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La compatibilité d'une clause (unilatérale) optionnelle de juridiction avec l'article 23 du Règlement Bruxelles I, R.D.C.-T.B.H., 2013/5, p. 443-451

DROIT JUDICIAIRE EUROPEEN ET INTERNATIONAL
Compétence et exécution - Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 - Compétence - Article 23 - Clause unilatérale optionnelle - Clause contraire à l'objet et à la finalité de la prorogation de compétence
Le juge du fond (cour d'appel de Paris) a pu, sans violer l'article 23 du Règlement Bruxelles I, écarter une clause attributive de juridiction, dès lors que celle-ci ne liait qu'une des deux parties, l'autre s'étant réservé la possibilité d'agir au domicile de l'autre ou devant tout autre tribunal compétent. Une telle clause revêtait un caractère potestatif à l'égard de cette partie, de sorte qu'elle était contraire à l'objet et à la finalité de la prorogation de compétence prévue à l'article 23 du Règlement Bruxelles I.
EUROPEES EN INTERNATIONAAL GERECHTELIJK RECHT
Bevoegdheid en tenuitvoerlegging - Verordening EG nr. 44/2001 van 22 december 2000 - Bevoegdheid - Artikel 23 - Eenzijdig optionele clausule - Clausule tegenstrijdig met het voorwerp en het oogmerk van de aanwijzing van bevoegdheid door contractpartijen
De feitenrechter (cour d'appel de Paris) kon, zonder artikel 23 van de Brussel I-Verordening te schenden, een clausule tot aanwijzing van bevoegdheid niet van toepassing verklaren, aangezien deze slechts een van de twee partijen verbond, daar waar de andere partij zich de mogelijkheid had voorbehouden om daarenboven op te treden op de woonplaats van de andere partij of voor elke andere bevoegde rechtbank. Zulke clausule heeft een potestatief karakter ten aanzien van deze eerste partij zodat zij tegenstrijdig is aan het voorwerp en het oogmerk van de aanwijzing van bevoegdheid door contractpartijen voorzien in artikel 23 van de Brussel I-Verordening.
La compatibilité d'une clause (unilatérale) optionnelle de juridiction avec l'article 23 du Règlement Bruxelles I
Caroline Verbruggen [1]
I. Introduction

1.L'arrêt annoté revêt une importance, théorique et pratique, qui dépasse les frontières de la France et est susceptible d'intéresser tous les praticiens de l'Union européenne [2]. Par son arrêt du 26 septembre 2012, la Cour de cassation française a en effet invalidé une clause de juridiction optionnelle unilatérale, un type de clause de juridiction fréquemment rencontré dans les contrats de financement ou plus largement dans les relations entre banque et client, comme en l'espèce. Le motif retenu est que la clause aurait été contraire à l'objet et à la finalité de l'article 23 du Règlement Bruxelles I. Il s'agit à notre connaissance de la première décision refusant de reconnaître une clause de prorogation de compétence en raison de son caractère optionnel et unilatéral.

Il a dès lors paru important de signaler cet arrêt au lecteur belge et de s'interroger sur la justesse du raisonnement tenu. Certes, la question de la validité des clauses optionnelles unilatérales au regard du Règlement de Bruxelles I devra sans doute faire l'objet d'un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes pour être tranchée. A ce stade, il faut signaler que la question est ouverte. Outre les juridictions françaises dans l'affaire commentée, on peut observer qu'à la même période, il a été rapporté que des hautes juridictions d'autres pays ont mis en cause la validité de telles clauses ou clauses de même nature (en particulier avec une option pour une des parties d'opter pour l'arbitrage): tel est le cas de la Cour de cassation bulgare [3] et de la Cour commerciale suprême russe [4]. A l'inverse, on signalera qu'à la même époque, la Cour de cassation italienne a admis, elle, l'efficacité d'une clause de juridiction asymétrique [5].

Il nous paraît que l'on peut s'interroger sur le point de savoir si l'arrêt commenté ne participe pas d'un courant plus large qui, répondant à l'imagination sans borne des rédacteurs des contrats internationaux, tend à définir des limites à la validité et à l'efficacité des clauses attributives de juridiction au sens large.

2.Les faits de la cause peuvent être résumés brièvement comme suit. Madame X. avait ouvert, par l'intermédiaire de la société Compagnie financière Edmond de Rothschild, un compte bancaire auprès de la banque privée de droit luxembourgeois Edmond de Rothschild Europe (ci-après la 'banque'). Reprochant à ces deux institutions financières une baisse de ses placements, elle a intenté à leur encontre une action en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Paris.

Les deux institutions financières ont soulevé un déclinatoire de juridiction, arguant de la clause attributive de juridiction prévue en faveur des tribunaux luxembourgeois. La clause se lisait plus précisément comme suit: “Les relations entre la banque et le client sont soumises au droit luxembourgeois. Les litiges éventuels entre le client et la banque seront soumis à la juridiction exclusive des tribunaux de Luxembourg. La banque se réserve toutefois le droit d'agir au domicile du client ou devant tout autre tribunal compétent à défaut de l'élection de juridiction qui précède.”

Les juges du fond, le tribunal de grande instance de Paris et à sa suite la cour d'appel de Paris, n'ont pas retenu l'exception d'incompétence qui était soulevée, et se sont considérés compétents pour se prononcer sur l'action en responsabilité mue par Mme X. En particulier, la cour d'appel de Paris a écarté la clause de juridiction, considérant que l'article 23 du Règlement Bruxelles I n'autorisait pas une clause “à abandonner à une partie le choix d'une quelconque juridiction à sa discrétion” [6]. Ceci rendait selon la cour la clause contraire à l'objet et à la finalité de prorogation de compétence prévue par l'article 23 du Règlement de Bruxelles I.

3.La banque a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris. Elle invoquait deux moyens de cassation. Le premier moyen, qui nous intéresse plus particulièrement, était fondé sur une violation de l'article 23 du Règlement Bruxelles I et sur une violation de l'article 1134 du Code civil. Le pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation. La Cour a estimé que le juge du fond avait pu écarter la clause attributive de juridiction sans violer l'article 23 du Règlement Bruxelles I, dès lors que la cour d'appel avait relevé que la clause ni liait en réalité que la cliente et revêtait un caractère potestatif à l'égard de la banque, “de sorte qu'elle était contraire à l'objet à la finalité de la prorogation de compétence ouverte par l'article 23 du Règlement Bruxelles I”.

