Article

Cour d'appel Liège, 27/09/2011, R.D.C.-T.B.H., 2012/9, p. 918-919

Cour d'appel de Liège 27 septembre 2011

FAILLITE
Liquidation - Décharge de la sûreté personnelle - Solidarité en cas de cession de bail commercial
La codébition solidaire prévue par l'article 11, III. de la loi sur les baux commerciaux dans le chef du cédant ne résulte pas d'un engagement de ce dernier, mais de l'effet de la loi. A défaut 'd'une démarche volontaire' dans son chef, il ne peut être considéré qu'en cédant son bail, le cédant s'est de même constituée sûreté personnelle du cessionnaire au sens de la loi sur les faillites.
FAILLISSEMENT
Vereffening - Bevrijding persoonlijke zekerheidsteller - Hoofdelijkheid bij overdracht van een handelshuurovereenkomst
De hoofdelijke gehoudenheid van de overdrager zoals voorzien in artikel 11, III. handelshuurwet vindt haar oorsprong niet in een verbintenis van deze laatste, maar vloeit voort uit de wet. Bij gebrek aan een vrijwillige handeling in zijn hoofde kan niet worden aangenomen dat de overdrager zich persoonlijk zeker heeft gesteld voor de overnemer in de zin van de faillissementswet.

Inbev Belgium SA / L.I.

Siég.: A. Jacquemin (conseiller f.f. de président), M.-Cl. Ernotte et J. Baiverlin (conseillers)
Pl.: Mes F. Tilkin et B. Namur

Après en avoir délibéré:

Par requête du 24 décembre 2009, la SA Inbev Belgium interjette appel du jugement du tribunal de commerce de Verviers du 16 novembre 2009.

Les faits de la cause et l'objet des demandes ont été correctement relatés par les premiers juges au terme d'un exposé que la cour adopte.

Il suffit de rappeler qu'I.L. a cédé, avec effet au 1er janvier 2006, à son fils P.H., le fonds de commerce dénommé 'Le Pub' situé à Malmédy, Chemin rue 10, avec le bail commercial conclu avec la SA Inbev Belgium.

Après avoir été expulsé des lieux le 25 juillet 2008, P.H. est déclaré en faillite par jugement du tribunal de commerce de Verviers du 7 août 2008.

Le 22 octobre 2008, I.L. dépose une déclaration de caution, la SA Inbev Belgium qui a par ailleurs produit une déclaration de créance pour 16.563,01 EUR, en faisant de même le 31 décembre 2008.

Dans leur jugement du 16 novembre 2009, les premiers juges ont accordé à I.L. la décharge de ses engagements à l'égard de la SA Inbev Belgium.

Discussion

L'intimée prétend au bénéfice de la décharge prévue par les articles 73 et 80 de la loi sur les faillites qui prévoient que “sauf lorsqu'elle a frauduleusement organisé son insolvabilité, le tribunal décharge en tout ou en partie la personne physique qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli lorsqu'il constate que son obligation est disproportionnée à ses revenus et à son patrimoine”.

1. Dans sa version applicable depuis sa modification par la loi du 20 juillet 2005, il est acquis que “la décharge doit bénéficier à celui qui s'est constitué sûreté personnelle, notion plus large que celle de caution: 'on vise ici toute personne qui, par l'effet de sa volonté, est obligée à la dette du failli, alors même qu'elle n'a pas un intérêt personnel au paiement de celle-ci: c'est-à-dire notamment la caution, mais encore le codébiteur qui agit en qualité de sûreté personnelle' (...)” (Liège 28 juin 2007, JT 2007, p. 838).

Tel n'était pas le cas de l'article 82 de la loi sur les faillites dans sa version antérieure qui ne prévoyait que la décharge des “personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont rendues caution de ses obligations” et où il était acquis que le mécanisme de solidarité prévue par l'article 11, III. de la loi sur les baux commerciaux ne s'identifiait pas à une caution (voir arrêt n° 58/2010 du 27 mai 2010 qui conclut à l'absence de discrimination).

L'appelante dénie la qualification de sûreté personnelle à l'intimée au motif que la codébition solidaire prévue par l'article 11, III. de la loi sur les baux commerciaux dans le chef du cédant ne résulte pas d'un engagement de ce dernier, mais de l'effet de la loi.

En contrepartie de la faculté offerte au preneur par l'article 10 de la loi sur les baux commerciaux, et ce nonobstant une interdiction conventionnelle, d'une cession de son bail faite ensemble avec la cession du fonds de commerce et portant sur l'intégralité des droits du locataire principal “(...) le cessionnaire dev(enant) le locataire direct du bailleur” (art. 11, I., 1er al.), “le preneur originaire demeure solidairement tenu de toutes les obligations qui dérivent du bail initial” (art. 11, III.). Ce mécanisme a pour effet de procurer au créancier un débiteur supplémentaire et correspond dès lors à une sûreté personnelle qui “suppose (...) l'adjonction d'un second débiteur qui, à l'échéance répondra de l'exécution de la dette” (De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 830).

