Article

Tribunal de commerce Nivelles, 11/08/2011, R.D.C.-T.B.H., 2012/9, p. 927-930

Tribunal de commerce de Nivelles 11 août 2011

CONTINUITE DES ENTREPRISES
Réorganisation judiciaire - Dispositions générales - Effets de la décision de la réorganisation - Compensation - Abus de droits
Les conditions générales de crédit permettent de dénoncer immédiatement une ouverture de crédit en cas de modifications de garanties données et précisent que la banque peut suspendre ou dénoncer l'ouverture de crédit avec effet immédiat et sans mise en demeure préalable, afin de permettre la compensation en cas de requête en réorganisation judiciaire.
La banque était en droit de dénoncer le crédit dès qu'elle a été informée de l'existence de la procédure de réorganisation. Le créancier ne démontre pas que la décision de la banque aurait eu pour but de lui nuire, qu'elle disposait de voies moins dommageables de protéger ses droits ou encore qu'elle aurait exercé son droit sans intérêt ou motif légitime, causant ainsi un préjudice disproportionné à son cocontractant.
CONTINUITEIT VAN DE ONDERNEMINGEN
Gerechtelijke reorganisatie - Algemene bepalingen - Gevolgen van de beslissing tot reorganisatie - Schuldvergelijking - Rechtsmisbruik
De algemene kredietvoorwaarden maken het mogelijk om een kredietlijn onmiddellijk te beëindigen ingeval er sprake is van veranderingen bij de gegeven waarborgen en bepalen dat de bank de kredietlijn mag opschorten of beëindigen met onmiddellijke ingang en zonder voorafgaande ingebrekestelling, om compensatie mogelijk te maken ingeval een verzoek tot gerechtelijke reorganisatie wordt neergelegd.
De bank was gerechtigd om het krediet op te zeggen zodra ze ingelicht werd over het bestaan van de procedure van gerechtelijke reorganisatie. De schuldenaar toont niet aan dat de beslissing van de bank erop gericht was hem te schaden, dat er minder schadelijke mogelijkheden bestonden om de belangen van de bank te beschermen of dat de bank haar rechten zonder belang of wettige reden uitoefende, waarbij een onredelijk nadeel werd berokkend aan haar tegenpartij.

DB Scape SA / CBC Banque SA

Siég.: Collard-Bovy (président), Vulhopp et Vermer (juges consulaires)
Pl.: Mes Ph. Druylans et L. van de Kerchove

Vu:

- l'exploit de citation enregistré, signifié le 7 juin 2011;

- les conclusions des parties et les conclusions de synthèse de la défenderesse;

- les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

Entendu les conseils des parties à l'audience de la chambre des vacations du 28 juillet 2011.

Objet de la demande

La demande, telle qu'elle est formulée en termes de citation tend à entendre:

- ordonner à la défenderesse de procéder à la contre-passation de l'écriture de compensation effectuée entre les avoirs créditeurs figurant sur le compte courant de la demanderesse n° (…) avec les sommes dues au titre des crédits d'investissement;

- en conséquence, ordonner à la défenderesse de créditer le compte courant n° (…) de la demanderesse de la somme de 76.000 EUR dans les 8 jours de la signification du jugement à intervenir, sous peine d'une astreinte de 2.500 EUR par jour de retard;

- condamner la défenderesse aux dépens;

- entendre dire le jugement à intervenir exécutoire, nonobstant tous retours et sans caution ni cantonnement.

En conclusions, la demanderesse modifie sa demande.

A titre principal, elle sollicite que sa demande soit déclarée recevable et fondée et que le tribunal:

- dise pour droit que la compensation opérée par la défenderesse ne pouvait s'opérer;

- ordonne à la défenderesse de procéder à contre-passation de l'écriture de compensation effectuée entre les avoirs créditeurs figurant sur le compte courant de la demanderesse n° (…) avec les sommes dues au titre des crédits d'investissement;

- ordonne à la défenderesse de créditer le compte courant n° (…) de la demanderesse de la somme de 76.000 EUR dans les 8 jours de la signification du jugement à intervenir, sous peine d'une astreinte de 2.500 EUR par jour de retard.

