Cour constitutionnelle 10 novembre 2011
Aff.: n° 166/2011, RG 5016 |
Par l'arrêt n° 166/2011 du 10 novembre 2011, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours en annulation partielle de la loi du 21 janvier 2010 modifiant la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre en ce qui concerne les assurances du solde restant dû pour les personnes présentant un risque de santé accru (MB 3 février 2010), introduit par l'association belge des assureurs Assuralia.
Cette loi, qui a inséré les articles 138ter-1 à 138ter-13 dans la loi sur le contrat d'assurance terrestre (LCAT), vise à faciliter l'accès de ces personnes aux assurances garantissant le remboursement d'un crédit hypothécaire contracté pour la transformation ou l'acquisition de leur habitation propre et unique, tout en habilitant le pouvoir exécutif à étendre les mesures qu'elle contient à d'autres contrats d'assurance qui garantissent le capital d'un crédit (art. 15 insérant l'art. 138ter-13 de la LCAT).
L'article 3 de la loi attaquée (art. 138ter-1 de la LCAT) avait chargé la Commission des assurances (organe consultatif composé de représentants des assureurs, des consommateurs et des intermédiaires d'assurance, ainsi que d'experts) de l'élaboration d'un 'code de bonne conduite' destiné à encadrer la question de l'information médicale en précisant, notamment, les cas de recours autorisé à un 'questionnaire médical standardisé' ainsi que le contenu de ce questionnaire. Le délai prévu à cet effet a expiré le 3 août 2010, sans qu'un tel code ait pu être adopté par cet organe.
En vertu de l'article 4 de la loi attaquée (art. 138ter-2 de la LCAT), les assureurs se voient imposer des obligations particulières de transparence et de motivation lorsqu'ils entendent refuser de conclure, différer la conclusion du contrat, exclure certains risques de la couverture ou appliquer une surprime au candidat à l'assurance. L'article 5 de la loi attaquée (art. 138ter-3 de la LCAT) prévoit que, en cas de désaccord manifesté par le preneur à l'assureur au sujet de la prime proposée, ce dernier transmet le dossier au réassureur pour une demande de réévaluation. Conformément à l'article 6 de la loi attaquée (art. 138ter-4 de la LCAT), si le réassureur décide d'appliquer une surprime inférieure à celle initialement fixée par l'assureur, celui-ci modifie en ce sens la proposition d'assurance.
La loi attaquée prévoit, aux articles 8 et 10 (art. 138ter-6 et 138ter-8 de la LCAT), l'instauration, par un arrêté royal, d'un Bureau du suivi de la tarification qui sera compétent pour traiter des cas de refus répétés d'assurance, pour évaluer le caractère objectif et raisonnable, d'un point de vue tant médical qu'assurantiel, des surprimes envisagées et pour fixer les conditions, notamment tarifaires, d'accès à l'assurance. En vertu des articles 11 et 14 de la loi attaquée (art. 138ter-9 et 138ter-12 de la LCAT), ce Bureau sera flanqué d'une Caisse de compensation, à agréer par arrêté royal, qui sera financée par les assureurs vie et les prêteurs hypothécaires, et qui répartira entre les assureurs la charge des surprimes. L'application d'une surprime supérieure à 200% de la prime de base emporte, en vertu de l'article 13 de la loi attaquée (art. 138ter-11 de la LCAT), l'obligation pour l'assureur d'offrir au preneur une 'garantie standardisée' d'un montant maximal de 200.000 EUR.
Des sanctions pénales sont prévues en cas de manquement au code de bonne conduite ou aux dispositions légales qui en tiennent lieu (art. 139, § 1er, 3° de la LCAT, modifié par l'art. 16 de la loi attaquée).
A l'exception de l'article 138ter-1 de la LCAT, entré en vigueur le 3 février 2010, les dispositions introduites par la loi attaquée dans la LCAT ne sont pas entrées en vigueur, faute d'arrêté royal adopté à cet effet.
Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle a tout d'abord estimé que, la Commission des assurances n'ayant pu élaborer de code de bonne conduite dans le délai imparti, Assuralia n'avait plus d'intérêt à l'annulation de l'article 3 de la loi attaquée en ce que celui-ci prévoit l'établissement de ce code par ladite Commission.
