Article

Tribunal de première instance Bruxelles, 03/10/2011, R.D.C.-T.B.H., 2013/7, p. 624-635

Tribunal de première instance de Bruxelles 3 octobre 2011

En gestion de portefeuille, un profil d'investissement défensif suppose une surpondération en obligations.
Si le gestionnaire du portefeuille surpondère celui-ci en obligations perpétuelles subordonnées, assimilables à des actions en termes de risques, il commet une faute et engage sa responsabilité envers son client.
Le fait d'avoir surpondéré un portefeuille en valeurs du secteur financier avant 2008 n'est pas fautif, car rien ne laissait alors supposer l'éclatement de la crise financière.
Een defensief beleggingsprofiel veronderstelt een portefeuille waarin het belang van obligaties overwegend is.
Als de vermogensbeheerder voor een overweging kiest in eeuwigdurende gesubordineerde obligaties, die gelijk kunnen gesteld worden met aandelen wat hun risico's betreft, dan maakt hij een fout en brengt hij zijn aansprakelijkheid t.o.v. zijn cliënt in het gedrang
Een overweging van een portefeuille in waarden van de financiële sector vóór 2008, is niet foutief want niets liet veronderstellen dat de financiële crisis zou ontploffen.
TITRES
Obligations perpétuelles subordonnées - Risques - Assimilation à des actions
Vu leur dévalorisation de 33% depuis 2008, le risque des obligations perpétuelles subordonnées n'est pas identique à celui des obligations “classiques”. En termes de risques, elles doivent être assimilées à des actions.
INSTITUTIONS ET INTERMEDIAIRES FINANCIERS
Gestion de portefeuille - Profil d'investissement défensif - Surpondération d'obligations - Obligations perpétuelles subordonnées - Assimilation à des actions sur base de leur risque - Faute du gestionnaire (oui) - Surpondération de titres dans le secteur financier - Imprévisibilité de la crise financière - Faute du gestionnaire (non)
EFFECTEN
Eeuwigdurende en gesubordineerde obligaties - Risico's - Gelijkstelling met aandelen
Gezien hun waardevermindering van 33% sinds 2008, is het risico van eeuwigdurende gesubordineerde obligaties niet hetzelfde als dat van “klassieke obligaties”. Wat hun risico betreft, moeten zij gelijkgesteld worden met aandelen.
FINANCIELE INSTELLINGEN EN TUSSENPERSONEN
Vermogensbeheer - Defensief beleggingsprofiel - Overweging van obligaties - Eeuwigdurende gesubordineerde obligaties - Gelijkstelling met aandelen wat hun risico's betreft - Fout van de beheerder (ja) - Overweging van effecten van de financiële sector - Onvoorzienbaarheid van de financiële crisis - Fout van de beheerder (nee)

Consorts S. / SA Petercam

Siég.: Englebert (juge)
Pl.: Mes Ch. Steyaert et S. Losveld, V. Meeus

En cette cause tenue en délibéré le 6 septembre 2011, le tribunal prononce le jugement suivant.

Vu les pièces de la procédure et notamment:

- la citation introductive d'instance signifiée le 16 juin 2010;

- l'ordonnance rendue en application de l'article 747, § 2 du Code judiciaire le 7 septembre 2010;

- les conclusions principales de la défenderesse déposées le 29 septembre 2010;

- les conclusions principales des demandeurs déposées le 30 décembre 2010;

- les conclusions additionnelles et de synthèse de la défenderesse déposées le 1er mars 2011;

- les conclusions additionnelles et de synthèse de la défenderesse déposées le 9 juin 2011;

- les conclusions additionnelles des demandeurs déposées le 1er août 2011;

- les conclusions additionnelles et de synthèse de la défenderesse déposées le 31 août 2011.

Entendu les conseils des parties en leurs dires et moyens à l'audience publique du 6 septembre 2011.

I. Demandes soumises au tribunal

(...) ci-après les consorts S. demandent au tribunal:

- de dire pour droit que la SA Petercam a commis des fautes dans l'exécution des mandats de gestion discrétionnaire qui lui ont été confiés par eux, dont notamment le non-respect du mandat de gestion, de la législation financière et de la loi sur les pratiques du commerce;

- de dire pour droit qu'ils ont subi de ce chef un dommage évalué sous toute réserve à la somme provisionnelle de 210.554 EUR, à majorer des intérêts compensatoires depuis le 10 mars 2010 jusqu'à la date du jugement et des intérêts judiciaires depuis la date du jugement jusqu'au parfait paiement de cette somme;

- de condamner la SA Petercam à leur payer cette somme ainsi que les dépens de la procédure, en ce compris l'indemnité de procédure évaluée à 5.000 EUR;

- à titre subsidiaire, en ce qui concerne les dommages subis, de désigner un expert judiciaire qui aura pour mission de déterminer quelle aurait été l'évolution normale des portefeuilles litigieux en “gestion protégée” pendant la période incriminée conformément au profil choisi par eux;

- de déclarer le jugement exécutoire par provision, nonobstant tous recours (sans caution) et à l'exclusion de cantonnement.

La SA Petercam conclut à l'irrecevabilité et au non-fondement de cette demande.

Elle sollicite la condamnation des consorts S. solidairement, in solidum et les uns à défaut des autres, au paiement des dépens de l'instance, en ce compris l'indemnité de procédure à concurrence du montant de base de 5.500 EUR.

II. Faits et rétroactes
1. Conventions conclues entre parties

1.1. Le 30 avril 2004, les consorts S., ont conclu avec la SA Petercam une convention de gestion qui se rapporte à un portefeuille n° (…).

Le 24 avril 2006, les consorts S. ont conclu avec la SA Petercam une convention de gestion identique, relative à un deuxième portefeuille, n° (…).

L'article 2 de ces conventions indique que le pouvoir de gestion conféré à la SA Petercam peut être exercé dans le cadre d'une gestion protégée du patrimoine.

En vertu de l'article 3, les consorts S. autorisaient la SA Petercam à effectuer pour leur compte, et à leurs frais et risques, “toutes les opérations généralement quelconques pouvant intéresser cette gestion”. L'option prévue à l'article 4, permettant d'interdire à la SA Petercam d'exécuter certaines opérations sans prendre leur avis ou obtenir leur accord préalable, n'a pas été retenue.

