Cour d'appel de Bruxelles 20 octobre 2011
CONCESSION
Concession de vente exclusive - Eléments déterminants - Manquement contractuel - Violation de l'exclusivité - Conséquences de l'inertie du concessionnaire - Défauts de paiement répétés - Résolution aux torts du concessionnaire
L'absence de cadre organisé et structuré impliquant des droits et obligations réciproques pour l'exécution de la convention entre les parties ne s'oppose pas à ce que cette convention soit qualifiée de concession exclusive de vente. L'élément déterminant est l'octroi par le concédant du droit de vendre de manière exclusive les produits qu'il fabrique ou distribue.
Le concessionnaire qui, après une première protestation de sa part, poursuit l'exécution de la collaboration sans plus se plaindre du démarchage en direct de clients belges par le concédant pendant plus d'un an, jusqu'à la résolution de la convention par le concédant, ne peut plus soutenir a posteriori, après cette résolution qu'il s'agit d'un manquement contractuel du concédant.
L'accumulation de retards de paiement, à de nombreuses reprises, sur une période de près d'un an, peut justifier la résolution immédiate, aux torts du concessionnaire, de la convention.
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CONCESSIE
Concessie van alleenverkoop - Determinerende bestanddelen - Contractuele tekortkoming - Schending exclusiviteit - Gevolgen stilzitten van de concessiehouder - Herhaalde betalingsachterstand - Ontbinding ten laste van de concessiehouder
Het gebrek aan georganiseerd en gestructureerd kader met wederzijdse rechten en verplichtingen voor de uitvoering van de overeenkomst tussen de partijen belet niet dat deze overeenkomst gekwalificeerd zou worden als een concessie van alleenverkoop. Het determinerende kenmerk is de toekenning door de concessiegever van het recht om op exclusieve wijze de producten te verkopen die hij produceert of verdeelt.
De concessiehouder die, na een eerste protest, de uitvoering van de samenwerking verder zet zonder nog te klagen over de rechtstreekse benadering van Belgische klanten door de concessiegever gedurende meer dan een jaar, tot de ontbinding van de concessie door de concessiegever, kan niet meer a posteriori stellen dat het ging om een contractuele tekortkoming door de concessiegever.
De opeenhoping van herhaalde betalingsachterstallen over een periode van bijna één jaar kan de onmiddellijke ontbinding van de concessieovereenkomst rechtvaardigen ten laste van de concessiehouder.
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Siég.: H. Mackelbert (conseiller f.f. président), M.-F. Carlier et M. Moris (conseillers) |
Pl.: Mes J.-P. Bayer, C. Van de Velde et L. Bihain, P. Maerten, A. Jansen |
I. | La décision attaquée |
L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 26 mars 2009 par le tribunal de commerce de Bruxelles portant le numéro de rôle général (...).
Les parties ne produisent pas d'acte de signification de ce jugement.
II. | La procédure devant la cour |
L'appel est formé par requête, déposée par la SA (...), ci-après dénommée (...), au greffe de la cour, le 15 juillet 2009.
L'appel incident est introduit par conclusions, déposées par la société de droit allemand (...), dénommée ci-après (...), au greffe de la cour, le 29 octobre 2009.
La cause a été mise en état en application d'une ordonnance rendue le 18 août 2009 sur pied de l'article 747, § 2 du Code judiciaire.
La procédure est contradictoire.
Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
A l'audience du 7 septembre 2001, Me Claire Van De Velde en sa qualité de curateur, a déclaré poursuivre l'instance au nom de la SA (...), déclarée en faillite.
III. | Les faits et antécédents de la procédure |
1. (...) a pour principales activités la production et la vente d'outils de précision utilisés notamment dans l'industrie de l'automobile, la construction mécanique, le traitement du métal ou du bois.
(...) achetait ces produits à (...) pour les revendre en Belgique.
2. Dans un courrier du 25 juin 2008, (...) écrit à (...): “nous sommes contents de pouvoir vous informer que pour le futur, nous souhaitons travailler exclusivement avec (...) en Belgique.
Pour cette raison, par la présente nous accordons des droits d'exclusivité à (...) pour la vente de nos produits en Belgique.
Par cette démarche, nous souhaitons créer des conditions optimales pour la continuation de cette coopération loyale qui dure depuis plus de 10 ans” (pièce 1 du dossier de (...)).
