Article

Opportunités nouvelles pour les offres de reprise, R.D.C.-T.B.H., 2013/9, p. 831-837

Opportunités nouvelles pour les offres de reprise

Eric Pottier [1] et Thierry L'Homme [2]

TABLE DES MATIERES

1. Introduction

2. Fondements légaux

3. Principe de l'offre de reprise

4. Assouplissement des conditions légales pour procéder à une offre de reprise

5. Origine des nouvelles règles

6. Changements apportés par le nouveau § 2/1 de l'article 513 du Code des sociétés 6.1. Abaissement du seuil d'offre de reprise en cas de fusion

6.2. Cession forcée des titres

7. Identité de l'offrant-société absorbante

8. Mesures d'exécution prises et à prendre par le Roi

9. Constitutionnalité

10. Sanctions

RESUME
La loi du 8 janvier 2012 « modifiant le Code des sociétés à la suite de la directive 2009/109/CE en ce qui concerne les obligations en matière de rapports et de documentation en cas de fusion ou de scissions » a modifié certaines règles prévues par l'article 513 du Code des sociétés en matière d'offre de reprise. Désormais, lorsque l'offre de reprise intervient en vue d'une fusion par absorption, le pourcentage de détention nécessaire par l'offrant s'établit à 90%, au lieu de 95% auparavant. De plus, à la même condition, le propriétaire des titres ne peut jamais s'opposer à leur transfert à l'offrant, même lorsqu'il s'agit d'une offre privée de reprise.
Bien que l'introduction de ces modifications résulte peut-être d'un malentendu de la part du législateur sur le sens de la directive, ces modifications n'étaient pas interdites par le droit européen et elles font désormais partie de notre droit positif. Les mesures d'exécution nécessaires ont été adoptées pour l'offre privée de reprise, mais pas encore pour l'offre publique de reprise. Toutefois, un offrant souhaitant effectuer une offre publique de reprise devrait déjà pouvoir bénéficier du seuil de 90%, sur la seule base de l'article 513 du Code des sociétés. En effet, cet article est clair et précis et ne nécessite qu'une modification de pure forme de l'arrêté royal du 27 avril 2007.
La question peut se poser de savoir si les nouvelles règles ne créeraient pas une discrimination inconstitutionnelle entre l'offre de reprise conditionnée à un seuil de détention de 95% et celle où ce seuil ne serait que de 90%. Nous sommes d'avis que tel n'est pas le cas dans la mesure où, dans le cadre de l'abaissement du seuil à 90%, l'offrant devra nécessairement tenir compte, pour la détermination des conditions de l'offre et singulièrement du prix, du fait qu'à l'issue de l'offre de reprise, une fusion interviendra entre cet offrant et la société visée. En revanche, la question est plus délicate en ce qui concerne le transfert forcé des titres à l'issue d'une offre privée de reprise en vue d'une fusion par absorption, alors qu'un tel transfert forcé n'existe pas dans les autres cas d'offre privée de reprise.
Enfin, outre ces questions, notre commentaire traite également de la forme et de la nationalité des sociétés concernées par les nouvelles règles, ainsi que des sanctions applicables si la fusion requise n'intervenait pas alors que l'offre de reprise aurait eu lieu.
SAMENVATTING
De wet van 8 januari 2012 “tot wijziging van het Wetboek van vennootschappen ingevolge richtlijn 2009/109/EG wat verslaggevings- en documentatieverplichtingen in geval van fusies en splitsingen betreft”, heeft bepaalde regels, voorzien in artikel 513 van het Wetboek van vennootschappen met betrekking tot het uitkoopbod, gewijzigd. Vanaf nu zal, wanneer het uitkoopbod wordt gedaan met het oog op een fusie door overneming, het noodzakelijk gehouden percentage door de bieder 90% zijn in plaats van 95%. Bovendien en onder dezelfde voorwaarde kan de eigenaar van de aandelen zich er nooit tegen verzetten dat zijn aandelen overgedragen worden aan de bieder, zelfs niet bij een privaat uitkoopbod.
Hoewel de invoering van deze aanpassingen misschien het resultaat is van een misverstand bij de wetgever over de betekenis van de richtlijn, zijn deze aanpassingen niet verboden door het Europees recht en maken ze voortaan deel uit van ons positief recht. De noodzakelijke uitvoeringsmaatregelen werden reeds aangenomen voor het privaat uitkoopbod, maar nog niet voor het openbaar uitkoopbod. Desalniettemin zal een bieder die een openbaar uitkoopbod wenst uit te voeren al gebruik kunnen maken van de 90%-drempel enkel op grond van artikel 513 van het Wetboek van vennootschappen. Dit artikel is namelijk voldoende duidelijk en nauwkeurig en vereist enkel een vormelijke wijziging van het koninklijk besluit van 27 april 2007.
Men kan zich de vraag stellen of deze nieuwe regels geen ongrondwettelijke discriminatie doen ontstaan tussen het uitkoopbod met als voorwaarde een minimum bezitsdrempel van 95% en diegene met enkel een bezitsdrempel van 90%. Wij zijn van mening dat dit niet het geval, is in de mate dat in het kader van het verlagen van de drempel naar 90%, de bieder er noodzakelijkerwijs rekening mee moet houden dat, voor de bepaling van de voorwaarden van het bod en in het bijzonder de prijs, bij het uitbrengen van het uitkoopbod een fusie zal plaatsvinden tussen die bieder en de doelvennootschap. De vraag daarentegen is delicater, wanneer het gaat om de verplichte overdracht van aandelen bij het uitbrengen van een privaat uitkoopbod met het oog op een fusie door overneming, vermits dergelijke verplichte overdracht niet bestaat bij de andere private uitkoopbiedingen.
Ten slotte, naast deze vragen, behandelt dit artikel eveneens de vorm en de nationaliteit van de vennootschappen waarop de nieuwe regels van toepassing zijn, alsook de toepasselijke sancties wanneer de vereiste fusie niet zou plaatsvinden na het uitkoopbod.
1. Introduction

