Article

Tribunal de première instance Bruxelles, 22/11/2011, R.D.C.-T.B.H., 2013/7, p. 638-645

Tribunal de première instance de Bruxelles 22 novembre 2011 [2]

INSTITUTIONS ET INTERMEDIAIRES FINANCIERS
Conseil en placement et gestion de fortune - Convention de “screening” - Pas de convention de conseil en placement ou de gestion de fortune
L'existence d'une activité de conseil en placements ou de gestion de fortune ne se déduit pas de l'exécution donnée par les parties aux contrats de “screening” - supervision de portefeuille, qu'ils ont signés.
FINANCIELE INSTELLINGEN EN TUSSENPERSONEN
Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs - Overeenkomst van “screening” - Geen overeenkomst van beleggingsadvies of vermogensbeheer
Het bestaan van een activiteit van beleggingsadvies of vermogensbeheer kan niet worden afgeleid uit de uitvoering die door partijen werd gegeven aan de overeenkomst van screening - toezicht van de portefeuille die zij ondertekend hebben.

v.d.S.W. en B. / Fortis Banque

Siég: A. Baudri (juge)
Pl.: Mes L. Arnauts et A.-P. André-Dumont loco J.-P. Buyle

En cette cause, prise en délibéré le 24 octobre 2011, le tribunal prononce le jugement suivant:

Vu les pièces de la procédure, et notamment:

- la citation introductive d'instance signifiée le 16 décembre 2009 par Me Vercruysse, huissier de justice suppléant, en remplacement de Me Jacques Gielen, huissier de justice, de résidence à Uccle;

- l'ordonnance rendue sur la base de l'article 747, § 2 du Code judiciaire le 19 janvier 2010;

- les conclusions additionnelles et de synthèse déposées au greffe du tribunal pour les demandeurs le 1er avril 2011;

- les conclusions additionnelles et de synthèse II déposées au greffe du tribunal pour la SA Fortis Banque le 30 juin 2011.

Entendu les conseils des parties en leurs dires et moyens à l'audience publique du 24 octobre 2011.

1. Objet de la demande

Aux termes de leurs conclusions additionnelles et de synthèse, les demandeurs sollicitent la condamnation de la défenderesse à leur payer, en leurs qualités respectives d'usufruitière et de nus-propriétaires, la somme de 312.521,34 EUR à augmenter des intérêts moratoires depuis les dates d'achat des actions Spyker (c'est-à-dire Spyker Cars) et des intérêts judiciaires à compter de la date de la décision à intervenir ainsi que des dépens et de voir déclarer le jugement à intervenir exécutoire par provision nonobstant tout recours et sans caution, ni faculté de cantonnement.

Les demandeurs estiment que, dans les faits, la banque Fortis par l'intermédiaire de sa division de “private banking” “MeesPierson”, a adopté une attitude de conseiller en placements, voire de gestionnaire de fortune, concernant deux dossiers-titres déterminés, ouverts en ses livres au nom des demandeurs. La défenderesse aurait mal conseillé les demandeurs en leur recommandant l'achat d'actions Spyker Cars en février 2007 et aurait, ensuite, d'initiative, doublé le montant des actions détenues lorsque le cours du titre aurait baissé. Les conventions entre parties ne répondraient pas au prescrit de la loi dès lors que la banque aurait assumé une mission de conseil et de gestion discrétionnaire.

Ces conventions seraient, à l'estime des demandeurs, nulles ou, à tout le moins, la banque aurait commis une faute contractuelle en donnant de mauvais conseils de placement engageant sa responsabilité ou, de manière encore plus subsidiaire, une faute quasi délictuelle dont la banque devrait les indemniser.

Tous ces chefs de demandes sont contestés par la défenderesse.

2. Faits et antécédents de la cause

Les faits utiles à la solution du litige peuvent être résumés comme suit.

Les demandeurs, membres d'une famille actionnaire historique de la défenderesse, possèdent plusieurs comptes et dossiers-titres auprès de celle-ci. Deux de ces dossiers-titres contiennent des titres détenus en usufruit par la première demanderesse et en nue-propriété par ses enfants, les trois autres demandeurs.

Des contrats de “screening évaluation” ont été conclus entre les parties pour ces deux dossiers-titres, respectivement le 18 juillet 2000, en ce qui concerne le dossier-titres “GES 3127-S”, encore appelé “3127S”, et le compte de référence ainsi que le 3 mars 2003, en ce qui concerne le dossier-titres “GES 1003385-S” ou, en abrégé, “33855”, et ses comptes de référence.

