Article

Cour d'appel Bruxelles, 29/10/2009, R.D.C.-T.B.H., 2012/1, p. 34-37

Cour d'appel de Bruxelles 29 octobre 2009

SOCIÉTÉS DOTÉES DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE
Dispositions générales - Dissolution - Comptes annuels - Dépôt
Conformément à l'article 182 du Code des sociétés, le tribunal peut prononcer la dissolution d'une société restée en défaut de satisfaire à l'obligation de déposer les comptes annuels pour trois exercices consécutifs, à moins qu'une régularisation de la situation ne soit possible et n'intervienne avant qu'il soit statué sur le fond.
Le dépôt des comptes annuels auprès de la BNB par les organes compétents met fin à la situation visée par l'article 182 du Code des sociétés et la situation est considérée régularisée, quel que soit le contenu des comptes annuels effectivement déposés.
Bien que la dissolution d'une société met fin de plein droit au mandat de ses administrateurs, le pouvoir de régulariser la situation au sens de l'article 182 du Code des sociétés ne peut être réservé au seul liquidateur sous peine de vider cette disposition légale de son sens.
VENNOOTSCHAPPEN MET RECHTSPERSOONLIJKHEID
Gemeenschappelijke bepalingen - Ontbinding - Jaarrekening - Neerlegging
Overeenkomstig artikel 182 W.Venn. kan de rechtbank de ontbinding uitspreken van een vennootschap die gedurende drie opeenvolgende boekjaren niet heeft voldaan aan de verplichting om een jaarrekening neer te leggen, tenzij een regularisatie van de toestand mogelijk is en plaatsvindt vooraleer uitspraak wordt gedaan over de grond van de zaak.
Wanneer de jaarrekeningen alsnog door het bevoegde orgaan worden neergelegd bij de NBB, wordt de in artikel 182 W.Venn. beoogde situatie opgeheven en als geregulariseerd beschouwd, ongeacht de inhoud van de desbetreffende en effectief ingediende jaarrekeningen.
Hoewel de ontbinding van rechtswege een einde stelt aan het mandaat van de bestuurders, mag de bevoegdheid om de situatie beschreven in artikel 182 W.Venn. te regulariseren niet enkel worden voorbehouden aan de vereffenaar vermits het artikel in dat geval zinloos zou worden.

Procureur général près de la cour d'appel de Bruxelles / L.H., J.H., Me M. Janssens, q.q. SA Poney Blanc et l'Etat belge

Siég.: M.-Fr. Carlier (conseiller)
Pl.: Mes P.-F. Nyst, D. De Ryck, F. Colpaert, E. Carette
I. La décision attaquée

L'appel est dirigé contre les jugements prononcés les 29 novembre 2001 et 23 juin 2004 par le tribunal de commerce de Bruxelles.

Les parties ne produisent pas d'acte de signification de ces jugements.

II. La procédure devant la cour

L'appel contre le jugement rendu le 23 juin 2004 est formé par requête, déposée par le procureur du Roi au greffe de la cour, le 23 juillet 2004.

L'appel contre le jugement rendu le 29 novembre 2001 est introduit par conclusions, déposées par l'Etat belge au greffe de la cour, le 4 mai 2005.

L'appel incident contre le jugement rendu le 23 juin 2004 est introduit par conclusions, déposées par MM. L.H. et J.H. au greffe de la cour, le 29 juin 2006.

L'appel incident contre le jugement rendu le 23 juin 2004 est introduit par conclusions, déposées par Me Janssens en sa qualité de liquidateur de la SA Poney Blanc au greffe de la cour, le 15 mai 2009.

La procédure est contradictoire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. La SA Poney Blanc a été constituée, le 16 janvier 1995. Elle a pour objet social des activités de teinture, dégraissage et repassage.

2. Le 10 mars 2000, le procureur du Roi la fait citer devant le tribunal de commerce de Bruxelles en vue d'entendre prononcer sa dissolution à défaut pour celle-ci d'avoir satisfait à son obligation de déposer ses comptes annuels pour trois exercices consécutifs, à savoir pour les années 1996, 1997 et 1998.

Le 7 avril 2000, cette société dépose une déclaration de cessation d'activité à la TVA à la date du 31 décembre 1997.

Par jugement rendu par défaut le 26 avril 2000, le tribunal de commerce de Bruxelles prononce la dissolution de la SA Poney Blanc et désigne Me M. Janssens en qualité de liquidateur.

En août 2000, les comptes annuels 1995, 1996, 1997 et 1998 sont déposés à la BNB.