1.Plusieurs sociétés cotées mènent ou ont mené une réflexion quant à l'opportunité de maintenir leur cotation. Le poids des contraintes réglementaires et les coûts qui y sont liés, la faible liquidité du titre en raison de l'étroitesse du flottant, la performance mesurée du cours de l'action depuis l'introduction en bourse, la pression exercée sur le management par les attentes du marché, l'activisme de certains actionnaires minoritaires, le risque d'une perte de contrôle de la société suite à la réussite d'une offre publique d'acquisition le cas échéant inamicale, la nécessité de délivrer des résultats immédiats qui s'accommode mal avec une politique d'investissements davantage axée sur le long terme, etc., sont autant de facteurs qui, dans certains cas, peuvent conduire à la conclusion que la cotation présente en définitive plus d'inconvénients que d'avantages.

Dans un tel contexte et quoique certains de ces facteurs soient probablement surestimés, la voie du going private et du delisting apparaît parfois séduisante [3].

2.La procédure d'offre publique de reprise (encore appelée cession forcée ou squeeze-out), combinée le cas échéant à une offre publique d'acquisition préalable, peut utilement contribuer à réaliser un delisting.

Depuis le 1er janvier 2012, neuf offres publiques d'acquisition avec intention de procéder à une offre publique de reprise si les conditions légales étaient remplies, ont été lancées sur des sociétés belges: Transics International, I.R.I.S. Group, Devgen, VPK Packaging Group, Vemedia Pharma, Telenet Group Holding, Duvel Moortgat, Proximedia et Rosier [4]. Sur les dix-huit dernières années, la bourse de Bruxelles a connu 133 delistings [5].

3.Un assouplissement récent des conditions permettant de lancer une offre de reprise ouvre de nouvelles perspectives et pourrait encore accélérer ce processus. La présente note vise à décrire succinctement le contenu de ces modifications législatives et réglementaires.

2. Fondements légaux

4.L'offre de reprise trouve son fondement légal dans l'article 513 du Code des sociétés [6].

Ce dernier opère une distinction entre l'offre de reprise des titres d'une société anonyme ayant fait ou faisant publiquement appel à l'épargne (l'offre publique de reprise), et celle des titres d'une société anonyme n'ayant pas fait ou ne faisant pas publiquement appel à l'épargne (l'offre privée de reprise).