Dans un courrier du 17 juillet 1998, (...) écrit à (...) que “par la présente, nous confirmons que l'exclusivité pour la vente de nos produits en Belgique prend effet le 1er août 1998” (pièce 2 du dossier de (...)).
3. A partir de l'année 2004, (...) ne respecte plus le délai de paiement applicable aux factures émises par (...), soit 30 jours à partir de l'établissement de la facture. Entre le 7 juin 2004 et le 6 décembre 2004, (...) adresse 15 mises en demeure à (...) pour obtenir le paiement de ses factures.
Les parties se réunissent le 23 juin 2005 et trouvent un accord dont le contenu est décrit dans le courrier que (...) adresse le 29 juin 2005 à (...) en ces termes: “je vous confirme l'accord que nous avons pris ensemble concernant les conditions de paiement que nous vous avons octroyées:
Paiement de toutes nos factures endéans les 60 jours fin de mois, date de facture.
Il va de soi que ces conditions devront impérativement être respectées par votre service comptabilité afin de ne pas entraver nos futures relations commerciales et éviter ainsi tout rappel inutile” (pièce 5 du dossier de (...)).
4. Entre le 27 avril 2006 et le 5 mars 2007, (...) adresse à (...) 10 mises en demeure pour le paiement de factures dont l'échéance convenue n'a pas été respectée (pièces 6.1 à 6.10 du dossier de (...)).
En raison de ces retards de paiement, (...) décide de rompre la convention qui la lie à (...) et lui adresse le 21 mars 2007 un courrier dont le contenu est le suivant “nous vous confirmons que nous résilions sans délai avec effet immédiat notre contrat de distribution pour les raisons suivantes:
Retard de paiement des factures échues.
Conformément à notre courrier du 5 mars 2007 vous étiez mis en demeure de régler pour le 12 mars au plus tard toutes les factures tombant à échéance s'élevant à la somme de 4.920,80 EUR. A ce jour, ce paiement n'a toujours pas été effectué et enregistré dans nos livres” (pièce 7 du dossier de (...)).
Par un deuxième courrier du 21 mars 2007, (...) met (...) en demeure de payer dans les plus brefs délais la somme totale de 45.959,48 EUR qui représente toutes les factures comptabilisées (pièce 8 du dossier de (...)).
(...) réagit le 5 juin 2007 par un courrier de son avocat par lequel elle conteste les prétentions de (...) en raison de la rupture unilatérale de la concession de vente exclusive qui liait les parties, ce qui expose cette dernière au paiement d'indemnités dues en application de la loi belge du 27 juillet 1961, dont le montant dépasse de loin celui du montant des factures émises par (...) (pièce 19 du dossier (...)).
5. Par citation du 18 juillet 2007, (...) assigne (...) devant le tribunal de commerce de Bruxelles, aux fins d'obtenir, après modification de sa demande en cours d'instance:
Quant à sa demande principale:
- la condamnation de (...) au paiement de la somme de 334.674,80 EUR en principal, à titre provisionnel, outre les intérêts compensatoires calculés au taux légal sur ce principal depuis le 9 décembre 2005, date de la mise en demeure, jusqu'à la date du jugement à intervenir;
- la condamnation de (...) à reprendre à ses entiers frais et dépens dans les installations d'(...) et dans les 8 jours de la signification de ce jugement, sous peine d'une astreinte de 500 EUR par jour calendrier de retard, le stock de marchandises, outils, produits (...) acquis par elle, tel que ce stock se présentera au jour du jugement et à cette occasion, à lui rembourser le prix qu'elle a payé lors de l'acquisition des éléments composant ledit stock, évalué sous réserve, à 20.000 EUR;
- la condamnation de (...) à lui payer, sur toutes sommes dues en principal, frais et dépens en exécution du jugement à intervenir, des intérêts judiciaires au taux légal à compter de la date de ce jugement et jusqu'à complet paiement;
- la condamnation de (...) aux entiers frais et dépens de l'instance, en ce compris l'indemnité de procédure.
Quant à la demande reconventionnelle introduite par (...):
- la dire non fondée en ce qu'elle concerne la condamnation d'(...) aux frais, intérêts, pénalités de toute nature, contractuelles ou non, calculés sur le principal des factures litigieuses d'un montant de 45.959,48 EUR en principal;
- réserver à statuer quant au fond sur la demande reconventionnelle ayant pour objet la condamnation d'(...) au paiement de 45.959,48 EUR en principal tant qu'il n'aura pas été statué sur le fondement de la demande principale qu'elle a introduite contre (...);
- en toute hypothèse, dire le jugement à intervenir exécutoire par provision, nonobstant tout recours, sans caution ni faculté de cantonnement.
