Article

Cour de cassation, 15/06/2012, R.D.C.-T.B.H., 2012/9, p. 915-917

Cour de cassation 15 juin 2012

CONTINUITE DES ENTREPRISES
Réorganisation judiciaire - Dispositions générales - Prorogation du sursis
En vertu de l'article 38, § 1er de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, sur requête du débiteur et sur le rapport du juge délégué, le tribunal peut proroger le sursis octroyé conformément à l'article 24, § 2 LCE, ou à cet article 38 LCE pour la durée qu'il détermine, et la durée maximale du sursis ainsi prorogé ne peut excéder douze mois à compter du jugement accordant le sursis.
CONTINUITEIT VAN DE ONDERNEMINGEN
Gerechtelijke reorganisatie - Algemene bepalingen - Verlenging van de opschorting
Op grond van artikel 38, § 1 van de wet van 31 januari 2009 betreffende de continuïteit van de ondernemingen kan de rechtbank op verzoek van de schuldenaar en na het horen van het verslag van de gedelegeerd rechter de opschortings­termijn toegekend op grond van artikel 24, § 2 WCO of artikel 38, § 1 WCO verlengen met een periode die de rechtbank vaststelt. De maximale duur van deze verlenging mag echter niet meer bedragen dan twaalf maanden te rekenen vanaf het vonnis dat de opschorting toekent.

Fortis Banque SA / J.D.

Siég.: A. Fettweis (président de section), D. Batselé, M. Regout, M. Delange et M. Lemal (conseillers)
MP: A. Henkes (avocat général)
Pl.: Me I. Heenen
Aff.: AR C.11.0739.F
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 13 octobre 2011 par le tribunal de commerce de Verviers, statuant en dernier ressort.

Le 22 mai 2012, l'avocat général A. Henkes a déposé des conclusions au greffe.

Le conseiller M. Lemal a fait rapport et l'avocat général A. Henkes a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution;

- articles 24, § 2 et 38, § 1er et 2 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises;

- article 1138, 2° du Code judiciaire et principe dispositif consacré par cette disposition;

- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué décide de proroger la “période d'observation fixée par les jugements des 27 janvier 2011 et 14 juillet 2011 pour un ultime délai se terminant le 25 avril 2012” au motif “qu'il ressort des débats qu'il est opportun de proroger la période d'observation prévue à l'article 38, § 1er de la loi sur la continuité des entreprises; que les objections émises par (la demanderesse) sont en opposition avec les données du dossier et ne visent qu'à préserver ses intérêts personnels; que ceux-ci sont garantis par son statut de créancier privilégié; que l'objectif poursuivi par la procédure de réorganisation judiciaire est d'assurer la pérennité de l'entreprise et non de conforter la situation d'un créancier qui ne court aucun risque”.

Griefs
Première branche

Dans sa requête en intervention volontaire, la demanderesse déclarait s'opposer à la demande du défendeur d'obtenir une nouvelle prolongation de la durée de son sursis. Subsidiairement, après avoir rappelé que la procédure en réorganisation judiciaire avait été ouverte par le jugement prononcé le 27 janvier 2011, la demanderesse soutenait “qu'outre le fait que (le défendeur) ne bénéficie plus de la confiance de (la demanderesse), dont la créance représente plus de 67% du passif, le sursis ne pourrait être prorogé au-delà du 26 janvier 2012, dès lors que l'article 38 de la loi sur la continuité des entreprises limite la durée du sursis à douze mois, la dimension de l'entreprise, l'absence de tout personnel et la simplicité du dossier ne justifiant pas qu'une prorogation exceptionnelle soit accordée au-delà. Le débiteur ne s'en explique d'ailleurs pas”. La demanderesse demandait en conséquence, à titre subsidiaire, qu'il soit dit pour droit “que la prolongation du sursis ne pourra excéder trois mois de manière à ce que la durée du sursis n'excède pas douze mois à dater de l'ouverture de la procédure, conformément à l'article 38 de la loi sur la continuité des entreprises”.

Le tribunal décide de proroger le sursis consenti au défendeur “pour un ultime délai se terminant le 25 avril 2012”, sans répondre au moyen par lequel la demanderesse faisait valoir qu'à supposer qu'une prorogation de délai puisse encore être accordée, le délai de sursis prorogé ne pouvait, en vertu de l'article 38 de la loi relative à la continuité des entreprises, excéder douze mois à compter du jugement accordant le sursis initial et que, ce jugement ayant été prononcé le 27 janvier 2001, le sursis ne pouvait par conséquent pas s'étendre au-delà du 26 janvier 2012.

A défaut de répondre à ces conclusions, le jugement n'est pas régulièrement motivé et viole l'article 149 de la Constitution.

Deuxième branche

En vertu de l'article 38, § 1er de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises:

“Sur requête du débiteur et sur le rapport du juge délégué, le tribunal peut proroger le sursis octroyé conformément à l'article 24, § 2 ou au présent article pour la durée qu'il détermine.

La durée maximale du sursis ainsi prorogé ne peut excéder douze mois à compter du jugement accordant le sursis.”

En octroyant au défendeur une prorogation de la durée du sursis jusqu'au 25 avril 2012, alors que le jugement accordant le sursis initial avait été rendu le 27 janvier 2011, le jugement attaqué alloue au défendeur un sursis d'une durée supérieure à douze mois et, partant, viole les dispositions de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises visées au moyen et, plus particulièrement, l'article 38, § 1er de cette loi.