L'article 5 précise:

“Petercam exerce ce pouvoir en qualité de gestionnaire professionnel. Elle s'oblige à ce titre à faire toute diligence raisonnable pour apprécier, au mieux des moyens d'information et d'analyse dont elle peut disposer, les risques propres aux valeurs qu'elle recommande ou décide d'acquérir ou de réaliser, et pour agir en conséquence. Elle ne prend aucun engagement de résultat sur la performance de sa gestion et ne saurait être tenue responsable des pertes pouvant affecter le patrimoine géré qui ne seraient pas imputables à une faute professionnelle dans son chef.”

1.2. Une annexe aux conventions définit les différents profils de gestion proposés par la SA Petercam:

- gestion protégée, dans laquelle le client est disposé à assumer des risques moins élevés que dans un profil de gestion équilibrée ou de gestion active; il s'agit d'un profil plutôt défensif, avec une surpondération d'obligations dans le portefeuille et une sous-pondération d'actions;

- gestion équilibrée, qui a une répartition égalitaire (50%/50%) entre obligations et actions;

- gestion active, plus dynamique au niveau de la prise de risques et qui correspond à une surpondération d'actions et une sous-pondération d'obligations;

- gestion assistée, dans laquelle la SA Petercam adresse à son client des propositions, qu'il accepte ou rejette librement.

Il y est mentionné que, “en gestion protégée, Petercam s'attache à préserver et augmenter la valeur, exprimée en euros, du patrimoine dont la gestion lui est confiée, en visant, au terme d'un cycle économique normal, à accroître le revenu par des moyens qui n'exposent pas le capital à des risques de perte anormalement élevés.

A cette fin et en fonction de l'évolution prévisible des taux d'intérêt et de change sur les marchés monétaires et financiers et tenant compte, le cas échéant, des prélèvements périodiques que le client demande à faire, les ressources disponibles sont principalement affectées à l'acquisition de titres de créance et de placement aisément mobilisables, et accessoirement à celle de titres d'investissement réputés peu volatiles”.

Etait également annexé un tableau, résumant le profil et la stratégie de placement:

Profil de placement

- Objectif de placement:

° maintien du patrimoine;

° augmenter les revenus,

- Disposition à assumer des risques: attitude plutôt défensive

- Attitude face aux changements de portefeuille: prudente

Stratégie de placement

- Structure: surtout titres de créances et placements en avoirs monétaires

- Répartition: large

- Qualité: uniquement de 1er ordre

- Base pour la sélection des placements: potentiel à long terme

1.3. Le 11 décembre 2008, les consorts S. ont signé avec la SA Petercam, en vue de l'entrée en vigueur des règles dites “MiFID”, deux nouvelles conventions de gestion, qui remplaçaient les conventions originaires.

A alors été confiée à la SA Petercam la gestion discrétionnaire des avoirs concernés, toujours dans le cadre d'une gestion protégée.

Le profil et la stratégie de placement ont été légèrement modifiés par rapport aux conventions antérieures:

Profil de placement

- Objectif de placement:

° préservation du patrimoine;

° augmenter les revenus,

- Disposition à assumer des risques: attitude plutôt défensive

- Attitude face aux changements de portefeuille: prudente

Stratégie de placement

- Structure: principalement titres de créances et placements en avoirs monétaires

- Répartition: large

- Qualité: principalement de 1er ordre

- Base pour la sélection des placements: stabilité à moyen terme

1.4. Une convention de mise en gage relative au premier portefeuille avait été conclue le 5 mai 2004 entre monsieur S. et madame S. (créanciers gagistes), d'une part, et monsieur S. et madame S. (débiteurs), d'autre part, afin d'assurer le paiement d'une rente à monsieur S. et madame S.

Cette convention précisait que ledit paiement dépendait de la présence de fonds suffisants en portefeuille et que la SA Petercam intervenait uniquement à cette convention comme tiers dépositaire des fonds concernés.

Suite au décès de monsieur S., madame S. est devenue seul créancier gagiste. Par lettre du 22 août 2010, les débiteurs et le créancier gagiste ont résilié la convention de mise en gage. Le gage a donc été levé.

2. Evolution des portefeuilles

2.1. Le premier portefeuille des consorts S. se composait principalement comme suit:

Au 31 décembre 2007: 12,70% d'actions, 84,90% d'obligations et 1,41% de liquidités et quasi-liquidités. Le reste était investi dans l'immobilier.

43,9% des obligations étaient investis dans la sicav obligataire “Petercam Horizon L Bands Low Volatility” (anciennement dénommée “Petercam Moneta Bands Low Volatility”) et 31,2% dans la sicav obligataire “Petercam Horizon L Bands High Return” (anciennement dénommée “Petercam Moneta Bands High Return”), soit un total de 75,1% du compartiment obligataire.

Au 31 décembre 2008: 12,04% d'actions, 82,46% d'obligations et 4,20% de liquidités et quasi-liquidités. Le reste était investi dans l'immobilier.

51,3% des obligations étaient investis dans la sicav “Petercam Horizon L Bonds Low Volatility” et 31,02% dans la sicav “Petercam Horizon L Bonds High Return”, soit un total de 75,1% du compartiment obligataire;

Au 31 décembre 2009: 13,18% d'actions, 74,41% d'obligations et 11,06% de liquidités et quasi-liquidités. Le reste était investi dans l'immobilier.

34,13% des obligations étaient investis dans la sicav “Petercam L Bands EUR Quality”, 19,95% dans la sicav Petercam Bonds EUR, 11,71% dans la sicav “Petercam Horizon L Bonds Fix 06/2014” et 11,41% dans la sicav “Petercam L Bands Highyield”, soit un total de 77,21% du compartiment obligataire.

La valeur de départ du portefeuille s'élevait au 31 décembre 2004 à 389.802,48 EUR. Elle est montée jusqu'à la somme de 421.337,71 EUR au 30 juin 2007 (avant l'avènement de la crise des subprimes), pour se réduire au 30 décembre 2008 à la valeur de 265.447,98 EUR.

Au 31 décembre 2009, le portefeuille était valorisé à la somme de 312.888,60 EUR et au 2 mars 2010 à 324.412,10 EUR.

2.2. Le deuxième portefeuille se composait de la manière suivante:

Au 31 décembre 2007: 12,68% d'actions, 86,46% d'obligations et 0,86% de liquidités et quasi-liquidités.

43,4% des obligations étaient investis dans la sicav obligataire “Petercam Horizon L Bonds High Return”;

Au 31 décembre 2008: 9,25% d'actions, 88,69% d'obligations et 2,07% de liquidités et quasi-liquidités.