6. (...) introduit devant le tribunal de commerce de Bruxelles une demande reconventionnelle ayant pour objet la condamnation d'(...) au paiement de la somme de 45.959,48 EUR à majorer des intérêts au taux de 10% à dater du 3 avril 2007.
Elle invite le tribunal à dire pour droit que la relation contractuelle des parties a pris fin aux torts d'(...) à dater du 21 mars 2007.
7. Quant à la demande principale introduite par (...), (...) invite le tribunal à la dire non fondée.
A titre subsidiaire quant à cette demande, elle invite le tribunal à:
- dire pour droit que le délai de préavis raisonnable auquel (...) pouvait prétendre est de 6 mois;
- réserver à statuer quant au montant de la juste indemnité à laquelle (...) peut prétendre;
- désigner un expert dont la mission sera la suivante:
° prendre connaissance de l'ensemble des documents comptables d'(...);
° chiffrer le montant réel du bénéfice net moyen réalisé par (...), en prenant en considération tous les frais encourus, y compris son propre prix de revient;
° évaluer le montant de la juste indemnité (sur la base d'un préavis de 6 mois) et de l'indemnité complémentaire à laquelle (...) peut prétendre;
° dresser un projet de comptes entre parties, après avoir tenté la conciliation entre elles.
A titre infiniment subsidiaire, (...) conteste la demande d'exécution provisoire introduite par (...).
8. Par le jugement prononcé le 26 mars 2009, le premier juge:
- dit la demande principale introduite par (...) non fondée et l'en déboute;
- dit la demande reconventionnelle fondée;
- condamne (...) à payer la somme de 45.959,48 EUR à majorer des intérêts au taux de 10% l'an à dater du 3 avril 2007;
- condamne (...) aux dépens de l'instance liquidés dans son chef à 7.564,11 EUR et dans le chef de (...) à 7.000 EUR
9. En degré d'appel, (...) demande à la cour:
“Quant à l'appel principal:
- condamner (...) à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 334.674,80 EUR en principal, outre les intérêts compensatoires calculés au taux légal sur ce principal, depuis le 9 décembre 2005, date de la mise en demeure, jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir;
- condamner (...) à reprendre à ses entiers frais et dépens, dans les 8 jours de la signification de l'arrêt, sous peine d'une astreinte de 500 EUR par jour calendrier de retard, le stock de marchandises, outils produits par (...) tel que ce stock se présentera au jour de l'arrêt à intervenir et à cette occasion, rembourser à (...) le prix payé par elle lors de l'acquisition des éléments composant ledit stock, évalués sous réserve, à 20.000 EUR;
- condamner (...) à lui payer, sur toutes sommes dues en principal, intérêts, frais et dépens en exécution de l'arrêt à intervenir, des intérêts judiciaires calculés au taux légal à compter de la date de l'arrêt jusqu'à complet paiement;
- condamner (...) aux entiers frais et dépens des deux instances, en ce compris l'indemnité de procédure prévue par l'article 1022 du Code judiciaire.
Quant à l'appel incident:
- dire la demande reconventionnelle originaire non fondée, s'agissant d'obtenir sa condamnation à payer à (...) les frais, intérêts, pénalités de toute nature, contractuelle ou non, calculés sur le principal, des factures litigieuses (45.959,48 EUR) et en débouter (...);
- réserver à statuer quant au fond du chef de la demande reconventionnelle originaire introduite par (...) tendant à obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 45.959,48 EUR en principal, tant qu'il n'aura pas été statué sur le fondement de la demande principale originaire qu'elle a introduite contre (...);
- ordonner en toute hypothèse, la compensation entre la condamnation de sommes à revenir éventuellement aux termes de la demande reconventionnelle originaire à (...) et les condamnations de sommes à lui revenir à charge de (...) aux termes de l'arrêt à intervenir sur la demande principale originaire;
- débouter (...) du surplus de sa demande;
- délaisser à (...) les frais et dépens qu'elle a exposés et la condamner aux frais et dépens des deux instances, en ce compris l'indemnité de procédure, tels que liquidés par elle.”
10. A l'audience publique du 8 septembre 2011, (...) a déclaré renoncer à sa demande d'indemnités pour la reprise du stock de marchandises et outils produits par (...).
