Article

Cour d'appel Bruxelles, 08/05/2008, R.D.C.-T.B.H., 2012/1, p. 30-33

Cour d'appel de Bruxelles 8 mai 2008

SOCIÉTÉ À RESPONSABILITÉ LIMITÉE
Conflits internes - Exclusion - Détermination du prix des parts sociales - Date de référence
Les principes de droit commun impliquent que le juge détermine la valeur des titres à transférer au moment où il statue.
Il s'en déduit qu'en l'espèce, la valeur de la société doit être déterminée sur la base des comptes annuels ou d'une situation provisoire qui soient les plus proches de la date à laquelle le juge a statué sur le transfert de propriété.
Par ailleurs, il n'y a pas lieu de prendre en considération des faits survenus après cette date.
SOCIÉTÉ À RESPONSABILITÉ LIMITÉE
Conflits internes - Exclusion - Détermination du prix des parts sociales - Pas d'influence d'une faute éventuelle
Il ne résulte ni du Code des sociétés, ni des travaux préparatoires de la loi du 13 avril 1995, que l'exclusion ou le retrait d'un associé, impliquant l'une comme l'autre une cession forcée, pourrait conduire à une évaluation des titres qui tienne compte de l'influence qu'auraient eue les comportements constitutifs de justes motifs sur la valeur des titres.
VENNOOTSCHAP MET BEPERKTE AANSPRAKELIJKHEID
Geschillenregeling - Uitsluiting - Bepaling van de prijs van de deelbewijzen - Peildatum
De principes van gemeen recht impliceren dat de rechter de waarde van de over te dragen effecten bepaalt op het moment dat hij uitspraak doet.
Hieruit volgt dat, in casu, de waarde van de vennootschap dient te worden bepaald op basis van een jaarrekening of een tussentijdse staat van een datum die de datum waarop de rechter uitspraak heeft gedaan over de overdracht van de eigendom zo dicht mogelijk benadert.
Voor het overige is er geen grond om feiten in rekening te brengen die zich hebben voorgedaan na deze datum.
VENNOOTSCHAP MET BEPERKTE AANSPRAKELIJKHEID
Geschillenregeling - Uitsluiting - Bepaling van de prijs van de deelbewijzen - Geen invloed door een eventuele fout
Noch uit het Wetboek van Vennootschappen, noch uit de voorbereidende werken van de wet van 13 april 1995, kan men afleiden dat de uitsluiting of de uittreding van een vennoot, die beiden een gedwongen overdracht impliceren, aanleiding kan geven tot een waardering van de effecten waarbij rekening wordt gehouden met de invloed die de gedragingen, die de gegronde redenen uitmaken, zouden kunnen hebben gehad op de waarde van de effecten.

O.T. / E.M.

E.M. / O.T.

Siég.: H. Mackelbert (conseiller)
Pl.: Mes Cl. Bontinck et B. Cartuyvels, Fr. De Decker

(…)

III. Faits et antécédents de la procédure

1. La société Monrosoft (dénommée ci-après 'la société') est constituée le 4 novembre 1996 par MM. O. et E. qui détiennent chacun la moitié des 750 parts sociales représentatives du capital social de 750.000 FB. Chacun des associés est gérant de la société et a le pouvoir de l'engager seul.

Par exploit du 22 août 2003, M. E. fait citer M. O. et la société devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles en application de l'article 334 du Code des sociétés. M. E. estime que M. O. est à l'origine d'une grave mésentente entre les associés et demande qu'il soit condamné à lui céder les 375 parts sociales qu'il détient dans la société, moyennant un prix qui sera déterminé par un expert.

Par jugement du 29 septembre 2003, le président du tribunal désigne M. Cats en qualité d'expert, avec mission de déterminer la valeur des parts.

Par exploit du 10 novembre 2003, M. O. fait citer M. E. et la société devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles en application de l'article 334 du Code des sociétés. M. O. estime que c'est au contraire M. E. qui est à l'origine de la mésentente entre les associés et demande qu'il soit condamné à lui céder les 375 parts sociales qu'il détient dans la société, moyennant le prix qui sera déterminé par l'expert Cats.

2. Par jugement du 13 février 2004, le président du tribunal joint les deux causes et condamne M. E. à céder à M. O. les 375 parts qu'il détient dans la société dans les 24 heures de la signification du jugement. Il dit que les modalités du prix seront fixées ultérieurement par lui sur la base du rapport de l'expert Cats.

Par requête déposée au greffe de la cour le 31 mars 2004, M. E. interjette appel de ce jugement.

Par un arrêt qui sera prononcé le 12 septembre 2006, la cour dira cet appel non fondé et renverra la cause au premier juge, en application de l'article 1068, 2ème alinéa du Code judiciaire.