4.La présente note d'observation reviendra dans un premier temps sur la clause attributive de juridiction telle que reconnue à l'article 23 du Règlement Bruxelles I, au terme d'un bref aperçu (I). On examinera ensuite plus particulièrement si la clause attributive de juridiction prévue en l'espèce - pouvant être qualifiée de non-exclusive ou d'optionnelle au profit d'une seule partie - pouvait être considérée ou non comme répondant aux conditions de l'article 23 du Règlement Bruxelles I (II). Quelques conclusions pourront ensuite être tirées (III).

II. La clause attributive de juridiction au sens de l'article 23 du Règlement Bruxelles I

5.Pour le praticien moderne européen évoluant dans un monde globalisé, il peut apparaître parfaitement normal que les parties soient libres de déterminer dans leur contrat quels tribunaux seront compétents pour connaître des litiges qui pourront surgir entre elles, et qu'il soit donné à cet égard effet à toute la panoplie de clauses que l'imagination fertile de leurs avocats sera susceptible d'inventer.

Cependant, si on se replace dans un contexte plus ancien, il faut se rappeler que les clauses attributives de juridictions [7] ont traditionnellement été considérées avec une certaine méfiance, les Etats n'étant pas nécessairement enclins à voir reconnaître des accords de volonté soustrayant les litiges des parties à la juridiction de leurs cours et tribunaux [8].

Aujourd'hui encore, comme le relèvent certains auteurs, il faut reconnaître que les clauses attributives de juridiction dans un contexte international constituent un terreau propice à l'imposition de clauses défavorables à la partie économiquement faible ou moins expérimentée [9]. La désignation d'un tribunal d'un pays avec lequel une partie n'a pas de lien direct, n'y étant pas domiciliée et n'en ayant pas non plus la nationalité, est en effet, plus encore que le choix d'un droit étranger, de nature à rendre pour cette partie (que cela soit comme demandeur ou défendeur) le recours à la justice malaisé et plus coûteux qu'à l'ordinaire [10].

C'est ce qui explique que les clauses attributives de juridiction - qui ont une nature contractuelle mais une fonction juridictionnelle [11] - soient soumises à un régime particulier, fondé aujourd'hui sur la reconnaissance de l'autonomie de la volonté, mais avec certaines limites [12].

6.Au niveau européen - qui nous occupe ici [13] - la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (la 'Convention de Bruxelles') [14] a, la première, reconnu en son article 17, pour les matières rentrant dans son champ d'application, la validité et l'efficacité des clauses attributives de juridiction convenues entre deux parties dont l'une était domiciliée sur le territoire d'un Etat contractant, et au profit d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat contractant. Ceci à condition cependant que la clause ne porte pas atteinte aux compétences exclusives définies à la convention elle-même, et, dans le cas de certaines parties auxquelles une protection particulière est accordée (contrat de travail et contrat avec un consommateur), ne soit pas conclue avant la naissance du litige.

L'article 17 de la Convention ne reconnaissait à cette époque que les clauses exclusives de juridiction, mais sous l'importante réserve que “si une convention attributive de juridiction n'a été stipulée qu'en faveur de l'une des parties, celle-ci conserve le droit de saisir tout autre tribunal compétent en vertu de la présente convention.” (art. 17, 5ème al.). Cette disposition particulière a naturellement donné lieu à des discussions, sur le point de savoir quand on pouvait considérer que la clause avait été stipulée en faveur d'une partie en particulier.

7.Le règlement n° 44/2001 du 22 décembre 20000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (le 'Règlement Bruxelles I') a repris en son article 23, avec une série de modifications, le texte de l'ancien article 17 de la Convention de Bruxelles.

En particulier, l'article 23 du Règlement Bruxelles I prévoit que la compétence du tribunal ou des tribunaux choisis par les parties “est exclusive sauf convention contraire des parties”. Au vu de cette nouvelle formulation, la règle ancienne qui figurait à l'article 17, 5. de la Convention de Bruxelles n'a pas été reprise [15]. Il apparaît que cette évolution en faveur de la clause attributive de juridiction non-exclusive s'explique par l'influence des juristes anglo-saxons, friands de telles clauses [16].

8.Enfin, on mentionnera brièvement que dans la version révisée du Règlement de Bruxelles, le règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (le 'Règlement Bruxelles Ibis'), le texte relatif aux clauses attributives de juridiction est repris à l'article 25. Le texte a été remanié et comporte une série de modifications: abandon de la condition ancienne qu'une des parties soit domiciliée sur le territoire d'un Etat membre, précision que la clause ne trouve pas à s'appliquer si elle est “entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet Etat membre” (c'est-à-dire l'Etat membre dont la ou les juridictions sont choisies), et indication que “La validité de la convention attributive de juridiction ne peut être contestée au seul motif que le contrat n'est pas valable”, soit la reconnaissance du principe d'autonomie de la clause de juridiction par rapport au contrat dans lequel elle s'insère (art. 25, 5., 2ème al.) [17].

Relevons encore l'existence de la convention sur les accords d'élection de for conclue à La Haye le 30 octobre 2005 et signée par la Communauté européenne le 1er avril 2009, même si celle-ci n'est pas encore entrée en vigueur [18]. Le champ d'application de cette Convention est restreint aux accords exclusifs d'élection de for conclus en matière civile ou commerciale, dans des situations internationales (art. 1, 1.). L'accord exclusif d'élection de for est défini, aux fins de la convention, comme l'accord “conclu entre deux ou plusieurs parties (…) qui désigne, pour connaître des litiges nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, soit les tribunaux d'un état contractant, soit un ou plusieurs tribunaux particuliers d'un état contractant, à l'exclusion de la compétence de tout autre tribunal” (art. 3).

9.En principe, la clause attributive de juridiction a, lorsqu'elle est exclusive, un double effet: (i) un effet positif, celui de donner compétence à la juridiction choisie, et (ii) un effet négatif, celui d'exclure la compétence des autres juridictions, qui devront dès lors en principe, si elles sont saisies, décliner leur juridiction. Il est cependant frappant que cet effet négatif n'est pas explicité dans le Règlement de Bruxelles I [19], sauf par l'effet de la règle générale de l'article 26, qui prévoit un déclinatoire d'office de compétence par la juridiction d'un Etat membre saisie d'un litige dont le défendeur, domicilié sur le territoire d'un autre Etat membre, ne comparaît pas, lorsque sa compétence n'est pas fondée sur une disposition du règlement. Le règlement comporte par ailleurs, à l'article 29, une règle de litispendance en faveur de la première juridiction saisie.