11. En degré d'appel, (...) invite la cour à:
“A titre principal:
- dire l'appel principal d'(...) fondé;
- dire son appel incident recevable et fondé;
- en tout état de cause:
° constater que les relations entre parties ont été résiliées régulièrement par elle en date du 21 mars 2007;
° condamner (...) à lui payer la somme de 45.959,48 EUR, à majorer des intérêts au taux fixé par la loi du 2 août 2002, à dater du 3 avril 2007 jusqu'au complet paiement;
° dire pour droit que les intérêts capitalisés à la date du 30 octobre 2009, s'élevant à 12.821,43 EUR, seront à leur tour productifs d'intérêts au taux fixé par la loi du 2 août 2002, ceci jusqu'au complet paiement et en application de l'article 1154 du Code civil;
° condamner (...) aux entiers dépens, en ce compris l'indemnité de procédure prévue par l'article 1022 du Code judiciaire.
A titre subsidiaire:
- dire les demandes d'(...) très partiellement fondées;
- constatant qu'(...) ne produit aucune pièce ou preuve permettant d'évaluer le préavis ou l'indemnité à laquelle elle peut prétendre, dire pour droit qu'il y a lieu de lui accorder une indemnité définitive de 1 EUR;
- débouter (...) de sa demande pour le surplus;
- ordonner la compensation judiciaire entre les sommes qui seraient dues de part et d'autre;
- compenser les dépens.”
IV. | Discussion |
A. | Quant à la qualification de la convention ayant existé entre les parties |
12. (...) fait valoir que la convention ayant existé entre les parties ne peut être qualifiée de concession de vente exclusive, à défaut de volonté de créer une collaboration permanente, dans un cadre organisé et structuré, accompagné de droits et obligations spécifiques, tels que notamment, la fixation d'objectifs de vente, une interdiction de vendre des produits concurrents, des investissements particuliers, l'organisation d'une structure de vente particulière, une politique de marketing commune, la fixation de prix de vente.
D'après l'article 1er, § 2 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée, “est une concession de vente au sens de la présente loi, toute convention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre en leur propre nom et pour leur propre compte, des produits qu'il fabrique ou distribue”.
La partie qui invoque l'existence d'un contrat de concession de vente exclusive doit démontrer qu'elle jouissait d'une situation préférentielle en raison du choix de l'autre partie, et qu'à l'égard de la première, la seconde se considérait comme liée par des obligations particulières, distinctes de celles qu'elle aurait eues à l'égard d'un simple distributeur agréé (Cass. 12 juin 1986, Pas. 1986, I, p. 1254).
13. En l'espèce, dans le courrier qu'elle adresse à (...) le 25 juin 1998, (...) exprime la volonté claire et non équivoque de lui “accorder des droits d'exclusivité, (…), pour la vente de (ses) produits en Belgique” et explique que “par cette démarche, (elle) souhait(e) créer des conditions optimales pour la continuation de [leur] coopération loyale qui dure depuis plus de 10 ans” (pièce 1 du dossier de (...)).
A partir du 1er août 1998, date à laquelle l'exclusivité accordée à (...) pour la vente des produits de (...) en Belgique prend effet, d'après le courrier de cette dernière du 17 juillet 1998, la nature des relations commerciales entre les parties a changé puisque (...) accorde à (...) l'exclusivité pour la vente de ses produits en Belgique qu'elle justifie par la volonté de créer des conditions optimales à la poursuite de la collaboration entre les parties.
(...) dispose à partir de cette date, d'une situation préférentielle à l'égard de (...) qui la distingue d'un simple distributeur, puisque cette dernière s'engage dans une relation d'exclusivité pour la vente de ses produits en Belgique qu'elle explique par sa volonté de créer des conditions optimales à la poursuite de la collaboration.
L'absence de cadre organisé et structuré impliquant des droits et obligations réciproques pour l'exécution de la convention entre les parties ne s'oppose pas à ce que cette convention soit qualifiée de concession exclusive de vente. La loi du 27 juillet 1961 ne prévoit pas que l'existence d'un tel cadre est requise pour qu'une convention soit une concession de vente exclusive.
