Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 26/09/2012, R.D.C.-T.B.H., 2013/5, p. 459-461

Tribunal de commerce de Bruxelles 26 septembre 2012

INSOLVABILITE TRANSNATIONALE
Compétence internationale - Procédure secondaire d'insolvabilité
L'ouverture d'une procédure secondaire d'insolvabilité dans le cadre du règlement n° 1346/2000 est une faculté offerte aux juridictions. En conséquence, le demandeur en ouverture d'une procédure secondaire doit justifier de l'opportunité de cette ouverture.
TRANSNATIONALE INSOLVENTIE
Internationale bevoegdheid - Secondaire insolventieprocedure
De opening van een secondaire insolventieprocedure binnen het kader van verordening nr. 1346/2000 is een mogelijkheid die aan de hoven en rechtbanken geboden wordt. De verzoeker moet daarom de gepastheid van de opening rechtvaardigen.

B.K., Y.S. et Ch.D.V. / SPRL Motek Benelux en liquidation

Siég.: J. de Dixmude (juge), Berlinblau (président consulaire) et Brykman (juge consulaire suppléant)
Pl.: Mes A. Maeterlinck loco D. Ryckaert et K. Van den Broeck, M. Santoni, L. Agrest

Après délibéré, le tribunal prononce le jugement suivant:

Vu les pièces de la procédure et notamment:

- la citation introductive d'instance du 25 juin 2012;

- les conclusions et les dossiers déposés par les parties.

Entendus les conseils des parties en leurs plaidoiries et monsieur Fabrice Mourlon Beernaert, juge suppléant faisant fonction de procureur du Roi, en son avis à l'audience publique du 24 septembre 2012, à laquelle les débats ont été déclarés clos et la cause prise en délibéré;

Le 24 septembre 2012, à 15h58, le conseil de la défenderesse a déposé au greffe de notre tribunal une lettre à l'attention du tribunal et relative à la présente cause; les débats ayant été déclarés clos à l'audience précitée, cette pièce est rejetée du délibéré, conformément à l'article 771 du Code judiciaire.

1. Objet de la demande

La demande tend à entendre déclarer la faillite de la défenderesse dans le cadre d'une procédure secondaire d'insolvabilité limitée au territoire belge et désigner un curateur;

Les demandeurs postulent également la condamnation de la défenderesse aux dépens et un jugement exécutoire.

2. Les faits - Antécédents de la procédure

Les demandeurs se disent créanciers de la défenderesse à concurrence de la somme de 1.465.368,15 EUR; ils sont les anciens propriétaires de la société Mac Line, filiale à 100% de la SA 3 Dynamic, elle-même filiale à 100% de la défenderesse;

Le 31 mai 2012, la défenderesse, société de droit belge qui fait partie d'un groupe français d'entreprises dénommé Ebiz­cuss, et les autres sociétés du groupe Ebizcuss, ont été mises en liquidation judiciaire sous patrimoines distincts par l'effet d'un jugement prononcé par le tribunal de commerce de Paris;

Le tribunal de Paris a fondé sa compétence envers la défenderesse sur les dispositions du règlement (CE) n° 134612000 du Conseil de l'Union européenne du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité (ci-après “le règlement insolvabilité”), démonstration ayant été faite que le centre des intérêts principaux de la défenderesse était localisé en France;

Au jour de l'ouverture de la procédure, la défenderesse employait quatre salariés et exploitait un magasin dénommé iCLG situé avenue Louise à Bruxelles; elle détenait en outre 100% des actions de la SA 3 Dynamic, laquelle détient 100% des actions de la SA Mac Line; cette société Mac Line est actuellement gérée par M. B.K., un des trois demandeurs; elle exploite des magasins à Bruxelles et en Wallonie et emploie 87 personnes;

Le jugement du 31 mai 2012 a assorti la liquidation d'une poursuite d'activité jusqu'au 31 août 2012 et a fixé au 20 juin 2012 la date ultime de remise des offres de reprise; à cette date, deux offres de reprise portant sur le fonds de commerce et sur les actifs de Motek avaient été déposées auprès de l'administrateur judiciaire de la défenderesse; l'une émanait d'une SA Maes, pour un montant de 2.250.000 EUR, et l'autre émanant d'une SA Dalsin, contrôlée par M. K., pour une somme de 1.000.000 EUR;

Dans le cadre de la procédure de liquidation, le juge-commissaire désigné par le jugement du 31 mai 2012 du tribunal de commerce de Paris a ordonné la désignation d'un expert judiciaire afin de valoriser l'actif de la défenderesse;

