Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 11/05/2009, R.D.C.-T.B.H., 2013/5, p. 452-455

Tribunal de commerce de Bruxelles 11 mai 2009

PROCEDURE JUDICIAIRE
Exceptions - Nullité - Intérêts lésés
L'exception de nullité d'une citation en justice, qui ne comporte pas la mention de la forme sociale de la société demanderesse, ne peut être admise dès lors que la défenderesse n'établit pas avoir subi le moindre grief à la suite de cette omission, ayant comparu à l'audience d'introduction et déposé des conclusions.
BANQUE-CARREFOUR
Immatriculation obligatoire - Société de droit italien
Une société de droit italien ne doit pas être immatriculée à la Banque Carrefour des Entreprises.
ACTION EN JUSTICE - INTERET
Intérêt légitime
Un créancier jouit d'un intérêt légitime à introduire une demande d'ouverture d'une procédure secondaire d'insolvabilité alors qu'il n'a fait valoir aucune créance dans le cadre de la procédure principale d'insolvabilité, dès lors que la créance n'est pas sérieusement contestée et que la procédure entreprise est prévue par le règlement n° 1346/2000
INSOLVABILITE TRANSNATIONALE
Compétence internationale - Procédure secondaire
Le siège social d'une société peut constituer un établissement de celle-ci au sens de l'article 2, h) du règlement n° 1346/2000, dans le cas où une procédure principale d'insolvabilité a été ouverte dans un autre Etat membre que celui du siège social.
L'ouverture d'une procédure secondaire d'insolvabilité dans le cadre du règlement n° 1346/2000 est une faculté offerte aux juridictions. En conséquence, le demandeur en ouverture d'une procédure secondaire doit justifier de l'opportunité de cette ouverture.
RECHTSPLEGING
Excepties - Nietigheid - Belangenschade
De exceptie van nietigheid van een dagvaarding, die de maatschappelijke vorm van de eisende vennootschap niet vermeldt, kan niet aanvaard worden omdat de verweerster niet bewijst dat zij enige belangenschade heeft geleden door die weglating, gezien zij op de inleidingszitting is verschenen en conclusies heeft neergelegd.
KRUISPUNTBANK
Verplichte inschrijving - Vennootschap naar Italiaans recht
Een vennootschap naar Italiaans recht hoeft niet ingeschreven te worden in de Kruispuntbank der Ondernemingen.
RECHTSVORDERING - BELANG
Wettig belang
Een schuldeiser beschikt over een wettig belang om de opening van een secondaire insolventieprocedure te vragen wanneer hij geen vordering heeft ingediend in de hoofdinsolventieprocedure, de vordering niet ernstig betwist wordt en de beoogde procedure voorzien is door verordening nr. 1346/2000.
TRANSNATIONALE INSOLVENTIE
Internationale bevoegdheid - Secondaire insolventieprocedure
De maatschappelijke zetel van een vennootschap kan een vestiging in de zin van artikel 2, h) van verordening nr. 1346/2000 vormen, wanneer een hoofdinsolventieprocedure geopend werd in een andere lidstaat dan deze van de maat-schappelijke zetel.
De opening van een secondaire insolventieprocedure binnen het kader van verordening nr. 1346/2000 is een mogelijkheid die aan de hoven en rechtbanken geboden wordt. De verzoeker moet daarom de gepastheid van de opening rechtvaardigen.

Burgo Group / SA Illochroma en liquidation

Siég.: Jacques de Dixmude (juge), Berlinblau (président consulaire) et Brykman (juge consulaire)
MP: Mourlon Beernaert (juge suppléant f.f. de procureur du Roi)
Pl.: Mes R. Hubery, Ch. Beaujean et B. Van Haelst, J.E. Kuntz, Chevalier

Après délibéré, le tribunal prononce le jugement suivant:

Vu les pièces de la procédure et notamment:

- la citation introductive d'instance du 15 janvier 2009;

- les conclusions et les dossiers déposés par les parties.

