Article

Cour internationale d'arbitrage de la CCI, 15/02/2010, R.D.C.-T.B.H., 2012/3, p. 238-241

Cour internationale d'arbitrage de la CCI 15 février 2010

INTERMEDIAIRES COMMERCIAUX
Agence - Agent établi en Suisse - Contrat renvoyant au droit belge - Inapplicabilité de la loi du 13 avril 1995
Le choix de la loi belge opéré dans un contrat d'agence commerciale conclu entre un commettant belge et un agent établi en Suisse doit se comprendre comme renvoyant au droit commun belge en matière d'agence commerciale et non aux dispositions de la loi du 13 avril 1995 sur le contrat d'agence commerciale, celle-ci ne profitant qu'aux activités de l'agent établi sur le territoire belge.
TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Handelsagentuur - Agent gevestigd in Zwitserland - Contract verwijst naar Belgisch recht - Niet-toepasselijkheid van de wet van 13 april 1995
De keuze van het Belgisch recht in een handelsagentuurcontract gesloten tussen een Belgische principaal en een agent gevestigd in Zwitserland moet zo worden begrepen dat verwezen wordt naar het Belgisch gemeen recht inzake handelsagentuur en niet naar de bepalingen van de wet van 13 april 1995 betreffende de handelsagentuurovereenkomst nu deze wet enkel toepasselijk is op de activiteiten van de in België gevestigde agent.

Demanderesse (Suisse) / Défenderesse (Belgique)

Siég.: M. W. Bühler (président), G.-A. Dal et J.-P. Fierens (arbitres)
Pl.: Mes P. Frühling, B. Carron et P. Hollander, P. Vermeire
I. Les parties

1. La DEMANDERESSE (ci-après 'la demanderesse') est une société anonyme de droit suisse, immatriculée au registre du commerce de l'état de (…) sous le numéro fédéral (…) dont le siège social est au (…).

2. La demanderesse est assistée par: Me Pierre Frühling, Field Fisher Waterhouse, L'Arsenal, boulevard Louis Schmidt, 29, B-1040 Bruxelles et Me Benoît Carron, Bonnard Lawson, rue due Général-Dufour 11, CH-1204 Genève

3. La DEFENDERESSE (ci-après 'la défenderesse') est une société anonyme de droit belge, immatriculée au registre des personnes morales sous le numéro de (…) dont le siège social est établi (…).

4. La défenderesse est assistée par: Mes Pascal Hollander et Pierre Vermeire, Hanotiau & Van den Berg, avenue Louise 480 B.9, B-1050 Bruxelles.

II. Le tribunal arbitral

5. Le tribunal arbitral est composé de:

- M. le bâtonnier Georges-Albert Dal, Dal & Veldekens, Avenue Louise 81, B-1050 Bruxelles, coarbitre proposé par la demanderesse et confirmé par le secrétaire général de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale ('CCI') le 3 septembre 2008;

- M. le bâtonnier Jean-Pierre Fierens, Stibbe, Rue de Loxum 25, B 1000 Bruxelles, coarbitre proposé par la défenderesse et confirmé par le secrétaire général de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI le 3 septembre 2008;

- Me Michael W. Bühler, Jones Day, 120, rue du Faubourg Saint Honoré, F-75008 Paris, en qualité de président du tribunal arbitral proposé dans le délai de 30 jours accordés par les parties à cet effet, d'un commun accord par les coarbitres et confirmé en cette qualité par le secrétaire général de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI le 24 octobre 2008.

III. La procédure

6. Le litige soumis au tribunal arbitral trouve sa source dans un contrat d'agence commerciale exclusive ('le contrat') conclu entre les parties pour une durée indéterminée. Le contrat, qui n'est pas daté, est entré en vigueur le 1er novembre 1992 selon son article 17. Les parties sont d'accord sur ce point.

7. Le contrat contient une clause d'arbitrage rédigée comme suit:

“Article 25 - COMPETENCE EN CAS DE LITIGE

Tous différends découlant du présent contrat ou s'y rapportant sont tranchés définitivement selon le règlement de conciliation et d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce règlement.

Les arbitres appliqueront les règles de procédure du droit judiciaire belge, dans la mesure où elles ne sont pas en contradiction avec la procédure d'arbitrage.

Les débats et la procédure auront lieu en langue française, (Belgique).”

