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Tribunal de commerce Nivelles, 21/11/2011, R.D.C.-T.B.H., 2012/5, p. 503-506

Tribunal de commerce de Nivelles 21 novembre 2011

CONTINUITÉ DE L'ENTREPRISE
Réorganisation judiciaire - Réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice - Faillite virtuelle - Appréciation de l'offre
La cessation de paiement et le crédit ébranlé du débiteur ne constituent pas des obstacles pour la réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice. Seule une faillite déjà prononcée rend impossible une application de la procédure.
Le choix du tribunal entre la demande de transfert forcé sous autorité de justice et la déclaration de faillite doit se faire en tenant compte des différents intérêts de l'entreprise et des créanciers.
Le transfert forcé sous autorité de justice n'est pas accompagné d'une éviction du débiteur de la gestion de l'entreprise.
CONTINUÏTEIT VAN DE ONDERNEMING
Gerechtelijke reorganisatie - Gerechtelijke reorganisatie door overdracht onder gerechtelijk gezag - Virtueel faillissement - Beoordeling offerte
De staking van betaling en het geschokt krediet van de schuldenaar vormen geen beletsel voor de gerechtelijke reorganisatie door overdracht onder gerechtelijk gezag. Enkel een reeds uitgesproken faillissement maakt een toepassing van de procedure onmogelijk.
De keuze van de rechtbank tussen de vordering tot gedwongen overdracht onder gerechtelijk gezag en de faillietverklaring moet gebeuren met inachtname van de onderscheiden belangen van de onderneming en de schuldeisers.
De gedwongen overdracht onder gerechtelijk gezag gaat niet gepaard met een buitenbezitstelling van het bestuur van de schuldenaar.

Ministère public / Laboratoires Thissen SA

Siég: Schaar (président), Dewulf et Remy (juges consulaires)
Pl.: Mes B. Deboeck, J.L. Hagon, L.H. Pacco

Vu:

- la requête en abréviation du délai de citer déposée le 16 novembre 2011;

- l'ordonnance du 17 novembre 2011 autorisant l'abrégement du délai de citation;

- la citation signifiée le 17 novembre 2011;

- la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

Entendu le 21 novembre 2011 madame le procureur du Roi en sa qualité de demandeur à la procédure.

Entendu à la même audience:

- maîtres B. Deboeck, J.-L. Hagon et L.H. Pacco, conseils de la partie défenderesse;

- les représentants des travailleurs: madame B. Leduc, déléguée syndicale CGSLB et monsieur M. De Meyer, délégué syndical CSC.

1. La demande soumise au tribunal

La demande tend à ordonner le transfert sous autorité de justice de la SA Laboratoires Thissen, BCE 403.093.891, dont le siège social est situé à 1420 Braine-l'Alleud, Rue de la Papyrée 2-6 en application de l'article 59, § 2 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises (ci-après 'la loi').

Elle est formulée par l'office de monsieur le procureur du Roi de Nivelles.

2. Les antécédents

1. La SA Laboratoires Thissen (ci-après 'la société') a été constituée le 16 mars 1956.

Cette société est active dans le secteur de la fabrication des médicaments et autres produits pharmaceutiques.

Elle exerce principalement deux activités, la fabrication et le conditionnement de produits commercialisés, et ce à travers le monde, ainsi que diverses activités de développement.

Depuis 2001, la SA Laboratoires Thissen fait partie du groupe Nextpharma.

2. La société compte actuellement 307 salariés, soit 135 ouvriers et 172 employés d'après les renseignements repris au document déposé au greffe le 18 novembre 2011.

3. Le 9 juin 2011, la société se trouvait dans la situation visée à l'article 633, 2ème alinéa du Code des sociétés, soit la diminution d'actifs nets à un montant inférieur au quart du capital social.

Une augmentation de capital s'en suivit.

Le capital social s'élève aujourd'hui à 15.189.060,49 EUR, après une augmentation de capital de 10.354.060 EUR opérée le 10 juin 2011 par incorporation d'un prêt octroyé par son actionnaire majoritaire, la SA Nextpharma.