10.Après cette esquisse du régime des clauses attributives de juridiction dans les différents instruments mentionnés, il nous faut revenir sur les conditions d'application de la clause attributive de juridiction au regard de l'article 23 du Règlement Bruxelles I, objet de ce commentaire. On n'évoquera pas ici les conditions de forme, qui ont pour but de s'assurer de la réalité du consentement des parties [20]. Quant au fond, les auteurs font généralement la distinction entre les conditions d'application et les conditions de validité [21]. Parmi les conditions d'application il faut mentionner: (i) la condition du domicile d'une partie au moins sur le territoire d'un Etat communautaire [22], (ii) l'extranéité de la situation (condition controversée, vu qu'elle n'est pas expresse) [23], et (iii) l'élection du tribunal ou des tribunaux d'un Etat membre. Les conditions de validité prévues par le Règlement de Bruxelles I sont, elles, que l'attribution de juridiction soit faite pour des différends nés ou à naître d'un rapport de droit déterminé [24] et que la convention ne soit pas conclue avant la naissance du différend en matière de contrat d'assurance [25], en matière de contrats conclus avec des consommateurs [26], de contrats individuels de travail [27], ou encore contraire aux compétences exclusives particulières prévues à l'article 22 du règlement. Une autre question, non résolue dans le Règlement Bruxelles I, est de savoir quel est le droit qui détermine les conditions générales de validité de la clause, à savoir les conditions générales de validité d'un accord de volonté en général [28].

11.Ce qui nous retiendra dans le cadre de la présente note d'observation, c'est bien entendu la condition d'application que les parties soient convenues “d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat membre”, étant entendu que, dans le système de l'article 23 du Règlement Bruxelles I, “cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties”. Comme l'indique le professeur Magnus, il doit d'autre part y avoir une certitude quant au tribunal ou tribunaux ainsi désignés [29].

D'un point de vue pratique, il faut se rendre compte qu'une large gamme de clauses différentes peuvent être conçues par les parties.

Le premier cas, le plus simple, est celui d'une convention attributive de juridiction exclusive simple dans laquelle le tribunal déterminé d'un Etat est choisi (p.ex.: tribunal de première instance de Bruxelles), ou les tribunaux indéterminés d'un pays (p.ex.: les tribunaux belges) [30]. Une légère variante à ce qui précède consiste à ne pas identifier directement la juridiction compétente dans la clause, mais à prévoir les éléments objectifs qui permettent de le faire, par exemple la référence aux tribunaux du domicile d'une partie [31].

La Cour de justice a également admis que la clause de juridiction ne comporte pas le choix d'une seule juridiction, valable pour toutes les parties, mais prévoie au contraire la compétence des tribunaux de deux Etats différents, respectivement compétents pour les litiges mus contre l'une ou l'autre partie. C'est ce que la Cour a décidé dans l'arrêt qu'elle a rendu le 9 novembre 1978 dans une affaire Meeth [32], dans un cas d'espèce où les parties avaient attribué compétence aux tribunaux du domicile du défendeur: compétence des tribunaux allemands dans le cas d'un litige intenté contre la partie allemande, et compétence des tribunaux français en cas de litige mû contre la partie française.

12.A côté des clauses qui précèdent, qui sont des clauses exclusives, n'attribuant compétence qu'à un ou des tribunaux particuliers, à l'exclusion de tous les autres, les instruments européens reconnaissent également la possibilité de prévoir des clauses attributives de juridiction non-exclusives.

De telles clauses attribuent compétence à un tribunal ou aux tribunaux d'un état, tout en prévoyant en même temps que ce choix n'est pas exclusif, les parties (ou l'une d'entre elles) conservant la possibilité de saisir d'autres tribunaux qui seraient compétents en vertu d'autres règles.

La Convention de Bruxelles envisageait déjà elle-même cette possibilité en prévoyant d'office que, dans le cas d'une convention attributive de juridiction stipulée exclusivement en faveur d'une partie, celle-ci conservait le droit de saisir tout autre tribunal compétent en vertu de la convention (art. 17, 5. de la Convention de Bruxelles). Dans la cadre du Règlement Bruxelles I, la possibilité de prévoir une clause attributive de juridiction non-exclusive a été élargie aux deux parties, l'article 23 prévoyant que la compétence choisie par les parties “est exclusive, sauf convention contraire des parties”.

Première observation à ce stade: nous pensons que la clause qui était autorisée sous l'empire de la Convention de Bruxelles le demeure lorsque le Règlement Bruxelles I est applicable [33]. Nous paraît dès lors autorisée par l'article 23 la clause qui attribuerait compétence aux tribunaux d'un Etat membre, tout en prévoyant que l'une des deux parties - en faveur de laquelle la clause serait rédigée - conserverait le droit de saisir tout autre tribunal compétent en vertu d'autres dispositions du Règlement Bruxelles I [34].

13.Enfin, à côté de ces clauses attributives de juridiction exclusives ou non-exclusives, la pratique a vu se développer des clauses plus complexes, visant à offrir aux deux parties ou plus souvent à l'une d'elles, le plus large éventail possible de forums compétents, à choisir au moment de l'introduction du litige. Ces clauses sont généralement dites 'optionnelles' [35], optant en principe pour un mode particulier de résolution des conflits, mais donnant aux parties ou à l'une d'elles la possibilité de choisir finalement une autre option, déterminée à l'avance. Elles sont très fréquentes dans les contrats internationaux de financement.

Ces clauses, issues de l'imagination fertile des conseils des parties, vont parfois jusqu'à prévoir qu'une partie pourra, le jour où un litige surgit, opter pour la résolution du litige devant des tribunaux judiciaires nonobstant la clause d'arbitrage prévue, ou l'inverse. Se posent alors d'intéressantes questions - que l'on n'aborde pas ici - nées du mélange entre clause d'arbitrage et clause attributive de juridiction, chacune de ces clauses étant en principe soumise, par sa nature, à un régime juridique propre [36].