L'objet du contrat du 18 juillet 2000 relatif au dossier-titres “GES 3127-S”, est rédigé comme suit (pièce 3 du dossier de la défenderesse):

“La banque fournira à la fin de chaque trimestre une évaluation des avoirs en titres, en liquidités et en or placés sous le dossier (...), compte de référence (...).

Le client se réserve la libre disposition de ses avoirs ainsi que le pouvoir de décision de vendre ou d'acheter.

Il est expressément entendu que la banque n'assumera aucune mission de gestion ou de conseil concernant les avoirs faisant l'objet du présent contrat.

Le rôle de la banque se limitera à l'évaluation et à la garde des titres et, le cas échéant, à l'exécution d'opérations demandées, au moyen d'un document écrit, par les personnes habilitées. Elle ne pourra dès lors être tenue responsable d'un mauvais résultat d'opérations effectuées.

La banque se réserve le droit de ne pas donner d'évaluation sur les titres pour lesquels elle ne disposerait pas d'éléments d'appréciation suffisants.”

La convention conclue le 3 mars 2003 entre les demandeurs et la défenderesse, représentée par sa division MeesPierson, Fortis Private Banking, concernant le dossier “GES 1003385-S”, abrégé en “33855” (pièce 4 du dossier de la défenderesse), contient un objet identique, sous réserve de quelques changements de style et de la référence à des comptes et à un portefeuille-titres différents.

La banque, par sa division MeesPierson, a envoyé un courrier électronique le 3 juillet 2003 au deuxième demandeur (pièce 5 du dossier de la défenderesse) sur la différence existant entre les différents portefeuilles initialement détenus par sa mère et dont certains ont fait l'objet - comme il est ressorti des débats - de différentes donations en nue-propriété aux enfants.

Il est indiqué dans ce mail ce qui suit:

“(...) Veuillez noter que:

'Votre maman a un contrat tarifé suivant l'ancien système, plus favorable. Elle paie donc 0,4% de frais de gestion TOUT COMPRIS (en majuscules dans le texte). Ceci représente un gain de 0,3% (les droits de garde) par rapport aux contrats actuels (cf. liste des tarifs envoyés). La commission minimale par ailleurs n'est que de 2.500 EUR contre 4.000 EUR aujourd'hui.

(...) En ce qui concerne les frais 'sans gestion discrétionnaire': les comptes où il n'y a que des Fortis sont appelés contrats de 'screening'. Le tarif normal est de 500 EUR par compte + droits de garde. En tant que clients privilégiés, aucun de vos nombreux comptes screening n'a fait l'objet de la tarification des 500 EUR (il y a un contrat par enfant + compte 2034 avec le solde des Fortis de votre maman en pleine propriété + le compte 3127-S avec NP/US). Le nouveau compte ouvert en vue de recueillir les titres issus de la donation devant notaire néerlandais a fait l'objet du même traitement de faveur (cf. document que vous avez signé récemment). Les droits de garde sont par contre dus, mais les titres Fortis ne faisant l'objet d'aucun droit de garde, vous ne payez de facto jusqu'à présent rien sur ces comptes screening.

Si on vend demain des Fortis pour diversifier (peu importe si vente découle d'une option ou pas):

* soit on rachète des positions stables pour le long terme qui restent sur le compte screening et sur lesquelles vous payerez des droits de garde (0,1%);

* soit on veut gérer ces liquidités activement auquel cas le produit de la vente doit être versé sur un compte de gestion discrétionnaire que nous vous tarifierons comme votre maman.

Comme vous le constatez, vous bénéficiez depuis toujours de conditions de faveur liées à votre statut de client privilégié. (...).”

Le 15 octobre 2005, le deuxième demandeur a écrit à la banque ainsi qu'aux autres demandeurs ce qui suit (pièce 6 du dossier de la défenderesse):

“Rappel sur les comptes:

341C (...)

2034S (...)

1533C (...)

3127S Usufruit/Nue-propriété (titres Fortis)

Décision de vendre 15% de Fortis à 24 EUR

Les propositions de réinvestissement suivront pour prendre une décision lors de la prochaine réunion (aura lieu après la vente des Fortis)

3385S Usufruit/Nue-propriété (titres Fortis)

Décision de vendre 15% de Fortis à 24 EUR

Les propositions de réinvestissement suivront pour prendre une décision lors de la prochaine réunion (aura lieu après la vente des Fortis)

Stratégie de gestion:

- principe du profil de gestion global neutre (50% actions - 50% autres)

- choix de la répartition des risques et vente de 15% de Fortis dans les portefeuilles 2034S-3127S et 3385S au cours de 24 EUR aux conditions Keytrade

- réinvestissement en profil obligataire-gestion cash pour compenser le 100% d'actions chez Mr D. et Mr F.