4. Le 31 octobre 2011, la société a constaté qu'elle se trouvait à nouveau dans la situation décrite à l'article 633 précité.

5. La société a déclaré avoir pu honorer ses dettes exigibles jusqu'au 14 novembre 2011, mais en ayant repoussé avec l'accord de ses créanciers les échéances, et ce au cas par cas.

Elle précise qu'elle n'a fait l'objet d'aucune mesure d'exécution, mais plusieurs menaces de citation en justice pour retards de paiements récurrents se sont manifestées.

6. Le groupe Nextpharma a fait savoir à la société qu'il ne pouvait plus, quatre mois après sa recapitalisation, participer au financement de la réorientation stratégique envisagée ainsi qu'à une nouvelle augmentation de capital sans mettre en péril le groupe Nextpharma dans son ensemble.

7. Le 14 novembre 2011, le conseil d'administration de la société constate à la lecture des derniers chiffres d'affaires mensuels que ceux-ci sont inférieurs ou couvrent à peine la dette salariale.

Le conseil d'administration relève également que les fournisseurs commencent à perdre confiance dans la société et souhaiteraient être payés avant fourniture effective.

Le conseil d'administration de la société du 14 novembre 2011 décide en conséquence, en conformité avec la loi sur les faillites, de procéder à l'aveu de faillite.

La société décrit ainsi sa situation au 31 octobre 2011:

- liquidités en caisse: 543.000 EUR;

- dettes fournisseurs exigibles et échues: ± 1.300.000 EUR;

- précompte immobilier échu: 162.000 EUR;

- dettes salariales mensuelles exigibles fin novembre 2011: 1.100.000 EUR;

- prêt (remboursement exigible au 23 novembre 2011) : 4.899.739 EUR.

8. La société déclare avoir examiné la possibilité de recourir à la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises.

Elle a cependant renoncé à demander son application au motif qu'à son analyse, elle n'aurait pas été à même, au vu des prévisions de rentrée, de payer ne fût-ce que les dettes à échoir pendant la réorganisation.

9. La double décision d'une part de renoncer aux dispositions de la loi du 31 janvier 2009 et d'autre part de faire aveu de faillite a suscité de vives réactions de la part des membres du personnel.

10. Le 16 novembre 2011, l'office de monsieur le procureur du Roi a sollicité et obtenu du président du tribunal l'autorisation de citer à délai abrégé la société en vue de l'audience de la 3ème chambre du tribunal du lundi 21 novembre 2011.

11. Le 17 novembre 2011, l'huissier de justice P. Vranckx, de résidence à Braine-l'Alleud, a signifié à la société la citation en vue d'organiser le transfert sous autorité de justice pour cette audience.

12. Le 18 novembre 2011, le conseil de la société s'est présenté au greffe de la juridiction pour faire l'aveu de cessation de paiements de celle-ci.

Le greffe en a dressé procès-verbal et fixé la cause également à l'audience du 21 novembre 2011.

L'aveu de cessation de paiement renseigne les chiffres suivants:

Actif évalué

- liquidités: 543.000 EUR au 17 novembre 2011;

- total de l'actif: 28.000.000 EUR;

Passif évalué: ± 21.000.000 EUR.

Interpellés à l'audience du 21 novembre 2011, les conseils de la société ont précisé qu'il s'agissait d'un actif comptable reprenant une estimation des avoirs immobilisés.

13. Les activités commerciales de la société sont encore exercées à ce jour.

3. Décision du tribunal

Le chapitre IV de la loi traite de la réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice.

Il prévoit deux cas de figure: soit le transfert volontaire d'une part, la demande étant adressée par requête du débiteur, soit le transfert forcé d'autre part, la demande étant formulée sur citation du procureur du Roi, d'un créancier ou de tout intéressé.

Les circonstances dans lesquelles le transfert forcé peut être ordonné sont énoncées de manière limitative dans la loi.

