l'article 4 que l'assureur soutenait devait être écartée. Elle a précisé que cet article « doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un assureur protection juridique, qui prévoit dans ses contrats d'assurance que l'assistance juridique est en principe assurée par ses collaborateurs, prévoie également que les coûts d'assistance juridique d'un avocat ou d'un représentant choisi librement par le preneur d'assurance ne sont susceptibles d'être pris en charge que si l'assureur estime que le traitement de l'affaire doit être délégué à un conseil externe ».

        8.Extraits de leur contexte, les termes de cette réponse pourraient donner à penser que l'assureur ne peut pas refuser de supporter les honoraires du conseil choisi par l'assuré lorsque celui-ci lui en fait la demande. Il suffirait que l'assuré informe l'assureur qu'il a consulté un avocat pour que l'assureur soit aussitôt tenu de prendre en charge les honoraires de celui-ci [12]. Le pas est vite franchi: l'assureur n'aurait plus le droit de fournir des services lui-même pour le compte de l'assuré ou, plus exactement, il perdrait ce droit dès que l'assuré voudrait confier sa défense à son avocat. En fin de compte, l'assuré déciderait du mode d'exécution de la garantie. Il pourrait, de sa propre initiative, mettre un terme à l'intervention en nature de l'assureur.

        On ne peut tirer pareille conclusion de l'arrêt. Celui-ci ne fournit une réponse qu'à une situation très particulière: celle où les deux parties au contrat d'assurance reconnaissent que l'assuré doit faire valoir ses droits en justice et où, malgré tout, l'assureur entend encore assumer lui-même la défense de l'assuré. On imagine que l'assureur a, en l'occurrence, considéré qu'il était en mesure de guider utilement l'assuré dans la procédure dans le cadre de laquelle l'assistance d'un avocat n'était pas légalement obligatoire [13]. Il est fort possible qu'il ait pu fournir des conseils judicieux et avisés. Qu'à cela ne tienne, il n'a pas le droit d'imposer ses services. Quand la défense de l'assuré doit être exercée en justice, il n'appartient pas à l'assureur de porter un jugement sur la nécessité de confier cette défense à un avocat. Si l'assuré souhaite choisir son avocat, l'assureur n'a d'autre choix, dans ce cas de figure, que d'en supporter le coût.

        La Cour de justice précise que le fait que la législation de l'Etat membre impose ou non à l'assuré d'être assisté par un avocat pour mener la procédure n'est pas de nature à modifier sa position. On ne peut qu'approuver. La directive veut que l'assuré ait le droit de faire appel à l'avocat de son choix pour le défendre dans une procédure. Peu importe que, pour la procédure en cause, l'assistance d'un avocat soit ou non obligatoire.

        La Cour ne s'est prononcée que sur l'interprétation de l'article 4, 1., sous a), de la directive, celui qui reconnaît le principe du libre choix de l'avocat dans toute procédure. L'article 2, qui reconnaît le droit de l'assureur de fournir des services, n'est pas en cause. L'arrêt Sneller a somme toute une portée limitée. Il faut se garder de détacher la réponse de la Cour de justice de la question qui lui a été posée et de son cadre de référence.

        B) La décision de recourir à une procédure

        9.La Cour de justice ne s'est pas non plus prononcée sur le point de savoir qui décide quand il faut recourir à une procédure judiciaire. Dans l'affaire qui lui a été soumise, cette question ne s'est même pas posée car les parties étaient d'accord sur les mesures qu'il convenait de prendre pour la défense de l'assuré. L'assureur avait donné son accord sur l'introduction d'une action judiciaire contre le tiers.

        Mais que se passe-t-il quand l'assuré entend agir en justice tandis que l'assureur prétend gérer le dossier par ses propres services? Répondre à la question n'est pas tâche aisée. Il faut toujours chercher un équilibre entre le droit de l'assuré d'exiger la prestation promise et le droit de l'assureur d'exécuter celle-ci conformément à ce qui a été convenu.

        10.La prestation en nature est un droit de l'assureur si bien que celui-ci peut imposer ses services (donner son avis, rédiger les courriers, entamer des négociations pour le compte de l'assuré, somme toute faire le nécessaire en vue de la satisfaction des droits de celui-ci), en principe, aussi longtemps que l'une des conditions prévues à l'article 156 de la loi du 4 avril 2014 n'est pas remplie.

        L'assuré a des obligations en cas de sinistre. Le droit qu'il a de décider de sa défense doit se conjuguer avec le droit de l'assureur à l'exécution en nature. C'est la raison pour laquelle toutes les mesures visant à obtenir le règlement du différend doivent être prises de commun accord [14]. La décision de recourir à une procédure judiciaire, qui entraîne le droit de l'assuré de confier sa défense à l'avocat de son choix, fait partie de ces mesures. Elle ne peut être prise ni par l'assuré seul, ni par l'assureur seul. Elle doit être concertée par les deux parties [15].

