Cour de justice de l'Union européenne 19 avril 2012
Wintersteiger AG / Products 4U Sondermaschinenbau GmbH
Affaire: C-523/10 |
Dans cet arrêt du 19 avril 2012, qui est également commenté ci-après dans le cadre de la rubrique consacrée au droit international privé, la Cour de justice de l'Union européenne précise l'interprétation qu'elle entend donner à l'article 5, 3. du règlement n° 44/2000, dit 'Bruxelles I', dans l'hypothèse d'une action en responsabilité civile du fait d'une atteinte à une marque par l'intermédiaire du réseau internet.
Selon cette disposition, en matière d'obligations délictuelles, la victime peut, en plus des juridictions du domicile du défendeur (art. 2 du règlement), saisir celles du lieu où “le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire”.
En l'espèce, la question était de savoir ce qu'il fallait entendre par cette expression s'agissant d'un dommage difficilement localisable dans l'espace: l'atteinte à une marque matérialisée sur le réseau Internet.
Afin de résoudre cette difficulté, la Cour reprend sa jurisprudence traditionnelle en la matière en essayant de l'adapter à la spécificité du délit.
En premier lieu, elle rappelle que l'expression “lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire” vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l'événement causal qui est à l'origine du dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou l'autre de ces deux lieux (point 19).
En second lieu, elle s'efforce de définir ces deux lieux en ce qui concerne le cas particulier de l'atteinte à une marque par l'intermédiaire du réseau Internet.
S'agissant, tout d'abord, du lieu de la matérialisation du dommage, la Cour estime qu'il correspond à l'Etat membre sur le territoire duquel la marque a été enregistrée. Il s'ensuit que le demandeur peut valablement saisir, sur le fondement de l'article 5, 3. du règlement 'Bruxelles I', les juridictions de l'Etat membre dans lequel la marque a été enregistrée.
La Cour n'a donc pas considéré - comme elle l'avait fait dans un arrêt du 25 octobre 2011 (C-509/09) pour les atteintes aux droits de la personnalité par Internet - que le dommage pouvait également être localisé au lieu du centre des intérêts ou du domicile de la victime. Il est vrai que, comme ne manque pas de le préciser la Cour, “contrairement à la situation d'une personne qui s'estime lésée dans ses droits de la personnalité, lesquels sont protégés dans tous les Etats membres, la protection par l'enregistrement d'une marque nationale est par principe, limitée au territoire de l'Etat membre d'enregistrement, de sorte que, en règle générale, son titulaire ne saurait se prévaloir de ladite protection en dehors de ce territoire” (point. 25). Il s'ensuit donc que l'exigence de prévisibilité que poursuit le règlement 'Bruxelles I' n'imposait en rien d'offrir aux demandeurs une option supplémentaire.
S'agissant, ensuite, de l'événement causal, la Cour considère qu'il correspond au comportement de l'annonceur et non à celui du service de référencement auquel il a recours pour sa communication commerciale (en l'espèce, Google) (point 35). C'est donc au lieu d'établissement de l'annonceur qu'il convient de localiser le fait générateur de responsabilité.
Outre les juridictions du lieu du domicile du défendeur (art. 2 du règlement), la victime d'une atteinte à une marque commise par l'intermédiaire du réseau Internet peut dès lors saisir, sur le fondement de l'article 5, 3. du règlement 'Bruxelles I', les juridictions de l'Etat membre dans lequel la marque est enregistrée - qui correspondent aux juridictions du lieu de réalisation du dommage - ou les juridictions du lieu d'établissement de l'annonceur - qui correspondent, quant à elles, à celles du lieu du fait générateur du dommage.