5.La réglementation applicable aux offres publiques de reprise comprend:

    • l'article 513, § 1er, du Code des sociétés;
    • les dispositions de la partie II de la loi du 1er avril 2007 relative aux offres publiques d'acquisition (ci-après « loi OPA ») et ses mesures d'exécution [7], [8], [9]; l'offre publique de reprise constitue en effet une forme d'offre publique d'acquisition;
    • les dispositions de l'arrêté royal du 27 avril 2007 relatif aux offres publiques de reprise (ci-après « l'arrêté OPR ») [10].

    Les offres privées de reprise sont, quant à elles, régies par:

      • l'article 513, § 2, du Code des sociétés;
      • les articles 209 à 219 de l'arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du Code des sociétés.

      6.Enfin, les articles 42, 43 et 57 de l'arrêté OPA organisent une procédure d'offre publique de reprise simplifiée, applicable aux offres publiques de reprise consécutives à une offre publique d'acquisition, volontaire ou obligatoire.

      3. Principe de l'offre de reprise

      7.L'article 513, § 1er, alinéa 1er, du Code des sociétés dispose que: « Une personne physique ou morale, ou plusieurs personnes physiques ou morales qui agissent de concert et qui détiennent, conjointement avec la société, 95% des titres conférant le droit de vote d'une société anonyme ayant fait ou faisant publiquement appel à l'épargne, peuvent acquérir, à la suite d'une offre publique de reprise, la totalité des titres avec droit de vote ou donnant accès au droit de vote. »

      A l'issue de l'offre publique de reprise:

        • les titres non présentés à l'expiration de l'offre, que le propriétaire se soit ou non manifesté, sont réputés transférés de plein droit à l'offrant avec consignation du prix;
        • la société ne sera plus considérée comme ayant fait ou faisant publiquement appel à l'épargne (sauf si la société a émis des obligations qui sont encore répandues dans le public) et Euronext procède d'office à la radiation des titres qui étaient admis à la négociation sur ce marché [11].

        8.Le même principe de transfert de plein droit des titres à l'offrant existe pour les offres privées de reprise, à cette différence fondamentale près que le propriétaire peut faire savoir expressément et par écrit à l'offrant qu'il refuse de s'en défaire, auquel cas ses titres ne sont pas transférés [12].

        4. Assouplissement des conditions légales pour procéder à une offre de reprise

        9.Certaines modifications importantes des règles relatives aux offres de reprise ont été apportées par la loi du 8 janvier 2012 « modifiant le Code des sociétés à la suite de la directive 2009/109/CE en ce qui concerne les obligations en matière de rapports et de documentation en cas de fusions ou de scissions » [13]. L'article 3 de cette loi ajoute un nouveau § 2/1 à l'article 513 du Code des sociétés, rédigé en ces termes:

        « Lorsque l'offre de reprise intervient en vue d'une fusion par absorption effectuée par une société anonyme qui ne détient pas la totalité mais au moins 90% des actions et autres titres conférant un droit de vote à l'assemblée générale dans la société anonyme absorbée, le pourcentage visé aux § 1er, alinéa 1er, et § 2, alinéa 1er, s'élève à 90%.

        Le propriétaire ne peut indiquer qu'il ne souhaite pas renoncer à ses titres. »

        5. Origine des nouvelles règles

        10.Les nouvelles règles trouvent leur origine dans la directive 2009/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 modifiant les directives 77/91/CEE, 78/855/CEE et 82/891/CEE du Conseil ainsi que la directive 2005/56/CE en ce qui concerne les obligations en matière de rapports et de documentation en cas de fusions ou de scissions. La directive 2009/109/CE a pour objectif général de simplifier ces obligations [14], [15].