- prochains investissements: retour au profil de gestion globale

- choix d'une gestion des différents portefeuilles en titres individuels à l'exclusion du secteur financier, des titres belges et des sicavs (sauf marché particulier: Chine, ...)

- choix de ne pas investir dans tous les produits alternatifs (produits dérivés - options/futures - 'hedge funds', ...)

- passage des comptes en gestion discrétionnaire (341C - 1533C) en comptes en gestion conseil aux mêmes conditions

- frais des comptes screening: commission annuelle de 500 EUR par compte

- envoi par MeesPierson trimestriellement d'un suivi du premier désinvestissement sur base du dernier tableau d(u deuxième demandeur) (qui acte une perte d'opportunité de 219.745,72 EUR)

- envoi de toute information concernant les comptes/propositions de réunions (...) sur tous nos e-mails afin d'obtenir tous la même information au même moment

- envoi d'informations par MeesPierson si opportunités à saisir en actions belges.

Nous souhaiterions avoir de votre part un étalon d'indices boursiers correspondant à nos portefeuilles en gestion afin de pouvoir évaluer votre gestion dans la durée.”

Le 18 octobre 2006, le deuxième demandeur écrivait aux mêmes ce qui suit (pièce 7 du dossier de la défenderesse):

“Nous avons fait déjà deux investissements de nos liquidités (10% dans Nestlé et 5% dans LVMH).

Ils restent en compte:

2.079.129,45 (3385S)

329.753,50 (3127S)

Il est décidé d'investir:

- 15% à raison de 1,5%/investissement dans Merril Lynch New Energy Fund, Boskalis, Carnival, Samsung, ETF Traker Powershares Lux Nanotech portfolio, Apple, Option, Tele Atlas, SBM, Géophysique

- 5% dans Richemont

- 10% dans Vivendi et Publicis (5%/investissement) MEDIA

- 10% dans Elia

- 5% dans Rio Tinto

- 5% dans HSBC

- 15% dans Tubize, Teva et Novartis (5%/investissement). PHARMA

Le solde, soit 20% est en attente d'une bonne opportunité belge (baisse du titre Suez en raison de l'ouverture du marché à la concurrence le 1er janvier 2007?, Inbev, Solvay, Distrigaz, ...).”

Le 7 février 2007, le deuxième demandeur adresse aux mêmes destinataires le courriel suivant (pièce 8 du dossier de la défenderesse):

“(...) (le représentant de la banque) va nous soumettre une comparaison de la formule de tarification qu'il propose par rapport à l'ancienne.

Nous avons décidé les ventes/rachats suivants:

- vente Aegon contre Allianz

- Siemens contre un fond (NL) investissant en Bulgarie/Roumanie

- Belgacom contre Spyker

- Réinvestissements de l'obligation en devise turque dans une obligation de la même devise

(...)”.

L'achat de 1.015 et de 6.400 actions Spyker Cars apparaît effectivement dans la valorisation trimestrielle du 31 mars 2007 établie par la défenderesse pour, respectivement, les dossiers “3127S” (pièce 11 du dossier de la défenderesse, pp. 10/17) et “3385S” (pièce 12 du dossier de la défenderesse, pp. 10/17).

Le 3 mai 2007, le deuxième demandeur adresse aux autres parties un rapport concernant la réunion du même jour, libellé comme suit (pièce 13 du dossier de la défenderesse):

“Sauf erreur de ma part,

(...) Nous avons décidé les ventes suivantes:

- LVMH contre achat Bulgari

- Vivendi contre achat Walt Disney

- Call sur 5% de la position de départ en titres Fortis. (...)”

Le 11 mai 2007, la défenderesse rectifie ce rapport comme suit:

“Chers,

Nous avons fait les transactions suivantes dans les portefeuilles:

LVMH -> Bulgari

Achat complémentaire Spyker

Vivendi -> Walt Disney

(...) Dossier 1003385: Enfants Berryer

(...) Achat 9050 Spyker cars 14,218975 EUR 129.514,09

(...) Dossier 7003127: Enfants Berryer

(...) Achat 2090 Spyker Cars 14,215205 EUR 29.992,75” (pièce 14 du dossier de la défenderesse).