Lorsqu'elles sont restreintes à la sphère des juridictions de l'ordre judiciaire, ces clauses dites optionnelles tendent à réserver aux parties ou à l'une d'entre elles le choix entre la compétence de plusieurs tribunaux. La clause est dite bilatérale lorsque la flexibilité est prévue en faveur des deux parties, et unilatérale lorsqu'elle est réservée à l'une d'elles.

III. Compatibilité de la clause attributive de juridiction prévue dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté avec l'article 23 du Règlement Bruxelles I

14.Dans l'espèce commentée, la clause attributive de juridiction se lisait précisément comme suit: “Les relations entre la banque et le client sont soumises au droit luxembourgeois. Les litiges éventuels entre le client et la banque seront soumis à la juridiction exclusive des tribunaux de Luxembourg. La banque se réserve toutefois le droit d'agir au domicile du client ou devant tout autre tribunal compétent à défaut de l'élection de juridiction qui précède.”

Si on se réfère à l'analyse faite précédemment, on ne peut s'empêcher de se demander si cette clause n'était pas simplement une clause de juridiction en faveur des tribunaux de Luxembourg, mais qui aurait été non-exclusive dans le chef de la banque, celle-ci conservant le droit de saisir tout autre tribunal compétent. C'est en effet bien ce que prévoyait la clause, si ce n'est qu'elle réservait aussi “le droit de la banque d'agir au domicile du client”. Cette précision n'ajoutait cependant en réalité rien, dès lors que le Règlement Bruxelles I confère précisément, de manière générale, compétence aux tribunaux du domicile du défendeur (cf. art. 2, 1. du règlement). C'est d'ailleurs ce qui était invoqué par la banque à l'appui du premier moyen de son pourvoi, pour conclure à la violation du Règlement Bruxelles I par le juge du fond [37].

Il nous paraît dès lors curieux que les juridictions de fond françaises, et à leur suite la Cour de cassation de France, aient considéré que la clause n'était pas valable et même “contraire à l'objet et à la finalité de la prorogation de compétence ouverte par l'article 23 du Règlement Bruxelles I”.

On observera que, à la même époque, la Cour de cassation italienne a expressément reconnu qu'une clause attributive de juridiction asymétrique - exclusive dans le chef d'une seule partie - relevait des accords possibles sous le champ d'application de l'article 23 du Règlement Bruxelles I [38].

15.Il nous faut examiner ce qui, dans l'esprit des juridictions françaises, est apparu choquant dans la clause précitée, et contraire à l'objet et à la finalité de la clause attributive de juridiction reconnue dans le Règlement Bruxelles I.

On a rappelé, au début de cette note, la méfiance qui entoure les clauses attributives de juridictions. Si celles-ci sont cependant admises et reconnues dans le cadre de l'article 23 du Règlement Bruxelles I, c'est parce que le législateur communautaire souhaite - sous les réserves et protections particulières qu'il édicte - donner un plein effet à l'autonomie des parties dans un contexte européen. Cette reconnaissance de l'autonomie des parties n'est cependant pas forcément sans limite.

De manière générale, les règles de compétence prévues par le Règlement Bruxelles I doivent, selon le préambule, (11) (…) présenter un haut degré de prévisibilité et s'articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur (….) (12) le for du domicile du défendeur doit être complété par d'autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.”

Ces mêmes préoccupations sont exprimées dans les nouveaux considérants du Règlement Bruxelles Ibis: “(15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s'articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l'autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement”, et “(16) Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d'autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L'existence d'un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d'un Etat membre qu'il ne pouvait raisonnablement prévoir.” [39].

Ces principes généraux indiquent que la reconnaissance de l'autonomie de la volonté doit se combiner avec l'impératif de prévisibilité. En principe, les deux concepts se conjuguent harmonieusement: précisément, l'élection de juridiction faite dans le contrat civil et commercial permet à chaque partie de savoir devant quel tribunal elle pourra être attraite, après y avoir consenti [40].

Tel est le cas nous semble-t-il si la clause est attributive de juridiction en faveur des juridictions d'un seul Etat, ou d'un seul Etat par type de situation (p.ex. tribunaux de l'Etat du domicile du défendeur). Tel reste aussi le cas, pensons-nous, s'il est prévu que cette compétence n'est pas exclusive: simplement, à côté du choix prévisible, demeureront compétents les tribunaux qui l'auraient été de toute façon en l'absence de choix.

Mais que penser d'une clause qui prévoirait la compétence des tribunaux de chaque Etat membre? Dans ce cas-là, nous pensons que l'exigence de prévisibilité ne serait clairement pas rencontrée [41], pas plus que celle de certitude. C'est d'ailleurs en ce sens que s'était prononcée la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 5 juillet 1989 où elle n'avait pas tenu compte d'une clause prévoyant qu'une partie acceptait “(…) tout tribunal” que l'autre pourrait désigner, par des motifs ayant sans doute inspiré les tribunaux saisis dans la présente affaire [42]. Quid alors d'une clause visant la compétence des tribunaux de trois, quatre, cinq Etats membres? On voit qu'il est difficile de tracer une limite.

Ceci nous conduit à penser que, pour rencontrer l'exigence de prévisibilité et de certitude, un litige couvert par la clause ne doit être attribué qu'au(x) tribunal ou tribunaux d'un seul Etat membre, sous la seule réserve que sont autorisées, comme le prévoit l'article 23 lui-même, les clauses non-exclusives. Mais le choix réalisé par la clause ne doit concerner les juridictions que d'un seul pays, en tout cas par type de litige. L'analyse proposée est d'ailleurs confortée par le texte même de l'article 23 qui vise l'accord des parties quant à la compétence “d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat membre”. Nous sommes dès lors réservés quant à la position affichée par le professeur Magnus, selon laquelle il ne faudrait pas s'arrêter à la lettre de l'article 23, celui-ci pouvant impliquer le choix de tribunaux de plusieurs Etats membres [43].

Toute clause optionnelle (que cela soit en faveur d'une ou des deux parties), prévoyant la compétence des tribunaux de plusieurs Etats membres, avec la possibilité pour le demandeur d'opter entre ceux-ci au moment du commencement du litige, nous paraît dès lors susceptible d'être considérée non conforme aux conditions posées par l'article 23 du Règlement Bruxelles I, sous l'importante réserve qu'est autorisée la clause qui prévoit la compétence des tribunaux d'un seul Etat membre tout en réservant la possible compétence d'autres tribunaux (clause non-exclusive), que cela soit en faveur des parties ou d'une seule d'entre elles (clause asymétrique).