Troisième branche

En vertu du § 2 de l'article 38 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises:

“Dans des circonstances exceptionnelles et si les intérêts des créanciers le permettent, ce délai (le délai maximum de douze mois prévu par le § 1er du même article) peut cependant être prorogé de maximum six mois. Peuvent notamment être considérées comme des circonstances exceptionnelles au sens de la présente disposition, la dimension de l'entreprise, la complexité de l'affaire ou l'importance de l'emploi qui peut être sauvegardé.”

Le défendeur n'invoquait pas cette disposition à l'appui de sa demande de prorogation de sursis, mais uniquement l'article 38, § 1er de la loi relative à la continuité des entreprises qui fixe la durée du sursis à douze mois maximum à compter du jugement accordant le sursis.

S'il doit être interprété en ce sens que, pour décider de proroger le sursis au-delà de la période maximum de douze mois prévue par le § 1er de l'article 38 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, le jugement attaqué se fonde sur le § 2 du même article, il soulève un moyen d'office au mépris du principe dispositif consacré par l'article 1138, 2° du Code judiciaire et du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense. En tout cas, à défaut d'indiquer quels sont les éléments ressortant des débats et 'les éléments du dossier' qui permettraient d'appliquer l'article 38, § 2 de la loi sur la continuité des entreprises, le jugement attaqué ne permet pas à la Cour de vérifier si le tribunal a observé l'article 1138, 2° du Code judiciaire qui consacre le principe dispositif et, partant, n'est pas régulièrement motivé (violation de l'art. 149 de la Constitution).

A tout le moins, n'est-il pas régulièrement motivé, à défaut de répondre à la requête en intervention volontaire de la demanderesse qui soutenait que “le sursis ne pourrait être prorogé au-delà du 26 janvier 2012, dès lors que l'article 38 de la loi sur la continuité sur des entreprises limite la durée du sursis à douze mois” et que “la dimension de l'entreprise, l'absence de tout personnel et la simplicité du dossier ne justifient pas qu'une prorogation exceptionnelle soit accordée”, contestant ainsi que les conditions d'application de l'article 38, § 2 de la loi relative à la continuité des entreprises fussent réunies en l'espèce et la possibilité de prolonger le sursis au-delà du délai de douze mois maximum prévu par le § 1er du même article (violation de l'art. 149 de la Constitution).

Quatrième branche

L'article 38, § 2 de la loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises ne permet de proroger le délai maximum d'un an prévu par le § 1er du même article que pour autant qu'il existe des circonstances exceptionnelles.

S'il doit être interprété en ce sens que, pour décider de proroger le sursis au-delà de la période maximum de douze mois prévue par le § 1er de l'article 38 de la loi relative à la continuité des entreprises, le jugement attaqué se fonde sur le § 2 du même article, il viole celui-ci à défaut de constater l'existence de circonstances exceptionnelles au sens de cette disposition (violation des dispositions de la loi relative à la continuité des entreprises visées au moyen, et en particulier de son art. 38, § 2). A tout le moins, à défaut de préciser quelles seraient ces circonstances exceptionnelles, il met la Cour dans l'impossibilité de contrôler la légalité de sa décision et, partant, n'est pas régulièrement motivé et viole l'article 149 de la Constitution.

Cinquième branche

L'article 38, § 2 de la loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises ne permet de proroger le délai maximum d'un an prévu par le § 1er du même article que pour autant 'que les intérêts des créanciers le permettent'.

Cette disposition impose par conséquent au tribunal de s'assurer que la prorogation demandée préserve les intérêts des créanciers.

S'il doit être interprété en ce sens que, pour décider de proroger le sursis au-delà de la période maximum de douze mois prévue par le § 1er de l'article 38 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, le jugement attaqué se fonde sur le § 2 du même article, en rejetant les moyens que la demanderesse faisait valoir pour s'opposer à la demande du défendeur au motif que “les objections émises par (la demanderesse) ne visent qu'à préserver ses intérêts personnels”, il viole les dispositions de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises visées au moyen et en particulier son article 38, § 2, en refusant de prendre en considération, pour rendre sa décision, les intérêts de la demanderesse et en ne tenant pas compte de l'intérêt des autres créanciers.

III. La décision de la Cour
Quant à la deuxième branche

En vertu de l'article 38, § 1er de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, sur requête du débiteur et sur le rapport du juge délégué, le tribunal peut proroger le sursis octroyé conformément à l'article 24, § 2, ou à cet article 38 pour la durée qu'il détermine, et la durée maximale du sursis ainsi prorogé ne peut excéder douze mois à compter du jugement accordant le sursis.

Il résulte des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que, par jugement du 27 janvier 2011, le tribunal de commerce a déclaré ouverte la procédure de réorganisation judiciaire au nom du défendeur et lui a accordé un sursis de six mois prenant cours au jour du jugement, sursis qui a été prorogé de trois mois par jugement du 14 juillet 2011, et que, par requête du 5 octobre 2011, le défendeur a sollicité un sursis complémentaire de six mois à partir du 25 octobre 2011, en application des dispositions de l'article 38, § 1er, précité.

Le jugement attaqué, qui proroge “la période d'observation fixée par jugements des 27 janvier 2011 et 14 juillet 2011 pour un ultime délai se terminant le 25 avril 2012”, prolonge le sursis accordé au défendeur pour une période excédant la durée maximale autorisée par l'article 38, § 1er de la loi du 31 janvier 2009 et, partant, viole cette disposition légale.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

Par ces motifs,

LA COUR

Casse le jugement attaqué;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;

Renvoie la cause devant le tribunal de commerce de Liège.

(…)


Note / Noot

Zie artikel van Melissa Vanmeenen in dit nummer p. 852.