L'introduction de la demande par citation est possible dans les cas suivants:

- lorsque le débiteur est en état de faillite sans avoir demandé l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire;

- lorsque le tribunal rejette la demande d'ouverture de la procédure par application de l'article 23 de la loi, en ordonne la fin anticipée, par application de l'article 41 ou révoque le plan de réorganisation par application de l'article 58;

- lorsque les créanciers n'approuvent pas le plan de réorganisation en application de l'article 54;

- lorsque le tribunal refuse l'homologation du plan de réorganisation en application de l'article 55.

Le transfert forcé peut donc être sollicité soit si le débiteur, en état virtuel de faillite, ne prend pas l'initiative d'entamer une procédure de réorganisation judiciaire, soit dans le cadre de l'échec d'une procédure de réorganisation judiciaire déjà commencée.

L'état de cessation de paiement et d'ébranlement de crédit ne fait pas obstacle au recours à la procédure de réorganisation judiciaire ni même à la poursuite de la procédure de réorganisation judiciaire, comme le précise l'article 23, 5ème alinéa de la loi.

Seule une faillite déjà déclarée ouverte rend impossible le recours à la loi.

Le tribunal peut donc constater que le débiteur a cessé ses paiements et que son crédit est ébranlé sans pour autant devoir en déduire qu'il y a lieu de déclarer ouverte la faillite.

Le ministère public a formulé sa demande par son souci de préserver tout ou partie de l'entreprise et en vue de maintenir tout ou partie de l'emploi.

La société considère que cet objectif ne peut plus être atteint et que la poursuite de l'activité aurait pour conséquence inévitable un accroissement considérable du passif pendant la période du sursis, ce qui ne pourra qu'aboutir à une diminution sensible des actifs de la faillite.

Ceci serait susceptible de provoquer un grave préjudice dans le chef des créanciers de la faillite qui serait ultérieurement ouverte.

Le choix du tribunal (accorder le transfert demandé et rejeter l'aveu ou refuser le transfert sollicité et déclarer ouverte la faillite) doit s'opérer à l'aune de l'examen de la comparaison des intérêts de l'entreprise et des créanciers.

Ce choix ne peut faire fi de l'un des objectifs de la loi exprimé à l'article 62, 2ème alinéa qui impose au mandataire de justice chargé de réaliser un transfert d'entreprises de veiller prioritairement au maintien de tout ou partie de l'entreprise tout en ayant égard aux droits des créanciers.

Les travaux préparatoires de la loi ont précisé que le critère de la meilleure offre est prioritairement celui de l'emploi sauvegardé à court ou moyen terme, l'intérêt des créanciers devenant dès lors subséquent sans pour autant naturellement pouvoir être négligé ou bradé.

Le commentaire de l'article 62 de la loi (Doc.parl. 2007-08, n° 0160/002, p. 76) précise ceci:

“S'agissant d'un transfert, le mandataire de justice devra classer les actifs qu'il doit vendre selon les modalités propres au type d'actif.

Le mandataire de justice sollicitera les meilleures offres. Le critère des meilleures offres sera celui, prioritairement, de l'emploi sauvegardé à court ou moyen terme. Lorsque - sans tenir compte de l'aspect emploi - les offres sont équivalentes, le mandataire de justice doit prendre en considération de façon prioritaire le critère de l'emploi.

Le mandataire de justice ne pourra toutefois pas brader l'entreprise ou ses activités, car ce serait là une distorsion de concurrence particulièrement préjudiciable en plus aux créanciers.”

La disposition visée concerne certes le mandataire de justice chargé d'opérer le transfert, ce qui n'est pas l'objet premier de la demande.

Le tribunal doit cependant y être attentif dans la mesure où dans sa décision interviennent des considérations d'intérêt général telles le maintien de l'emploi ou d'un volume significatif d'activité et qui ne vont pas nécessairement sinon naturellement de pair avec l'intérêt des créanciers.

Dans le cas soumis au tribunal, il y lieu de relever qu'à la date où le conseil d'administration de la société a décidé de procéder à l'aveu de faillite:

- le volume global de l'activité de l'entreprise n'était pas immédiatement menacé, la plupart des activités commerciales étant toujours exercées;

- aucun créancier n'avait cité en paiement et, partant, aucune mesure d'exécution forcée n'avait été entreprise;

- la présentation de la balance actif/passif lors du dépôt de bilan au greffe fait apparaître un actif relativement consistant comme précisé avant.