        Celles-ci ne sont malheureusement pas toujours sur la même longueur d'ondes. Il est arrivé que l'assureur ne fût pas diligent. S'il ne prend aucune initiative, s'il néglige de prendre les mesures que la défense de l'assuré impose, il engage sa responsabilité contractuelle envers l'assuré. Ce dernier pourra, au besoin, le faire condamner sur le fondement des articles 1142 et 1144 du Code civil. Leur différend sera en fin de compte tranché par le juge. L'assuré qui a perdu confiance en l'assureur défaillant doit pouvoir confier ses intérêts à un avocat, aux frais de cet assureur. Celui-ci doit garder à l'esprit que l'exécution en nature est à la fois un droit et une source d'obligations pour lui.

        Le désir de l'assuré de voir son propre conseil intervenir est parfois sous-tendu par un désaccord sur les mesures à prendre afin de défendre efficacement ses droits. L'assureur a pris les initiatives adéquates mais il n'a pas obtenu le retour attendu de l'adversaire. Il affirme que l'affaire est de celles où la patience est récompensée tandis que l'assuré considère que le dossier ne progresse pas ou pas suffisamment à son goût. Souhaitant une attitude plus agressive, l'assuré veut être assisté par un avocat pour la raison que seul l'avocat est habilité à faire ce sur quoi les parties au contrat d'assurance ne s'entendent pas. Il y a, à notre sens, une divergence d'opinion sur le fond du litige (que faut-il faire vis-à-vis de l'adversaire?) et il y a lieu à la notification et à la consultation de l'avocat prévues par la procédure dite d'objectivité [16]. La divergence entre l'assuré et l'assureur doit permettre à l'assuré de « consulter un avocat de son choix au moins pour savoir s'il faut patienter ou entreprendre une procédure judiciaire » [17].

        L'article 157 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances peut être appliqué aussi bien lorsque la divergence porte sur le bien-fondé de la prétention que l'assuré entend formuler contre l'adversaire (les droits invoqués ont-ils un fondement suffisant pour agir en justice?) que sur la tactique à suivre pour mener la défense (est-il opportun de saisir le juge maintenant ou doit-on encore patienter?). La mise en oeuvre de la procédure d'avis peut avoir pour effet de clôturer la phase amiable du sinistre. Cependant, l'assuré qui ne donne pas à l'assureur la possibilité de l'exécution en nature ne peut prétexter une divergence d'opinion pour obtenir la couverture des honoraires de son conseil.

        Le désaccord sur la nécessité d'introduire une procédure et, de manière plus générale, sur la nécessité de confier la défense de l'assuré à l'avocat en lieu et place de l'assureur, peut aussi être soumis à l'avis de la Commission mixte de protection juridique [18]. Certains auteurs ont regretté que, tant du côté des avocats que des assureurs, l'on ne songe encore que trop peu à saisir cette Commission [19].

        Conclusion

        11.L'arrêt Sneller ne peut être lu en ce sens qu'il obligerait l'assureur à accepter sans sourciller la décision de l'assuré de confier sa défense à un avocat et à en supporter le coût quelles que soient les circonstances. Il ne porte pas atteinte au droit de l'assureur de fournir sa garantie en dispensant lui-même l'assistance juridique à l'assuré. Ce droit à l'exécution en nature, tel qu'il est prévu par l'article 2 de la directive n° 87/344/CEE, est intact. L'arrêt commenté n'a d'autre portée que de rappeler le caractère absolu du droit de l'assuré de confier sa défense à l'avocat de son choix dans le cadre d'une procédure. Il ne signifie pas que l'assuré peut consulter l'avocat de son choix à tout moment, aux frais de l'assureur.