16.Cela étant, une clause qui n'est pas conforme aux conditions posées par l'article 23 du Règlement Bruxelles I n'est, selon l'analyse généralement défendue, pas nécessairement non valable: elle ne bénéficie simplement pas des effets prévus au règlement, n'étant pas couverte par celui-ci.

Une clause contractuelle qui organiserait, dans le chef d'une ou des deux parties, une véritable option, à exercer au moment de la naissance du litige, entre la compétence de différents tribunaux (déterminés ou déterminables), ne pourrait-elle pas en effet être vue comme une simple clause contractuelle créant, par l'effet de l'autonomie de la volonté des parties, une telle option? Lors de l'exercice de l'option, entrerait alors en vigueur la clause attributive de juridiction choisie. C'est ce type d'analyse - distinguant la convention d'option de la clause de forum compétent qui prend naissance après exercice de l'option - qui est prônée par les auteurs partisans de la validité des clauses optionnelles de juridiction, y compris lorsque l'option concerne tant des tribunaux de l'ordre judiciaire que l'arbitrage [44]. Selon cette analyse, l'examen à effectuer par le juge devrait porter sur la compatibilité avec l'article 23 du Règlement Bruxelles I de la clause attributive de juridiction née de l'exercice de l'option. Une fois l'option exercée, un seul tribunal serait compétent et la clause serait dès lors compatible avec l'article 23. La question de la justesse de cette analyse reste ouverte selon nous.

17.Si l'on revient sur les termes de l'arrêt commenté, on se rend compte que ce qui semble justifier, pour la Cour de cassation française, l'écartement de la clause, c'est en réalité la disparité de traitement entre les parties, ou son caractère asymétrique, c'est-à-dire le fait que, pour la juridiction, “la clause (…) ne liait en réalité que Mme X… (…)”, ce qui conduit la Cour à la conséquence que la clause “revêtait un caractère potestatif à l'égard de la banque” [45], ce qui en justifiait l'écartement, dès lors qu'une telle clause était “contraire à l'objet et à la finalité de la prorogation de compétence ouverte par l'article 23 du Règlement Bruxelles I”.

Par ces termes, la Cour semble présupposer que l'article 23 du Règlement Bruxelles I, ou même plus largement le règlement lui-même, contiendrait parmi ses fondements un principe d'égalité de traitement des parties, ou d'égalité procédurale entre les parties [46]. Nous pensons que ceci n'est pas exact. Si, naturellement, le principe d'égalité de traitement des parties est à la base des garanties du procès équitable, ce principe ne s'applique pas nécessairement à la période pré-litigieuse, régie par le contrat. Certes, un tel principe est parfois consacré pour les clauses d'arbitrage, comme en droit belge à l'article 1678 du Code judiciaire [47], mais il n'est pas établi que ce principe s'applique hors texte particulier [48].

Selon nous, ce principe ne s'applique pas aux clauses attributives de juridiction organisées à l'article 23 du Règlement Bruxelles I, à défaut d'avoir été prévu expressément, ce qui n'est pas le cas. Au contraire même, la Convention de Bruxelles reconnaissait expressément qu'une clause attributive de juridiction pouvait être établie en faveur d'une seule partie - et dès lors mettre les parties dans des situations différentes. Il n'a selon nous pas été dérogé à cette règle, la modification apportée à l'article 23 du règlement ayant cependant conduit à ce que la clause attributive de juridiction puisse soit être exclusive pour une partie et non-exclusive pour l'autre, comme sous l'empire de l'article 17 de la Convention de Bruxelles, soit être non-exclusive pour les deux parties.

Enfin, c'est selon nous également à mauvais escient que la Cour a évoqué le caractère prétendument potestatif de la clause. Même si la clause devait formellement être vue comme organisant une option dans le chef de la banque entre les tribunaux luxembourgeois et les tribunaux du domicile de sa cliente, encore l'exercice d'une option n'est-il pas - en tout cas selon l'analyse qui prévaut en droit belge - une condition suspensive - qui pourrait être qualifiée de potestative et entraîner la nullité de l'obligation contractée sous une telle condition, aux termes de l'article 1174 du Code civil [49] - mais un événement [50]. Il est vrai que la Cour de cassation n'a pas utilisé le terme de 'condition potestative', mais le seule adjectif 'potestatif'. La Cour n'entendait dès lors peut-être pas viser l'article 1174 du Code civil, mais seulement souligner le large choix offert à la banque, en contradiction, selon la Cour, avec l'article 23 du Règlement Bruxelles I [51].

18.Si l'on se réfère à notre analyse, la clause prévue en l'espèce dans le contrat entre la banque et Mme X. répondait-elle aux conditions de l'article 23 du Règlement Bruxelles I? D'un point de vue formel, on pourrait soutenir que non, puisque la clause prévoyait le droit pour la banque de saisir tant les tribunaux luxembourgeois que ceux du domicile de la cliente (tribunaux français dès lors), soit donnait compétence aux tribunaux de deux Etats membres pour les mêmes litiges, outre d'autres compétences possibles en vertu du caractère non-exclusif de la clause.

Mais en réalité, sachant que la compétence était attribuée aux tribunaux du domicile de la cliente par le seul effet du caractère non-exclusif de l'attribution de compétence - caractère légitime dans le cadre de l'article 23 du Règlement Bruxelles I - il faut nous semble-t-il plutôt considérer, comme nous l'avons fait précédemment, que la clause n'était en réalité rien d'autre qu'une clause attributive de juridiction non-exclusive au profit d'une partie, et autorisée.

C'est la raison pour laquelle nous pensons que l'arrêt commenté ne doit pas être approuvé. On ne peut se défaire de l'impression que les juridictions françaises ont pu être influencées par leur souhait de se voir reconnues compétentes pour connaître de ce litige actionné par une citoyenne française contre une banque luxembourgeoise et une société financière française [52]. On relèvera aussi que, en l'espèce, les juridictions saisies étaient celles du domicile du défendeur (l'un d'entre eux), soit des juridictions naturelles dans le système du Règlement Bruxelles I, et que cet élément a pu jouer aussi, les juridictions saisies n'ayant dès lors que peu de sympathie pour le déclinatoire de juridiction soulevé en faveur d'autres tribunaux.