        Plus particulièrement, le dixième considérant de la directive énonce que:

        « Les fusions entre les sociétés mères et leurs filiales ont une incidence économique réduite sur les actionnaires et les créanciers lorsque la société mère détient, dans la filiale, au moins 90% des actions et autres titres conférant un droit de vote. […] En pareil cas, les obligations en matière de rapport résultant des directives 78/855/CEE et 82/891/CEE devraient donc être réduites. »

        11.L'article 28 de la directive 78/855/CEE prévoyait initialement que, lorsqu'une fusion par absorption était effectuée par une société qui détenait au moins 90%, mais pas la totalité, des actions et des autres titres conférant un droit de vote aux assemblées générales de la société ou des sociétés absorbées, les Etats membres pouvaient ne pas imposer les exigences énoncées aux articles 9 (rapport de l'organe d'administration), 10 (rapport de l'expert indépendant) et 11 (droit pour les actionnaires de prendre connaissance des documents un mois au moins avant la date de la réunion de l'assemblée générale appelée à se prononcer sur le projet de fusion) de ladite directive si trois conditions étaient réunies:

          • les actionnaires minoritaires de la société absorbée pouvaient exercer le droit de faire acquérir leurs actions par la société absorbante;
          • dans ce cas, ils avaient le droit d'obtenir une contrepartie correspondant à la valeur de leurs actions;
          • en cas de désaccord sur cette contrepartie, celle-ci devait pouvoir être déterminée par un tribunal.

          La Belgique n'avait pas fait usage de cette faculté offerte par la directive.

          12.L'article 2, point 11, de la directive 2009/109/CE a modifié l'article 28 sur divers points.

          Premièrement, l'article 28 a cessé d'être une faculté et est devenu une obligation pour les Etats membres: ceux-ci ne peuvent plus imposer l'application des articles 9, 10 et 11 si les trois conditions précitées sont remplies [16]. Cette modification est sans incidence puisque la Belgique n'a toujours pas organisé une procédure de sell-out répondant à ces conditions en matière de fusion.

          Deuxièmement, toutefois, la directive 2009/109/CE ajoute un second alinéa à l'article 28, libellé en ces termes:

          « Un Etat membre peut ne pas appliquer le premier alinéa si la législation autorise la société absorbante, sans qu'il y ait eu préalablement d'offre publique d'achat, à exiger de tous les porteurs des titres restants de la société ou des sociétés à absorber qu'ils lui vendent ces titres avant la fusion à un prix équitable. »

          En d'autres termes, la directive permet désormais à un Etat membre, dans l'hypothèse d'une fusion par absorption effectuée par une société qui détient au moins 90%, mais pas la totalité, des actions de la société absorbée, de maintenir l'obligation d'établir les rapports et le droit de consultation des documents par les actionnaires, si la société absorbante peut, avant la fusion, procéder à une offre de reprise portant sur la société qui sera ensuite absorbée.

          13.L'on peut se demander si le législateur belge ne s'est pas mépris quant à l'interprétation à donner à cette modification en introduisant le nouveau § 2/1 à l'article 513 du Code des sociétés.

          En effet, selon les travaux préparatoires de la loi du 8 janvier 2012, « Le paragraphe en projet [à savoir le nouveau § 2/1 de l'article 513 du Code des sociétés] constitue la transposition de l'article 2, 11), de la directive. Etant donné que le droit de squeeze-out devient possible en cas de fusion par absorption par une société anonyme qui ne détient pas la totalité mais au moins 90% des actions et autres titres conférant un droit de vote à l'assemblée générale dans la société anonyme absorbée, les Etats membres peuvent encore toujours imposer les exigences énoncées aux articles 9, 10 et 11 de la troisième directive (respectivement les art. 694, 695 et 697 du Code des sociétés) dans le cas d'une telle fusion. » [17].

          Les travaux préparatoires indiquent de même que « En vue de pouvoir imposer une série d'obligations relatives au rapport de l'organe d'administration concernant le projet de fusion, au rapport de vérification par un réviseur dans le cadre du projet de fusion et à la préparation des assemblées générales, le droit de reprise ('squeeze out'), prévu par l'article 513, devient possible en cas de fusion par une société anonyme qui ne détient pas la totalité, mais au moins 90% des actions (et autres titres conférant un droit de vote à l'assemblée générale) dans la société anonyme absorbée. » [18].