Sur le fond, la Cour constitutionnelle a rejeté l'ensemble des moyens soulevés par Assuralia, en jugeant, en substance, que:
- la loi attaquée ne viole ni les articles 10 et 11 de la Constitution, ni la liberté de commerce et d'industrie, ni la liberté contractuelle des assureurs, étant donné, premièrement, que son objectif est, non pas de créer un droit absolu à l'assurance, mais uniquement de répondre aux problèmes d'assurabilité rencontrés par des personnes présentant un risque de santé accru en raison d'une maladie d'une certaine gravité (malades chroniques, victimes d'un cancer ou d'une maladie rare), deuxièmement, que les mesures prévoyant l'instauration d'un code de bonne conduite et d'un questionnaire médical standardisé reposent sur un équilibre entre la protection de la vie privée du candidat à l'assurance et la nécessité pour l'assureur de déterminer le risque sanitaire, et, troisièmement, que le mécanisme de réexamen (par le réassureur ou le Bureau du suivi de la tarification) de la surprime envisagée par l'assureur n'affecte pas de manière disproportionnée les libertés alléguées;
- la circonstance que la loi attaquée prévoie, en faveur des assurés, un mécanisme de solidarité concernant le paiement des surprimes, alors qu'aucun mécanisme comparable n'est prévu en faveur des assureurs pour la charge des sinistres à supporter, apparaît raisonnablement justifiée au regard de l'objectif de cette loi;
- la loi attaquée ne comporte pas de mesures contraires à la troisième directive européenne 'assurance vie', en particulier, à ses articles 6, § 5, 34 et 45 [1], étant donné, premièrement, que ces dispositions européennes n'ont pas pour objet de régler les relations contractuelles entre le preneur et l'assureur, deuxièmement, que les mesures relatives à l'instauration d'un code de bonne conduite et d'un questionnaire médical standardisé ainsi qu'à l'intervention du réassureur ou du Bureau du suivi de la tarification ne s'apparentent pas à des mesures, interdites par ces dispositions, d'approbation préalable ou de communication systématique obligatoire des tarifs, et, troisièmement, que la circonstance que la loi attaquée puisse avoir des conséquences sur les primes d'assurance du solde restant dû ne suffit pas pour conclure à une violation du principe de liberté tarifaire institué par la directive précitée;
- la loi attaquée ne comporte pas d'atteinte illicite aux libertés d'établissement et de prestation de services consacrées par le droit primaire de l'Union, étant donné qu'elle constitue une réponse proportionnée aux considérations impérieuses d'intérêt général que sont l'accès des personnes affectées par une maladie grave aux assurances concernées, d'une part, et le respect de la vie privée de ces personnes lors de la conclusion d'un contrat d'assurance, d'autre part;
- le fait que les données médicales propres au preneur d'assurance puissent être communiquées, sans son accord, à des tiers (réassureur, Bureau du suivi de la tarification et Caisse de compensation) est compatible avec les normes européennes et internationales garantissant le respect de la vie privée et familiale, étant donné que cette dérogation est prévue par la loi, répond à un besoin social impérieux et est, du reste, dans l'intérêt de la personne concernée;
- dès lors que la loi attaquée (art. 16) définit de manière suffisamment claire les composantes essentielles des comportements pénalement répréhensibles, il est satisfait au principe de la légalité des délits et des peines, indépendamment du fait que la définition d'éléments accessoires de ces comportements soit laissée au pouvoir exécutif;
- les versements imposés aux assureurs et aux prêteurs hypothécaires pour permettre à la Caisse de compensation d'accomplir ses missions et de couvrir ses frais de fonctionnement constituent des cotisations de solidarité, comparables à des cotisations de sécurité sociale, et non des impôts ou rétributions dont les éléments essentiels eussent dû être fixés par le législateur;
- l'attribution par la loi attaquée de compétences particulières au réassureur, au Bureau du suivi de la tarification et à la Caisse de compensation ne porte pas atteinte au principe constitutionnel de l'unité du pouvoir réglementaire, étant donné, d'une part, que ces compétences correspondent à des pouvoirs d'évaluation ou d'appréciation, et non à des pouvoirs réglementaires ou à des pouvoirs de décision discrétionnaire, et, d'autre part, que le pouvoir conféré à la Caisse de compensation de fixer le montant des versements nécessaires à l'accomplissement de ses missions et à son fonctionnement constitue une modalité d'exécution de portée limitée et technique, qui est dépourvue de choix politique et que ladite Caisse exerce, du reste, sous le contrôle du pouvoir exécutif, lequel porte une responsabilité politique à l'égard d'une assemblée démocratiquement élue.
[1] | Ces dispositions correspondent aujourd'hui aux art. 21, § 1 et 4, et 154 de la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II) (JOUE L 335, p. 1). |