D'après cette dernière loi, constitue l'élément déterminant, l'octroi par le concédant au concessionnaire, du droit de vendre, de manière exclusive, en son propre nom ou pour son propre compte, des produits qu'il fabrique ou distribue. L'existence d'un cadre structuré comprenant des droits et obligations réciproques constitue des indices ou des présomptions qui peuvent être pris en considération dans la recherche de la volonté des parties de s'engager dans une convention de concession de vente exclusive mais ne sont pas déterminants, lorsque comme en l'espèce, cette volonté ressort des termes clairs de la convention.
En conséquence, la circonstance que les parties n'ont pas convenu en l'espèce, ni mis en place la manière dont la convention sera exécutée dans un cadre structuré comprenant des obligations contraignantes et des droits réciproques, ne s'oppose pas à ce que la convention soit une concession de vente exclusive.
Ne constituent pas davantage des éléments déterminants incompatibles avec la qualification de convention de concession exclusive de vente, le fait qu'(...) aurait vendu des produits concurrents à ceux de (...) sur le marché belge ni la liberté avec laquelle (...) a exercé cette concession de vente. L'interdiction de vendre des produits concurrents n'est pas obligatoire dans le cadre de la loi du 27 juillet 1961 et (...) n'a pas imposé à (...) une telle interdiction, ni d'ailleurs des conditions particulières pour l'exécution de la concession exclusive de vente.
14. Il en va de même du fait que (...) ait, pendant la période d'exécution de la convention, vendu directement ses produits en Belgique à des clients belges, sans référer à (...).
Une concession reste exclusive au sens de la loi du 27 juillet 1961, si le concédant a accordé à plusieurs concessionnaires le droit de vendre des produits qu'il fabrique ou distribue (Cass. 22 janvier 1981, Pas. 1981, I, p. 541). C'est également vrai si le concédant s'est réservé conventionnellement le droit de vendre personnellement les mêmes produits que ceux faisant l'objet de la concession (Cass. 23 février 1995, Pas. 1995, I, p. 200). C'est bien la protection ou le monopole accordé à un ou plusieurs concessionnaires contre la concurrence de tiers qui rend exclusive la concession de chacun et pas le fait de ne partager son droit avec personne (Willemart, “Concessions exclusives ou le monopole partagé”, JLMB 1995, 1360).
15. En conséquence, l'appel incident de (...) est non fondé.
B. | Quant à la rupture de la convention de concession de vente exclusive |
16. (...) soutient que (...) n'a pas respecté ses obligations contractuelles et n'a pas exécuté de bonne foi la convention ayant lié les parties. En effet, (...) a, en violation de l'exclusivité, démarché des clients d'(...) sur le territoire belge et réalisé des commandes en direct auprès de ces clients alors que, pour certains d'entre eux, les représentants d'(...) avaient déjà remis des offres de prix. Le 9 décembre 2005, (...) adresse à (...) le courrier suivant “vous n'êtes pas sans savoir que nous avons eu surprise de perdre un client (...) à votre profit en direct suite à une visite de votre monsieur (...), ceci contrairement à nos accords d'exclusivité. Nous avons dès lors confirmation que d'autres actions de ce genre ont été réalisées dans le courant des années passées. Nous souhaitons en discuter dans le plus bref délai et tenter de trouver une solution à ce grave diffèrent” (pièce 8 du dossier d'(...)).
(...) fait valoir qu'à partir du moment où elle a relevé cette faute, elle a constaté la volonté manifeste dans le chef de (...) de se délier de ses obligations contractuelles sans devoir lui accorder un délai de préavis ni d'indemnités. Elle justifie cette volonté de rupture dans le chef de (...) par les éléments suivants:
- son déréférencement du site Internet de (...) en tant que représentante exclusive de ses produits pour la Belgique et son remplacement par monsieur (...) qui est un de ses anciens responsables commerciaux;
- le limogeage de sa société soeur, (...) France, sans préavis ni avertissement, en qualité de distributeur exclusif pour la France au profit de monsieur (...)”
- l'envoi systématique de rappels de paiement pour toutes les factures émises à son égard sans respecter l'encours de 60 jours fin de mois. (...) calculait systématiquement le délai d'encours de 60 jours à partir de la date de la facture et non pas à la fin du mois.
17. A l'exception du courrier du 9 décembre 2005, (...) ne démontre pas avoir réagi auprès de (...) afin de faire respecter son droit à l'exclusivité pour la vente des produits de cette dernière en Belgique. Elle a poursuivi l'exécution de la collaboration sans plus se plaindre du démarchage en direct de clients belges par (...) jusqu'à la résolution de la convention par cette dernière, soit pendant plus d'un an.
