Cour de justice de l'Union européenne 4 octobre 2012
Aff.: C-559/11 |
Dans cette affaire [1], le juge européen était interrogé, par le tribunal de commerce d'Anvers, sur la portée de la directive relative aux pratiques commerciales déloyales [2] vis-à-vis d'une législation belge qui impose aux commerces une période de fermeture de 24 heures par semaine [3]. A titre subsidiaire, le juge de renvoi interrogeait également la CJUE sur la conformité d'une telle restriction avec diverses dispositions de droit primaire comme la libre circulation des marchandises et la libre prestation de services. C'est par voie d'ordonnance que la Cour répond au juge [4].
Sur le premier point, l'interprétation de la directive, il est ainsi rappelé qu'une législation relève du champ d'application de cette dernière si elle a pour objectif la protection du consommateur. Selon les observations, non contestées, soumises par le gouvernement belge et la Commission européenne, il apparaît que la loi belge a, pour objectif principal, la protection des droits fondamentaux des travailleurs indépendants et salariés. Il s'agit de “sauvegarder le droit légitime des travailleurs du secteur du commerce à une vie privée et familiale, dont le respect est par ailleurs assuré par l'article 8 [CEDH]”. Cette exclusion du champ d'application de la directive allait-il de soi? Le tribunal d'Anvers considérait, pour sa part, que la législation poursuivait un objectif mixte en ce que “cette législation vise à créer un équilibre entre les besoins des consommateurs et le bien-être des travailleurs et des indépendants dans le secteur du commerce”. Or, dans l'arrêt Mediaprint, il avait été précisé qu'une législation ayant des objectifs multiples pouvait entrer dans le champ d'application de la directive si elle poursuivait un objectif de protection du consommateur [5]. Rappelons qu'il appartiendra à la juridiction de renvoi d'établir les finalités de la loi en cause.
Il faut également noter que la Cour ne fait pas référence, pour parvenir à cette conclusion, à la charte des droits fondamentaux de l'Union qui contient une disposition protégeant la vie privée (art. 7). Il semble en effet exclu que ce texte fondamental soit applicable en l'espèce: en l'absence de mise en oeuvre du droit de l'Union et dans le cadre d'une affaire visiblement purement interne, la charte n'a en effet pas vocation à s'appliquer [6]. Il est également remarquable que les objectifs poursuivis par la loi belge soient qualifiés sous l'angle unique de la protection de la vie privée sans référence à l'angle social de la réglementation. Précisons toutefois que le tribunal d'Anvers avait expressément exclu cet angle social de sa question.
A titre subsidiaire, le tribunal interrogeait la Cour sur la portée des libertés de circulation. La Cour considère cette question manifestement irrecevable au motif que le tribunal n'indique pas en quoi une réponse à cette question serait pertinente. A notre estime, il semble que la situation en cause dans cette affaire rencontre toutes les conditions pour être qualifiées de purement interne à la Belgique, ce qui exclut l'application des libertés de circulation [7]. En toute hypothèse, le tribunal de renvoi ne donne aucune indication permettant de conclure en sens contraire. De plus, il faut également rappeler que la question de la conformité des réglementations relatives aux jours de fermeture vis-à-vis des libertés de circulation a fait l'objet d'un riche contentieux. Or, il n'existe, au vu de cette jurisprudence, plus aucun doute raisonnable sur la compatibilité de telles réglementations avec les libertés de circulation [8].
L'ordonnance rendue par la Cour dans cette affaire ne révolutionne donc pas le droit européen: il s'agit plus d'une ordonnance de rappels, rappel de la jurisprudence et rappel au juge. Au vrai, si le juge national s'estime insuffisamment renseigné par l'acquis européen existant (ou si les faits particuliers de l'espèce justifie, selon lui, une nouvelle interprétation du droit européen), il faut lui conseiller de fournir à la Cour les éléments indispensables à une bonne compréhension des faits (et de leur originalité). A défaut, le risque existe que le recours préjudiciel ne soit instrumentalisé à des fins purement dilatoires.
[1] | Voir, dans le cadre du même litige, les questions préjudicielles, quasi identiques, posées par la Cour constitutionnelle en octobre 2012 (C.const. 18 octobre 2012, n° 119/2012) et reprise sur le site de la CJUE (www.curia.europa.eu ) sous le numéro d'ordre C-483/12. |
[2] | Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, JO L. 149 du 11 juin 2005, pp. 22-39. |
[3] | Loi du 10 novembre 2006 relative aux heures d'ouverture dans le commerce, l'artisanat et les services (MB du 19 décembre 2006, p. 72.879, art. 8 et 9). |
[4] | Cette possibilité est (notamment) ouverte lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou ne laisse place à aucun doute raisonnable (art. 104, § 3 du règlement de procédure de la Cour de justice du 19 juin 1991, JO C. 177 du 2 juillet 2010, pp. 1-36). |
[5] | Arrêt Mediaprint, précité, points 20 et 21. |
[6] | Voir par exempkle, CJUE, ordonnance du 1er mars 2011, C-457/09, Chartry, non encore publiée au Recueil. |
[7] | Voir, pour un exemple, CJCE 1er avril 2008, C-212/06, Gouvernement de la Communauté française et Gouvernement wallon / Gouvernement flamand, Rec., p. I-1683. |
[8] | Voir, par exemple, CJCE 20 juin 1996, C-418/93, C-419/93, C-420/93, C-421/93, C-460/93, C-461/93, C-462/93, C-464/93, C-9/94, C-10/94, C-11/94, C-14/94, C-15/94, C-23/94, C-24/94 et C-332/94, Semeraro Casa Uno e.a., Rec., p. I-2975. |