La décision de dissolution judiciaire de la SA Poney Blanc ne sera publiée que le 22 décembre 2000.

3. Le 26 avril 2001, MM. L.H. et J.H., agissant en leur qualité d'administrateurs de la SA Poney Blanc, forment tierce opposition à l'encontre du jugement du 26 avril 2000.

Le 30 mai 2001, l'Etat belge (ministre des Finances-ISI) intervient volontairement à la cause. Il demande au tribunal de:

- confirmer la mise en liquidation de la société;

- compléter la mission du liquidateur tel que précisé dans leur requête en tierce opposition;

- ordonner à MM. L.H. et J.H. de déposer la comptabilité ainsi que les pièces entre les mains du liquidateur, dans les 10 jours suivant le prononcé du jugement;

- obtenir une copie du ou des rapports du liquidateur et/ou de tout document permettant de connaître l'évolution de la mission.

Le liquidateur demande, quant à lui, de taxer ses frais et honoraires à 7.535,96 EUR et de les mettre solidairement à charge de la SA Poney Blanc et de MM. L.H. et J.H.

4. Par un premier jugement du 29 novembre 2001, après avoir décidé que l'Etat belge est une partie intéressée au sens de l'article 182 du Code des sociétés, le tribunal de commerce de Bruxelles ordonne la réouverture des débats sur la base des considérations suivantes:

Que de même, le dépôt des comptes annuels susceptible d'entraîner une 'régularisation de la situation' au sens de l'article 182 susdit, suppose qu'ils soient faits dans le respect des règles légales relatives à l'établissement desdits comptes, et destinées à préserver le droit des tiers (v. aussi l'art. 98 in fine du Code des sociétés);

Attendu que tel ne paraît pas être le cas, pour l'heure, en l'occurrence;

Qu'en effet, une régularisation suppose qu'à tout le moins, les comptes déposés comportent formellement les éléments requis par le Code des sociétés; qu'en l'espèce, l'article 94, dernier alinéa du Code des sociétés, exige qu'“en annexe aux comptes annuels 'figure' une justification de l'application des règles comptables de continuité”;

Que le bilan de la société au 31 décembre 1998 et 1999 fait apparaître une perte reportée (ses fonds propres sont du reste négatifs);

Attendu que les comptes annuels déposés ne comportent pas cet élément légalement requis et que dès lors la situation ne peut être considérée comme régularisée.

Le tribunal de commerce précise enfin que la dissolution étant fondée sur le seul article 182 du Code des sociétés, le tribunal de céans n'a pas à se substituer au juge éventuellement compétent pour ouvrir un dossier fiscal (irrégularité ou fraude) à charge de la SA Poney Blanc et pour ordonner les devoirs d'instructions utiles.

Le 29 mars 2002, les comptes annuels de la SA Poney Blanc sont redéposés à la BNB.

5. Par un second jugement du 23 juin 2004, le tribunal de commerce de Bruxelles rappelle avoir déjà reçu, dans son jugement précédent, la demande en intervention volontaire de l'Etat belge et rejeté la demande de mesures d'instruction complémentaires formulée par ce dernier.

Il fait droit à la tierce opposition et met à néant le jugement prononçant la dissolution de la SA Poney Blanc. Il met les dépens à charge de la SA Poney Blanc, en ce compris les frais et honoraires du liquidateur taxés à la somme de 7.108,11 EUR.

6. Le 10 février 2005, le siège social de la SA Poney Blanc est transféré au Luxembourg.

7. En appel, le ministère public demande à la cour de mettre à néant le jugement du 23 juin 2004, dire la tierce opposition non fondée et confirmer la mise en liquidation de la SA Poney Blanc.

L'Etat belge réitère, quant à lui, devant la cour sa demande originaire en ce qu'elle tend à:

- ordonner à MM. L.H. et J.H. de déposer la comptabilité ainsi que les pièces entre les mains du liquidateur, dans les 10 jours suivant le prononcé du jugement;

- autoriser le liquidateur à communiquer à l'administration fiscale une copie du ou des rapports du liquidateur et/ou de tout document permettant de connaître l'évolution de la mission.

MM. L.H. et J.H. sollicitent la confirmation du jugement du 23 juin 2004 sauf quant aux dépens et frais et honoraires du liquidateur qu'ils demandent de mettre à charge du procureur du Roi et de l'Etat belge.