          En d'autres termes, le législateur a considéré, peut-être à tort, qu'il devait prévoir la possibilité d'une offre de reprise avec un seuil abaissé à 90% s'il voulait maintenir, en cas de fusion subséquente, les obligations visées aux articles 694, 695 et 697 du Code des sociétés.

          14.Cela étant, le législateur belge n'a violé aucune disposition de droit européen. En effet, l'article 15 de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition prévoit que les Etats membres veillent à organiser une procédure d'offre de reprise lorsque l'offrant détient au moins 90% des titres à l'issue de l'offre. Ce même article permet toutefois aux Etats membres de fixer un seuil plus élevé pour autant qu'il ne dépasse pas 95%. On sait que le législateur belge a choisi initialement de retenir ce seuil plus élevé à l'article 513 du Code des sociétés, mais le droit européen ne lui interdit pas de l'abaisser à présent à 90% dans le cas d'une offre de reprise suivie d'une fusion.

          6. Changements apportés par le nouveau § 2/1 de l'article 513 du Code des sociétés [19]
          6.1. Abaissement du seuil d'offre de reprise en cas de fusion

          15.Tant pour l'offre publique que pour l'offre privée de reprise, le pourcentage de titres conférant le droit de vote que l'offrant doit détenir est abaissé de 95% à 90%, lorsque l'offre de reprise intervient en vue d'une fusion par absorption de la société cible par l'offrant.

          A la suite de l'offre de reprise, la société-mère/offrant devient l'actionnaire unique de la filiale et peut ainsi absorber cette dernière en bénéficiant du régime prévu pour les fusions simplifiées.

          La loi ne spécifie pas le délai dans lequel la fusion doit intervenir, mais le délai entre l'offre de reprise et la fusion devra être raisonnable. Le prospectus, dans le cas d'une offre publique, et le rapport de l'offrant, dans le cas d'une offre privée, devront bien entendu se référer à la fusion à venir. La FSMA exigera très probablement des engagements fermes de la part de l'offrant de réaliser la fusion dans la foulée [20].

          16.Le texte légal indique que tant l'offrant que la société cible doivent revêtir la forme d'une société anonyme. Si les règles relatives aux offres de reprise exigeaient déjà que la société cible soit une société anonyme et qu'il s'agisse d'une société de droit belge, conformément à l'application de la lex societatis, elles ne comportaient jusqu'à présent aucune référence quant à l'identité de l'offrant. Nous reviendrons sur cette question ci-dessous.

          6.2. Cession forcée des titres

          17.En ce qui concerne spécifiquement l'offre privée de reprise, la cession des titres est forcée. Une telle cession forcée s'appliquait jusqu'à présent à la seule offre publique de reprise (dans tous les cas). Désormais, pour autant qu'une offre privée de reprise intervienne en vue d'une fusion par absorption effectuée par l'offrant, les actionnaires ne peuvent plus non plus s'opposer à la cession de leurs titres.

          7. Identité de l'offrant-société absorbante

          18.Nous l'avons indiqué, l'article 513, § 2/1, spécifie que l'offrant, qui sera la société absorbante lors de la fusion qui suivra l'offre de reprise, doit être une société anonyme. Les travaux préparatoires ne contiennent aucun développement à ce sujet.

          Faut-il en déduire que l'offrant doit être une société anonyme de droit belge? En première analyse, nous ne le pensons pas. En effet, d'une part, les règles de droit commun de l'offre de reprise sont applicables quelle que soit la nationalité de l'offrant et, dès lors, l'utilisation du terme « société anonyme » par le nouvel article 513, § 2/1, ne nous paraît pas suffisante pour exclure un offrant société étrangère. D'autre part, la fusion transfrontalière est expressément permise par le Code des sociétés (art. 772/1 à 772/14) depuis la loi du 8 juin 2008. A nouveau, dans ces conditions, la rédaction de l'article 513, § 2/1, ne nous paraît pas exclure une société étrangère en qualité de société absorbante dans la fusion faisant suite à l'offre de reprise.