La date du dépôt du rapport d'expertise a été fixée (après report dû à une erreur du greffe du tribunal de Paris) au 18 septembre 2012, une nouvelle date limite de dépôt des offres étant fixée au 20 septembre 2012; le tribunal de commerce de Paris a en outre fixé au 27 septembre 2012 l'audience d'examen des offres de reprise;

Le rapport d'expertise a été déposé le 18 septembre 2012 et retient comme valeur des actifs de la défenderesse la somme de 2.127.000 EUR, sans prise en compte des dettes de la défenderesse envers les trois demandeurs et envers sa société mère Ebizcuss;

Le 20 septembre 2012, la société Maes a confirmé son offre; la société Dalsin a en revanche retiré son offre; d'après les parties, aucune autre offre n'a été déposée;

A ce jour, les demandeurs n'ont pas encore déclaré leur créance dans la procédure en cours devant le tribunal de commerce de Paris; ils font valoir qu'ils disposent d'un délai courant jusqu'au 26 octobre 2012 pour le faire et ajoutent qu'ils préfèrent déclarer leur créance dans le cadre d'une procédure secondaire belge;

Par leur citation du 25 juin 2012, les demandeurs sollicitent l'ouverture en Belgique d'une procédure secondaire d'insolvabilité en application des articles 27 et suivants du règlement insolvabilité; la défenderesse conclut au non-fondement de cette demande.

3. En droit

Les parties reconnaissent que la défenderesse ayant son siège social en Belgique, la condition posée par l'article 3, 2. du règlement insolvabilité pour l'ouverture d'une procédure secondaire est remplie;

Pour le surplus, les demandeurs font valoir qu'ils ne doivent pas démontrer un intérêt particulier à l'ouverture de la procédure secondaire, dès lors que le droit de demander l'ouverture d'une telle procédure est reconnu à toute personne habilitée à demander l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité en vertu de la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel l'ouverture de la procédure secondaire est demandée (art. 29 du règlement);

L'intérêt à agir des demandeurs n'est pas contesté; en revanche, avant d'ordonner l'ouverture d'une procédure secondaire, le tribunal doit évaluer d'une telle procédure dans l'espèce qui lui est soumise;

En effet, selon le considérant 12 du règlement précité: “Le présent règlement permet d'ouvrir les procédures d'insolvabilité principales dans l'Etat membre où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur. Ces procédures ont une portée universelle et visent à inclure tous les actifs du débiteur. En vue de protéger les différents intérêts, le présent règlement permet d'ouvrir des procédures secondaires parallèlement à la procédure principale. Des procédures secondaires peuvent être ouvertes dans l'Etat membre dans lequel le débiteur a un établissement. Les effets des procédures secondaires se limitent aux actifs situés dans cet état. Des règles impératives de coordination avec les procédures principales satisfont l'unité nécessaire au sein de la Communauté.”

Il s'agit donc d'une faculté offerte aux juridictions (“…peuvent être ouvertes...”) et en conséquence, le demandeur en ouverture d'une procédure secondaire doit justifier de l'opportunité de cette ouverture (en ce sens: Versailles (13ème ch.) 15 décembre 2005, Recueil Dalloz 2006, n° 5, p. 379);

Les demandeurs répliquent qu'en toute hypothèse, ils ont en l'espèce un intérêt à demander cette procédure, dans le but de faire reconnaître leurs droits plus facilement, la procédure secondaire étant régie par la loi du lieu de l'ouverture, en l'espèce la loi belge; ils ajoutent qu'un curateur belge connaîtra mieux le marché et le droit belge et sera donc plus apte à la gestion de l'établissement belge;

Ils déduisent de ce qui précède qu'il se trouverait démontré que l'ouverture d'une procédure secondaire améliorera le sort des intérêts locaux et que tel est le but de la procédure secondaire, conformément au considérant 19 du règlement;

A l'audience, les demandeurs ont également insisté sur le fait que l'ouverture d'une procédure secondaire permettrait d'assurer l'information des créanciers, et permettrait également de faire en sorte que la procédure de liquidation soit efficacement menée, ce qui ne serait actuellement pas le cas;

La défenderesse conteste la position des demandeurs; elle fait valoir que l'utilité de l'ouverture d'une procédure secondaire en Belgique ne serait en l'espèce pas démontrée;

Les demandeurs invoquent tout d'abord le fait qu'une telle procédure leur permettrait de procéder plus facilement à la déclaration de leur créance; en vertu de l'article 32, 1. du règlement insolvabilité, tout créancier peut produire sa créance à la procédure principale et à toute procédure secondaire; le tribunal n'aperçoit dès lors pas en quoi il serait plus facile pour les demandeurs de produire leur créance à l'une des procédures plutôt qu'à l'autre;

