Article

Tribunal de première instance Bruxelles, 15/12/2011, R.D.C.-T.B.H., 2013/7, p. 663-666

Tribunal de première instance de Bruxelles 15 décembre 2011

SAISIE ET EXECUTION
Saisie-arrêt conservatoire - Saisie-arrêt bancaire - Déclaration de tiers saisi - Obligation de mentionner le solde débiteur irrégulier d'un compte bancaire (non)
Si le compte bancaire (unique) saisi présente un solde débiteur, la saisie est sans objet. Un solde débiteur irrégulier peut être assimilé à un crédit forcé. La banque devient, du fait de ce crédit (forcé) créancière et non débitrice du saisi. Il n'y a pas d'obligation pour la banque tiers saisi de faire figurer le solde débiteur dans la déclaration de tiers saisi.
BESLAG EN EXECUTIE
Bewarend beslag onder derden - Bankbeslag - Verklaring van derde beslagene - Geen verplichting het (onregelmatig) debetsaldo te vermelden
Indien de (enige) rekening debiteur is, is het beslag zonder voorwerp. Een onregelmatige debetstand kan worden gelijkgesteld met een afgedwongen krediet. De bank wordt door dit (afgedwongen) krediet de schuldeiser en niet de schuldenaar van de beslagene. De bank derde-beslagene moet het debetsaldo niet vermelden in de verklaring van derde beslagene.

M.T. / SA Fortis Banque

Siég.: C. Heilporn (juge des saisies)
Pl.: Mes J. Toro et J. Linsmeau

En cette cause tenue en délibéré le 20 octobre 2011, le juge des saisies prononce son jugement;

Vu les pièces de la procédure, et notamment:

- l'exploit introductif d'instance signifié le 14 février 2011 par exploit de l'huissier de justice Th. Van Diest de résidence à Ixelles;

- l'ordonnance prononcée le 24 février 2011 en application de l'article 747 du Code judiciaire;

- les conclusions de la partie M.T. déposées le 24 juin 2011 et le 26 août 2011;

- les conclusions de la partie SA Fortis Banque déposées le 29 avril 2011, le 28 juillet 2011 et le 16 septembre 2011;

- la requête en réouverture des débats déposée le 16 novembre 2011;

- les observations du 25 novembre 2011;

Entendu les conseils des parties en leurs dires et moyens à l'audience publique du 20 octobre 2011;

1. Objet de l'action

La demande tend, à titre principal, à entendre condamner la SA Fortis Banque, en sa qualité de tiers saisi débiteur pur et simple, à payer à M. M. les sommes de 385.285,33 EUR selon compte arrêté au 31 décembre 2010 et de 1.295,74 EUR à titre de rente mensuelle à dater du présent jugement et jusqu'à son décès et, à titre subsidiaire, à voir réserver à statuer sur la demande dans l'attente du jugement en interprétation du tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe à intervenir.

2. Antécédents

M. M. a été employé par la société CIZA en République Démocratique du Congo (RDC).

Le 19 décembre 1994, l'administrateur général de la CIZA, M. G., signa un document aux termes duquel il était prévu que suite à l'accident de la circulation dont avait été victime M. M., il avait été décidé “de mettre fin au contrat de travail qui le liait à la société” et, “de lui assurer une allocation mensuelle de 52.270 FB payables en équivalents zaïres à la fin de chaque mois. En cas de décès, cette allocation sera assurée à la veuve et aux orphelins”.

Il semble que cette rente ait été payée pendant plusieurs mois mais que ces paiements cessèrent à la fin de l'année 1995.

Le 31 juillet 1996, M. M. cita la CIZA devant le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe en paiement de ladite rente.

Par jugement du 20 mars 1997, “exécutoire nonobstant tout recours”, le tribunal de grande instance condamna “la défenderesse à payer au demandeur la somme équivalent en nouveaux zaïres de 52.270 FB depuis le mois de janvier 1996 jusqu'à parfait paiement”.

La CIZA (devenue CILU) interjeta appel de ce jugement uniquement quant à l'exécution provisoire. Cet appel fut déclaré non fondé par arrêt du 26 juin 1997.

Elle déposa également plainte pour faux et usage de faux à charge de M. G., signataire du document du 19 décembre 1994, et de M. M.

Par jugement du 9 novembre 2001, le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe siégeant en matière répressive au second degré décida que:

- l'attestation était un faux;

- M. G. s'était rendu coupable de l'infraction de faux en écriture et devait être condamné de ce chef;

- l'élément moral constitutif de l'usage de faux faisait défaut dans le chef de M. M. qui devait dès lors être acquitté.