Le 30 juin 2007, de nouvelles valorisations trimestrielles sont adressées aux demandeurs, où figurent ces achats supplémentaires d'actions Spyker Cars (pièces 17 et 18 du dossier de la défenderesse).

Le 24 août 2007 (pièce 19 du dossier de la défenderesse), le deuxième demandeur envoie un dernier courriel - vu les pièces auxquelles le tribunal peut avoir égard (le procès-verbal d'une réunion tenue entre parties le 22 octobre 2007 mentionnent un courriel du 11 octobre 2007 du deuxième défendeur et un courrier du 13 octobre 2007 de la première défenderesse (pièce 3 du dossier des demandeurs)) -, où il est mentionné notamment:

“(le représentant de la banque) nous indique que la directive européenne sur les marchés d'instruments financiers vise à assurer une protection maximale des investisseurs et impose à Fortis de revoir tous les contrats signés avec ses clients.

(Le représentant de la banque) nous indique également que, sur base de cette directive, nos contrats sur les comptes 1141, 3385 et 3127 doivent passer en gestion conseil. Il propose des frais de 0,20% tout compris sauf sur les titres Fortis, Solvay et Solvac ce qui, sur base de ses calculs, entraînera une augmentation de nos frais globaux de maximum 10% par rapport à nos frais actuels. Dans ces conditions, nous donnons notre accord.

(...) Concernant notre réunion du 3 mai 2007,

- (...)

- Nous avions lors de notre réunion du 7 février 2007 accepté de remplacer tout notre position Belgacom par du Spyker Cars sans réellement nous rendre compte du caractère très spéculatif de ce titre. Lors de notre réunion du 3 mai 2007, nous n'avons pas demandé d'investir dans 9.050 actions supplémentaires Spyker Cars pour 129.514,09 EUR (compte 3385) ni dans 2.090 actions Spyker Cars pour 29.992,75 EUR (compte 3127). Il doit donc s'agir d'une erreur de votre part. Nous vous demandons donc de réintégrer les 129.514,09 EUR dans le portefeuille 3385 et les 29.992,75 EUR dans le portefeuille 3127.

(...) Concernant notre réunion d'aujourd'hui, nous décidons d'effectuer, dans les portefeuilles 3127 et 3385 la vente de la position:

- Boska Westminster contre mise en compte PDA

- Apple contre mise en compte PDA

- Option à 12 EUR

- Tele Atlas devrait sortir de nos portefeuilles à 21,25 EUR en octobre prochain. (...)”.

Par courrier du 11 octobre 2007, la banque, tout en contestant la demande d'être remboursés de 100% des actions Spyker Cars, a offert aux demandeurs de payer à titre de geste purement commercial la somme de 50.000 EUR, augmentée d'une exemption de commission durant deux ans, estimée à 22.000 EUR, et du versement d'un montant de 28.000 EUR sur les deux portefeuilles, en motivant ce geste commercial par le fait que la banque entretenait “de très longue date de très bonnes relations avec (la) famille (des demandeurs) et que la banque souhaitait “réellement (...) poursuivre celles-ci dans un climat de sérénité et de confiance réciproque”.

Dans le procès-verbal d'une réunion tenue avec toutes les parties le 22 octobre 2007 (pièce 3 du dossier des demandeurs), la banque confirme son “geste commercial” déjà mentionné en proposant en outre,

“* le paiement d'un montant cash additionnel de 10.000 EUR

* l'octroi d'un taux de courtage réduit de 50% pour les opérations”

Ces propositions n'ont pas abouti à un accord.

3. Discussion

Comme il résulte de leurs conclusions additionnelles et de synthèse, les demandeurs poursuivent, à titre principal, la nullité des conventions de “screening” - évaluation dès lors que ces conventions s'analyseraient, à leur estime, en des conventions de conseil en placements non écrite, voire de gestion de fortune (p. 12 des conclusions additionnelles et de synthèse des demandeurs) et subsidiairement, mettent en cause la responsabilité contractuelle de la banque et, plus subsidiairement encore, sa responsabilité aquilienne aux motifs que la banque aurait manqué à son devoir de conseil.

La demande supplémentaire formulée initialement par les demandeurs en ce qui concerne le rachat d'obligations Fortis Lux n'est plus reprise dans les ultimes conclusions des demandeurs, qui, lors des débats, ont indiqué y renoncer.