Lorsqu'elle apprend que (...) a vendu directement à un autre de ses clients que celui visé dans le courrier du 9 décembre 2005, (...), (...) n'a d'autre réaction que d'envisager de réclamer à (...) une commission de 15% sur cette vente (pièce 9 du dossier d'(...)).
Ceci démontre qu'au moment des faits, (...) ne considérait pas la méconnaissance de son droit à l'exclusivité pour la vente de produits de (...) en Belgique comme une faute contractuelle ou un manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi de la convention par (...). Elle ne peut dès lors valablement modifier sa perception du comportement de (...) a posteriori pour soutenir, après la résolution de la convention par cette dernière, qu'il s'agit de fautes.
18. Quant à son déréférencement du site Internet de (...) comme représentant exclusif pour la vente de ses produits en Belgique, les pièces produites par (...) sont postérieures à la rupture de la convention, soit le 3 juin 2007. Le déréférencement dont se plaint (...) n'est dès lors pas établi.
Quant au limogeage d'(...) France sans indemnité ni préavis, il n'est pas davantage établi, l'extrait du site Internet de (...) produit par (...) datant du 27 août 2007.
19. Contrairement à ce que soutient (...) les 10 mises en demeure que lui a adressées (...) entre le 27 avril 2006 et le 5 mars 2007 ne constituent pas un comportement commercial agressif ni une attitude harcelante manifestant une volonté de ne plus exécuter de bonne foi la convention, ni une intention de se délier de cette convention en guise de représailles au courrier du 9 décembre 2005 par lequel (...) se plaint du démarchage direct de l'un de ses clients belges par (...).
A la suite de retards de paiement antérieurs, il accorde à (...) une prolongation substantielle de son délai de paiement, celui-ci passant de 30 jours à 60 jours fin de mois. Dans son courrier du 29 juin 2005 qui confirme l'accord relatif aux conditions de paiement, (...) précise que: “il va de soi que ces conditions devront impérativement être respectées par votre service comptabilité afin de ne pas entraver nos futures relations commerciales et éviter ainsi tout rappel inutile” (pièce 5 du dossier de (...)). (...) est ainsi avertie que pour (...) le respect scrupuleux des nouvelles conditions de paiement arrêtées de commun accord entre les parties constitue une condition importante de la poursuite des relations commerciales.
Les mises en demeures adressées par (...), parfois quelques jours après échéance des factures dues par (...), n'expriment rien d'autre que le maintien de cette volonté et (...) n'est pas fondée à y voir un quelconque harcèlement ou comportement commercial agressif. Ces mises en demeure indiquent que (...) suit de près le respect de l'accord survenu entre les parties quant aux conditions de paiement et entend le faire respecter.
20. En conclusion, (...) ne peut se prévaloir d'une faute commise par (...) dans l'exécution de la convention de concession exclusive de vente, ni d'un manquement à son obligation d'exécution de bonne foi de cette convention.
21. (...) conteste la résolution de la convention pour motif grave sans préavis ni indemnité.
D'après l'article 2 de la loi du 27 juillet 1961, une partie peut procéder à la résolution immédiate du contrat de concession de vente exclusive, sans préavis, ni indemnité, en cas de faute grave de son cocontractant.
“La faute grave est celle qui rend immédiatement impossible la poursuite des relations normales entre parties, c'est-à-dire, qui exclut toute possibilité de collaboration, laquelle est nécessaire à l'exécution de la convention.” (J.-P. Fierens, A. Mottet Haugaard et csrts, “Chronique de jurisprudence. La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation des concessions de vente exclusive à durée indéterminée (1997-2007)”, Les dossiers du JT, Larcier, 2008, p. 37 et la jurisprudence citée en note 164).
Comme a été exposé ci-avant, le respect strict de l'accord survenu entre les parties constitue pour (...) une condition importante à la poursuite des relations contractuelles, ce qu'(...) ne pouvait ignorer puisque cette volonté est clairement exprimée dans le courrier que (...) lui a adressé le 29 juin 2005.
Chacune des 10 mises en demeure envoyées par (...) à (...) entre le 27 avril 2006 et le 5 mars 2007 précise que “A défaut de recevoir le paiement dans le délai imparti, nous serons contraints de procéder au recouvrement des sommes qui nous sont dues par la procédure judiciaire. Toute collaboration entre nos deux entreprises prendra également immédiatement fin et nous refuserons de vous vendre quelque produit que ce soit.”