36,7% des obligations étaient investis dans la sicav “Petercam Horizon L Bands High Return”;

Au 31 décembre 2009: 10,19% d'actions, 86,90% d'obligations et 2,91% de liquidités et quasi-liquidités.

9,56% des obligations étaient investis dans la sicav “Petercam L Bonds EUR Quality”, 18,26% dans la sicav “Petercam Horizon L Bands Fix 06/2014”, 9,72% dans la sicav “Petercam Bonds EUR” et 8,89% dans la sicav “Petercam L Bonds Highyield”, soit un total de 76,43% du compartiment obligataire.

Il était valorisé au 30 décembre 2006 à la somme de 84.482,71 EUR, au 31 décembre 2007 à 84.070,64 EUR, au 30 septembre 2008 à 73.311,25 EUR, au 31 décembre 2008 à 62.204,55 EUR et au 31 décembre 2009 à 68.745,78 EUR.

3. Crise financière de l'automne 2008

Au début de l'été 2007 s'est déclenchée la crise des subprimes, qui a secoué les marchés financiers mondiaux.

Les autorités américaines ont alors mis en place des mesures de sauvetage, qui ont permis de redresser la situation.

Néanmoins, le 15 septembre 2008, n'ayant pas pu bénéficier des mesures de sauvetage, la banque américaine Lehman Brothers a été déclarée en faillite.

Cette faillite, qui allait à l'encontre des prévisions et attentes des professionnels de la finance, a provoqué une importante onde de choc sur les marchés financiers, et notamment sur les titres émis par les institutions financières.

En est résultée une crise financière sans précédent.

La SA Petercam expose que c'est dans ce contexte qu'elle a décidé, au début de l'année 2009, de revendre les sicav obligataires “Petercam Horizon L Bonds High Return” et “Petercam Horizon L Bands Low Volatility” et d'acquérir avec le produit de cette vente des sicav “Petercam Horizon L Euro Cash 13”, “Petercam L Bands EUR Quality” et “Petercam Horizon L Bands Fix 06/2014”.

Elle ajoute que le produit de cette revente était forcément moins élevé que le prix originaire d'acquisition de ces sicav de nombreuses années auparavant, en raison de la crise financière intervenue entretemps.

4. Genèse du litige

4.1. Le 15 avril 2009, madame S. représentant les consorts S., dénonçait au siège bruxellois de la SA Petercam les problèmes rencontrés avec la direction du siège liégeois.

Elle exposait que la composition des portefeuilles ne correspondait pas au profil de placement choisi, que cela avait été exposé au directeur, mais que celui-ci ne voulait rien entendre.

Elle expliquait les motifs pour lesquels les consorts S. estimaient que des fautes avaient été commises:

- la volatilité de la composante obligataire des portefeuilles et plus particulièrement des sicav Petercam Moneta, est anormale, et ne résulte pas uniquement de la crise financière; au contraire, la crise a mis en valeur les fautes de gestion commises par Petercam;

- il apparaît ainsi que les portefeuilles étaient investis, au 31 décembre 2007, à concurrence de 85% en obligations et liquidités, de telle manière qu'ils pouvaient légitimement croire que leurs actifs financiers placés chez Petercam étaient protégés contre la volatilité des marchés des actions à concurrence de 85%, et que la croissance des portefeuilles était assurée par des actions à concurrence de 15%;

- en réalité, une partie importante (75%) des actifs financiers placés sous la dénomination “obligations” étaient, soit directement, soit indirectement, via les fonds Petercam Moneta (Horizon) Bonds, High Return, Low Volatility et EUR Quality, en réalité des “obligations/EMTN, perpétuels/subordonnés” ou encore des produits structurés, investis principalement dans le secteur financier (de type Tier one - titres financiers assimilables à des actions pour évaluer les fonds propres des établissements de crédit);

- ce type de produits financiers, dont le remboursement du capital et le paiement des intérêts sont subordonnés au remboursement des autres dettes de la société émettrice et dont le terme du remboursement du capital est indéfini, doit être assimilé en termes de risques à des actions; il est, dès lors, normal que dans le cadre de la crise financière, ces produits se soient comportés comme des actions et aient subi une dévalorisation de plus de 33% fin 2008, alors que des obligations de type “classique” ont bien résisté (cf. les benchmarks);

- le placement de tels produits ou fonds dans des portefeuilles défensifs est constitutif d'une faute de gestion puisqu'ils ne correspondaient pas au profil choisi par le client de préserver le patrimoine avec des instruments financiers, de type créances ou avoirs monétaires, uniquement de premier ordre;

- les consorts S. ne connaissaient d'ailleurs pas l'existence des obligations perpétuelles/subordonnées et la SA Petercam ne les a informés ni de la nature particulière de ces obligations, ni qu'elle placerait ce type de produits dans leurs portefeuilles;

- ces investissements massifs dans le secteur financier étaient d'autant plus risqués que ce secteur est apparu, depuis l'été 2007, comme gravement atteint (comme la presse spécialisée s'en en fait l'écho); qu'à cet égard, tout professionnel chargé de la gestion d'actifs financiers devait le savoir et aurait dû procéder à une diversification des secteurs d'investissements; la SA Petercam ne pouvait par ailleurs pas ignorer que les compartiments de la sicav Moneta Petercam qui composaient l'essentiel de la partie obligataire de leurs portefeuilles, étaient composés essentiellement d'obligations perpétuelles/subordonnées, puisque que ces fonds étaient gérés par le groupe Petercam;

- l'on ne peut expliquer que le gestionnaire des portefeuilles des consorts S. n'ait pas vendu ces positions autrement que par l'existence de conflits entre les intérêts des clients et ceux de la SA Petercam, qui devait éviter un trop grand nombre de rachats des parts de ses fonds pour éviter de devoir suspendre ceux-ci et de voir sa réputation ternie;

- le placement des parts du compartiment de la sicav Petercam Moneta, sicav luxembourgeoise non commercialisable en Belgique, a été fait en violation des articles 127 et suivants de la loi du 20 juillet 2004 sur les organismes de placement collectifs;

- la SA Petercam n'a pas évité les conflits d'intérêts en percevant des commissions importantes lors du placement dans le portefeuille des demandeurs de ses sicav maison et des obligations perpétuelles/subordonnées;

- le prospectus de la sicav Moneta (requalifiée Horizon) n'a pas été respecté.