(…)

IV. Aperçu sommaire des faits litigieux et des demandes respectives des parties

34. Aux termes du contrat, la défenderesse en tant que commettant, a accordé à la demanderesse son agent, la représentation exclusive de certains de ses produits, (…) telles que figurant à l'annexe I du contrat (les 'produits contractuels') sur le territoire de la Confédération helvétique.

En contrepartie de ses services, la demanderesse devait percevoir une rétribution selon les modalités prévues aux articles 12 à 14 du contrat.

35. Le contrat ayant été conclu à durée indéterminée, chacune des parties pouvait y mettre fin moyennant un préavis de trois mois (art. 17 du contrat).

36. Par courrier du 25 mai 2007, daté par erreur du 25 juin 2007, et délivré le 29 mai 2007, la défenderesse a notifié à la demanderesse la résiliation du contrat qui prenait effet au 1er juin 2007.

37. Par lettre du conseil belge de la demanderesse à la défenderesse du 15 juin 2007, la demanderesse a exposé sa position et a conclu par une réclamation d'un montant de … EUR à titre d'indemnités. A défaut de paiement sous quinzaine, la demanderesse était déterminée à mettre en oeuvre la procédure d'arbitrage.

38. Par lettre du 18 décembre 2007, la défenderesse a adressé à la demanderesse un décompte des sommes qu'elle reconnaissait lui devoir au titre de l'exécution et de la résiliation du contrat. C'est sur la base de ce décompte, non reconnu par la demanderesse, que la défenderesse a versé à la demanderesse la somme de … EUR en date du 3 janvier 2008.

39. Par lettre du 10 mars 2008, la défenderesse a informé la demanderesse qu'elle avait donné instruction pour le versement de la somme de … EUR représentant la commission à laquelle la demanderesse avait droit sur la vente des (…).

Ce montant a été reçu par la demanderesse sans reconnaissance préjudiciable.

40. Le 20 mai 2008, soit environ deux mois plus tard, la demanderesse a engagé la présente procédure d'arbitrage.

(…)

V. L'examen au fond des points litigieux

45. Le litige porte essentiellement:

(i) sur le droit à la commission de la demanderesse en relation avec la vente de la défenderesse de (…) à la société suisse ci-après chapitre V.B;

(ii) sur le montant de l'indemnité compensatoire de préavis due à la demanderesse, ci-après chapitre V.C; et

(iii) sur le droit de la demanderesse à une indemnité d'éviction, ci-après chapitre V.D.

46. Pour déterminer le montant de l'indemnité compensatoire de préavis et le droit à une indemnité d'éviction, il convient d'abord de fixer les règles de droit belge applicable au contrat, ce qui sera fait dans le chapitre V.A ci-après.

47. Les parties ont présenté de manière très professionnelle des arguments nombreux et détaillés à l'appui de leurs positions respectives. Le tribunal arbitral a identifié ceux qui lui paraissaient les plus pertinents et nécessaires pour se déterminer. Dans les motifs ci-après, il s'est limité à la discussion de ces points.

A. L'applicabilité de la loi belge du 13 avril 1995

48. L'article 24 du contrat prévoit que “le présent contrat est régi par la loi belge”. Ce n'est pas le choix du droit applicable au présent litige qui est contesté par les parties, mais sa portée par rapport au contrat litigieux.

1. Position de la demanderesse

49. En effet, en raison du choix du droit belge et par référence à l'article 3 de la Convention de Rome de 1980, la demanderesse sollicite l'application en sa faveur de la loi belge du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale ('loi de 1995'). Cette loi, dont la plupart des dispositions ont un caractère impératif, serait immédiatement applicable aux contrats d'agence commerciale en cours au moment de son entrée en vigueur, quelle que soit la domiciliation géographique de l'agent. L'application immédiate de la loi de 1995 ne remettrait pas en cause la validité des contrats conclus avant son entrée en vigueur, sauf que leur exécution lui sera soumise. Mais, il n'en serait pas ainsi pour les dispositions supplétives de cette loi (mémoire demanderesse II, pp. 66-67).

50. Le choix du droit belge doit donc être interprété en conformité avec les principes d'application de la Convention de Rome de 1980 et en considération du fait que la loi de 1995 est la transposition en droit belge de la directive européenne n° 86/653/CEE (la 'Directive de 1986') qui aurait dû être faite en 1992.