          La raison pour laquelle le législateur belge a utilisé le terme « société anonyme » tient probablement au champ d'application de la directive 78/855/CEE (que la directive 2009/109/CE modifie), lequel, en Belgique, se limite à la société anonyme. Toutefois, à notre sens, il s'agit uniquement d'une limitation quant à la forme de la société, non quant à sa nationalité. Il en est d'autant plus ainsi qu'une limitation du champ d'application aux sociétés anonymes belges serait contraire aux libertés fondamentales du marché intérieur de l'Union européenne, et plus particulièrement de la libre circulation des capitaux (art. 63 TFUE).

          Si la société étrangère qui réalise l'offre de reprise et l'absorption relève d'un des Etats membres de l'Union européenne, la question de savoir si elle revêt une forme de société anonyme s'effectuera en consultant la liste prévue par l'article 1er de la directive 78/855/CEE pour la définition du champ d'application de cette directive.

          On rappellera toutefois que, bien que les dispositions du Code des sociétés relatives aux fusions transfrontalières constituent la transposition de la directive 2005/56/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux, les dispositions belges ont aussi vocation à s'appliquer à la fusion entre une société belge et une société relevant d'un Etat non membre de l'Union européenne, quoiqu'une telle fusion puisse poser une série de difficultés [21]. Dans ce cas, la question de savoir si la société étrangère revêt une forme de société anonyme sera tranchée par la comparaison de ses caractéristiques avec celle d'une société anonyme belge, exercice qui pourra s'avérer complexe et qui, dans cette mesure, est susceptible de compromettre la sécurité juridique de l'opération.

          19.Précisons enfin que la société cible, société dont les titres font l'objet de l'offre de reprise et qui se voit ensuite absorbée, devra, en revanche, non seulement être une société anonyme, mais aussi une société de droit belge.

          8. Mesures d'exécution prises et à prendre par le Roi

          20.Le seuil de l'offre de reprise étant non seulement spécifié à l'article 513 du Code des sociétés, mais également dans ses arrêtés d'exécution, la modification de ceux-ci est nécessaire.

          Un arrêté royal du 29 mars 2012 [22] a dès lors modifié l'arrêté royal du 30 janvier 2011 portant exécution du Code des sociétés, pour tenir compte tant de l'abaissement du seuil à 90% dans l'hypothèse visée à l'article 513, § 2/1, que de la cession forcée des titres dans cette même hypothèse (art. 210 et 219 de l'arrêté royal du 30 janvier 2011).

          21.En revanche, à la date de rédaction de la présente contribution, aucun arrêté royal n'a encore été publié pour modifier l'arrêté royal du 27 avril 2007 relatif aux offres publiques de reprise. L'article 2, 2°, et l'article 3 de cet arrêté continuent ainsi à exiger un seuil de 95%, sans prévoir l'exception désormais visée à l'article 513, § 2/1, du Code des sociétés. A l'heure où nous écrivons ces lignes, le processus qui devrait déboucher sur l'adoption d'un arrêté royal modificatif paraît relever du parcours d'obstacles.

          Dans l'attente de cette adoption, un offrant devrait cependant déjà pouvoir bénéficier du seuil de 90%, sur la seule base de l'article 513, § 2/1, du Code des sociétés. Cet article est clair et précis et ne nécessite qu'une modification de pure forme de l'arrêté royal du 27 avril 2007, sans aucune marge d'appréciation laissée au Roi quant au contenu de l'arrêté modificatif sur le plan du fond. Cette solution est conforme à l'article 159 de la Constitution: « Les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois. » [23].

          22.Un raisonnement similaire nous paraît pouvoir être appliqué en cas d'offre de reprise simplifiée.

          Les articles 4, § 1er, 5° et 8, 5°, de la loi OPA se limitent à renvoyer à l'article 513, § 1er, du Code des sociétés. Aucune modification de la loi OPA n'est donc requise pour appliquer le seuil de 90% aux offres de reprises simplifiées précédant une fusion avec la société cible.