M. G. s'est pourvu en cassation contre ce jugement.

La CILU a prétendu que le jugement du 20 mars 1997 la condamnait uniquement à payer à M. M. une somme unique et forfaitaire de 52.270 FB et non une rente mensuelle de ce même montant.

M. M. a dès lors introduit le 24 septembre 2003, une action en interprétation du jugement du 20 mars 1997.

Par jugement du 10 août 2004, le tribunal de grande instance décida de surseoir à statuer sur cette demande aux motifs “qu'il ne peut interpréter le jugement (...) tant que la Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur la fausseté ou non de l'attestation dont se prévaut M. M., ladite attestation étant et restant la pièce maîtresse du procès pénal”.

Le 2 septembre 2008, la Cour suprême de justice de la RDC rejeta le pourvoi introduit par M. G.

Parallèlement, M. M. a déposé le 18 avril 2006 une requête en exequatur devant le tribunal de première instance de Bruxelles.

Celle-ci a été rejetée par une ordonnance du 8 novembre 2006, réformée en degré d'appel par un arrêt du 16 janvier 2007.

Saisie d'une tierce opposition formée par la CILU, la cour d'appel a, le 20 avril 2009, confirmé cet arrêt ordonnant l'exequatur du jugement du 20 mars 1997.

Le 7 septembre 2010, M. M. a fait signifier à la CILU un commandement de payer un montant 376.247,56 EUR.

Le 17 septembre 2010, il a fait pratiquer une saisie-arrêt exécution entre les mains de la SA Fortis Banque à charge de la CILU.

Le même jour la SA Fortis Banque a établi une déclaration de tiers saisi reprenant les avoirs bancaires qu'elle détenait au nom de la CILU en ces termes:

“Il existe, au nom de CIMENTERIE DE LUKALA AU CONGO SA, les avoirs suivants:


Type de compte Numéro Titulaire Valeur
Compte à vue (…) CILU 29.258,48 EUR
Compte à vue (…) CILU solde débiteur

que suite à l'application de l'unicité des comptes prévue par l'article 30 des conditions générales bancaires, le banque ne doit rien au saisi.”

M. M. a fait savoir à la SA Fortis qu'il estimait que sa déclaration de tiers saisi était incomplète dans la mesure où elle s'abstenait d'indiquer le montant du solde débiteur du compte (…).

Un échange de correspondances s'en est suivi, la SA Fortis Banque estimant qu'elle avait rempli ses obligations de tiers saisi.

Le 14 février 2011, M. M. a lancé sa citation faisant l'objet de la présente procédure.

Il a par ailleurs réactivé en mai 2011 sa procédure en interprétation du jugement du 20 mars 1997 devant le tribunal de grande instance.

3. Discussion
A. Procédure

Le 16 novembre 2011, la SA Fortis Banque a déposé une requête en réouverture des débats aux motifs qu'elle avait appris le même jour que par jugement du 17 octobre 2011, le tribunal de Kinshasa Combe avait déclaré la demande en interprétation formée par M. M. irrecevable.

Selon la SA Fortis Banque, ce jugement constitue un élément nouveau et capital en ce qu'il est susceptible d'influencer le fond de l'affaire tant en ce qui concerne le montant de l'indemnité réclamée par M. M. qu'en ce qui concerne le maintien de la thèse subsidiaire de ce dernier.

M. M. estime pour sa part que le jugement du 17 octobre 2011 n'apporte rien de “capital” aux débats puisqu'il se limite à déclarer sa demande en interprétation irrecevable et ne règle dès lors pas le point litigieux relatif au quantum de sa créance.

Il n'est pas contesté que les parties n'ont eu connaissance du jugement prononcé par le tribunal de Kinshasa Gombe le 17 octobre 2011 que postérieurement à la clôture des débats. Il s'agit donc bien d'une pièce qui a été découverte par elles durant le délibéré.

L'incidence de ce jugement sur les débats menés devant le tribunal de céans ne se posera toutefois que si le tribunal devait estimer la responsabilité de la SA Fortis Banque engagée sur la base de l'article 1542 du Code judiciaire pour avoir fait une déclaration incomplète. Ce n'est en effet que dans cette hypothèse que se poserait la question du quantum de l'indemnité et de la demande subsidiaire de M. M. qui s'inscrit dans ce cadre.