51. La demanderesse rejette par ailleurs la théorie du caractère autolimité de la loi de 1995, avancée par la défenderesse. Cette loi constitue depuis son entrée en vigueur le droit commun belge du contrat d'agence (mémoire demanderesse II, pp. 68-69).

52. A supposer que la loi de 1995 ne soit pas applicable, le droit belge devrait être malgré tout interprété conformément au droit communautaire par application de la théorie de l'interprétation conforme (cf. notamment mémoire demanderesse II, pp. 70-72).

53. Mais, même s'il fallait appliquer les règles antérieures à 1995, cela reviendrait au même. Car le droit belge, entre la date à laquelle la directive de 1986 aurait dû être transposée (1990) et l'entrée en vigueur de la loi de 1995, consistait à appliquer directement la directive, dont le contenu est identique à celui de la loi (mémoire demanderesse II, pp. 69-70 et pp. 72-75).

54. En ce qui concerne l'accord bilatéral conclu le 21 juin 1999 entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes ('l'accord bilatéral'), la demanderesse considère qu'il ne fait que confirmer la portée de la directive de 1986 qui “n'est pas limitée aux agents établis dans la Communauté mais peut également s'étendre à des pays non européens”. L'accord bilatéral serait une autre forme de 'convention internationale' au sens de l'article 27 de la loi de 1995 qui permet son application à des agents non belges (cf. mémoire demanderesse IV du 17 novembre 2009, p. 5).

55. Selon la demanderesse, seule l'existence en droit suisse de dispositions plus favorables à l'égard de l'agent que celles de la loi de 1995 serait de nature à empêcher l'application de cette loi. Or, de telles dispositions n'existent pas à l'heure actuelle en droit suisse (lettre de la demanderesse au tribunal arbitral du 4 décembre 2009, p. 2, par. 2).

2. Position de la défenderesse

56. La défenderesse rejette l'applicabilité de la loi de 1995 parce qu'elle aurait un caractère autolimité et n'aurait pas vocation à s'appliquer à un contrat d'agence conclu avec un agent établi en Suisse et prospectant le marché suisse (cf. mémoire défenderesse, pp. 14-22). La loi de 1995 viserait à accorder une protection spécifique à l'agent commercial ayant son établissement principal en Belgique (art. 27), ce qui n'est pas le cas de la demanderesse. Celle-ci est établie et travaille en Suisse, en dehors du territoire de l'Union européenne. La défenderesse cite par analogie la loi du 27 juillet 1961 (art. 4) sur la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive, et s'appuie sur un arrêt du 6 avril 2006 de la Cour de cassation belge qui aurait consacré le caractère autolimité de la loi belge du 27 juillet 1961 (cf. pièce défenderesse/RDJ 23, et mémoire FN I, p. 19).

57. La directive de 1986 n'est pas applicable non plus car elle vise uniquement les agents commerciaux actifs à l'intérieur de la Communauté européenne, ce qui n'est pas le cas pour la demanderesse. Par ailleurs, le principe d'interprétation conforme, invoqué par la demanderesse par référence à l'arrêt Marleasing de la Cour de justice européenne, ne permet pas d'étendre la protection organisée par le législateur belge dans la loi de 1995 avant son entrée en vigueur (cf. mémoire défenderesse I, p. 20). A l'appui de cet argument, la défenderesse se réfère également à un arrêt du 28 septembre 2001 de la Cour de cassation belge (cf. pièce défenderesse/RDJ 69 et mémoire FN II, pp. 28-29). Cet arrêt confirme par ailleurs que le droit belge antérieur à la loi de 1995 excluait toute indemnité au profit de l'agent dont le contrat était résilié par le commettant.

58. L'accord bilatéral ne modifie en rien la position de la défenderesse, dès lors qu'il ne s'applique pas à l'exercice par un agent suisse, établi en Suisse, de ses activités sur le territoire helvétique et qu'il n'a pas pour effet d'élargir le champ d'application géographique de la directive de 1986 (cf. mémoire défenderesse III, 4).

59. La défenderesse conclut que le choix de la loi belge (art. 24 du contrat) ne s'étend pas aux dispositions impératives de la loi 1995. Celles-ci ne sont donc pas à prendre en considération par le tribunal arbitral pour le règlement du différend.