Le malaise créé par cette jurisprudence est cependant renforcé par le fait que la Cour de cassation n'ait pas estimé utile de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle, alors que la question juridique qu'elle avait à trancher touchait directement à l'interprétation de l'article 23 du Règlement Bruxelles I et présentait un caractère innovant.

IV. Conclusions

19.Il découle de l'examen auquel nous avons procédé qu'en refusant le déclinatoire de compétence qui était invoqué par la banque, fondé sur la clause contractuelle qui prévoyait la compétence des tribunaux luxembourgeois, nous pensons que les juridictions françaises ont fait une interprétation trop stricte de l'article 23 du Règlement Bruxelles I. Certes, on pourrait penser que dès lors que la clause attribuait, dans le cas de litiges mus par la banque, compétence tant aux tribunaux luxembourgeois qu'à ceux du domicile de la cliente, elle pouvait être considérée comme non conforme à l'article 23 du règlement. Néanmoins, quant à son contenu et quant à ses effets, la clause n'était en réalité rien d'autre qu'une clause attribuant compétence aux tribunaux luxembourgeois, mais non-exclusive dans le chef de la banque, ce que nous pensons être un type de clause parfaitement autorisé aux termes de l'article 23 du Règlement Bruxelles I.

Il aurait été souhaitable, au vu du caractère novateur des questions posées, qu'une question préjudicielle ait été posée à la Cour de justice, ce qui aurait permis à celle-ci de jouer son rôle de promoteur d'une interprétation uniforme du règlement. Il nous reste à espérer que les intéressantes questions qui se posent quant à la conformité ou non à l'article 23 du Règlement de Bruxelles I des clauses de juridictions optionnelles soient dans un avenir proche soumises à la Cour de justice, permettant à celle-ci de se prononcer sur leur validité.

En attendant, nous pensons qu'un des mérites de l'arrêt commenté est d'inviter les praticiens à la prudence [53]. S'ils veulent que leur clause attributive de juridiction sorte ses effets conformément à l'article 23 du Règlement Bruxelles I, nous pensons en particulier qu'il est préférable que la clause n'attribue juridiction aux tribunaux que d'un seul Etat membre (ou un Etat membre par catégories de litiges), tout en ayant la possibilité de prévoir que ce choix n'est pas exclusif, soit pour les deux parties, soit même - pensons-nous - uniquement pour l'une d'entre elles, mais en le prévoyant de manière expresse.