Elle réclamait la réparation du préjudice subi.

4.2. La SA Petercam a accusé réception de ce courrier le 22 avril 2009.

Le 6 juillet 2009, le conseil des consorts S. a confirmé à la SA Petercam que ses clients envisageaient d'engager sa responsabilité civile du chef de la méconnaissance des instructions données quant au mode de gestion de leurs portefeuilles.

Le conseil de la SA Petercam lui a répondu le 17 novembre 2009 en contestant les revendications des consorts S.

Par lettre du 10 décembre 2009, le conseil des consorts S. a maintenu la demande d'indemnisation de ses clients.

Le conseil de la SA Petercam a réaffirmé, par courrier du 14 janvier 2010, que sa cliente estimait qu'elle avait correctement exécuté son mandat de gestion et qu'aucune faute ne lui était imputable.

4.3. Le 1er mars 2010, les consorts S. ont résilié unilatéralement les conventions de gestion.

La citation introductive d'instance a été signifiée le 16 juin 2010.

Par courriers du 22 août 2010, les consorts S. ont donné à la SA Petercam l'ordre de vendre tous les titres présents dans leurs portefeuilles. Les titres ont été vendus et les liquidités ont été transférées, en date des 3 et 9 septembre 2010.

III. Discussion

Les consorts S. sollicitent de la SA Petercam l'indemnisation du dommage qu'ils affirment avoir subi du fait des fautes commises dans l'exécution des conventions de gestion conclues avec elle.

La SA Petercam conteste avoir commis la moindre faute et fait valoir:

- qu'en droit, le gestionnaire de fortune n'est tenu qu'à une obligation de moyens, dont la faute doit faire l'objet d'une appréciation marginale, en tenant compte du résultat global du portefeuille, de l'horizon et du risque accepté par l'investisseur;

- qu'en l'espèce, la dépréciation du portefeuille des consorts S. résulte de la faillite Lehman Brothers, qui était un événement imprévisible, alors que le portefeuille des consorts S. était bien diversifié, composé uniquement de valeurs de premier ordre (“investment grade”), sans qu'à aucun moment d'éventuels conflits d'intérêts n'aient pu avoir un impact sur la protection des intérêts des clients;

- qu'elle ne voit pas où serait le problème à ce que la partie obligataire du portefeuille ait été composée essentiellement d'obligations dites “perpétuelles/subordonnées”;

- qu'elle considère que les consorts S. ont été parfaitement tenus informés de la teneur de leurs portefeuilles et du fait qu'elle pouvait y placer des produits financiers non commercialisables en Belgique.

Les consorts S. maintiennent quant à eux:

- que la gestion de leurs portefeuilles ne correspondait pas au mandat qui avait été donné à la SA Petercam;

- que la SA Petercam ne les a pas informés sur la présence de produits obligataires de type subordonné/perpétuel, tant lors de la conclusion des mandats de gestion que lors de leur exécution;

- que l'existence de conflits d'intérêts patents a certainement eu comme conséquence que la protection des intérêts des clients n'a pas été la première des préoccupations de la SA Petercam;

- que la SA Petercam a placé dans le portefeuille de ses clients et des consorts S. en particulier des produits financiers non commercialisables en Belgique.

A. Cadre légal et réglementaire

Les contrats conclus entre les consorts S. et la SA Petercam ont pour objet de donner à cette dernière un mandat de gestion.

Il s'agit d'un contrat de mandat assorti d'un contrat de louage d'ouvrage, auxquels s'appliquent les règles générales du mandat et une réglementation particulière:

1) Arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placements, pris en exécution de la loi du 4 décembre 1990 relative aux opérations financières et aux marchés financiers

Article 8, § 1er:

“Les sociétés de gestion de fortune ne peuvent commencer à prester des services de gestion de fortune à un client avant d'avoir conclu avec celui-ci une convention écrite prévoyant notamment:

- l'objet de la convention;

- les objectifs du client en matière de gestion conformément à l'article 19;

- le type d'opérations autorisées ainsi que les marchés et instruments de placements sur lesquels porteront ces opérations et, le cas échéant, les restrictions en matière de gestion; le cas échéant, doivent également être mentionnées, les opérations ne pouvant être réalisées qu'après avoir informé le client ou obtenu son autorisation;

- le risque financier admis et, le cas échéant, les limites en matière de pertes à partir desquelles le client doit être informé;

- les liquidités ou une énumération et évaluation des instruments de placement dont la gestion est confiée au moment de la conclusion de la convention;

- l'identité et la fonction du dépositaire, conformément à l'article 11;

- les modalités et la périodicité des rapports à faire au client;

- les règles relatives à la détermination de la rémunération et la périodicité de son paiement;

- la durée du contrat et les règles à appliquer lorsqu'il y est mis fin conformément à l'article 9;

- le type de rémunérations que la société reçoit, directement ou indirectement, de la part de tiers, dans le cadre de son activité de gestion de fortune ou du chef d'opérations effectuées dans ce cadre.

En fonction du type d'opérations autorisées, les sociétés doivent en outre communiquer au client un document standardisé indiquant clairement la nature des instruments de placement ainsi que le type de risque qui y est lié.”

2) Loi du 6 avril 1995 relative notamment aux intermédiaires et conseillers en placements

Article 36, § 1er:

“Dans leurs opérations sur instruments financiers, les intermédiaires visés aux articles 2, paragraphe premier, et 34 veilleront:

- à agir loyalement et équitablement en vue de promouvoir au mieux l'intégrité et les pratiques honnêtes sur le marché;

- à servir au mieux les intérêts de leurs clients, avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent, compte tenu du degré de connaissance professionnelle de ces clients;

- à se conformer à tous les codes de conduite et les règles applicables à l'exercice de leurs activités concernant les opérations sur instruments financiers, de manière à défendre au mieux les intérêts de leurs clients et l'intégrité du marché;

- à recueillir d'une manière appropriée auprès des clients qu'ils conseillent, toute information utile concernant la situation financière de leurs clients, leur expérience en matière d'investissements et leurs objectifs de placement qui raisonnablement sont significatifs pour pouvoir réaliser au mieux leurs engagements vis-à-vis de leurs clients en ce qui concerne les services demandés;

