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Dissolution des sociétés pour pertes prononcées du capital social, R.D.C.-T.B.H., 2012/1, p. 61-62

BESLOTEN VENNOOTSCHAP MET BEPERKTE AANSPRAKELIJKHEID
Duur en ontbinding - Gerechtelijke ontbinding - Artikel 333 W.Venn. - Belanghebbende - Verhuurder handelsruimte aan BVBA - Negatief eigen vermogen
Wanneer een partij binnen het kader van een contractuele relatie op redelijke gronden vreest om te moeten verder handelen met een medecontractant waarvan de vermogenstoestand volgens de laatste jaarrekening laat vrezen dat hij zijn verbintenissen niet zal kunnen naleven, dan is deze partij een belanghebbende in de zin van artikel 333 W.Venn.
SOCIÉTÉ PRIVÉE À RESPONSABILITÉ LIMITÉE
Durée et dissolution - Dissolution judiciaire - Article 333 C.soc. - Intéressé - Bailleur d'espace commercial à une SPRL - Fonds propres négatifs
Est un 'intéressé', au sens de l'article 333 du Code des sociétés, une partie qui nourrit des craintes raisonnables de devoir poursuivre une relation contractuelle avec un cocontractant dont la situation patrimoniale, telle que révélée par les derniers comptes annuels, laisse présager qu'il ne sera pas en mesure de respecter ses engagements.
Dissolution des sociétés pour pertes prononcées du capital social
Yves De Cordt [1]

Un bailleur avait introduit contre son locataire, une SPRL, une demande de dissolution sur la base de l'article 333 du Code des sociétés. Au moment d'introduire cette demande, le bailleur n'était pas un 'créancier', aucun arriéré de loyer n'étant dû par le locataire. Il convenait donc de se demander si le bailleur avait l'intérêt requis pour exercer cette action.

Selon la cour, pour qu'un créancier, un actionnaire ou un concurrent puissent introduire une procédure en dissolution, il n'est pas requis qu'elle constitue le moyen exclusif de défense de leurs intérêts; le fait qu'ils disposent d'alternatives n'empêche pas que leur soit reconnue la qualité d''intéressé' selon l'article 333. La cour ajoute qu'est un 'intéressé', au sens de l'article 333, une partie qui redoute, pour des motifs sérieux et fondés, de devoir poursuivre une relation contractuelle avec un cocontractant dont la situation patrimoniale et comptable laisse présager qu'il ne pourra respecter ses engagements. Cette décision de la cour d'appel de Gand vient opportunément compléter une jurisprudence qu'il est utile de rappeler ici.

Aux termes des articles 333, 432 et 634 du Code des sociétés, lorsque l'actif net d'une SPRL, d'une SCRL ou d'une SA est réduit à un montant inférieur au capital minimum à libérer dès la constitution (6.200 EUR ou 61.500 EUR, selon le type de société), tout intéressé peut demander sa dissolution au tribunal.

[…demander sa dissolution au tribunal.] Ces dispositions incitent les tiers à la vigilance lorsque le capital de ces sociétés à responsabilité limitée, gage commun de leurs créanciers, est érodé par une accumulation de pertes.

L'approche du tribunal doit être mathématique, voire mécanique, et non économique. Il ne doit pas examiner si la société est rentable [2], si elle a cessé ses paiements ou si son crédit est ébranlé. Il doit simplement vérifier, en consultant les derniers comptes annuels, le montant de son actif net [3]. L'action est déclarée non fondée si la situation dont se plaint le demandeur est régularisée au moment du jugement et si l'actif net est rétabli [4].

Le tribunal peut en effet accorder un délai de régularisation eu égard à l'évolution positive d'un patrimoine et aux accords conclus avec les créanciers [5]. Ce délai peut être mis à profit pour procéder à une augmentation de capital [6]. Le tribunal n'octroie généralement pas de délai de régularisation si la société concernée présente un actif net négatif depuis sa constitution en manière telle que sa continuité est compromise, a fortiori lorsque les montages financiers mis en place ont visé à résorber les pertes sans apport de capital neuf [7]. La dissolution est aussi prononcée si la société ne produit aucune donnée dont le juge peut déduire qu'une alternative à la dissolution serait possible et souhaitable [8].