B. Quant à la recevabilité de la demande

La SA Fortis soulève trois moyens d'irrecevabilité déduits de ce que:

- la demande serait contraire à l'ordre public tant international que national belges puisqu'elle repose sur une pièce déclarée fausse par la justice congolaise;

- les droits liquidés par M. M. dans son exploit de saisie ne sont pas ceux qu'il tire du jugement exequaturé qui lui accorde uniquement “la somme équivalent en nouveaux zaïres de 52.270 FB depuis le mois de janvier 1996 jusqu'à parfait paiement” et une indemnité de 500 USD et le décompte établi par l'huissier est totalement erroné;

- la créance de M. M. est en toute hypothèse en majeure partie prescrite au regard du droit congolais et du droit belge.

La demande dirigée contre la SA Fortis Banque est fondée sur l'article 1542 du Code judiciaire qui prévoit que le tiers saisi peut être déclaré débiteur, en tout ou partie, des causes de la saisie à défaut d'avoir fait sa déclaration dans les quinze jours de la saisie-arrêt ou de l'avoir faite avec exactitude.

Cette disposition a pour objet de sanctionner le tiers saisi en le condamnant en cas de fraude, mauvaise foi ou négligence à une pénalité civile afin de le dissuader de faire obstruction à la saisie-arrêt.

L'action intentée sur cette base par le créancier saisissant contre le tiers saisi a pour cause un manquement de ce dernier à ses obligations de tiers saisi.

C'est dès lors à tort que la SA Fortis Banque soutient que M. M. ne disposerait pas d'un intérêt licite et légitime à obtenir sa condamnation en qualité de débiteur pur et simple.

Ce n'est en effet qu'au stade de l'application de la sanction et donc du fondement de la demande que la SA Fortis Banque pourrait se prévaloir du caractère éventuellement illicite et contraire à l'ordre public de la créance de M. M. et des autres moyens “d'irrecevabilité” qu'elle invoque déduits l'un de la prescription de la créance et l'autre de l'étendue des droits que M. M. tire du jugement du 20 mars 1997 ayant été exequaturé.

En effet, lorsqu'il est déclaré débiteur pur et simple des causes de la saisie, “le tiers saisi ne contracte pas une dette propre. La condamnation comme débiteur pur et simple a pour conséquence que le tiers saisi sera tenu à l'égard du créancier saisissant de la même manière et pour les mêmes sommes que le saisi” (Dirix, E., “De aard van de schuldenaarsverkaring bij derdenbeslag”, RW 1989-90, p. 1022); “elle a pour effet d'adjoindre au débiteur saisi un autre débiteur qui sera tenu solidairement avec lui” (idem). Le tiers saisi est par conséquent autorisé à opposer au créancier toutes les exceptions qu'aurait pu lui opposer le débiteur saisi (les causes d'extinction de la dette, le paiement, la compensation, ...) comme les modalités de la dette (le terme, la condition, ...) (idem et Dirix, E. et Broeckx, K., Beslag, APR, 2001, p. 449, n° 780).

La demande sera par voie de conséquence déclarée recevable.

C. Demande de condamnation de la SA Fortis Banque en qualité de débiteur pur et simple

M. M. fait grief à la SA Fortis Banque ne pas avoir indiqué dans sa déclaration de tiers saisi, le montant du solde débiteur du “compartiment” libellé en dollars américains ainsi que le solde global après compensation des deux compartiments, ce dernier fût-il même négatif.

Il n'est plus contesté actuellement que la saisie a été réalisée sur un seul compte à vue divisé en deux compartiments, l'un en euros et l'autre en dollars américains.

La question de l'unicité de compte ne se pose dès lors pas en l'espèce et M. M. ne fait pas grief à la SA Fortis Banque d'avoir appliqué une clause de compensation qui ne lui serait pas opposable.

M. M. soutient que l'obligation qui pèse sur le tiers saisi en vertu de l'article 1452 du Code judiciaire de faire une déclaration complète implique celle de déclarer le solde débiteur d'un compte bancaire afin de permettre au créancier, informé de “l'importance du découvert et (de) l'existence d'opérations en cours susceptibles de transformer le solde débiteur en solde créditeur, (...) d'apprécier l'utilité de continuer les poursuites compte tenu d'une éventuelle situation de concours ou d'entamer, sans délai, des poursuites sur d'autres biens”. Il invoque à l'appui de sa thèse la jurisprudence qui se dégage de l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 22 juin 2004 et du jugement du juge des saisies de Bruxelles du 20 janvier 2000.

La jurisprudence citée par M. M. à l'appui de sa demande n'est pas pertinente car elle s'inscrit dans un contexte différent. Il s'agissait en effet, dans le premier cas, d'une saisie-arrêt qui avait été pratiquée sur plusieurs comptes dont certains présentant un solde créditeur n'avaient pas été déclarés par le jeu d'une clause d'unicité de compte (arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 22 juin 2004) et, dans le second cas, d'une omission pure et simple de déclarer certains comptes au motif que ceux-ci étaient débiteurs couplée au fait que le tiers saisi avait estimé que certains fonds ne faisaient pas partie du patrimoine du saisi et avait dès lors partiellement vidé ses mains entre celles d'un confrère du débiteur saisi (jugement du 20 janvier 2000).