- à faire des démarches raisonnables pour fournir, dans un délai raisonnable, au client qu'ils conseillent, dans une langue compréhensible, toute information qui lui permet de prendre une décision bien réfléchie et en connaissance de cause. Sur simple demande du client, ils seront prêts à lui faire rapport de manière complète et honnête de leurs engagements vis-à-vis du client. Ils ne pourront proposer ni encourager une quelconque mesure qui inciterait leur client à ne pas respecter ses obligations légales y compris vis-à-vis de l'Etat;

- à éviter tout conflit d'intérêts possible, ou s'il est inévitable, à veiller à ce que leurs clients soient traités de façon équitable et égale et, le cas échéant, à suivre toute autre mesure telle l'obligation de faire rapport, le respect des règles internes en matière de confidentialités ou le refus d'intervenir. Ils ne pourront pas placer de manière inéquitable leurs propres intérêts devant ceux de leurs clients et lorsqu'un client dûment informé peut raisonnablement attendre que les intermédiaires visés aux articles 2, paragraphe premier, et 34 placent les intérêts de leurs clients devant leurs propres intérêts, ils devront répondre à l'attente de leur client;

- à savoir et à utiliser avec efficacité les ressources et les procédures nécessaires pour mener à bonne fin leurs activités.”

3) Arrêté royal du 3 juin 2007 portant les règles et les modalités visant à transposer la directive concernant les marchés d'instruments financiers

Article 20:

“Les entreprises réglementées ne peuvent commencer à prester des services de gestion de portefeuille à un client de détail avant d'avoir conclu avec celui-ci une convention écrite énonçant les droits et obligations fondamentaux de l'entreprise réglementée et du client ainsi que les autres conditions auxquelles l'entreprise réglementée fournit des services au client.

§ 2. Cette convention doit notamment prévoir: (...)

3° les objectifs de gestion, le degré de risque qui se reflétera dans l'exercice par le gestionnaire de son pouvoir discrétionnaire et toute contrainte particulière y afférente;

4° la ou les stratégies d'investissement définies par l'entreprise réglementée en accord avec le client, compte tenu de ses connaissances, son expérience, sa situation financière et ses objectifs d'investissement;

5° un critère de comparaison, tel que le cas échéant une valeur de référence (benchmark), convenu entre les parties et par rapport auquel seront comparées les performances du portefeuille du client.

Ce critère de comparaison doit tenir compte des objectifs d'investissement du client et des types d'instruments financiers intégrant son portefeuille; (...).”

Article 22:

“§ 1er. L'entreprise réglementée fournissant un service de gestion de portefeuille des clients adresse à chacun de ces clients, sur un support durable, un relevé périodique des activités de gestion de portefeuille réalisées en son nom, à moins qu'un tel relevé ne soit fourni par une autre personne.

§ 2. Dans le cas des clients de détail, le relevé périodique visé au § 1er inclut, le cas échéant, les informations suivantes: (...)

§ 3. Dans le cas des clients de détail, le relevé périodique mentionné au § 1er doit être adressé semestriellement, excepté dans les cas suivants:

a) à la demande du client, le relevé périodique doit lui être adressé trimestriellement; (…).”

B. Principes de responsabilité

1. Les textes légaux et réglementaires mettent à charge des gérants et conseillers des obligations et interdictions liées à l'organisation et à l'exercice de leur profession qui impliquent des prestations relevant de la pure technique et s'analysent par conséquent comme des obligations de résultat. Il en est ainsi par exemple de l'établissement de la documentation contractuelle et des mentions qui doivent obligatoirement y figurer.

Le simple manquement à ces obligations est constitutif de faute, sauf à invoquer une cause de justification (Weinberger, M.D., Gestion de portefeuille et conseil en investissement, Aspects contractuels et de responsabilité avant et après MiFID, Kluwer, p. 137).

Il en est de même de la méconnaissance de règlements boursiers, des usages de la profession ou des directives et recommandations que l'intermédiaire financier établit au niveau interne de son entreprise (o.c., p. 143).

Les prestations de conseil et de gestion sont par contre exécutées au titre d'obligations de moyen.

D'une part, ces prestations font appel à des connaissances et à une appréciation nécessitant une certaine marge de manoeuvre.

D'autre part, la gestion ou le conseil en instruments financiers est tributaire de facteurs extérieurs indépendants de la diligence apportée à sa tâche par le conseiller ou le gérant dans l'exécution de son mandat (o.c., p. 137).

La simple constatation qu'un portefeuille a subi une moins-value ne constitue donc pas la preuve d'une faute (Féron, B. et Taevernier, B., Droit des marchés financiers, Larcier, p. 347).

2. Il n'en demeure pas moins que les gérants et conseillers sont soumis au droit commun de la responsabilité civile.

Par conséquent, la simple faute suffit à engager leur responsabilité.

Il est attendu de ces professionnels une diligence spéciale dans la recherche du renseignement, sa vérification et sa pertinence, ainsi que dans la façon de dégager des choix (o.c., p. 144).

Le gestionnaire de fortune répond en principe de tout manquement que ne commettrait pas un bon père de famille, c'est-à-dire un homme normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances. Toutefois, il dispose d'une certaine marge de manoeuvre dans les limites de laquelle il a le choix entre plusieurs décisions qui ne sont pas déraisonnables.

Par ailleurs, il ne s'agit pas pour le tribunal de substituer son appréciation personnelle à celle du débiteur de l'obligation pour vérifier si, dans les mêmes conditions, il aurait ou non adopté le même comportement.

L'appréciation des cours et tribunaux quant aux actes allégués fautifs demeure marginale.

Elle consiste à vérifier si, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, le gérant ou le conseiller s'est comporté comme un bon professionnel, sans que le juge substitue son appréciation à celle dudit professionnel et ne se fonde sur des éléments déduits d'analyses postérieures aux faits du litige.

3. D'une façon générale, le gérant de fortune doit effectuer sa mission en bon technicien, informé de l'évolution des marchés et des perspectives d'avenir des sociétés émettrices des titres dans lesquels il investit.

“La gestion doit être raisonnablement étayée sur base de tous les éléments disponibles au professionnel. Il n'y a donc pas lieu, à cet égard, de n'examiner que la transaction effectuée ou le conseil fourni dans un contexte de marché déterminé, il faut considérer toutes les données de l'espèce, tels que les objectifs du client, ses ressources, ses connaissances, le risque accepté, son âge, etc. car la gestion, comme le conseil, doivent être personnalisés, et ne peuvent être indifférenciés, même s'ils sont parfaitement motivés.” (Weinberger, M.D., o.c., p. 138).