Dans la continuité de la volonté exprimée dans son courrier du 29 juin 2005 de faire du respect des conditions de paiement convenues entre les parties une condition essentielle de la poursuite de leurs relations commerciales, (...) avertit (...) dans chacune des mises en demeure, que leur collaboration prendra immédiatement fin à défaut de recevoir le paiement dans le délai imparti.
Dans ces circonstances, le non-respect des délais de paiement par (...) à de nombreuses reprises, est une faute grave qui exclut irrémédiablement et immédiatement la poursuite des relations commerciales entre les parties.
Contrairement à ce que soutient (...) ce n'est pas l'absence de paiement d'une somme de seulement 4.920,80 EUR qui motive la résolution immédiate de la convention. Cette somme correspond à la dernière mise en demeure du 5 mars 2007, restée impayée à l'échéance fixée. Le motif de la résolution de la convention est le retard récurrent de paiement des factures échues à de nombreuses reprises, ce qui a conduit (...) à envoyer à (...) pas moins de 10 mises en demeure entre le 27 avril 2006 et le 5 mars 2007.
(...) ne peut reprocher à (...) un quelconque comportement déloyal, puisqu'à la suite de retards de paiement survenus en 2004, elle a fait preuve de compréhension en allongeant considérablement le délai de paiement de ses factures, tout en attirant l'attention d'(...) qu'elle considère le respect de ce délai comme une condition importante à la poursuite des relations commerciales entre les parties.
L'accumulation de retard de paiement, à de nombreuses reprises, sur une période de près d'un an, a pu susciter dans le chef de (...) une perte de confiance en la fiabilité d'(...) rendant immédiatement et irrémédiablement impossible la poursuite des relations entre les parties. La circonstance que cette collaboration ait duré près de vingt ans, ne rend pas la résolution immédiate de la convention en raison de retards de paiement démesurée.
22. En conclusion, c'est à bon droit que (...) a résolu la convention de concession de vente exclusive qui la liait à (...) sans préavis ni indemnité.
(...) ne peut donc prétendre à aucune indemnité à la charge de (...).
L'appel principal est dès lors non fondé.
C. | Quant aux factures impayées |
23. (...) ne conteste pas être redevable à (...) de la somme de 45.959,48 EUR en principal qui représente le montant total des factures impayées.
Elle conteste par contre, les frais, intérêts, pénalités de toute nature, contractuels ou non, calculés sur ce montant principal et soutient que sa condamnation doit se limiter au montant de 45.959,48 EUR en principal à l'exclusion de tout intérêt ou frais parce qu'elle a procédé à la retenue de cette somme qui doit faire l'objet d'une compensation avec les indemnités qu'elle réclame en raison de la rupture fautive de la convention par (...).
En l'absence de faute commise par (...) dans la résolution immédiate de la convention, (...) ne peut prétendre à aucune indemnité devant se compenser avec la somme due à (...).
C'est dès lors à bon droit que (...) demande la condamnation d'(...) au paiement d'intérêts calculés sur la somme en principal de 45.959,48 EUR aux taux fixés par la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales.
24. Il y a lieu également de faire droit à la demande nouvelle introduite par (...) d'appliquer, conformément à l'article 1154 du Code civil, la capitalisation des intérêts échus à la date du dépôt de ses conclusions du 30 octobre 2009, aux taux fixés par la loi du 2 août 2002, à partir du 1er novembre 2009.
(...) ne conteste pas davantage cette demande d'anatocisme.
Elle se limite à soutenir qu'il ne peut y être fait droit dans la mesure où la retenue des factures découle exclusivement de la rupture fautive du contrat de concession exclusive de vente, ce qui n'est pas fondé.
VI. | Dispositif |
Par ces motifs, LA COUR,
Reçoit l'appel principal et le dit non fondé;
Reçoit l'appel incident et le dit non fondé;
Reçoit la demande nouvelle de (...) et la dit fondée;
En conséquence, dit pour droit que les intérêts moratoires seront calculés aux différents taux fixés par la loi du 2 août 2002 à dater du 3 avril 2007 jusqu'à complet paiement et qu'ils seront capitalisés à la date du 30 octobre 2009 en application de l'article 1154 du Code civil;
Condamne (...) aux dépens de l'appel, liquidés dans le chef de (...) à 7.700 EUR, soit l'indemnité de procédure au montant de base indexé.
(...)