La jurisprudence a précisé les qualités des demandeurs potentiels. L'action en dissolution peut être introduite par le ministère public [9], par un actionnaire, fût-il minoritaire [10], par un créancier, pour autant qu'il démontre un intérêt effectif au-delà de sa simple qualité de créancier, ce qui sera le cas s'il nourrit des craintes raisonnables quant au recouvrement de sa créance [11], et par un concurrent, même s'il cherche ainsi à éliminer un adversaire, notamment par ce qu'il ne respecte pas les règles du jeu [12], [13].

En définitive, la recevabilité de cette action en dissolution dépend de l'existence d'un intérêt légitime à obtenir une mesure nécessaire et proportionnée. Imposer à l'intéressé de démontrer un préjudice, direct ou indirect, serait ajouter une condition au prescrit légal.

Un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles confirme que le non-exercice du droit de provoquer la dissolution d'une société fortement déficitaire ou le non-maintien d'une demande en faillite ne peut être reproché à un tiers et rompre ainsi le lien de causalité entre son dommage et les fautes du gérant [14].

[1] Professeur à l'UCLouvain.
[2] Comm. Liège (2ème ch.) 25 mai 1998, Rev.prat.soc. 1998, p. 458, note W. Derijcke.
[3] Comm. Liège (2ème ch.) 30 mars 1998, Rev.prat.soc. 1998, p. 447.
[4] Comm. Anvers (22ème ch.) 26 juin 2001, TRV 2003, p. 609.
[5] Comm. Hasselt 7 juin 1999, RDC 2000, p. 650, RW 2002-03, p. 429, TRV 1999, p. 435.
[6] Comm. Liège (2ème ch.) 25 mai 1998, Rev.prat.soc. 1998, p. 458, note W. Derijcke.
[7] Comm. Liège (2ème ch.) 30 mars 1998, Rev.prat.soc. 1998, p. 447.
[8] Bruxelles (8ème ch.) 30 juin 2004, RDC 2004, p. 910, TRV 2004, p. 602.
[9] Comm. Hasselt (1ère ch.) 14 janvier 2004, TRV 2004, p. 65, obs.
[10] Comm. Liège (2ème ch.) 30 mars 1998, Rev.prat.soc. 1998, p. 447.
[11] Comm. Charleroi 6 mai 1997, RDCB 1999, p. 42, JLMB 1998, p. 1082.
[12] Comm. Liège (3ème ch.) 27 janvier 1998, JLMB 1999, p. 524, RDC 1999, p. 52, note B. De Boeck; Comm. Liège (2ème ch.) 30 mars 1998, Rev.prat.soc. 1998, p. 447; Comm. Hasselt 7 juin 1999, RDC 2000, p. 650, RW 2002-03, p. 429, TRV 1999, p. 435; Comm. Anvers (22ème ch.) 26 juin 2001, TRV 2003, p. 609; Bruxelles 20 janvier 2009, TRV 2011, p. 289, note R. Naudts; Gand (7èmebis ch.) 28 juin 2010, TGR-TWVR 2011, p. 45, TRV 2011, p. 288, note R. Naudts.
[13] Voy. également, J. T'Kint, Les modifications apportées au droit des sociétés anonymes par la loi du 5 décembre 1984 (et par la loi du 21 février 1985), Bruxelles, Larcier, 1985, p. 154; W. Derijcke, “L'article 104 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales ou 'ce n'est pas un de mes amis; je n'ai donc pas de raison d'en dire du mal'”, Rev.prat.soc. 1998, p. 463; B. Tilleman, Ontbinding van vennootschappen, Jan Ronse Instituut, Kalmthout, Biblo, 1997, p. 234, n° 440.
[14] Bruxelles (9ème ch.) 21 novembre 2002, JLMB 2003, p. 1271.