A titre subsidiaire, la demande tend à entendre:

- dire pour droit que la convention de crédit unilatéralement résiliée est rétablie jusqu'au terme de la réorganisation judicaire;

- ordonner à la défenderesse de procéder à la contre-passation de l'écriture de compensation effectuée entre les avoirs créditeurs figurant sur le compte courant de la demanderesse n° (…) avec les sommes dues au titre des crédits d'investissement;

- ordonner en conséquente à la défenderesse de créditer le compte courant n° (…) de la demanderesse de la somme de 76.000 EUR dans les 8 jours de la signification du jugement à intervenir, sous peine d'une astreinte de 2.500 EUR par jour de retard.

A titre très subsidiaire, la demande tend à entendre:

- dire pour droit que les conséquences de l'exécution de la dénonciation unilatérale du crédit, dont particulièrement la compensation, sont suspendus jusqu'au terme de la procédure en réorganisation;

- ordonner à la défenderesse de procéder à la contre-passation de l'écriture de compensation effectuée entre les avoirs créditeurs figurant sur le compte courant de la demanderesse n° (…) avec les sommes dues au titre des crédits d'investissement;

- ordonner en conséquence à la défenderesse de créditer le compte courant n° (…) de la demanderesse de la somme de 76.000 EUR dans les 8 jours de la signification du jugement à intervenir, sous peine d'une astreinte de 2.500 EUR par jour de retard.

En toute hypothèse, la demanderesse sollicite que la défenderesse soit condamnée au paiement d'une indemnité fixée à 20.000 EUR.

La défenderesse conteste le fondement de la demande.

Les faits

La SA CBC Banque, défenderesse, avait consenti à la SA DB Scape, demanderesse, une ouverture de crédit de 255.327,10 EUR le 18 mai 2010, utilisable sous forme d'un crédit de caisse et de deux crédits d'investissement.

Le 9 mai 2011, DB Scape dépose au greffe du tribunal de commerce de Nivelles, une requête en réorganisation judiciaire ayant pour objet la cession d'actifs sous autorité de justice.

Par décision du 16 mai 2011, le tribunal admet DB Scape au bénéfice de la procédure de réorganisation judiciaire, désigne Me I. Lasa comme mandataire de justice et fixe la date d'expiration du sursis au 28 juillet 2011. Ce sursis est actuellement prolongé jusqu'au 31 octobre 2011.

Le 24 mai 2011, CBC Banque met fin à l'ouverture de crédit et procède à une compensation entre le solde lui restant dû, soit 141.081,15 EUR et les avoirs en compte de DB Scape, soit la somme de 76.775,62 EUR.

Le 27 mai 2011, DB Scape met CBC Banque en demeure de contrepasser les écritures.

Aucune suite favorable n'étant réservée à sa mise en demeure, DB Scape introduit la procédure par citation signifiée le 7 juin 2011.

Discussion

La SA DB Scape fait grief à CBC Banque d'avoir dénoncé le crédit et compensé les créances réciproques des parties après l'ouverture de la procédure en réorganisation judiciaire, pour le seul motif de l'existence de cette procédure.

DB Scape fait valoir que cette décision est contraire à l'article 35, § 1er, 1er alinéa de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises (LCE) qui dispose que:

Nonobstant toutes stipulations contractuelles contraires, la demande ou l'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire ne met pas fin aux contrats en cours ni aux modalités de leur exécution.

Elle considère que les décisions rendues en matière de continuité de l'entreprise sous l'ancienne loi relative au concordat judiciaire conservent toute leur pertinence et elle fait référence à trois décisions qui qualifient d'abusive une dénonciation d'ouverture de crédit en période de concordat judiciaire (Comm. Liège (réf.) 4 mai 1998, Rev.banque 1998, p. 331; Comm. Mons 23 février 1999, RDC 2000, p. 714; Prés. Comm. Nivelles 15 septembre 1999, RDC 2000, p. 716).

La SA DB Scape souligne également qu'aux termes de l'article 30 de la LCE: Aucune voie d'exécution des créances sursitaires ne peut être poursuivie ou exercée sur les biens meubles ou immeubles du débiteur au cours du sursis.

La SA DB Scape en conclut qu'il est donc très clair que la décision prise par CBC Banque est en contradiction avec la loi sur la continuité des entreprises, qu'elle constitue à la fois une violation de son article 35 et une voie de fait contraire à son article 30 et qu'il s'agit donc d'une dénonciation de crédit illégale et abusive.