[1] Avocat au barreau de Bruxelles (au moment de la rédaction).
[2] Au moment de relire ces lignes, nous n'avons connaissance que d'une seule note d'observation sous cet arrêt, celle de D. Martel, “A la découverte de la clause attributive de juridiction potestative”, Recueil Dalloz 2012, p. 2876.
[3] Arrêt du 2 septembre 2011, arrêt o. 71, cas commercial n° 1193/2010, rapporté par G. Cuniberti dans http://conflictoflaws.net/2012/bulgarian-court-strikes-down-one-way-jurisdiction-clauses, (consulté le 30 novembre 2012).
[4] Aff. n° 1831/12, décision du 19 juin 2012, CJSC Russian Telephone Company / Sony Ericsson Mobil Communications Rus LLC, disponible en russe depuis http://cisarbitration.com/2012/09/03-russian-supreme-commercial-court-voids-an-optional-arbitration-clause (consulté le 1er février 2012).
[5] Cass.civ. Sez. Unite, Ord. 8 mars 2012, n. 3624, Umbro International Limited / G.B.M.S.R.L.
[6] Paris 18 octobre 2011, N° 11/03572, disponible sur www.dalloz.fr.
[7] C'est la formulation que nous préférons et que nous privilégierons dans le cadre de cette note. D'autres formulations existent, on le sait, comme celle de clauses de 'prorogation de compétence', ou d''élection de for'.
[8] Cf. R. Brand, “Consent, validity and choice of forum agreements in international contracts” in Liber Amicorum Hubert Bocken, Dare la luce, Bruges, die Keure, 2009, pp. 541 et s., au sujet de la méfiance initiale des juristes et tribunaux américains.
[9] E. R. Sachpekidou, “Substantive requirements and effects of jurisdiction agreements”, L'espace judiciaire européen en matière civile et commerciale, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 69; voy. aussi C. De Bouyalski, “L'espace judiciaire européen en matière civile. Vérification de compétence, prorogation de compétence, et incidents de litispendance et de connexité dans le Règlement de Bruxelles I”, Ann.dr.Louvain 2009, pp. 7 et s.
[10] Comme l'indiquent F. Rigaux et M. Fallon, le contentieux transfrontalier présente, par rapport à la compétence interne, deux spécificités: (i) le phénomène de distance géographique (compliquant l'accès à la justice et augmentant les coûts qui en résultent, en ce compris les coûts éventuels de traduction en cas de litige actionné dans une langue non connue d'une des parties), et (ii) une spécificité juridique, à savoir l'impact possible du choix sur le droit applicable et sur la facilité d'exécution de la décision obtenue (F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, 3ème éd., Larcier, 2005, p. 382, n° 9.21.). A l'inverse, la partie qui voit les litiges tranchés par les juridictions de son pays jouit d'un avantage considérable (U. Magnus, Brussels I Regulation on Jurisdiction and Recognition in Civil and Commercial Matters, 2ème éd., Munich, Sellier, 2012, n° 5, p. 444).
[11] La formule est de Rigaux et Fallon, o.c., p. 777, n° 14.16, qui évoquent dès lors la “nature hybride de la prorogation volontaire de compétence internationale”.
[12] Au niveau européen, l'auteur J. Sénéchal résume cet équilibre par cette formule: “(…) les clauses attributives de juridiction participent de la logique volontariste et positiviste du Règlement [Bruxelles I] qui consacre une liberté individuelle encadrée par des règles a priori afin d'assurer une relative sécurité juridique aux acteurs économiques”; J. Sénéchal, “Le Règlement Bruxelles I, les clauses internationales d'élection de for et l'arbitrage”, Enforcing contracts. Aspects procéduraux de l'exécution des contrats transfrontaliers en droit européen et international, Bruxelles, Larcier, 2009, n° 2. Cf. aussi le commentaire de U. Magnus, selon lequel l'objectif de l'art. 23 du Règlement Bruxelles I est double: s'assurer du respect du choix de la juridiction par les parties, mais en même temps poser des limites raisonnables à la liberté des parties (U. Magnus, o.c., n° 1, p. 443).
[13] On n'évoquera en effet pas ici les clauses attributives de juridiction internationale dans un contexte extra-européen, ni les clauses attributives de juridiction internes.
[14] On n'entrera pas ici dans le détail des versions successives de la Convention de Bruxelles, au gré de l'adhésion de nouveaux Etats membres. On n'évoquera pas non plus les Conventions de Lugano conclues avec les Etats membres de l'AELE.
[15] Comme l'indique U. Magnus, il n'a pas paru nécessaire de conserver cette disposition qui impliquait un élément d'incertitude, la suppression de la règle particulière étant d'autre part justifiée par la nouvelle règle de l'art. 23, 1., 2ème al. prévoyant que la compétence est exclusive sauf convention contraire des parties (U. Magnus, o.c., n° 7, p. 445).
[16] C. De Bouyalski, “L'espace judiciaire européen …”, o.c., p. 41, n° 43, et les références citées, not. note 122; H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, Règlement 44/2001, Convention de Bruxelles (1968) et de Lugano (1988 et 2007), LGDJ, 4ème éd., 2010, p. 143, n° 153.
[17] Au sujet du Règlement Bruxelles Ibis, voy. A. Nuyts, “Bruxelles Ibis: présentation des nouvelles règles sur la compétence et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale”, Actualités en droit international privé, UB3, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 77 et s.
[18] Au sujet de cette convention, voy. not. C. Kessedjian “La Convention de la Haye du 30 juin 2005 sur l'élection de for”, JDI 2006, pp. 8 et s.
[19] Comp.: le sursis à statuer expressément prévu à l'art. 7 du Code de DIP, “sauf s'il est prévisible que la décision étrangère ne pourra pas être reconnue ou exécutée en Belgique ou si les juridictions belges sont compétentes en vertu de l'article 11”.
[20] Cf. les passages de l'art. 23 du Règlement Bruxelles spécifiquement dévolus à ces formalités, plus particulièrement l'exigence d'un écrit. Voy. aussi: H. Gaudemet-Tallon, o.c., pp. 128 et s., nos 137 et s.; Rigaux et Fallon, o.c., p. 775, n° 14.13. La vérification de l'existence du consentement, dans un système qui repose sur l'autonomie de la volonté, est évidemment particulièrement importante.
[21] Au sujet de cette distinction, cf. Rigaux et Fallon, o.c., pp. 345 et s., nos 8.19 et s.
[22] Condition appelée à disparaître dans la nouvelle version du Règlement de Bruxelles, art. 25. Au sujet de la condition de domicile communautaire dans le droit actuel, voy. H. Gaudemet-Tallon, o.c., pp. 116 et s. On ne traitera pas ici de la règle particulière prévue à l'art. 23, 3.. du Règlement Bruxelles I au sujet des conventions conclues entre parties dont aucune n'a son domicile sur le territoire d'un Etat membre.
[23] Cf. H. Gaudemet-Tallon, o.c., pp. 124 et s.
[24] Cf. H. Gaudemet-Tallon, o.c., pp. 138 et s.
[25] Cf. art. 23, 5.: la convention ne peut être contraire aux dispositions de l'art. 13 du Règlement Bruxelles I.
[26] Cf. art. 23, 5.: la convention ne peut être contraire aux dispositions de l'art. 17 du Règlement Bruxelles I.
[27] Cf. art. 23, 5.: la convention ne peut être contraire aux dispositions de l'art. 21 du Règlement Bruxelles I.
[28] Cf. H. Gaudemet-Tallon, o.c., pp. 140 et s., nos 152 et s. La question de savoir sous quel droit doit être examinée la validité de l'accord est résolue en faveur du droit de l'état dont le ou les tribunaux sont désignés, dans le Règlement Bruxelles Ibis, selon le considérant n° 20: “Lorsque la question se pose de savoir si un accord d'élection de for en faveur d'une ou des juridictions d'un Etat membre est entaché de nullité quant à sa validité au fond, cette question devrait être tranchée conformément au droit de l'Etat membre de la ou des juridictions désignées dans l'accord, y compris conformément aux règles de conflit de lois de cet Etat membre.” Ceci alors que, par ailleurs, l'art. 25, 5. consacre le principe de l'autonomie de la convention attributive de juridiction par rapport au contrat principal, à l'instar du principe d'autonomie depuis longtemps reconnu pour les clauses arbitrales.