Ils demandent également de poser à la Cour de justice des Communautés européennes la question préjudicielle suivante: un juge belge viole-t-il les articles 43 à 55 du traité instituant la CEE en statuant sur la continuation d'une société ayant été de nationalité belge et dont le siège social a été transféré dans un autre état de l'Union?

Ils introduisent enfin une demande nouvelle tendant à la condamnation du ministère public et de l'Etat belge au paiement de 5.000 EUR pour appel téméraire et vexatoire.

Le liquidateur conclut au non-fondement de l'appel. Parallèlement, il demande de taxer ses frais et honoraires à 10.205,67 EUR et de condamner solidairement, in solidum ou l'un à défaut de l'autre la SA Poney Blanc et MM. L.H. et J.H. à les lui payer, majorés des intérêts de retard au taux légal sur la somme de 4.871,40 EUR à dater du 23 juin 2004 et pour le surplus à dater du présent arrêt.

IV. Discussion
1. Sur la régularisation

8. La dissolution judiciaire des sociétés commerciales restées en défaut de satisfaire à l'obligation de déposer les comptes annuels, pour trois exercices consécutifs, est une mesure d'assainissement de la Centrale des bilans et n'a pour autre objectif que celui de favoriser la dissolution de sociétés commerciales dont l'existence n'est plus justifiée, en raison de leur inactivité prolongée. Le non-dépôt des comptes annuels durant trois années fait présumer une telle inactivité.

Cependant, dès lors qu'une régularisation de la situation est possible, le prononcé de la dissolution n'est plus justifié et un délai doit être accordé, à la société, afin de lui permettre de prouver que la situation est régularisée.

La possibilité d'une telle régularisation ne peut être subordonnée au caractère probant des comptes annuels susceptibles d'être déposés, mais doit s'apprécier, uniquement, eu égard à la possibilité de réunir les organes chargés, sous leur propre responsabilité, de dresser les comptes annuels ou de les approuver (Bruxelles 25 avril 2002, JLMB 2003, 1263; Ph. Lebeau, “L'intervention des tribunaux de commerce dans la liquidation des sociétés”, Tribunaux de commerce et réviseurs d'entreprises: quelle collaboration?, Bruylant, 2003, p. 261).

9. En l'espèce, il est constant que les comptes annuels pour les années 1996, 1997 et 1998, années pour lesquelles le procureur du Roi a cité la SA Poney Blanc en dissolution et fixant l'étendue de la saisine de la cour, ont été déposés à la BNB et accompagnés de la justification des règles de continuité tel que sollicité par le tribunal de commerce dans son jugement du 29 novembre 2001.

Quel que soit le contenu des comptes annuels effectivement déposés et largement critiqués par le ministère public et l'Etat belge, les organes de la SA Poney Blanc ont régularisé la situation au sens de l'article 182 du Code des sociétés, et ce, sous leur propre responsabilité.

Si lesdits comptes annuels ne donnent pas une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que du résultat de la SA Poney Blanc, diverses procédures sont ou étaient ouvertes au ministère public et à l'Etat belge pour mettre en cause la fiabilité de la comptabilité de cette société, la véracité de la date d'approbation des comptes annuels ou encore la responsabilité des organes de la société.

10. Par ailleurs, vainement le ministère public et l'Etat belge entendent-ils mettre en exergue une absence d'actifs et de chiffre d'affaires généré par la SA Poney Blanc et le dépôt à la TVA d'une déclaration de cessation d'activité au 31 décembre 1997 pour conclure à l'absence de toute activité.

Si le dépôt de cette déclaration de cessation d'activité n'est pas contesté, il n'en demeure pas moins que la thèse défendue par le ministère public et l'Etat belge repose en réalité sur une contradiction fondamentale. Tout en affirmant que la SA Poney Blanc est inactive, ils lui reprochent de ne pas déposer une comptabilité fiable et de développer des activités frauduleuses au détriment notamment du trésor belge.

La jurisprudence dont fait état le procureur du Roi n'est pas pertinente dès lors que la situation y visée ne s'apparente pas au cas d'espèce (Bruxelles 12 septembre 2003, JLMB 2005, 232). In casu, le liquidateur a pu entrer en contact avec les administrateurs de la SA Poney Blanc, lesquels ont déposé les comptes annuels à la BNB.

Il n'est pas établi que la SA Poney Blanc serait inactive.

11. Enfin, le ministère public souligne que la régularisation n'est pas intervenue à l'intermédiaire du liquidateur mais des administrateurs lesquels, du fait de la liquidation judiciaire, n'avaient plus qualité pour représenter la SA Poney Blanc.