Les demandeurs justifient également leur demande en faisant valoir que la procédure de liquidation actuellement en cours ne serait pas efficacement menée; ce grief n'est pas établi; au contraire, le tribunal relève que depuis que la procédure de liquidation a été ouverte le 31 mai 2012, un expert a été désigné pour évaluer les actifs de la défenderesse et des offres de reprise des actifs ont été formulées;

La finalité d'une procédure de liquidation est d'obtenir le meilleur prix des actifs pour la masse des créanciers; or, le premier demandeur, qui connaît le mieux la valeur des actifs en cause, a été partie prenante à la procédure d'offre et a fait une offre inférieure qu'il n'a pas prolongée; actuellement, seule l'offre de la SA Maes subsiste, et les demandeurs déclarent en conclusions que “aucune alternative n'est disponible”;

En outre, le 27 septembre prochain, c'est-à-dire incessamment, le tribunal de commerce de Paris doit examiner l'ultime offre de reprise;

Dans ces conditions, l'utilité d'ouvrir une procédure secondaire en Belgique n'est pas démontrée; l'offre qui subsiste est très proche de la valeur retenue par l'expert et il n'est nullement démontré qu'un curateur belge pourrait recueillir une meilleure offre;

La prétention des demandeurs selon laquelle le liquidateur judiciaire français risquerait de faire prévaloir des intérêts des employés français, même au détriment des intérêts des créanciers, manque de tout fondement en l'espèce, dès lors qu'aucune offre globale de reprise du groupe n'a été déposée, et que les liquidations des différentes sociétés du groupe Ebizcuss ont lieu par patrimoines distincts;

Pour le surplus, le tribunal n'a pas à apprécier les décisions de gestion journalière prises par les organes de la procédure, s'agissant du magasin de la défenderesse;

L'argument selon lequel un curateur belge serait plus apte à la gestion de l'établissement situé en Belgique manque également de pertinence, dès lors que cet actif est sur le point d'être cédé dans le cadre de la liquidation menée par les organes de la procédure en France;

En revanche, les frais qu'occasionnerait l'ouverture d'une faillite en Belgique viendraient grever le passif de la société en liquidation au détriment des créanciers qui verraient les frais mis à charge de la masse être multipliés par deux;

Enfin, les demandeurs ont également fait valoir que l'ouverture d'une faillite en Belgique garantirait la bonne information des créanciers de la défenderesse;

Les demandeurs sont parfaitement informés de la procédure de liquidation en cours, le premier demandeur ayant même participé à celle-ci; ils ont connaissance du jugement de liquidation et en produisent même la publication au journal officiel appelé Bodacc; ils savent que cette publication a eu lieu le 26 juin 2012 et qu'ils disposent d'un délai de quatre mois à partir de cette publication pour déclarer leur créance;

Pour le surplus, les demandeurs ne sont pas les garants de la bonne information des autres créanciers de la défenderesse; il incombe aux organes de la procédure menée devant le tribunal de commerce de Paris de procéder à une correcte information des créanciers, conformément à l'article 40 du règlement insolvabilité; en cas de carence à cet égard, les liquidateurs judiciaires devront rendre des comptes aux parties préjudiciées, mais une telle carence n'est actuellement pas démontrée;

Vainement, les demandeurs invoquent le fait que le règlement n'offrirait aux créanciers privilégiés aucune garantie que leurs privilèges légaux seront respectés; les demandeurs n'établissent pas que la procédure de liquidation actuellement en cours ne garantirait pas le respect des privilèges;

Il se déduit de ce qui précède qu'il n'est nullement démontré que la procédure secondaire d'insolvabilité réclamée par les demandeurs présenterait en l'espèce des avantages, notamment en améliorant la protection des intérêts des créanciers ou la réalisation des actifs;

La demande manque en conséquence de fondement.

Par ces motifs,

Le tribunal,

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Statuant contradictoirement,

Entendu le ministère public en son avis,

Ecarte du délibéré la lettre déposée par la défenderesse au greffe de notre tribunal le 24 septembre 2012 à 15h58,

Reçoit la demande, la dit non fondée et en conséquence, en déboute les demandeurs,

Condamne les demandeurs aux dépens, liquidés pour la défenderesse à la somme de 1.100 EUR;

(...)


Observations / Noot

Voy. supra, la note publiée sous Comm. Bruxelles, 11 mai 2009.