Les transactions litigieuses étant intervenues avant le 1er novembre 2007, les relations entre parties doivent s'apprécier au regard de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements et de la loi du 6 avril 1995 relative au statut et au contrôle des entreprises d'investissement, dont les seules dispositions ont été, du reste, discutées.

3.1. Nullité des contrats de “screening” - Evaluation

Les demandeurs soutiennent avoir conclu avec la défenderesse des contrats de conseils en placement tacites, voire des conventions de gestion de fortune, qui seraient nulles faute d'écrit reprenant les éléments exigés par la loi. Toutefois, les demandeurs tout en sollicitant l'annulation des contrats litigieux, ne demandent en réalité que l'annulation des seules transactions liées aux actions Spyker Cars et non la remise en pristin état, c'est-à-dire “la restitution des prestations réciproques” (Roger D. et Salmon, M., “Réflexions relatives à la responsabilité contractuelle des gérants de fortune et des conseillers en placement”, JT 1998, n° 16 in fine, p. 395) déjà exécutées en vertu desdits contrats.

La banque conteste cette allégation, les différentes opérations litigieuses s'inscrivant, à son estime, dans le cadre de portefeuilles-titres gérés par des conventions de “screening” - supervision.

La banque dénie également s'être livrée d'initiative au moindre acte de disposition sur les avoirs des demandeurs dans les dossiers-titres litigieux et notamment, à la seconde vague d'achats de titres Spyker Cars, qui auraient été effectués sur instructions verbales des demandeurs.

La banque fait valoir qu'à défaut de rémunération, il ne saurait y avoir de contrat de conseil en placements ou de gestion de fortune et qu'en l'espèce, elle n'a perçu aucune rémunération, les commissions perçues sur les transactions boursières ne pouvant être assimilées à une rémunération au sens de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements.

En l'espèce, les parties n'ont pas conclu de convention écrite de conseil en placements ni en gestion de fortune concernant les dossiers 3127S et 3385S, mais des conventions de “screening” - supervision.

Le texte de ces conventions de “screening” - évaluation est clair.

Le contrat relatif au dossier “3127-S” prévoit ainsi en son article 1:

“(...) Le client se réserve (...) le pouvoir de décision de vendre ou d'acheter.

Il est expressément entendu que la banque n'assumera aucune mission de gestion ou de conseil concernant les avoirs faisant l'objet du présent contrat.” (pièce 3 du dossier de la défenderesse)

La clause figurant au contrat relatif au dossier “3385-S” est quasiment identique:

“(...) Le client se réserve le droit (...) de décider de la vente et de l'achat d'avoirs.

Il est convenu expressément que MeesPierson n'exercera aucune tâche de gestion ou de conseil concernant les avoirs sur lesquels porte le présent contrat” (pièce 4 du dossier de la défenderesse)

Ces dispositions contractuelles subordonnent expressément la passation de transactions boursières aux instructions données par le client et excluent tout pouvoir d'initiative dans le chef de la banque, mais également toute mission de conseil.

Par ailleurs, ces conventions conclues le 18 juillet 2000 et le 3 mars 2003 forment bien l'accord des parties et leur nature de contrat de simple supervision a été réitérée par le deuxième demandeur, non contredit par les autres demandeurs, dans son courrier électronique du 15 octobre 2005.

Les demandeurs détenaient différents portefeuilles-titres couverts par des conventions différentes. Certains faisaient l'objet d'une convention de gestion de fortune ou de conseils en placement en sorte que c'est de leur volonté propre que les demandeurs ont soumis les portefeuilles litigieux à un autre régime.

En effet, il ressort du courriel du 15 octobre 2005 du deuxième demandeur, que les demandeurs étaient parfaitement au courant du choix possible entre trois sortes de conventions différentes entraînant une gradation dans la gestion par la banque des avoirs du client (simple supervision ou “screening” - compte avec conseils en placement - comptes en gestion discrétionnaire) et de la responsabilité en découlant pour la banque.

Les demandeurs ont manifesté par ce courriel leur volonté de prendre au contraire une plus grande part dans la gestion de leurs portefeuilles notamment en faisant glisser plusieurs comptes en gestion discrétionnaire en comptes de conseils en placement.

C'est donc en parfaite connaissance de cause, sans que leur consentement ne soit en rien vicié, que les demandeurs ont décidé, à ce moment, du maintien des portefeuilles-titres se trouvant en simple supervision, dont les deux portefeuilles litigieux, sous ce régime de gestion excluant toute initiative ou conseil de la banque.