[29] U. Magnus, o.c., nos 70 et s., pp. 469 et s., au sujet de cette exigence de certitude.
[30] Dans ce cas, ce sont les règles de droit judiciaire privé de ce pays qui permettront d'identifier le tribunal compétent. Cf. U. Magnus, o.c., n° 72, p. 471.
[31] CJCE, C-387/98, Coreck Maritime CmbH / Handelsveem BV e.a.I, Rec., I-9337. Arrêt rendu sous l'empire de l'art. 17 de la Convention de Bruxelles, mais solution identique sous le Règlement Bruxelles I. Cf. le principe de continuité entre la Convention de Bruxelles et le Règlement Bruxelles I, exprimé au considérant 19 de celui-ci.
[32] CJCE 9 novembre 1978, n° 23/78, Meeth, Rec. 1978, 2133. Arrêt également rendu sous l'empire de l'art. 17 de la Convention de Bruxelles, mais solution identique sous le Règlement Bruxelles I. Cf. le principe de continuité entre la Convention de Bruxelles et le Règlement Bruxelles I, exprimé au considérant 19 de celui-ci.
[33] En effet, la suppression de la règle particulière qui était prévue à l'art. 17, 5. de la Convention de Bruxelles n'a été motivée que par son inutilité dans le cadre de l'art. 23 du Règlement Bruxelles I, vu la reconnaissance expresse de la possibilité pour les parties de prévoir une compétence non-exclusive. Cf. note 15 qui précède.
[34] Dans le même sens, U. Magnus, o.c., nos 148 et 149, p. 504.
[35] Cf. pour un examen de ces clauses, J. Barbet et P. Rosher, “Les clauses de résolution de litiges optionnelles”, Revue de l'arbitrage 2010, pp. 45 et s.
[36] Au sujet de ces questions et de l'analyse de ces clauses, voy. J. Barbet et P. Rosher, o.c., de même que G. Jakhian et F. Henry, “La validité de la clause hybride en arbitrage”, JT 2011, p. 701, et les références citées. Une clause de ce type - clause prévoyant l'arbitrage mais en laissant à une seule partie la possibilité de saisir à la place les tribunaux de l'ordre judiciaire - a récemment été invalidée par la Cour commerciale suprême russe (aff. n° 1831/12, décision du 19 juin 2012, CJSC Russian Telephone Company / Sony Ericsson Mobil Communications Rus LLC, disponible en russe depuis http://cisarbitration.com/2012/09/03-russian-supreme-commercial-court-voids-an-optional-arbitration-clause).
[37] Le moyen soutenait que “Cette clause était, comme le permet l'article 23 du règlement (CE) 44/2001 du 22 décembre 2000, stipulée en faveur de l'une des parties, ayant pour objet de réserver à cette dernière l'alternative de saisir soit le juge de son domicile, soit celui du domicile du client, soit encore tel autre juge compétent en vertu du règlement”. Il ne faisait cependant peut-être pas assez clairement le lien avec le caractère non-exclusif de la clause attributive de juridiction, autorisée par l'art. 23.
[38] Cf. la décision citée à la note 5.
[39] On observera que le Règlement Bruxelles Ibis contient également un nouveau considérant en faveur de la reconnaissance de l'autonomie des parties et des clauses attributives de juridiction: “(19) L'autonomie des parties à un contrat autre qu'un contrat d'assurance, de consommation et de travail pour lequel n'est prévue qu'une autonomie limitée quant à la détermination de la juridiction compétente devrait être respectée sous réserve des fors de compétence exclusifs prévus dans le présent règlement.”
[40] Dans le même sens, U. Magnus (o.c., n° 2, pp. 443-444): “Jurisdiction agreements (…) promote considerably the foreseeability and certainty of the legal administration of possible future conflicts between the parties.”
[41] Cf., dans le même sens, H. Gaudemet-Tallon, o.c., p. 124, n° 132: “(…) une clause abandonnant à une partie le choix de n'importe quelle juridiction ne relève pas de l'article 17 [de la convention] ou 23 [du règlement].
[42] Paris 5 juillet 1989, JDI 1990, 152, obs. A. Huet. La cour d'appel s'était prononcée en ces termes: “(…) cette clause aboutit à donner à une des parties un choix sans limite de la juridiction compétente et à permettre ainsi toute fraude destinée à faire obstacle ou à entraver la mise en oeuvre d'une bonne administration de la justice; considérant qu'elle est donc contraire à l'objet et à la finalité de la prorogation conventionnelle de compétence telle que prévue par l'article 17 de la Convention de Bruxelles”.
[43] U. Magnus, o.c., n° 33, p. 457. Lui -même reconnaît d'ailleurs que ceci ne pourrait être admis sans limite, et que la clause serait défaillante, pour manque de précision, si le choix de la juridiction compétente était entièrement laissé au choix du demandeur (o.c., n° 71, p. 470).
[44] J. Barbet et P. Rosher, o.c., pp. 45 et s.; G. Jakhian et F. Henry, o.c., pp. 701 et s.
[45] La formulation adoptée par la Cour pourrait donner à penser que ce serait la cour d'appel elle-même qui aurait conclu au caractère 'potestatif' de la clause, ce qui n'est pourtant pas le cas. Le terme paraît dès lors avoir été ajouté par la Cour de cassation elle-même.
[46] C'est, semble-t-il, un tel principe qui a conduit récemment la Cour commerciale suprême russe à invalider une clause arbitrale prévoyant en faveur d'une seule partie le droit de choisir de saisir les juridictions de l'ordre judiciaire à la place de l'arbitrage convenu (aff. CJSC Russian Telephone Company / Sony Ericsson Mobil Communications Rus LLC, précitée note 4).
[47] L'art. 1678 C.jud. prévoit que la convention d'arbitrage n'est pas valable “si elle confère à une partie une situation privilégiée en ce qui concerne la désignation de l'arbitre ou des arbitres”.
[48] Le principe nous paraît d'autre part plus naturellement lié au domaine de l'arbitrage, et moins à celui des clauses attributives de juridiction. Dans un contexte international, le choix des parties pour l'arbitrage s'explique souvent en partie par leur volonté de trouver un forum neutre, qui ne soit pas les juridictions du pays de l'une ou de l'autre partie. A l'inverse, la compétence internationale organisée par le Règlement de Bruxelles ne repose pas sur le choix d'un forum neutre. Les juridictions compétentes sont d'ailleurs souvent celles d'une des parties - qui se trouve dès lors favorisée - comme lorsque se voit appliquer la règle générale de compétence en faveur des tribunaux du domicile du défendeur.
[49] Texte identique à l'art. 1174 du Code civil belge et du Code civil français.
[50] P. Van Ommeslaghe, Droits des obligations, Bruxelles, Bruylant, 2010, T. I, p. 576, n° 369.
[51] En ce sens également, D. Martel (“A la découverte de la clause attributive de juridiction potestative”, Recueil Dalloz 2012, p. 2876), dans son commentaire de l'arrêt annoté, qui regrette l'irruption de ce concept français dans l'interprétation d'une norme européenne, mais estime aussi que “la potestativité sanctionnée n'est pas la potestativité du droit interne”, pour des motifs proches de ceux que nous avons relevés en droit belge. Pour lui, “le choix des termes utilisés, tout autant que le fond de la solution, apparaît subversif”. Il relève aussi que la qualification de clause potestative a vraisemblablement une origine doctrinale, cette expression ayant été utilisée par A. Huet dans sa note d'observation sous l'arrêt de la cour d'appel de Paris antérieur du 5 juillet 1989 (précité, note 42).
[52] On ignore si, en l'espèce, la demanderesse était un consommateur, ce qui lui aurait permis de facilement justifier le rejet de la clause attributive de juridiction, et la compétence des tribunaux de son domicile (cf. art. 16 et 23, 5. du Règlement Bruxelles I). Cet argument ne paraît pas avoir été soulevé devant les juges du fond.
[53] On sait que l'arrêt commenté a causé l'émoi chez les praticiens, de nombreux cabinets d'avocats ayant rédigé à cette occasion des 'Clients Alerts' à l'attention de leurs clients et de leurs avocats, et ayant décidé de modifier leurs clauses standards ou les clauses standards figurant dans leurs legal opinions. Une même réflexion a été menée par les associations de banquiers, comme, à Londres, la Loan Market Association.