En l'espèce, comme rappelé ci-dessus, la saisie n'a porté que sur un seul compte qui présentait un solde débiteur.

Il est aujourd'hui admis que la saisie d'un compte bancaire frappe le solde créditeur du compte (en ce compris les opérations en germe au jour de la saisie - voy. Cass. 15 juin 2006, C.05.0370.N) et non le compte en lui-même (voy. not. Stranart, A.-M., Block, G. et Clevenbergh, O., Saisie-arrêt bancaire, RPDB, Compl. VIII, n° 48 et les très nombreuses réf. citées; Alter, C., Droit bancaire général, n° 306; Dirix E. et Broeckx, K., Beslag, APR, 2010, n° 728).

Il se déduit dès lors que si le compte est débiteur, la saisie est sans objet et il n'y a en conséquence pas d'obligation pour le tiers saisi de le déclarer (voy. Nelissen-Grade, Derdenbeslag op bankrekeningen, Mélanges Dumont, 1983, p. 686; Buyle, J.-P. et Delierneux, M., obs. sous Civ. Bruxelles 20 novembre 1997, RDC-TBH 1998, 796 et s. et obs. sous Civ. Bruxelles 20 janvier 2000, RDC-TBH 2001, 858; Dirix et Broeckx, o.c., n° 728).

En effet comme le rappelle la SA Fortis Banque, l'article 1452, 1er alinéa du Code judiciaire, n'impose de faire la déclaration que “des sommes ou effets objets de la saisie”.

Dans un arrêt du 26 novembre 2009, la Cour de cassation a ainsi décidé qu'une ouverture de crédit ne conférait au crédité qu'un droit personnel de faire usage à sa demande de la ligne de crédit accordée et ne faisait dès lors pas naître une créance susceptible de saisie dont le tiers saisi devait faire état dans sa déclaration (Pas., I, 2802, n° 702).

Lorsque la banque octroie une ouverture de crédit, elle devient créancière par rapport au bénéficiaire du crédit, et non débiteur. Par conséquent, le tiers qui ne fait pas mention dans sa déclaration de tiers-saisi d'une ouverture de crédit n'engage en aucun cas sa responsabilité (de Leval, G. et Gielen, P., Procédure notariale, Rép.not., T. XIII, Livre 3, 2011, Saisie mobilière, n° 444).

Commentant cet arrêt, M. Vrielynck en déduit que “ce n'est pas seulement l'ouverture de crédit et ses modalités qui ne doivent pas être déclarées. La conséquence logique en est que ni le solde débiteur du compte dans le cadre d'un contrat de crédit trésorerie aux termes duquel la banque met de l'argent à la disposition du crédité, ni les débits d'autres conventions de trésorerie ne doivent être déclarés” (traduction libre - T.Fin.R. 2009, pp. 74 et s., n° 16).

La tolérance par la banque d'un solde débiteur peut être assimilée à une ouverture de crédit forcée et il paraît dès lors pouvoir se déduire de ces enseignements que la SA Fortis Banque n'était donc pas contrainte de déclarer le solde débiteur du compte.

La SA Fortis Banque produit au surplus une attestation établie par ses services le 22 juillet 2011 d'où il ressort que le compartiment en dollars du compte présentait au jour de la saisie-arrêt un solde effectivement débiteur de 516.888,06 USD.

La déclaration faite par elle selon laquelle elle ne devait rien au saisi était donc parfaitement exacte.

Il suit de l'ensemble de ces considérations que la responsabilité de la SA Fortis Banque ne peut être engagée en l'espèce en ce qu'elle n'a pas déclaré les soldes débiteurs du compartiment libellé en dollars et de la position du compte.

Il s'ensuit également que la réouverture des débats ne se justifie pas.

D. Quant à la demande de mainlevée de la saisie

La SA Fortis Banque ne justifie pas de l'intérêt qu'elle a, en qualité de tiers saisi, à obtenir la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée entre ses mains.

Par ces motifs,

Nous, madame C. Heilporn, juge des saisies

Assistée de madame A. De Cooman, greffier

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Statuant contradictoirement,

Déclarons la requête en réouverture des débats recevable mais non fondée;

Déclarons l'action recevable mais non fondée;

En déboutons M. M. et le condamnons aux dépens de la présente instance liquidés pour la SA Fortis Banque à 7.700 EUR (IP de base);

(...)