Si la dissolution d'une société anonyme met fin de plein droit au mandat de ses administrateurs, le pouvoir de régulariser la situation au sens de l'article 182 du Code des sociétés ne saurait être réservé au seul liquidateur à peine de vider cette disposition légale de son contenu. En décider autrement reviendrait à transférer au liquidateur judiciaire l'entière responsabilité du renversement de la présomption d'inactivité pesant sur la société pour laquelle il a été désigné.

12. En conclusion, il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu à dissolution.

L'examen des autres moyens et arguments développés par MM. L.H. et J.H. (question préjudicielle, ...) est surabondant et ne saurait amener la cour à un dispositif autre que celui qui résulte des moyens précédents.

2. Sur le caractère téméraire et vexatoire de l'appel

13. Une procédure peut revêtir un caractère vexatoire non seulement lorsqu'une partie est animée de l'intention de nuire à l'autre mais aussi lorsqu'elle exerce son droit d'agir en justice d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente (Cass. 31 octobre 2003, JT 2004, 135).

Parallèlement, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des honoraires et frais d'avocat, aucune partie ne peut plus être tenue au paiement d'une indemnité pour l'intervention de l'avocat de l'autre partie au-delà du montant de l'indemnité de procédure.

14. En l'espèce, MM. L.H. et J.H. n'établissent pas que le dommage qu'ils affirment avoir subi en raison de l'appel interjeté par le ministère public et l'Etat belge est autre que celui d'avoir été obligés de se défendre en justice et de recourir ainsi aux services d'un avocat.

Ils ne peuvent donc revendiquer que l'octroi d'une indemnité de procédure.

3. Sur les frais et honoraires du liquidateur

15. Le liquidateur demande de procéder à la taxation de ses frais et honoraires qu'il chiffre pour la procédure d'appel à 3.097,56 EUR. Ce montant, pas plus que celui alloué par le premier juge, n'est pas discuté.

16. Le liquidateur demande également de mettre ses frais et honoraires à charge de la SA Poney Blanc et de MM. L.H. et J.H.

La SA Poney Blanc ne justifie pas sa défaillance à l'origine de la dissolution litigieuse par un cas de force majeure. Il s'impose dès lors de mettre les frais et honoraires à sa charge.

De même, dès lors que les frais et honoraires du liquidateur sont la suite immédiate de la négligence récurrente des administrateurs de la SA Poney Blanc à satisfaire à leur obligation en matière de dépôt des comptes annuels, il appartient également à MM. L.H. et J.H. de les supporter.

4. Sur la publicité

17. A défaut pour le premier juge d'y avoir satisfait, il convient de dire pour droit que conformément aux prescrits des articles 67 et 74, 3° du Code des sociétés, un extrait du jugement dont appel mettant à néant le jugement prononcé par défaut le 26 avril 2000 par le tribunal de commerce de Bruxelles sera publié aux Annexes du Moniteur belge.

V. Dispositif

Pour ces motifs, LA COUR,

Reçoit les appels principaux et incidents;

Dit l'appel incident formé par Me Janssens en sa qualité de liquidateur seul fondé;

En conséquence,

Confirme les jugements entrepris sauf en tant que le jugement du 23 juin 2004 met les frais et honoraires du liquidateur judiciaire à charge de la SA Poney Blanc;

Statuant à nouveau sur ce seul chef de demande, met les frais et honoraires du liquidateur judiciaire, taxés en première instance à 7.107,11 EUR, à majorer des intérêts de retard au taux légal sur la somme de 4.871,40 EUR à dater du 23 juin 2004, à charge in solidum de la SA Poney Blanc et de MM. L.H. et J.H.;

Met les frais et honoraires du liquidateur judiciaire, taxés pour la procédure d'appel à 3.097,56 EUR, à majorer des intérêts de retard au taux légal à dater du prononcé du présent arrêt, à charge in solidum de la SA Poney Blanc et de MM. L.H. et J.H.;

Ordonne la publication par extrait du jugement rendu le 23 juin 2004 mettant à néant le jugement prononcé par défaut le 26 avril 2000 par le tribunal de commerce de Bruxelles dans le Moniteur belge à l'initiative de MM. L.H. et J.H.;

Condamne le ministère public et l'Etat belge aux dépens d'appel étant liquidés à 1.200 EUR (demande non évaluable en argent) pour MM. L.H. et J.H. et à 0 EUR pour le liquidateur judiciaire;

(…)