        [1] Professeur à l'ULg.
        [2] C.J.U.E., 10 septembre 2009, C-199/08, Eschig, Rec., 2009, p. I-8295. Cet arrêt a fait l'objet de plusieurs commentaires, voy. not. D. Lindemans, « Vrije keuze van advocaat - Inzake rechtsbijstand, ook in massaschadegevallen », N.J.W., 2010, p. 174; C. Paris, « La Cour de justice réaffirme le droit de l'assuré en protection juridique de choisir librement son avocat », J.T., 2010, p. 269; Ch. Verdure, « Arrêt Eschig: assurance protection juridique, choix de l'avocat et 'sinistre collectif' », R.D.C., 2010, p. 38.
        [3] C.J.U.E., 26 mai 2011, C-293/10, Stark, Rec., 2011, p. I-4711, note de J. Wildemeersch, « Arrêt Stark: libre choix de l'avocat et assurance protection juridique. Quand obligatoire ne veut pas dire absolu! », R.E.D.C., 2012/1, p. 127. Pour une analyse de ces trois arrêts, voy. C. Verdure, « Le libre choix de l'avocat en assurance protection juridique: précisions apportées par la Cour de justice de l'Union européenne », For.Ass., 2013, n° 139, p. 216.
        [4] Voy. le considérant 11 de l'arrêt.
        [5] Directive n° 87/344 du Conseil du 22 juin 1987 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance protection juridique, J.O.C.E., n° L 185/77 du 4 juillet 1987.
        [6] Le législateur européen a imposé la règle de la séparation de la gestion des sinistres protection juridique du reste des autres branches afin d'éviter autant que possible les conflits d'intérêts. Les modalités d'application de cette règle, telles qu'il les a conçues, comporte des imperfections (sur ce point, voy. not. C. Paris, Le régime de l'assurance protection juridique, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 403, nos 294-295). Il n'est pas exclu qu'un conflit d'intérêts puisse surgir malgré le respect de cette mesure.
        [7] G. Levie, « La directive sur l'assurance de la protection juridique du 22 juin 1987 », in Mélanges R.O. Dalcq. Responsabilités et assurances, Bruxelles, Larcier, 1994, p. 376; J.-L. Fagnart, « Rapport final », in L'assurance de protection juridique, actes du colloque organisé le 21 février 1991 à l'ULB, D.C.C.R., 1991-1992, p. 658, n° 19.
        [8] C. Paris, Le régime de l'assurance protection juridique, o.c., spéc. p. 82, nos 53 et s., p. 510, n° 372.
        [9] Art. 4:67, lid 1 van de wet op het financieel toezicht luidt als volgt: « Een rechtsbijstandverzekeraar draagt er zorg voor dat in de overeenkomst inzake de rechtsbijstanddekking uitdrukkelijk wordt bepaald dat het de verzekerde vrij staat een advocaat of een andere rechtens bevoegde deskundige te kiezen indien (a) een advocaat of andere rechtens bevoegde deskundige wordt verzocht de belangen van de verzekerde in een gerechtelijke of administratieve procedure te verdedigen, te vertegenwoordigen of te behartigen; of (b) zich een belangenconflict voordoet. »
        [10] P.-H. Delvaux, « A propos de la liberté de choix de l'avocat en matière de protection juridique » (note sous C.J.U.E., 7 novembre 2013), R.G.A.R., 2014, n° 15.042.
        [11] Sur ce point, voy. infra, n° 9.
        [12] Nous supposons que les conditions d'application de la garantie sont réunies c'est-à-dire que le type de litige en raison duquel l'assuré sollicite l'intervention de l'assureur est de ceux pour lesquels celui-ci a contractuellement promis sa couverture. La garantie est en soi acquise. Seul est en discussion le mode d'exécution de celle-ci: l'assureur peut-il dispenser ses propres services ou doit-il supporter le coût du conseil de l'assuré?
        [13] Aux Pays-Bas, l'assistance d'un avocat n'est pas obligatoire dans certaines procédures soumises au juge de canton, en particulier celles relatives au droit du bail ou aux conflits du travail. C'était précisément le cas dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt Sneller.
        [14] Ph. Colle, Handboek bijzonder gereglementeerde verzekeringscontracten, 5eme éd., Anvers, Intersentia, 2010, p. 360, n° 440.
        [15] Nous reproduisons ici un exemple de clause qui fait une juste application de ces principes résultant du droit de l'assureur de fournir des services et des obligations de l'assuré en cas de sinistre: « Sauf cas d'urgence, vous devez nous consulter avant toute décision et nous transmettre tous renseignements et documents demandés relatifs au sinistre. Vous devez également convenir avec nous de toute mesure susceptible d'entraîner des frais et nous tenir au courant de l'évolution de la procédure. Si vous ne remplissez pas ces obligations et qu'il en résulte un préjudice pour nous, nous avons le droit de prétendre à une réduction de notre prestation à concurrence du préjudice que nous avons subi. »
        [16] C. Paris, Le régime de l'assurance protection juridique, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 472, n° 349.
        [17] J.-L. Fagnart, note sous Civ. Dinant, 19 décembre 1996, D.C.C.R., 1007, p. 247.
        [18] Voy. le protocole d'accord du 3 novembre 2011 entre les assureurs de protection juridique affiliés à Assuralia, l'O.V.B. et l'O.B.F.G, qui est intégré dans le Code de déontologie de l'avocat, annexe VIII, www.avocats.be. Pour un recensement des avis de la Commission relatifs à la saisine de l'avocat, voy. D. de Callataÿ, “ Synthèse des avis de la Commission mixte de protection juridique Assuralia-avocats.be (2006-2011) - Première partie », R.G.A.R., 2013, n° 14.950.
        [19] V. Callewaert, « L'assurance protection juridique: ambitions, réalités et perspectives », in La victime, ses droits, ses juges, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 41; J.-F. Jeunehomme et J. Wildemeersch, L'assurance protection juridique, Coll. Les ateliers des FUCaM, Limal, Anthémis, 2012, p. 26.