4. S'il dépasse les limites du mandat, le gérant commet une faute et ne peut en principe opposer à son client les actes posés en dehors de ces limites (o.c., p. 145).

“Tout mandataire s'oblige à exécuter le mandat dès lors qu'il en a accepté la mission. Il est toutefois lié par les termes de celui-ci. Il ne peut les outrepasser. 'Le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat.' S'il s'y risque, il en assume la responsabilité à l'égard du mandant (…) En matière de gestion, l'abus de pouvoir peut prendre diverses formes dont la jurisprudence a déjà donné maints exemples. Une faute communément commise consiste à prendre une certaine latitude par rapport à la stratégie convenue, généralement dans le souci d'obtenir un meilleur rendement ou de réaliser des plus-values que le gestionnaire espère substantielles. Ainsi, engage-t-il les actifs du portefeuille dans des instruments financiers dans lequel le mandat ne lui permet pas d'investir. Il en sera redevable à l'égard de son client.” (Bourin, P., La gestion de portefeuille, Anthémis, pp. 209-210).

5. Un placement représente toujours un risque.

La perte subie ou le gain manqué n'est dès lors susceptible d'indemnisation que s'il excède de manière sensible et par la faute du gestionnaire le niveau admissible pour la stratégie d'investissement convenue avec le client pour la gestion de ses actifs (Bourin, P., La gestion de portefeuille, Anthémis, p. 219).

La responsabilité du gestionnaire s'apprécie au regard de l'évolution globale du portefeuille, c'est-à-dire de l'ensemble des actifs qui le composent, en tenant compte des risques propres à la stratégie choisie (Féron, B. et Taevernier, B., o.c., p. 347).

6. La diversification insuffisante ou la mauvaise répartition des risques peut être constitutive de faute dans le chef du gérant.

La nature spéculative de l'investissement peut toutefois conduire à une appréciation différente de la diversification des instruments de placement par rapport à celle que requiert une gestion de bon père de famille (Weinberger, M.D., o.c., p. 146).

Il n'existe pas de règle qui fixe le nombre minimal de positions d'un portefeuille raisonnablement diversifié, mais l'usage est de considérer qu'une dizaine est un minimum et que la norme se situe autour d'une quinzaine à une vingtaine de positions différentes.

La diversification - tant quantitative que qualitative - doit être d'autant plus accentuée que le portefeuille est investi dans des actifs à risques.

La diversification est de fait démultipliée lorsque le gestionnaire investit tout ou partie du portefeuille dans des fonds d'investissement.

“Ainsi, un portefeuille exclusivement investi au travers de fonds d'investissement se trouve non seulement diversifié du fait de la souscription à plusieurs d'entre eux, mais l'est également au niveau de chacun d'eux, puisque chaque fonds doit lui-même obéir à ses propres règles de diversification, au regard de la réglementation qui lui est applicable. A fortiori en est-il de même pour les investissements effectués dans des fonds de fonds. La diversification y est encore accentuée, puisqu'elle se situe cette fois sur trois étages successifs. Une telle diversification indirecte pourrait dans une certaine mesure justifier que le portefeuille soit investi dans un moins grand nombre de positions directes, pour autant qu'il satisfasse toutefois aux exigences d'une diversification qualitative.” (Bourin, P., o.c., pp. 213-214).

7. Si le recours à des indices boursiers pour déterminer des fautes de gestion ou de conseil est souvent jugé discutable, les parties peuvent convenir d'une gestion dont la performance est liée à celle d'un indice.

Dans ce cas, sauf formulation non équivoque d'une obligation de résultat, l'utilisation d'un tel indice ne servira généralement qu'à titre d'indication de la qualité de la gestion, sans préjudice des autres principes de responsabilité (Weinberger, M.D., o.c., p. 146).

Le référentiel ou “benchmark” dont les parties ont convenu pourra servir à mesurer le préjudice. Le client dont le portefeuille n'a pas atteint le même niveau de performance ne pourra toutefois pas prétendre à une indemnisation automatique et proportionnée.

En effet, le référentiel est généralement entendu comme un objectif de performance, mais le gestionnaire ne prend pas l'obligation de résultat d'atteindre ce niveau (Bourin, P., o.c., p. 218).

C. Quant aux fautes imputées à la SA Petercam

Les consorts S. reprochent principalement à la SA Petercam de ne pas s'être conformée au mandat de gestion qui lui avait été accordé.

Ils invoquent également dans son chef:

- un défaut d'information;

- l'existence de conflits d'intérêts;

- le non-respect du prospectus de la sicav Moneta;

- la commercialisation illégale des sicav Petercam Moneta en Belgique;

- la vente fautive des sicav Petercam début 2009.

1. Non-respect du cadre du mandat de gestion
1.1. Contours du mandat

Les deux premiers contrats conclus entre les consorts S. et la SA Petercam définissent le profil protégé de la manière suivante:

“Petercam s'attache à préserver et augmenter la valeur, exprimée en euros, du patrimoine dont la gestion lui est confiée, en visant, au terme d'un cycle économique normal, à accroître le revenu par des moyens qui n'exposent pas le capital à des risques de perte anormalement élevés.

A cette fin, en fonction de l'évolution prévisible des taux d'intérêt et de change sur les marchés monétaires et financiers (...), les ressources disponibles sont principalement affectées à l'acquisition de titres de créance et de placement aisément mobilisables, et accessoirement à celle de titres d'investissement réputés peu volatiles.”

La référence à l'évolution des taux d'intérêt et de change confirme que les portefeuilles devaient essentiellement être composés d'obligations ou d'avoirs monétaires.

Comme l'indique l'annexe aux conventions, le profil protégé est le plus défensif:

1. la gestion a pour objectif de maintenir le patrimoine et d'augmenter les revenus;

2. le portefeuille aura une structure composée surtout de créances et placements en avoirs monétaires;

3. sa répartition sera large, ce qui ne peut que signifier que le portefeuille devra être très diversifié;

4. les instruments financiers seront uniquement de premier ordre.

La SA Petercam étant tenue de respecter le mandat qui lui était conféré, l'obligation qui lui était faite de souscrire, uniquement en titres de premier ordre et surtout en créances et placements en avoirs monétaires qui sont négociables sur un marché réglementé, selon une diversification large, constitue une obligation de résultat.