Il se trouve cependant que l'article 34 de la LCE précise que:

Sans préjudice de l'application de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers, la compensation n'est permise au cours du sursis entre créances sursitaires et créances nées au cours du sursis que si ces créances sont connexes.

CBC Banque souligne qu'elle détient une créance sursitaire à l'encontre de DB Scape en vertu du contrat d'ouverture de crédit et que, pour sa part, DB Scape détient contre elle une créance du chef des sommes qui se trouvent sur ses comptes.

CBC Banque considère que ces créances sont connexes puisque les parties ont convenu d'un rapport de connexité entre leurs créances, ainsi qu'il résulte des conditions générales de crédit qu'elle dépose à son dossier.

CBC Banque ajoute, à juste titre:

1. que “même en l'absence de clause expresse créant la connexité, une banque pourra compenser le solde débiteur d'un compte non clôturé avec les sommes qui seraient versées sur ce compte durant le sursis, le versement sur le compte créant la condition de connexité visée à l'article 34 LCE” (citant L. Verougstraete, Manuel de la continuité des entreprises et de la faillite, Kluwer, 2011, p. 169);

2. que: “la créance du banquier résultant du solde débiteur du compte du demandeur en réorganisation et sa dette de paiement des sommes qui seraient versées sur ce compte durant le sursis sont, indépendamment de toute clause en ce sens, connexes, que l'ouverture de crédit se poursuive ou non, de sorte que la banque peut toujours compenser le solde débiteur avec les sommes versées sur ce compte” (citant A. Zenner, J. Lebeau et C. Alter, La loi relative à la poursuite des entreprises à l'épreuve de sa première pratique, Larcier, 2011, n° 116).

Elle ajoute que c'est en ce sens également que se sont prononcés:

1. le tribunal de commerce de Verviers (Comm. Verviers (1ère ch.) 26 août 2010, Dr.banc.fin. 2010, liv. 6, 395) qui, après avoir cité la doctrine reprise ci-dessus sub 2, ajoute:

Attendu qu'il est vrai, comme le souligne le demandeur, qu'admettre une telle pratique de la part de la banque, aboutit à mettre en péril la réussite de la continuité;

Qu'il s'agit cependant d'un choix du législateur qui, en insérant l'article 34 dans la loi, a choisi de placer les organismes bancaires dans une situation favorable en ne les privant pas du droit d'invoquer la connexité entre leurs créances et dettes relatives à un compte bancaire ouvert par le demandeur en réorganisation;

Qu'il n'appartient pas au tribunal de remettre en cause ce choix;

2. le président du tribunal de commerce d'Anvers (Prés. Comm. Anvers 15 février 2011, RABG 2011, liv. 9, 664). Le sommaire de cette décision est libellé dans les termes suivants: Le droit à compensation d'une institution de crédit sur base de ses conditions générales se qualifie de convention de netting au sens de l'article 3, 4° de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières. La compensation demeure par conséquent possible après l'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire (art. 34 LCE).

Le montant de la créance de la SA DB Scape sur CBC Banque née en cours de sursis, c'est-à-dire à la date de l'ouverture de la procédure en réorganisation judiciaire, s'élève à la somme de 22.571,73 EUR.

En application de l'article 34 LCE, CBC Banque était en droit d'opérer une compensation entre cette créance de DB Scape et sa propre créance née du contrat d'ouverture de crédit.

CBC Banque fait valoir qu'en application de l'article 14 de la loi du 15 décembre 2004 sur les sûretés financières, elle était également en droit de compenser sa créance avec celle, d'un montant de 54.203,27 EUR que de DB Scape détenait du fait des fonds versés sur ses comptes avant l'ouverture de la procédure de réorganisation.

L'article 14 LSF prévoit que:

Les conventions de netting ainsi que les clauses et conditions résolutoires ou de déchéance du terme stipulées pour permettre la novation ou la compensation, peuvent, sans mise en demeure ni décision judiciaire préalable, nonobstant toute cession des droits sur lesquelles elles portent en cas de procédure d'insolvabilité, de saisie ou de toute situation de concours, être opposées aux créanciers si la créance et la dette à nover ou à compenser existent lors de l'ouverture de la procédure d'insolvabilité ou de la survenance de la saisie ou d'une situation de concours, quels que soient la date de leur exigibilité, leur objet ou la monnaie dans laquelle elles sont libellées.