          L'article 42 de l'arrêté OPA mentionne quant à lui le seuil de 95% et devrait donc être modifié. Toutefois, par application des principes rappelés ci-dessus (n° 21), dans l'attente de la publication d'un arrêté royal modificatif, un offrant devrait déjà pouvoir bénéficier de l'exception, sur la seule base de l'article 513, § 2/1, du Code des sociétés. Ainsi, si à l'issue de son offre, l'offrant détient plus de 90% des titres avec droit de vote, il devra rouvrir l'offre conformément à l'article 35 de l'arrêté OPA et pourra ensuite procéder à une offre de reprise simplifiée même s'il ne détient pas encore à ce moment 95% des titres. Les autres conditions visées à l'article 42 de l'arrêté OPA devront continuer à être réunies, dont principalement l'exigence que l'offrant ait acquis, par acceptation de l'offre, des titres représentant au moins 90% du capital assorti de droits de vote faisant l'objet de l'offre (double seuil).

          9. Constitutionnalité

          23.Certains auteurs s'interrogent sur le risque de voir la nouvelle disposition censurée par la Cour constitutionnelle au motif qu'elle créerait une discrimination non justifiable entre une offre de reprise conditionnée à un seuil de détention de 95% dans le chef de l'offrant et celle où ce seuil ne serait que de 90% [24]. Nous sommes d'avis qu'il n'y a pas, en l'espèce, de rupture du principe d'égalité dans la mesure où, dans le cadre de l'abaissement du seuil à 90%, l'offrant devra nécessairement tenir compte, pour la détermination des conditions de l'offre et singulièrement du prix, du fait qu'à l'issue de l'offre de reprise, une fusion interviendra entre cet offrant et la société visée; l'offre de reprise et la fusion constituent en quelque sorte une seule opération.

          24.Il pourrait par ailleurs être soutenu que l'article 513, § 2/1, du Code des sociétés créerait une discrimination dans le contexte des offres privées de reprise. En effet, si cette offre de reprise est suivie d'une fusion, les actionnaires minoritaires ne peuvent désormais plus s'opposer au transfert de leurs titres, alors qu'ils conservent le droit de le faire en toutes autres circonstances. Cette importante différence de traitement paraît plus difficile à justifier objectivement. Il en est d'autant plus ainsi que le régime de l'offre privée de reprise ne prévoit pas les mêmes garanties en matière de prix adéquat que celles qui existent pour l'offre publique de reprise.

          10. Sanctions

          25.Comme il a été dit, la loi ne précise pas le délai dans lequel la fusion doit intervenir. Au moment de se prononcer sur la recevabilité de l'offre, la FSMA exigera très probablement des engagements fermes de l'offrant quant à la réalisation de la fusion avec la cible. Pour les offres publiques de reprise, le prospectus devra également contenir des précisions à cet égard.

          Si l'offrant ne procédait pas à la fusion, non seulement la responsabilité des administrateurs de l'offrant pourrait être engagée mais les actionnaires minoritaires pourraient postuler la nullité de l'offre de reprise; ils auraient en effet été trompés sur les intentions réelles de l'offrant et une des conditions essentielles pour pouvoir procéder à l'offre de reprise ferait défaut.

          Rappelons également qu'en vertu de l'article 21 de la loi OPA, lorsque le prospectus est soumis à l'approbation de la FSMA, il doit clairement indiquer qui est responsable de ce prospectus et de ses suppléments éventuels. Le prospectus reprend alors une déclaration de ces personnes certifiant qu'à leur connaissance les données du prospectus (et donc notamment le fait qu'une fusion avec la cible interviendra dans un délai proche et sans doute même déterminé) sont conformes à la réalité et ne comportent pas d'omission de nature à en altérer la portée. Les personnes ainsi indiquées seront tenues solidairement envers les intéressés de la réparation du préjudice causé par le caractère trompeur ou inexact des informations contenues dans le prospectus et ses éventuels suppléments. Le préjudice subi par le détenteur de titres de la société visée est présumé résulter, sauf preuve contraire, de l'absence ou du caractère trompeur ou inexact des informations dans le prospectus et ses éventuels suppléments.