L'obligation - de moyen - de gérer les portefeuilles qui lui avaient été confiés s'inscrit dans ce cadre.

S'il s'agissait d'une gestion active, c'est dans le sens usuel du terme - par opposition à une gestion passive - et non dans le sens donné à cette notion par l'annexe aux contrats, qui vise la gestion discrétionnaire la plus risquée.

1.2. Obligations perpétuelles/subordonnées

1.2.1. Les consorts S. reprochent à la SA Petercam de ne pas avoir respecté le mandat de gestion qui lui avait été confié, en ayant placé dans leurs portefeuilles une part importante d'obligations perpétuelles/subordonnées (+ de 75% du volet obligataire).

Une obligation simple est un titre de créance remboursable à échéance qui produit des intérêts fixes.

Les obligations perpétuelles/subordonnées sont quant à elles des produits financiers dont le remboursement du capital et des intérêts est subordonné au remboursement des autres dettes de la société émettrice et dont le terme du remboursement du capital est indéfini.

Si elles produisent des intérêts plus importants, elles sont plus risquées que les obligations simples.

Selon les consorts S., elles doivent en termes de risques être assimilées à des actions.

Ils s'appuient à cet égard sur les commentaires de divers analystes:

- “des obligations perpétuelles doivent être considérées comme des actions pour l'appréciation des pourcentages par valeur” (cité dans de Patoul, F., “MiFID dans la pratique, quelques réflexions au départ des décisions du service de médiation banque-crédits-placements”, DBF 2010, p. 316);

- “Le Collège a ainsi eu l'occasion de rappeler en 2010 qu'on doit comparer le risque lié à une obligation perpétuelle à celui d'une action plutôt qu'à celui d'une obligation classique (…) Les obligations perpétuelles ou obligations avec une date d'échéance très éloignée ne peuvent être considérées comme des obligations classiques. (...) Le Collège en conclut que les placements dans les obligations perpétuelles, en ce qui concerne l'évaluation du risque, doivent être considérés comme un placement en actions dans le cadre d'une stratégie d'investissement” (Rapport annuel 2010 du service de médiation Banque-crédit-placement, p. 13);

- “Les titres 'AEGON PERPETUAL FLOATER' litigieux constituent des obligations subordonnées émises par la société d'assurance néerlandaise Aegon NV, qui présentent la particularité que les coupons d'intérêt sont à taux variable et se trouvent ajustés tous les trois mois en fonction de l'évolution des taux des obligations étatiques néerlandaises sur 10 ans avec un maximum de 8% (d'où la désignation 'FLOATER') et que les obligations sont à durée 'perpétuelles', sans date de maturité, la société Aegon disposant simplement d'une option Call à la date du 15 juillet 2004 de procéder au rachat des titres au taux de 100% d'où la désignation 'PERPETUAL'); Le tribunal s'attache en particulier à l'absence de date de maturité des titres, c'est-à- dire que le remboursement à 100% au ferme n'est pas automatique, mais du bon vouloir du débiteur, sans possibilité pour l'investisseur d'exiger le remboursement et de sortir ainsi de son investissement sans perte de capital (à supposer le débiteur capable d'honorer ses engagements), rend le titre spéculatif, dans la mesure où il s'apparente à cet égard plus aux actions (equity), (cause obligations) (Bonds)”... (tribunal d'arrondissement du 19 février 2009, n° de rôle 117632, cité par Schmitt, A. et Omes, E., “Chroniques de droit bancaire et financier, 2009 (Luxembourg)”, DBF 2010, p. 345);

- “Les obligations perpétuelles offrent donc des rendements intéressants, mais elles sont plus risquées que les obligations classiques et en cela ressemblent presque aux actions. Il faut donc être bien informé avant d'en acheter” (Les obligations perpétuelles, Obliginvest.com),

et soulignent en outre:

- que la SA Petercam a classé ces produits financiers, dans l'annexe aux conventions de gestion, dans la catégorie 4 des instruments d'investissement assimilés aux actions par opposition aux instruments de créance (catégorie 3);

- que dans le cadre de la crise financière, ces produits se sont comportés comme des actions et ont subi une dévalorisation de plus de 33% fin 2008, alors que des obligations de type classique ont bien résisté.

1.2.2. Si, comme tout placement, les obligations classiques comportent également un risque, il ne peut être sérieusement soutenu que le risque des obligations perpétuelles/subordonnées est identique.

La SA Petercam elle-même les distingue clairement dans l'annexe aux conventions de gestion, qui énumère les différentes opérations intéressant la gestion d'un patrimoine de valeurs mobilières, présentées par ordre croissant de risque.

Les obligations subordonnées sont assimilées aux actions et classées dans les instruments d'investissement, par opposition aux instruments de créance que sont les obligations simples.

Eu égard au profil de gestion choisi par les consorts S., la SA Petercam devait affecter les ressources disponibles principalement à l'acquisition de titres de créance et de placement aisément mobilisables, et accessoirement à celle de titres d'investissement réputés peu volatiles.

Contractuellement, les obligations subordonnées/perpétuelles ont été rangées dans la catégorie des titres d'investissement et non de créance.

L'on peut considérer qu'il s'agissait - lorsqu'ils ont été acquis - de titres réputés peu volatiles, de sorte que leur acquisition était permise.

Elle devait toutefois demeurer accessoire.

1.2.3. Au 31 décembre 2008, le portefeuille (…) était composé de 12,04% d'actions, 1,29% d'immobilier, 82,46% d'obligations et 4,20% de liquidités.

Le portefeuille (…) était quant à lui composé de 9,25% d'actions, 88,69% d'obligations et 2,07% de liquidités.

Toutefois, les obligations était en majeure partie soit des obligations perpétuelles/subordonnées, soit des sicav dont les sous-jacents étaient essentiellement composés de tels produits.

La proportion de tels produits (75% du volet obligataire) était nettement plus importante que ce qui était permis par le contrat.

1.2.4. La présentation des portefeuilles était trompeuse, puisque l'identification du type d'obligations présentes ne permettait pas de constater qu'il ne s'agissait pas d'obligations simples.

Pour déterminer la nature exacte des sous-jacents des titres souscrits, il était nécessaire d'examiner en détail la composition de ces titres.

La SA Petercam fait valoir à ce sujet que les rapports annuels et semestriels des sicav étaient disponibles sur Internet, de sorte que les consorts S. en étaient informés.