Ce mécanisme permet aux banques de faire jouer la convention netting en cas de procédure d'insolvabilité quelle que soit la date d'exigibilité des créances.

La SA DB Scape ne conteste pas qu'une convention de netting existait entre parties en raison de l'ouverture de crédit consentie en 2010.

Comme CBC Banque le souligne justement, l'article 14 LSF l'autorisait à opérer une compensation, même en l'absence de dénonciation du crédit.

CBC Banque était donc fondée à compenser sa propre créance avec celle de 54.203,27 EUR que DB Scape détenait à son égard.

La SA DB Scape fait valoir, en conclusions, à titre subsidiaire que même si CBC Banque était théoriquement en droit d'agir comme elle l'a fait, sa décision est néanmoins constitutive d'abus de droit, dans la mesure où la dénonciation du crédit par CBC Banque a rendu exigible la totalité de sa créance, alors que celle-ci devait, contractuellement, faire l'objet de remboursements étalés dans le temps.

L'article 7.3 des conditions générales de crédit de CBC Banque permet de dénoncer immédiatement une ouverture de crédit en cas de modification des garanties données et l'article 7.5 précise que la banque peut suspendre ou dénoncer l'ouverture de crédit avec effet immédiat et sans mise en demeure préalable, afin de permettre la compensation en cas de requête en réorganisation judiciaire.

Or, l'article 14 LSF reproduit ci-dessus permet aux banques de faire jouer les clauses et conditions résolutoires ou de déchéance du terme stipulées pour permettre la novation ou la compensation.

Par conséquent, CBC Banque était en droit de dénoncer le crédit dès qu'elle a été informée de l'existence de la procédure de réorganisation.

La SA DB Scape soutient que la décision de CBC Banque l'a mise dans une situation financière extrêmement critique en la privant de ressources qui devaient lui permettre de faire face aux salaires, aux fournisseurs, etc., ce qui constituerait un abus de droit.

S'il est évident qu'une dénonciation d'ouverture de crédit et le recours à la compensation entre créances est de nature à mettre en difficulté une entreprise en réorganisation et à compromettre de ce fait, sa continuité, il n'en demeure pas moins que: (…) en élaborant la loi relative à la continuité des entreprises, le législateur, tout en restant fidèle à son objectif consistant à favoriser dans la plus large mesure possible la réorganisation de toute entreprise en difficulté, a clairement placé à l'abri du sursis toutes les garanties gouvernées par la loi du 15 décembre 2004 sur les sûretés financières. Cette position repose sur une analyse responsable de l'économie générale du crédit, lequel doit pouvoir compter, dans l'intérêt des entreprises elles-mêmes, en quête de liquidités, sur des conditions contractuelles fiables et stables (M. Grégoire, “La réorganisation judiciaire aux mains des juges: premières récoltes”, RDC 2009, pp. 637 et s., n° 26).

En l'espèce, la SA DB Scape ne démontre pas que la décision de CBC Banque aurait eu pour but de lui nuire, qu'elle disposait de voies moins dommageables de protéger ses droits ou encore qu'elle aurait exercé son droit sans intérêt ou motif légitime, causant ainsi un préjudice disproportionné à son cocontractant (en ce sens, l'analyse de Michèle Grégoire, citée ci-dessus, n° 27, à propos d'une décision en référé du 15 juin 2009 de la présidente du tribunal de commerce, en matière de réalisation de gage par une banque, décision publiée dans RDC 2009, pp. 717 et s.).

En effet, DB Scape admet être titulaire d'autres comptes bancaires, en sorte qu'elle dispose d'autres fonds que ceux sur lesquels CBC Banque a opéré une compensation. En outre, en l'espèce la réorganisation judiciaire ne risque pas d'être mise en échec par la banque puisqu'elle porte sur le transfert de l'activité et que la requête en prorogation du sursis à laquelle le tribunal a fait droit le 14 juillet 2011 fait état de deux offres de reprises des actifs de la société.

Par conséquent, la demande manque de fondement.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL,

Statuant contradictoirement,

Reçoit la demande et la déclare non fondée;

Délaisse la demanderesse dans ses dépens et la condamne aux dépens à l'égard de la défenderesse, liquidés pour elle à la somme de 3.300 EUR.

(…)