3. Décision du tribunal arbitral

60. Le contrat litigieux étant un contrat d'agence commerciale, soumis expressément au droit belge, la question se pose de savoir si la loi de 1995 s'applique aux relations contractuelles des parties. Le champ d'application temporel de cette loi est régi par l'article 29 qui prévoit qu'elle ne s'applique pas aux obligations dont l'exécution a été demandée en justice avant la date de son entrée en vigueur.

61. Selon la doctrine belge majoritaire, la volonté du législateur est d'appliquer la loi de 1995 aux contrats existants lors de son entrée en vigueur. Par ailleurs, compte tenu de son caractère impératif, cette loi est d'application immédiate (cf. idem, défenderesse/RDJ 15, pp. 242-243). La loi de 1995 s'applique donc bien au contrat, bien qu'il lui soit antérieur. Les parties sont en définitive d'accord sur ce point (cf. mémoire défenderesse II, 49 où la défenderesse écrit qu'elle n'a jamais affirmé que la loi de 1995 ne serait pas applicable ratione temporis).

62. L'article 27 de la loi de 1995 prévoit toutefois que “(s)ous réserve de l'application des conventions internationales auxquelles la Belgique est partie, toute activité d'un agent commercial ayant son établissement principal en Belgique relève de la loi belge et de la compétence des tribunaux belges”. Il est admis que le texte de cet article vise l'activité exercée par l'agent commercial en Belgique ou à l'étranger, pourvu qu'il ait son établissement principal en Belgique.

63. La loi de 1995 ne profite toutefois qu'aux activités de l'agent établi sur le territoire belge. Or, la demanderesse n'est pas un agent établi en Belgique.

64. Le tribunal arbitral en conclut que les dispositions impératives de la loi de 1995 ne profitent pas à la demanderesse, et c'est donc bien le droit commun des contrats qui s'impose interprété à la lumière de la jurisprudence qui s'est développée concernant les contrats d'agence avant la loi de 1995. En conséquence, le préavis contractuel de trois mois est valable, et la demanderesse ne peut invoquer le bénéfice du préavis de six mois prévu par l'article 18, § 1er, 2ème alinéa de la loi de 1995 pour des contrats dont la durée est égale ou supérieure à six années.

65. Il en est de même pour la période de référence pour le calcul de l'indemnité de préavis, prévue à l'article 18, § 3 de la loi de 1995, sauf à noter que les parties sont, en fait, d'accord pour prendre les douze mois précédant la date de cessation du contrat comme période de référence, comme indiqué ci-après au paragraphe 139.

66. En ce qui concerne l'indemnité d'éviction prévue à l'article 20 de la loi de 1995, ainsi que l'indemnité réparatrice de l'article 21 de la loi de 1995, il est à noter que les parties ont expressément exclu toute indemnité pour quelque cause que ce soit en cas de résiliation du contrat par l'une des parties (art. 19 du contrat).

67. En tant que besoin, le tribunal arbitral devra donc se référer au droit commun en matière d'agence commerciale (dans l'exposé des motifs du projet de loi, le Sénat belge a constaté d'une manière générale que “les tribunaux ont recours à des solutions analogiques incertaines et imprécises pour déterminer les droits et obligations des agents commerciaux”, cf. défenderesse/RDJ 18).

68. Le tribunal ne se voit pas en mesure de modifier ses conclusions par un recours à l'accord bilatéral, dès lors que celui-ci ne prévoit effectivement pas l'extension du droit communautaire, telle que la directive de 1986 à la Suisse (cf. Fulliez / Mock, La Suisse et l'Union européenne: état des lieux d'une relation sui generis, JTDE 2006, p. 161, p. 165, pièce de défenderesse/RDJ 76). En somme, les deux parties sont d'accord pour considérer que l'accord bilatéral n'a aucune incidence sur la position de la demanderesse; et ce d'autant plus que la directive de 1986 n'a pas été transposée en droit suisse ou à tout le moins n'a pas été rendue 'équivalente' par le législateur suisse (cf. les analyses pertinentes des parties, notamment les mémoires demanderesse IV et demanderesse V et mémoire défenderesse III). La demanderesse ne peut donc se prévaloir que du droit commun belge antérieur à la loi de 1995, sans pouvoir invoquer l'application de la théorie de l'interprétation conforme (au droit communautaire).

(…)