Les réunions trimestrielles concernaient l'ensemble des comptes ouverts au nom des membres de cette famille, parmi lesquels figurent plusieurs comptes se trouvant en gestion discrétionnaire ou en conseil en placements. Qu'à cette occasion les dossiers-titres litigieux aient été passés en revue apparaît vraisemblable comme cela ressort des courriels du deuxième demandeur, mais ceci n'implique pas en soi que les parties auraient entendu modifier la nature de leurs relations contractuelles ni l'étendue de la mission de la banque concernant précisément les dossiers en supervision. Bien au contraire, le courriel du 15 octobre 2005 émanant du deuxième demandeur confirme l'existence des conventions limitées à de la simple supervision (“screening”).

Par ailleurs, “la stratégie d'investissement élaborée en commun aux ventes et achats à effectuer” (conclusions additionnelles et de synthèses des demandeurs, p. 3), qui serait contenue dans les courriels du deuxième demandeur concerne à l'évidence d'autres dossiers-titres que les dossiers litigieux, puisque la stratégie aurait consisté à détenir la moitié des avoirs en actions et la seconde moitié en autres instruments financiers (courrier électronique du deuxième demandeur du 15 octobre 2005 (pièce 6 du dossier de la défenderesse)), alors que les dossiers-titres litigieux, contenant au départ la participation historique de la famille en actions Fortis, sont composés pour 85,44% d'actions en ce qui concerne le dossier 3385S (pièce 12 du dossier de la défenderesse, pp. 4/17) et 84,95% d'actions en ce qui concerne le dossier 3127S (pièce 11 du dossier de la défenderesse, pp. 4/17).

L'abrogation de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements par l'arrêté royal du 3 juin 2007 portant les règles et modalités visant à transposer la directive concernant les marchés d'instruments financiers, a supprimé la possibilité de maintenir les relations entre parties à de la simple supervision de la part de la défenderesse. Le fait, pour la banque, d'anticiper l'entrée en vigueur du nouvel arrêté royal comme l'indique le courriel du deuxième demandeur du 24 août 2007 ne démontre pas pour autant que la volonté des parties concernant les deux dossiers-titres litigieux aurait été pour le passé autre que celle déjà indiquée, d'autant plus que les demandeurs reconnaissent qu'ils ne payaient que le montant annuel de 500 EUR relatifs à des contrats de simple supervision pour les dossiers-titres et comptes litigieux et qu'il n'y avait aucune rémunération directe propre à une convention de conseil en placements en dehors de ce montant forfaitaire annuel.

Si la Commission bancaire et financière et des assurances estime que la notion de rémunération doit se comprendre comme englobant les rémunérations indirectes, encore ses avis n'ont-ils pas force de loi même s'ils peuvent valoir comme doctrine juridique au sens large.

Au demeurant, en l'espèce, les demandeurs ne démontrent pas le paiement d'une rémunération, fût-ce indirecte. Les demandeurs invoquent le courrier du 24 août 2007 qui mentionne une augmentation de frais de 10% en modifiant la nature des contrats litigieux en conseils en placement, mais la défenderesse n'a jamais démenti percevoir la somme annuelle de 500 EUR pour ses tâches de supervision.

Par conséquent, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'existence d'une activité de conseil en placements ou de gestion de fortune ne se déduit pas de l'exécution donnée par les parties aux contrats de “screening” - supervision qu'ils ont signés, eu égard aux éléments auxquels le tribunal a connaissance.

Il n'y a donc pas lieu d'annuler les conventions de “screening” - supervision querellées.

3.2. Responsabilité contractuelle et quasi délictuelle

Les demandeurs reprochent à la défenderesse d'avoir prodigué des conseils inappropriés au regard du profil de risque convenu et d'avoir effectué des opérations non décidées par les concluants, soit les seconds achats d'actions Spyker Cars.

a. Conseil inapproprié concernant le premier achat d'actions Spyker Cars

Il appartient aux demandeurs, qui entendent engager la responsabilité de la défenderesse, de prouver le manquement qu'ils lui reprochent.

Le tribunal a exclu l'existence d'une convention spécifique intégrant une mission de conseil dans le chef de la banque. Ceci n'exclut pas en soi un conseil ponctuel, mais encore faut-il démontrer qu'au moment où il aurait été prodigué, il était fautif.