3. L'expert Cats dépose son rapport le 8 juillet 2004.

S'appuyant sur les bilans et comptes de résultats de la société arrêtés aux 30 juin 2001, 2002 et 2003, ainsi que sur une situation provisoire au 31 décembre 2003, l'expert conclut que la valeur de la société est négative et que, pour les besoins de la transaction, il évalue la valeur de rachat des 375 parts à 0,50 EUR.

Le premier juge décide au contraire de s'appuyer sur une contre-expertise unilatérale réalisée par le réviseur Gilson, à la demande de M. E., qui met en doute le résultat provisoire au 31 décembre 2003. Il estime la valeur de la société à 100.000 EUR et condamne dès lors M. O. à payer à M. E. 50.000 EUR. Il réserve les dépens dans l'attente d'être plus amplement informé quant à la contribution des parties concernant les frais et honoraires et de l'expert.

4. Les deux parties interjettent appel de cette décision.

M.O. demande à la cour de:

- dire que l'évaluation des parts doit être arrêtée à la date la plus proche de la demande du concluant, novembre 2003 ou au moment de la décision du transfert des parts soit le 13 février 2004, que la situation au 31 décembre 2003 paraît la date la plus opportune;

- déclarer dès lors que la valorisation établie par l'expert Cats correspond à la valeur réelle des parts à cette date;

- confirmer que les parts cédées valaient 0,50 EUR.

(…)

Subsidiairement

Sous toutes réserves, si au vu des positions contradictoires, la cour estimait devoir être mieux informée de la situation,

- inviter l'expert Cats, après avoir pris connaissance du rapport Gilson et des observations de l'appelant E., à déposer un rapport complémentaire en réponse, rencontrant, au vu des comptes annuels et des pièces, la valorisation des actions;

- dire à quel moment cette valorisation doit intervenir;

- préciser dans quelle mesure l'attitude de monsieur E. a pu en outre influencer l'évolution de la valeur des titres pour l'avenir et évaluer le dommage ainsi subi sous réserve de tous les droits du concluant.

Quant à M. E., il demande à la cour de:

A titre principal

Condamner monsieur O. à lui payer pour prix de ses actions, la somme de 218.030 EUR majorée des intérêts moratoires depuis le 2 mars 2004 et des intérêts judiciaires.

A titre subsidiaire

Condamner monsieur O. au paiement de la somme provisionnelle de 86.250 EUR majorée des intérêts moratoires depuis le 2 mars 2004 et des intérêts judiciaires.

(…)

IV. Discussion
1. Sur l'évaluation des parts
a. Sur la date à prendre en considération

5. Les principes de droit commun impliquent que le juge détermine la valeur des titres à transférer au moment où il statue (M. Caluwaerts, “L'exclusion ou le retrait forcés comme solution aux litiges entre associés” in Les conflits au sein des sociétés commerciales ou à forme commerciale, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 2004, p. 185).

Il s'en déduit qu'en l'espèce, la valeur de la société doit être déterminée sur la base des comptes annuels ou d'une situation provisoire qui soient les plus proches de la date à laquelle le juge a statué sur le transfert de propriété, à savoir la situation au 31 décembre 2003.

Par ailleurs, il n'y a pas lieu de prendre en considération des faits survenus après cette date.

b. Sur le rapport de l'expert Cats

6. L'expert Cats a utilisé plusieurs méthodes pour conclure que la société avait une valeur négative.

S'appuyant sur les comptes annuels et la situation provisoire au 31 décembre 2003, il a conclu que la société avait des fonds propres négatifs de 54.406 EUR.

(…)

M. E. reproche à l'expert d'avoir pris en considération les comptes annuels au 30 juin 2003 et la situation provisoire au 31 décembre 2003 qu'il considère comme n'étant pas fiables. Il fait également grief à l'expert d'avoir surpondéré la période s'étendant du 1er juillet 2002 au 31 décembre 2003, au cours de laquelle la situation financière de la société s'est nettement détériorée en raison de manquements qu'il impute à M. O., alors qu'elle s'est au contraire redressée au cours du premier semestre 2004 et de l'exercice suivant. Il estime en outre que l'expert aurait dû tenir compte d'une valeur immatérielle non actée dans les bilans, à savoir celle du logiciel Smatch, développé par la société.

A. Sur les comptes annuels au 30 juin 2003

7. Il ne résulte ni du Code des sociétés, ni des travaux préparatoires de la loi du 13 avril 1995, que l'exclusion ou le retrait d'un associé, impliquant l'une comme l'autre une cession forcée, pourrait conduire à une évaluation des titres qui tienne compte de l'influence qu'auraient eue les comportements constitutifs de justes motifs sur la valeur des titres (Bruxelles 13 mai 2004, RDC 2004, p. 408).

Le président du tribunal n'est pas compétent pour condamner le défendeur au paiement de dommages et intérêts; il n'est pas saisi d'une action en responsabilité du défendeur et ne pourrait dès lors adapter le prix à titre de sanction (Pottier et De Roeck, “Le divorce entre actionnaires: premières applications jurisprudentielles des procédures d'exclusion et de retrait”, RDC 1998, p. 578).