Entendu les conseils des parties en leurs plaidoiries à l'audience publique du 23 mars 2009, à laquelle la cause a été prise en délibéré.

1. Objet de la demande

La demande tend à entendre constater que la défenderesse a cessé ses paiements et que son crédit est ébranlé;

Elle tend en conséquence à entendre prononcer la faillite de la défenderesse et désigner un curateur.

2. Les faits - Antécédents de la procédure

La demanderesse a livré de nombreux lots de papier à la défenderesse;

Des factures de la demanderesse datées du 24 mai 2007 au 30 juillet 2007 et une facture du 10 janvier 2008 sont demeurées impayées, pour une somme totale en principal de 359.778,48 EUR;

Le 21 avril 2008, la défenderesse a été mise en situation de redressement judiciaire avec poursuite d'activité par le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing, en application du règlement européen du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité; maître Jérôme Theetten a été désigné en qualité de mandataire;

Par jugement du 25 novembre 2008, la défenderesse a été mise en liquidation judiciaire par le même tribunal; ce jugement a ordonné “la cession de l'entreprise (c'est-à-dire de la défenderesse) sur la base des offres reçues durant la période d'observation, (...)” et a dit “que l'entreprise sera cédée à la SAS Green Recovery II, (...)”; Me Theetten a été désigné en qualité de liquidateur par le même jugement;

La demanderesse a mis la défenderesse en demeure de s'acquitter de sa dette par courrier du 15 octobre 2008; le conseil de la défenderesse a repoussé cette demande en faisant valoir que sa cliente était en procédure de redressement judiciaire; par cette même lettre, le conseil de la défenderesse invitait la demanderesse à faire la déclaration de sa créance auprès de Me Theetten, mandataire;

Par courrier du 4 novembre 2008, la demanderesse semble avoir adressé une déclaration de créance à Me Theetten;

Dès le 5 novembre 2008, ce dernier répondait à la demanderesse que sa déclaration était tardive, mais qu'il lui était loisible d'introduire une demande en admissibilité de sa créance;

La demanderesse n'a pas suivi cette voie et a cité la défenderesse en faillite le 15 janvier 2009.

3. Quant à la recevabilité
3.A. Nullité de la citation

La défenderesse invoque tout d'abord la nullité de la citation, dès lors que celle-ci ne comporterait pas la mention de la forme sociale de la demanderesse;

Celle-ci objecte avec raison que la défenderesse n'établit pas avoir subi le moindre grief à la suite de cette omission; elle a comparu l'audience d'introduction et a déposé des conclusions; en application des articles 861 et 867 du Code judiciaire, cette exception de nullité ne peut être admise.

3.B. Absence de mention du numéro d'identification à la BCE

La défenderesse reproche ensuite à la demanderesse de ne pas fournir la preuve de son inscription à la BCE;

La demanderesse est une société de droit italien; elle ne relève d'aucune des catégories visées à l'article 4 de la loi du 16 janvier 2003 relative à la BCE; elle ne doit en conséquence pas être immatriculée à la BCE.

3.C. Absence d'intérêt à agir

La défenderesse soutient enfin que la demanderesse n'aurait pas d'intérêt juridique déterminé à la présente action; elle fait valoir qu'elle aurait introduit la demande en faillite parce qu'elle se trouve forclose à introduire sa déclaration de créance auprès de la liquidation judiciaire désignée par le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing et que cet intérêt ne serait ni légitime, ni juridique;

La demanderesse réplique qu'elle n'a pas été avertie de l'ouverture de la procédure principale d'insolvabilité menée à la requête de la défenderesse devant le tribunal français, en violation de l'article 40 du règlement européen n° 1346/2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, qui prévoit l'obligation d'informer les créanciers; elle ajoute que si elle avait été avertie à temps de l'ouverture de la procédure, elle aurait introduit sa déclaration de créance, comme elle l'a fait dans le cadre de la procédure ouverte auprès du même tribunal et relative à la société Illochroma Italie;