Aucun profil de risque n'était convenu, s'agissant des contrats de supervision. A tout le moins, les dossiers étant composés à 85% d'actions, dont une partie - de 5,25% à 6,5% (pour les deux trimestres concernant lesquels des valorisations ont été déposées) - logée sur les marchés émergents, le risque consenti par les demandeurs était particulièrement élevé.

Par ailleurs, un conseil inapproprié n'est pas fautif par nature.

C'est au moment où le conseil est prodigué que l'analyse doit se faire et non a posteriori, suite à la dégringolade du titre. C'est au moment où le conseil aurait été prodigué que doit s'apprécier si la banque, eu égard à son taux de connaissance du marché et en retenant que le groupe Fortis est un groupe bancaire belgo-néerlandais de premier ordre et, donc, en principe parfaitement au courant du marché continu d'Euronext Amsterdam, a commis une faute.

Or, rien ne démontre dans le dossier que l'idée de l'achat des actions Spyker Cars émane de la défenderesse, qui aurait conseillé la transaction fût-ce de manière ponctuelle. De plus, rien ne démontre, vu les pièces contradictoires du dossier auxquelles le tribunal peut avoir égard, que la chute du titre était prévisible au moment du premier achat en février 2007.

D'après les explications des demandeurs, la société Spyker Cars n'aurait jamais réalisé de bénéfices au moment où la première transaction a eu lieu. Même si cet élément apparaît étonnant pour une société cotée sur le marché continu, il n'en reste pas moins que ceci n'est en rien rapporté. Le caractère spéculatif de l'action ne l'est pas davantage, ni la volonté des demandeurs de se limiter à un risque modéré alors que les deux portefeuilles-titres en question sont composés de 85% d'actions, dont certaines émanant de pays émergents.

Faute d'autres éléments d'appréciation, une action cotée sur le marché continu à Amsterdam n'apparaît pas en soi comporter un risque plus élevé qu'une action cotée sur le marché continu à Bruxelles, comme l'était l'action Belgacom, objet de l'arbitrage. En soi, toute action est un instrument à risque et spéculatif par nature, en ce sens que non seulement le gain n'est en rien assuré, mais encore que l'achat d'une action en bourse n'offre aucune garantie de préservation du capital investi. L'investisseur espère certes que le cours évoluera de manière favorable et lui permettra d'obtenir un gain mais l'investissement en action suppose comme corollaire l'acceptation du risque de perdre l'argent investi si l'évolution du marché est contraire aux attentes. Les demandeurs ne sont aucunement des profanes non avertis et étaient parfaitement conscients de ce risque.

Rien ne prouve donc que la volonté initiale des demandeurs était d'investir dans un produit de type défensif et non agressif, ni que le conseil d'achat des actions litigieuses était erroné au moment où il aurait été formulé.

Ce n'est pas parce que la société Spyker Cars a vu sa situation s'obérer par la suite que le conseil, au moment où il aurait été formulé, aurait été erroné.

Par ailleurs, la part de la participation des demandeurs dans le free float de la société Spyker Cars n'est pas davantage étayée.

Enfin, si les demandeurs reprochent la part trop importante de cette participation dans leur portefeuille, le tribunal constate que la participation en actions Spyker Cars s'élevait, après le premier achat, 1% du portefeuille pour le compte 3127S (valorisation trimestrielle du 31 mars 2007, pp. 10/17 (pièce 11 du dossier de pièces de la défenderesse)) et à 1,02% du portefeuille pour le compte 3385S (valorisation trimestrielle du 31 mars 2007, pp. 10/17 (pièce 12 du dossier de pièces de la défenderesse)) et, après le second achat à 1,53% pour le premier portefeuille (valorisation trimestrielle du 30 juin 2007, pp. 10/17 (pièce 17 du dossier de pièces de la défenderesse)) et à 1,22% pour le second portefeuille (valorisation trimestrielle du 30 juin 2007, pp. 10/17 (pièce 18 du dossier de pièces de la défenderesse). De tels pourcentages apparaissent au contraire de faible importance.

Aucun conseil, ni, de plus, aucune faute contractuelle ne sont donc démontrés dans le chef de la défenderesse en ce qui concerne l'achat de février 2007 d'actions Spyker Cars.

Les demandeurs n'établissent pas une faute quasi-délictuelle autre que la faute contractuelle qu'ils reprochaient.

La responsabilité de la défenderesse ne peut être mise en cause concernant l'achat des actions Spyker Cars du mois de février 2007 que ce soit sur le plan contractuel ou quasi-délictuel.

b. Seconds achats du mois de mai 2007 d'actions Spyker Cars

Les demandeurs contestent avoir donné à la banque la moindre instruction relative aux seconds achats de titres Spyker Cars effectués par celle-ci.