Dans son choix, le tribunal doit également tenir compte de la brièveté possible de la procédure de réorganisation judiciaire (des transferts d'entreprise ont réussi quelques semaines après l'ouverture de la procédure) ainsi que de la possibilité pour les mandataires de justice de venir à tout moment faire rapport au tribunal.

Ceci implique l'éventualité de mettre à bref délai un terme à la procédure de réorganisation judiciaire s'il s'avérait que son échec était inéluctable et de rentrer en procédure de liquidation dans le cadre d'une faillite.

Dans un pareil contexte, l'intérêt de l'entreprise passe par une procédure de réorganisation judiciaire alors que les intérêts des créanciers paraissent être utilement sauvegardés à ce stade de la procédure.

Il ressort de ces considérations que refuser dans les circonstances qui viennent d'être décrites l'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire serait faire preuve d'une frilosité peu compréhensible et irait en tous cas à l'encontre de l'objectif de la continuité de l'entreprise et de la sauvegarde de l'emploi souhaitée par le législateur.

Il en résulte que la demande, recevable en la forme, est fondée.

Enfin, il convient de relever que la question de la dépossession du débiteur a été soulevée par les conseils de la société.

Ceux-ci ont exposé avoir déposé le 18 novembre 2011 une requête en vue de la désignation d'un administrateur provisoire sur base de l'article 8 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, et ce dans la foulée du dépôt de bilan.

Cette requête n'a pas encore été traitée en raison de l'attente de la décision du tribunal.

Une certaine forme de dessaisissement peut effectivement paraître indispensable dans des cas de cession subie, comme c'est le cas en l'espèce et comme le souligne d'ailleurs les conseils de la société.

Le principe général étant qu'une personne est supposée capable sauf les exceptions prévues par la loi, il y a lieu de constater qu'à ce jour, la société n'est pas dépossédée de sa gestion.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL,

Reçoit la demande et la déclare ainsi fondée,

Déclare ouverte la procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice de la SA Laboratoires Thissen, BCE 403.093.891, dont le siège social est situé à 1420 Braine-l'Alleud, Rue de la Papyrée 2-6,

Ordonne le transfert sous autorité de justice de cette société,

Désigne comme juge pour faire rapport au tribunal sur l'exécution du transfert monsieur E. De Keyzer, juge consulaire près la juridiction,

Désigne comme mandataires de justice chargés de réaliser et d'organiser le transfert au nom et pour compte de cette société messieurs M. Janssens et X. Ibarrondo Lasa, avocats au barreau de Nivelles, dont le cabinet est situé Rue de la Procession 25 à 1400 Nivelles et monsieur G. Delvaux, réviseur d'entreprises, Chaussée de Louvain 428 à 1380 Lasne,

Laisse l'objet du transfert à l'appréciation des mandataires de justice et les invite à la poursuite de la procédure,

Invite les mandataires de justice et le débiteur à tenir informé le juge délégué de toute information et communication utile en application des articles 59 et suivants de la loi,

Octroie à la société un sursis qui prend cours ce jour pour se terminer le lundi 16 janvier 2012 avec les effets énoncés aux articles 30 à 37 de la loi,

Ordonne la publication du présent jugement par les mandataires de justice par extrait au Moniteur belge conformément aux dispositions de l'article 60, 3ème alinéa de la loi,

Constate qu'à ce jour, la société n'est pas dépossédée de sa gestion,

Refixe la cause à l'audience du lundi 12 décembre 2011 de la 3ème chambre du tribunal à 9h00 afin d'éclairer le tribunal sur l'état de la procédure de transfert, et ce sans préjudice pour les parties et les mandataires de justice de solliciter une fixation anticipée à cette fin,

Réserve le surplus de la procédure ainsi que les dépens,

Autorise l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant tout recours et sans caution.

(…)