          [1] Avocat au barreau de Bruxelles, associé Linklaters LLP, maître de conférences à l'Université de Liège.
          [2] Avocat au barreau de Bruxelles, Counsel Linklaters LLP.
          [3] Cf. D. Napolitano et M. Wyckaert, « Is er leven na de beurs?: introductie tot de 'going private' operatie naar Belgisch recht », T.R.V., 2001, pp. 161-192.
          [4] Source: www.fsma.be.
          [5] Cf. L'Echo du 18 février 2013.
          [6] Cf. notamment à ce sujet E. Pottier, « Les offres publiques de reprise: développements récents et 'going private' », in Séminaire Vanham & Vanham, 28 février 2013 sur le thème « OPA: le point sur la législation et la pratique actuelles ».
          [7] M.B., 26 avril 2007, p. 22378.
          [8] Conformément aux art. 4, § 1er, 5° et 8, 5°, de la Loi OPA.
          [9] Arrêté royal du 27 avril 2007 relatif aux offres publiques d'acquisition (ci-après « l'arrêté OPA ») (M.B., 23 mai 2007, p. 27736).
          [10] M.B., 23 mai 2007, p. 27789.
          [11] Art. 513, § 1er, al. 2 et 3, du Code des sociétés et art. 19 de l'arrêté OPR.
          [12] Art. 513, § 2, al. 2, du Code des sociétés.
          [13] M.B., 18 janvier 2012.
          [14] Cf. notamment les considérants 6, 9 et 10 de la directive.
          [15] Pour un commentaire de ces modifications, introduites en droit belge par la loi du 8 janvier 2012, cf. notamment P. Vandendriessche et A. Hermans, « Verslaggevings- en documentatieverplichtingen bij fusies en splitsingen anno 2012 », R.D.C., 2012, pp. 663 et s.; A. Tilleux et E. Weemaels, « Les nouvelles obligations en matière de fusions et de scissions », J.T., 2013, pp. 145 et s.; Ph. Malherbe et D. Danthine, « Procédures de fusion et de scission nationales et squeeze-out: la loi du 8 janvier 2012 », Rev. prat. soc., 4/2012, n° 7077, pp. 395 et s. Cf. également J.-A. Delcorde, « Les procédures de fusion et de scission simplifiées entre sociétés du même groupe », in Droit des groupes de sociétés - Questions pratiques, Larcier, 2013, pp. 43 et s.
          [16] La troisième condition visée par l'art. 28 a aussi été modifiée en permettant, en cas de désaccord sur la contrepartie, le recours à une autorité administrative désignée à cet effet par l'Etat membre.
          [17] Cf. l'exposé des motifs, Doc. parl., Chambre, n° 53-1849/001, p. 5.
          [18] Cf. le rapport, Doc. parl., Chambre, n° 53-1849/003, p. 4.
          [19] Pour un bref commentaire de ces changements, cf. J.-A. Delcorde, « Les procédures de fusion et de scission simplifiées entre sociétés du même groupe », in Droit des groupes de sociétés - Questions pratiques, Larcier, 2013, nos 37 et s., pp. 70 et s.; Ph. Malherbe et D. Danthine, « Procédures de fusion et de scission nationales et squeeze-out: la loi du 8 janvier 2012 », Rev. prat. soc., 4/2012, nos 56 et s., pp. 450 et s.
          [20] Sur la possibilité de mener en parallèle l'offre de reprise et la fusion, cf. J.-A. Delcorde, « Les procédures de fusion et de scission simplifiées entre sociétés du même groupe », in Droit des groupes de sociétés - Questions pratiques, Larcier, 2013, n° 40, pp. 73 et s.
          [21] Cf. notamment, P. Hainaut-Hamende, « Les sociétés anonymes - 2e partie: Opérations sur le capital, émissions publiques, transformation, fusion et scission », Rép. not., Bruxelles, Larcier, 2009, n° 908, p. 543.
          [22] M.B., 10 avril 2012.
          [23] Cf. S. Van Koekenbeek, Principes fondamentaux du contentieux constitutionnel belge, tome 1, Anthémis, 2010, pp. 339-341; M. Leroy, « Une arme nouvelle contre l'inertie du pouvoir: le recours contre la carence réglementaire », Adm. publ. trim., 1986, p. 80.
          [24] R. Uzieblo et C. Michiels, « De wet van 8 januari 2012: een (luk)rake poging naar meer eenvoud bij fusies en splitsingen? », T.R.V., 2012, n° 40, p. 399.