“Il reste que, même dans sa version élargie par la loi du 20 juillet 2005, l'engagement de sûreté doit résulter de la volonté de la personne physique en sorte que les personnes dont la dette de garantie est d'origine légale sont exclues du bénéfice de la loi (...) c'est dès lors à tort (...) que B. Mailleux (...) cite parmi les potentiels du nouveau régime de décharge, le preneur originaire qui, en cas de cession de bail ou de sous-location, demeure solidairement tenu de toutes les obligations qui dérivent du bail initial sur la base de l'article 11, III. de la (loi sur les baux commerciaux)” (P. Moreau, “La loi du 20 juillet 2005 et la décharge des personnes qui se sont constituées sûreté personnelle. Nouvelles interrogations”, RGDC 2006, p. 155; Liège 7 février 2011, RG 2010/84).

En l'espèce, la solidarité qui pèse sur l'intimée résulte, non d'un engagement de sa part, mais de l'application d'une disposition légale. A défaut 'd'une démarche volontaire' (conclusions appelante, p. 8) dans son chef, il ne peut être considéré qu'en cédant son bail le 13 février 2006, l'intimée s'est de même constituée sûreté personnelle de P.H. au sens de la loi sur les faillites.

Les circonstances qu'un acte de cession ait été signé par l'intimée et son fils ainsi que par la SA Inbev Belgium n'y change rien. Dans ce document, l'appelante se borne à “prend(re) acte de cette cession et l'accepte, pour autant que, conformément à la loi, le cédant reste coobligé solidaire et indivisible (...)”, ce qui confirme que ce n'est pas en vertu de cette convention que l'intimée devenait coobligée.

Certes, l'on pourrait s'interroger quant à l'existence d'une nouvelle discrimination entre la situation d'une sûreté personnelle d'origine conventionnelle, qui peut prétendre au bénéfice de la décharge organisée par les articles 73 et 80 de la loi sur les faillites, et celle de la sûreté personnelle légale qui est exclue du champ d'application des dispositions précitées, mais, en l'espèce, la réponse à cette question n'est d'aucune utilité pour la solution du présent litige de sorte que, conformément à l'article 26, § 2 de la loi du 6 janvier 1989, la cour est dispensée de poser une telle question.

2. En effet, même si elle eût pu bénéficier de la faveur accordée par la loi sur les faillites aux sûretés personnelles, encore l'intimée ne remplissait-elle pas la condition de la gratuité.

Le caractère gratuit de l'engagement de la sûreté personnelle ne donne plus lieu à discussion: après que la Cour constitutionnelle ait préfiguré une définition dans son arrêt du 30 juin 2004 (JLMB 2004, p. 1309), il est désormais acquis que le caractère gratuit de la sûreté personnelle doit s'entendre de l'absence de tout avantage économique, tant direct qu'indirect, que la sûreté personnelle peut retirer par la suite de son cautionnement (Cass. 26 juin 2008, C.07.0596.N).

“Le caractère gratuit du cautionnement est une question de fait qui doit être évalué au cas par cas” (Doc. 51 2730/003, p. 9) et il appartient donc au juge de rechercher si, in concreto, la caution a retiré (ou espérait retirer), directement ou indirectement, un avantage économique de sa garantie.

“En l'espèce, cet avantage économique est patent: la garantie est la contrepartie directe de la faculté accordée au preneur de céder librement son fonds de commerce et son droit au bail, et donc de les valoriser, ainsi que de sortir du lien contractuel qui l'unissait avec le bailleur initial. Agissant dans le cadre d'une opération commerciale visant à valoriser son fonds de commerce, le preneur n'agit pas à titre gratuit” (Liège 7 février 2011, RG 2010/84).

L'intimée soutient à cet égard qu'elle a cédé son fonds de commerce “sans aucune contrepartie, son but (étant) de permettre à (son fils) de se lancer dans la vie active” (conclusions, p. 5) tandis qu'elle reconnaît qu'elle ne pourrait prétendre à la reconnaissance du caractère gratuit de son engagement si elle “avait valorisé son fonds de commerce en le revendant à un tiers acquéreur moyennant paiement de la contre-valeur du fonds de commerce” (conclusions, p. 5).

Non seulement l'intimée s'abstient de produire le moindre document relatif à la cession dudit fonds de commerce, mais en outre ses affirmations sont contredites par celles de son propre fils dans le cadre de la faillite. Lors de son audition le 22 août 2008, P.H. a en effet indiqué qu'il “a commencé son activité en 2005 (et qu')il a repris le fond de commerce pour environ 10.000 EUR. Le commerce marchait bien jusqu'à l'année dernière (...)” (pièce 9 du dossier de procédure faillite, document signé par l'intéressé). L'intimée ne peut donc être suivie lorsqu'elle affirme n'avoir retiré aucun avantage de la cession de son fonds de commerce.

Dans ces circonstances, l'intimée ne peut en toute hypothèse pas bénéficier de la décharge et la décision des premiers juges doit être réformée.

En ce qui concerne les dépens, la demande de décharge ne constitue pas un litige évaluable en argent de sorte que l'indemnité de procédure de base est actuellement de 1.320 EUR (1.200 EUR non indexée pour l'instance). Dans la mesure où l'appelante ne réclame que 900 EUR, il ne sera alloué que ce montant.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant contradictoirement,

Reçoit l'appel,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Réforme le jugement entrepris,

Rejette la demande de décharge d'I.L. quant à ses engagements à l'égard de la SA Inbev Belgium,

Condamne I.L. aux dépens d'instance et d'appel liquidés dans le chef de la SA Inbev Belgium à 1.800 EUR.

(…)