En effet, les demandeurs ont contesté par le courrier électronique du deuxième demandeur du 24 août 2007 le second achat d'actions Spyker Cars en indiquant:

“Lors de notre réunion du 3 mai 2007, nous n'avons pas demandé d'investir dans 9.050 actions supplémentaires Spyker Cars pour 129.514,09 EUR (compte 3385) ni dans 2.090 actions Spyker Cars pour 29.992,75 EUR (compte 3127). Il doit donc s'agir d'une erreur de votre part. Nous vous demandons donc de réintégrer les 129.514,09 EUR dans le portefeuille 3385 et les 29.992,75 EUR dans le portefeuille 3127.”

Après la réunion du 3 mai 2007, le deuxième demandeur avait envoyé le jour-même aux parties un mail dont différentes transactions résultaient à l'exclusion d'un nouvel achat d'actions Spyker Cars (“Sauf erreur de ma part, (...) Nous avons décidé les ventes suivantes: - LVMH contre achat Bulgari; - Vivendi contre achat Walt Disney; - Call sur 5% de la position de départ en titres Fortis. (...)” (pièce 13 du dossier de la défenderesse)).

Toutefois, la banque a envoyé quelques jours plus tard, le 11 mai 2007, un rectificatif de ce rapport de réunion en ajoutant la décision d'acheter un lot complémentaire d'actions Spyker Cars pour chacun des deux dossiers-titres litigieux (pièce déjà citée). Ces achats se sont reflétés dans la valorisation trimestrielle des deux portefeuilles adressés le 30 juin 2007 (pièce déjà citée). Ces documents n'ont occasionné aucune réaction des demandeurs et ce n'est, comme déjà indiqué que le 24 août 2007 que ces transactions ont été contestées.

Certes, les conventions de “screening” - supervision en litige prévoient toutes deux que les opérations demandées devaient l'être “au moyen d'un document écrit” (art. 1, 4ème al. des conventions du 18 juillet 2000 et du 3 mars 2003 (pièces 3 et 4 du dossier de pièces de la défenderesse)).

Toutefois, cette disposition contractuelle n'a pas toujours été respectée, eu égard aux éléments dont dispose le tribunal, sans que les demandeurs y trouvent ombrage hormis concernant les achats d'actions Spyker Cars.

En effet, si l'on compare les deux valorisations trimestrielles déposées, l'on constate que différents achats et ventes sont opérés dont certains se retrouvent dans les mails du deuxième demandeur, d'autres pas. Ainsi un ordre d'achat écrit est donné pour les actions Bulgari, Boskal Westminster et Walt Disney de même que pour les ventes d'actions LVMH, Vivendi et les Fortis Strip mais le dossier, tel qu'il est soumis au tribunal, ne contient aucun ordre écrit concernant les achats d'actions Citadel Broadcast et Kraft pas plus que pour la vente des actions Richemont. Il ressort de ceci que les relations entre parties admettaient certains achats ou ventes sans instructions écrites et que les parties ont donc donné aux contrats initiaux une autre exécution que ce qui y était stipulé sur ce point.

Dans cette mesure et en l'absence de réaction de la part des demandeurs lors de la réception des documents confirmant les seconds achats d'actions Spyker Cars réalisés par la banque (tant le courrier du 11 mai 2007 de la banque que la valorisation trimestrielle du 30 juin 2007), la contestation de ces seconds achats plus de trois mois après le courrier électronique du 11 mai 2007 est tardive.

Les conditions générales de la banque que les demandeurs ne contestent pas connaître stipulent, du reste, que toute erreur doit être signalée immédiatement (art. 29 des conditions générales de Fortis Banque et de MeesPierson (pièces 3b et 4b du dossier de pièces de la défenderesse)).

Les demandeurs ne sont donc pas fondés à contester ces seconds achats de Spyker Cars pour ces motifs et ceux énoncés plus haut concernant l'absence de faute démontrée dans le chef de la banque.

Par ces motifs,

Le tribunal,

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Statuant contradictoirement;

Déclare la demande recevable mais non fondée; en déboute les demandeurs;

Condamne les demandeurs aux dépens de l'instance, liquidés dans le chef de la défenderesse à l'indemnité de procédure de 7.700 EUR;

(...)

[1] Un appel a été interjeté contre ce jugement.