Si tout investisseur prudent et diligent supporte une obligation de renseignement, il convient de tenir compte du fait que les conventions conclues par les consorts S. autorisaient la SA Petercam à gérer leurs portefeuilles de manière discrétionnaire - ce qui implique une liberté d'action - et dans un cadre contractuel bien défini.

Il ne peut dès lors leur être reproché de ne pas avoir vérifié - par des recherches approfondies - que la composition réelle de leurs portefeuilles correspondait aux mentions figurant sur les relevés de patrimoine qui leur étaient transmis par la SA Petercam.

1.2.5. Le gestionnaire de fortune est tenu de respecter le cadre contractuel convenu avec son client.

Il importe dès lors peu que, comme l'expose la SA Petercam:

- les titres aient pu, à l'époque où ils ont été acquis, être considérés comme des placements de bon père de famille;

- de l'opinion générale, il s'agissait d'investissements sûrs, dont le danger n'est apparu qu'après la crise des subprimes et la faillite de la banque Lehman Brothers;

- ces valeurs aient bénéficié d'une excellente notation (titres de “premier ordre”).

Il apparaît que la SA Petercam ne s'est, quant au choix du type d'instruments financiers, pas conformée aux dispositions des contrats conclus avec les consorts S., ce qui constitue une faute dans son chef.

1.3. Absence de diversification

Les principaux titres acquis par la SA Petercam étaient des fonds de fonds, ce qui garantissait la diversification.

Une surpondération du secteur financier doit effectivement être constatée.

Toutefois, au moment de l'acquisition de ces titres, la crise financière de l'automne 2008 n'était pas encore en vue.

La crise des subprimes avait éclaté, mais rien ne laissait supposer qu'elle serait suivie d'une autre crise, encore plus importante.

Il n'apparaît dès lors pas que la SA Petercam ne se soit, quant à la diversification des titres, pas comportée comme un gestionnaire de fortune normalement compétent et prudent l'aurait fait à la même époque.

Ce grief n'est pas fondé.

2. Autres griefs

Puisque la SA Petercam n'a pas respecté les contrats conclus avec les consorts S. en ce qui concerne la composition de leurs portefeuilles, sa responsabilité contractuelle est engagée et elle leur doit indemnisation du préjudice que cette faute leur a causé.

Les autres griefs formulés par les consorts S. à l'égard de la SA Petercam ne sont pas susceptibles d'engager la responsabilité de cette dernière de manière plus étendue.

Il n'y a dès lors pas lieu d'examiner leur fondement.

D. Quant au dommage

1. Le dommage subi par les consorts S. correspond à la différence entre la valeur de leurs portefeuilles au jour où ils ont mis fin aux conventions de gestion et ce qu'elle aurait dû être si la SA Petercam les avait composés conformément aux prescriptions des contrats.

Le calcul effectué par les consorts S., sur base d'un benchmark arbitrairement choisi, apparaît simpliste et ne peut être entériné.

L'évaluation de leur dommage réel implique de simuler ce qu'aurait été l'évolution de leurs portefeuilles s'ils avaient été autrement constitués.

2. Le tribunal ne dispose pas des connaissances techniques nécessaires pour procéder à cette simulation.

Il s'impose par conséquent de désigner un expert qui sera chargé de proposer des calculs d'indemnisation, en motivant le choix des divers paramètres de calcul.

L'expert devra ainsi donner son avis sur la proportion que pouvaient représenter les obligations perpétuelles/subordonnées dans les portefeuilles des consorts S., eu égard au type de gestion choisi, impliquant que les ressources soient affectées principalement à l'acquisition de titres de créance et de placement aisément mobilisables et accessoirement à celle de titres d'investissement réputés peu volatiles (cf. point 1.2.2. ci-dessus).

3. La responsabilité de la SA Petercam étant établie, c'est à elle qu'incombe l'obligation de provisionner les frais d'expertise.

Le tribunal estime qu'il n'est pas nécessaire qu'il assiste à la réunion d'installation de l'expertise. Les parties ne l'ont du reste pas sollicité.

Pour ces motifs

Le tribunal

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Statuant contradictoirement;

Dit la demande recevable et fondée dans la mesure suivante;

Dit que la SA Petercam n'a pas respecté les contrats conclus avec les consorts S. en ce qui concerne la composition de leurs portefeuilles, ceux-ci ayant présenté une proportion trop importante d'obligations perpétuelles/subordonnées;

Avant dire droit quant au montant qui leur est dû à titre d'indemnisation du dommage que cette faute de la SA Petercam leur a causé, désigne en qualité d'expert:

monsieur E. Claes (boulevard du Jubilé 71, bte 3, à 1080 Bruxelles, tél: 02/421.07.41, gsm: 0475/41.60.48, fax: 02/421.07.40) avec pour mission de proposer au tribunal un ou plusieurs calculs d'indemnisation, en motivant le choix des paramètres de calcul par rapport au profil de gestion contractuellement déterminé, impliquant que les ressources soient affectées principalement à l'acquisition de titres de créance et de placement aisément mobilisables et accessoirement à celle de titres d'investissement réputés peu volatiles;

Fixe le montant de la provision à 2.000 EUR, qui devra être consignée par la SA Petercam dans les 15 jours de la notification du présent jugement, au greffe du tribunal de première instance de Bruxelles (n° de compte: BE(…)) ou, avec l'accord des parties, dans une institution de crédit sur un compte rubriqué au nom de l'expert désigné, étant entendu que l'expert n'entamera sa mission que lorsque la provision sera consignée;

Dit qu'un montant de 1.000 EUR sera immédiatement et directement exigible par l'expert sur simple présentation du présent jugement;

Dit que les parties disposeront d'un délai d'un mois pour faire valoir leurs observations à l'égard de l'avis provisoire de l'expert, celui-ci pouvant en outre, si les parties lui en font la demande, établir un calendrier pour l'échange des répliques;

A défaut de conciliation des parties, dit que l'expert consignera ses constatations et avis dans un rapport motivé, affirmé sous serment et dûment signé, déposé au greffe civil du tribunal de première instance de Bruxelles le 31 mars 2012 au plus tard, sauf demande expresse et motivée de prolongation de délai;

Pour le surplus, dit que les parties et l'expert sont tenus de se conformer aux règles de l'expertise telles que définies par les articles 962 à 991 du Code judiciaire;

Reserve le surplus;

Dit le présent jugement exécutoire nonobstant tout recours;

(...)