Il est acquis aux débats que la demanderesse n'a pas produit de créance dans le cadre de la procédure principale d'insolvabilité ouverte par le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing, ni davantage introduit de requête en relevé de forclusion comme le droit français semble l'y autoriser en cas de dépassement du délai de déclaration de créance;

La demanderesse invoque les articles 3 et 29, b) du règlement précité pour introduire en Belgique sa demande en faillite, laquelle constitue en réalité une procédure secondaire d'insolvabilité au sens dudit règlement;

Certes, il semble établi que la demanderesse a pris l'initiative de la présente action afin de faire valoir ses droits de créancier sur le patrimoine de la défenderesse, alors qu'elle n'a fait valoir aucune créance dans le cadre de la procédure principale d'insolvabilité; toutefois, la présente initiative judiciaire ne peut être qualifiée d'illégitime, dès lors que la créance de la demanderesse n'est pas sérieusement contestée et que la procédure entreprise est prévue par le règlement européen précité;

L'intérêt à l'action de la demanderesse n'est pas illégitime.

4. Quant au fond

La défenderesse soutient tout d'abord que les conditions d'ouverture d'une procédure secondaire d'insolvabilité ne seraient pas réunies en l'espèce; elle fait valoir qu'elle ne disposerait pas d'un établissement en Belgique, comme le requiert l'article 3, 2. du règlement, dès lors qu'elle est une personne morale de droit belge dont le siège social est établi en Belgique;

La défenderesse considère dès lors que si la demanderesse entendait demander l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité à son encontre en Belgique, elle ne pouvait que demander l'ouverture d'une procédure principale d'insolvabilité, ce qui ne se peut en l'espèce, puisqu'une telle procédure a déjà été ouverte en France;

A titre subsidiaire, la défenderesse suggère que le tribunal soumette à la Cour de justice des Communautés européennes deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation du règlement précité quant à la notion d'établissement et aux conditions d'application de l'article 3, 2. du règlement;

Il convient toutefois de relever que le règlement européen n° 1346/2000 relatif aux procédures d'insolvabilité étant pris en application des articles 61, c) et 67, 1. du traité CE, la possibilité de poser une question préjudicielle est réservée aux juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne, vu l'article 68, 1. TCE;

Il s'ensuit que le tribunal de céans est sans compétence pour poser une question préjudicielle à la CJCE;

En vertu de l'article 3, 2. du règlement précité, “lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d'un Etat membre, les juridictions d'un autre Etat membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d'insolvabilité à l'égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre Etat membre. (…)”

D'autre part, selon l'article 2, h) du règlement, on entend par “établissement” “tout lieu d'opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains et des biens.”;

Il suit de l'article 2, h) précité que la notion d'établissement n'exclut pas celle de siège social; dans la mesure où il ne peut être nié que le siège social de la défenderesse constitue un établissement selon la définition donnée ci-dessus, la condition de possession d'un établissement sur le territoire belge est remplie en l'espèce, en sorte que les conditions formelles posées par l'article 3, 2. du règlement sont réunies;

La défenderesse soutient ensuite que la procédure secondaire d'insolvabilité demandée par la demanderesse serait en l'espèce inopportune;

Il est utile de rappeler les considérants 11 et 12 du règlement précité; selon le considérant 11: “Le présent règlement tient compte du fait que, en raison de divergences considérables entre les droits matériels, il n'est pas pratique de mettre en place une procédure d'insolvabilité unique ayant une portée universelle pour toute la Communauté. (...)”; En vertu du considérant 12, “Le présent règlement permet d'ouvrir les procédures d'insolvabilité principales dans l'Etat membre où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur. Ces procédures ont une portée universelle et visent à inclure tous les actifs du débiteur. En vue de protéger les différents intérêts, le présent règlement permet d'ouvrir des procédures secondaires parallèlement à la procédure principale. Des procédures secondaires peuvent être ouvertes dans l'Etat membre dans lequel le débiteur a un établissement. Les effets des procédures secondaires se limitent aux actifs situés dans cet état. Des règles impératives de coordination avec les procédures principales satisfont l'unité nécessaire au sein de la Communauté.”