Il s'en déduit que c'est à tort que M. E. souhaite que l'année 2002-2003 ne soit pas prise en considération, au motif qu'il s'agit de l'année du conflit ouvert entre les associés.

(…)

C. Sur le bénéfice au 30 juin 2004

13. M. E. fait valoir que la société avait néanmoins un potentiel important à générer des bénéfices dont il n'a pas été tenu compte par l'expert. Il en veut pour preuve le fait qu'au 30 juin 2004, l'exercice s'est terminé par un bénéfice de 71.187 EUR, alors qu'au 31 décembre 2003, la société enregistrait une perte de 14.506,94 EUR. Comme l'évaluation doit être faite dans une perspective de continuité, il en déduit que les évaluations négatives de l'expert, fondées sur les autres méthodes que la valeur patrimoniale, sont nécessairement inexactes.

Il persiste à soutenir que les comptes au 31 décembre 2003 auraient été manipulés dans la mesure où il est inexplicable qu'avec le même chiffre d'affaires il n'est pas possible que la société a enregistré une perte au cours de la première moitié de l'exercice 2003-2004, alors que la deuxième moitié s'est clôturée par un bénéfice.

14. Ainsi que cela a été dit au point 5, il n'y a pas lieu de tenir compte de faits qui sont survenus après le 31 décembre 2003.

La cour ne peut donc suivre l'opinion du réviseur Gilson qui, dans son évaluation, a décidé de ne pas tenir compte des résultats de la société aux 30 juin et 31 décembre 2003, mais au contraire de privilégier ceux aux 30 juin 2004 et 2005.

M. E. ne produit aucune pièce permettant de conclure que le redressement de la société au cours du premier semestre 2004, c'est-à-dire à une époque où M. O. en était devenu le seul gérant et où il n'existait plus de conflit entre les associés, trouve sa cause dans d'autres faits que les seuls efforts de M. O. Les parties ne sont d'ailleurs pas parvenues à retrouver les comptes généraux de tout l'exercice 2003-2004, comme le leur a suggéré la cour à l'audience du 11 mars 2008.

M. E. ne prouve notamment pas que ce redressement se trouvait déjà en germe avant le 31 décembre 2003.

(…)

C'est donc à bon droit que l'expert a procédé aux différentes méthodes d'évaluation sur la base des résultats arrêtés au 31 décembre 2003, dont la fiabilité ne peut être mise en doute.

(…)

E. Sur les offres émises par M. O. et la négociation avec Real Software

16. Il n'y a pas lieu non plus de déterminer la valeur intrinsèque de la société sur la base des offres émises en son temps par M. O.

Celles-ci ont été faites dans un contexte particulier en vue de mettre fin au litige entre les parties. Le montant proposé contenait donc nécessairement une valeur de convenance. Comme les négociations entre parties n'ont pas abouti, les sommes proposées à l'époque ne peuvent être prises en considération. M. E. n'a qu'à s'en prendre à lui-même de ne pas avoir accepté, en son temps, et inconditionnellement, l'offre de M. O., ce qui aurait fait naître entre eux un accord ferme et irrévocable dont il aurait pu exiger le respect, plutôt que d'avoir voulu l'assortir d'un délai de paiement et d'une clause de non-concurrence.

De plus, ces propositions ont été formulées avant l'établissement des comptes annuels au 30 juin et 31 décembre 2003, qui faisaient apparaître de lourdes pertes de la société et une valeur patrimoniale négative. Elles ne sont donc plus d'actualité.

17. Les négociations entreprises par MM. O. et E. en avril 1999 avec la société Real Software et le prix discuté de 42.800.000 FB ne peuvent constituer un élément de comparaison pour déterminer la valeur des parts au 31 décembre 2003.

En effet, d'une part, ces tractations ont eu lieu quatre ans avant les faits, qui plus est au plus fort de la bulle informatique qui s'est finalement effondrée en 2001 et 2002 et, d'autre part, le prix dépendait d'un due diligence-report de la société auquel MM. O. et E. n'ont pas voulu souscrire (cf. lettre de leur conseil du 28 avril 1999).

Les montants qui ont pu être avancés à l'époque sont donc sans rapport avec la réalité à laquelle la société était confrontée à la fin de l'année 2003.

(…)

V. Dispositif

Pour ces motifs, LA COUR,

1. Joint les appels inscrits au rôle général sous les nos 2007/AR/2488 et 2007/AR/2504.

2. Dit l'appel introduit par M. O. seul fondé et déboute M. E. de son appel.

3. Met le jugement entrepris à néant.

Statuant à nouveau, dit pour droit que les parts cédées ont une valeur de 0,50 EUR et condamne, pour autant que de besoin, M. O. à payer cette somme à M. E.

(…)


Note / Noot

Voy. Cass. 9 décembre 2010 avec note Arnaud Coibion, dans ce numéro, p. 22.