A juste titre, la défenderesse plaide qu'il s'agit d'une faculté offerte aux juridictions (“peuvent être ouvertes...”) et qu'en conséquence, le demandeur en ouverture d'une procédure secondaire doit justifier de l'opportunité de cette ouverture (en ce sens: Versailles (13ème ch.) 15 décembre 2005, Recueil Dalloz 2006, n° 5, p. 379);

En l'espèce, il convient tout d'abord de relever que le jugement de mise en liquidation judiciaire de la défenderesse s'accompagne d'un ordre de cession de l'entreprise, rédigé en ces termes:

“Ordonne la cession de l'entreprise, sur la base des offres reçues durant la période d'observation, (...),

Dit que l'entreprise sera cédée à la SAS GREEN RECOVERY II, (…)

Donne acte au cessionnaire (...)

Ordonne le transfert à son profit des actifs de la société ILLOCHROMA dans les conditions suivantes:

- les éléments d'actifs incorporels repris pour 10.000 EUR;

- les éléments d'actifs corporels repris pour 100.000 EUR;

- les stocks au jour de rentrée en jouissance pour 100.000 EUR.

(...)

Fixe la date d'entrée en jouissance au mercredi 26 novembre 2008 à 0 heure

Dit que le transfert de propriété et le transfert des risques s'effectuent dès la date d'entrée en jouissance.”

Il se déduit de ce jugement, lequel ne paraît pas avoir fait l'objet d'un recours, que dès le mois de novembre 2008, les actifs de la défenderesse ont été cédés à une société tierce;

Compte tenu de cette cession des actifs, l'on peut s'interroger sur l'opportunité de designer actuellement en Belgique un curateur chargé de réaliser ces mêmes actifs;

D'autre part, la défenderesse soutient et démontre, sans être contredite, que la liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing fonctionne efficacement et protège les intérêts des créanciers dans leur ensemble;

La défenderesse ajoute que l'ouverture d'une procédure secondaire d'insolvabilité en Belgique n'aurait, au final, d'autre conséquence que d'alourdir inutilement le passif de la société en liquidation des frais occasionnés par la procédure secondaire et, par conséquent, de préjudicier la masse des créanciers dans sa globalité;

Afin de tenter de justifier l'opportunité de sa demande, la demanderesse écrit qu'il convient de prendre en considération ses propres intérêts; il a toutefois été relevé ci-dessus que rien ne permettait d'affirmer que les intérêts de tous les créanciers de la défenderesse n'étaient pas efficacement rencontrés dans le cadre de la procédure principale d'insolvabilité instituée en France; en outre, il convient de rappeler que la demanderesse n'a pas produit de créance à la procédure principale, ni demandé un relevé de forclusion comme le droit français l'y autorisait pourtant;

Il se déduit de ce qui précède qu'il n'est nullement démontré que la procédure secondaire d'insolvabilité réclamée par la demanderesse présenterait en l'espèce des avantages, notamment en améliorant la protection des intérêts des créanciers ou la réalisation des actifs;

La demande manque en conséquence de fondement;

La demanderesse conteste enfin le montant de l'indemnité de procédure réclamée par la défenderesse;

Elle fait valoir qu'eu égard au fait que la défenderesse lui reste devoir une somme importante, il serait manifestement déraisonnable de lui allouer l'indemnité de procédure de base postulée, soit la somme de 1.200 EUR;

En application de l'article 1022, 3ème alinéa du Code judiciaire, et eu égard au caractère manifestement déraisonnable de la situation, le tribunal réduira l'indemnité de procédure due à la défenderesse au minimum légal de 75 EUR;

Par ces motifs,

Le tribunal,

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Statuant contradictoirement,

Entendu le ministère public en son avis;

Reçoit la demande, la dit non fondée et en conséquence, en déboute la demanderesse;

Condamne la demanderesse aux dépens, liquidés pour la défenderesse à la somme de 75 EUR;

(...)