Article

Cour d'appel Liège, 27/01/2011, R.D.C.-T.B.H., 2011/9, p. 929-931

Cour d'appel de Liège 27 janvier 2011

FAILLITE
Droits des créanciers - Caution - Droit de recours - Sûreté réelle
Une caution peut stipuler un gage sur fonds de commerce en garantie du paiement de son droit de recours.
La caution qui est appelée par le créancier après la faillite du débiteur au paiement de la dette impayée, peut faire une déclaration de créance dans la faillite du débiteur en vue de son action récursoire. Le curateur doit accepter cette action récursoire comme une créance dans le passif privilégié, vu la mise en gage du fonds de commerce qui garantit le droit de recours de la caution.
FAILLISSEMENT
Rechten van schuldeisers - Borgtocht - Regresrecht - Zakelijke zekerheid
Een borgsteller kan tot zekerheid van betaling van zijn regresrecht een pandrecht op de handelszaak bedingen.
De borgsteller die na faillissement van de schuldenaar door de schuldeiser aangesproken werd tot betaling van de onbetaalde schuld, kan een aangifte van schuldvordering doen in het faillissement van de schuldenaar met het oog op zijn regresvordering.
De curator moet deze regresvordering als een schuldvordering in het bevoorrechte passief aanvaarden, gelet op de inpandgeving van de handelszaak die het verhaalsrecht van de borg waarborgt.

G.A. en A.P. q.q. curateurs de SA Adapack-Intermills / NV ING Belgium SA

Siég.: A. Jacquemin, L. Noir et X. Ghuysen (conseillers)
Pl.: Mes G. Saive loco V. Troxquet et L. Defraiteur

Après en avoir délibéré:

Par requête du 7 décembre 2009, maîtres G.A. et A.P. en leur qualité de curateurs à la faillite de la SA Adapack-Intermills, interjettent appel du jugement rendu le 8 septembre 2009 par le tribunal de commerce de Verviers en ce que celui-ci

- admet au passif privilégié de la faillite la créance complémentaire de la SA ING Belgique pour la somme provisionnelle de 1.004.524,26 EUR;

- réserve à statuer quant à leur demande reconventionnelle et renvoie la cause au rôle pour le surplus.

Les faits de la cause ont été correctement relatés par les premiers juges au terme d'un exposé que la cour adopte. Il suffit de rappeler que le litige pose deux questions distinctes:

- celle du caractère privilégié de la créance d'ING Belgique à la suite de son engagement de caution à l'égard d'ING Lease;

- celle du concours entre un créancier gagiste sur fonds de commerce et un créancier exerçant un droit de rétention sur une partie du stock.

Discussion
Quant à la demande principale d'ING Belgique

ING Belgique a consenti une ouverture de crédit à concurrence de 9 millions d'euros à la SA Adapack-Intermills par lettre de crédit du 7 juillet 2005.

Le même jour, la SA ING Lease octroie à la SA Adapack-Intermills un leasing de 6 millions d'euros et ING Belgique se porte caution à l'égard de ING Lease des engagements de la SA Adapack-Intermills. Le contrat de leasing stipule que “le locataire reconnaît, pour autant que de besoin, que la créance que posséderait ING à son égard, au cas où le bailleur aurait fait appel au cautionnement subsidiaire d'ING, est couverte par les sûretés conférées par le locataire à ING, pour garantir tous ses engagements, de quelque nature qu'ils soient, à son égard” (conditions spéciales, B).

La lettre de crédit du 7 juillet 2005 avenue entre ING Belgique et Adapack-Intermills énonce en effet très clairement sous le titre 'Sûretés' que “tous vos engagements nés des relations d'affaires entre notre banque, ING Lease et vous seront garantis par (l')affectation en gage de fonds de commerce en 1er rang, à concurrence de 15.000.000 EUR en principal”.

ING Belgique expose qu'ING Lease aurait pu tout à fait constituer elle-même le gage sur fonds de commerce mais qu'en l'espèce, les parties ont décidé en parfaite connaissance de cause, par souci de facilité et dans l'intérêt bien compris de toutes, de ne créer qu'un seul gage de 15.000.000 EUR n'impliquant qu'une fois les frais de constitution plutôt que deux gages, l'un de 9.000.000 EUR, l'autre de 6.000.000 EUR.

La curatelle ne conteste aucun de ces faits.

Lorsque la SA Adapack-Intermills est déclarée en faillite le 30 mars 2007, ING Belgique déclare le 23 avril 2007, en sa qualité de créancier gagiste sur fonds de commerce, une créance de 3.170.111,71 EUR du chef du solde dû en principal et intérêts de l'ouverture de crédit et une créance d'1 EUR à titre provisionnel du chef de son engagement de caution en faveur d'ING Lease.

Le 15 mai 2008, ING Lease réclame en effet à ING Belgique, après la vente du matériel, la somme de 1.004.524,26 EUR à titre provisoire que ING Belgique lui verse en date du 21 mai 2008.

La créance d'ING Belgique à concurrence de 3.170.111,71 EUR est admise à titre provisionnel privilégié par jugement du tribunal de commerce de Verviers le 6 septembre 2007, sans critique de la curatelle.

En revanche, celle-ci conclut le 4 novembre 2008 devant les premiers juges qu'en ce qui concerne le deuxième volet de la créance d'ING Belgique à raison de la garantie émise en faveur d'ING Lease, “il n'est pas dans les intentions de la curatelle de contester le principe de cette créance mais uniquement son caractère privilégié” (pièce 4 de la procédure d'instance, p. 1), ce qu'elle confirme en appel (conclusions additionnelles et de synthèse, p. 4).

Elle fonde son raisonnement sur ce que la situation de concours collectif qu'entraîne la faillite se caractérise notamment par la cristallisation des droits des créanciers au jour du jugement déclaratif de la faillite, ce qui implique que le passif de cette dernière est cliché à cette date, sans possibilité de l'accroître. Elle poursuit en exposant que si la caution qui a payé peut en théorie opter entre le recours personnel que lui ouvre l'article 2028 du Code civil et le recours subrogatoire que lui reconnaissent les articles 2029 et 1251, 3° du même code contre le débiteur principal, la combinaison de ces règles avec celles relatives au concours emporte que si le paiement fait par la caution intervient après la faillite et la cristallisation du passif, la caution ne peut disposer que d'un recours subrogatoire: “qu'en effet, après la date couperet de l'ouverture de la faillite, aucune nouvelle créance ne peut naître (et que) seules les créances existant à ce moment peuvent être retenues” (ses conclusions, p. 6).

La curatelle en conclut que comme la créance d'ING Lease est chirographaire et que “le subrogé n'exerce pas des droits personnels mais les droits du subrogeant acquis par la subrogation” (Cass. 9 mars 1992, www.juridat.be ), la créance d'ING Belgique ne peut en l'espèce être que chirographaire.

Force est d'observer que la thèse de la curatelle aurait dû amener celle-ci à contester le principe même de la créance déclarée par ING Belgique en sa qualité de caution avant tout paiement.

Or, ING Belgique relève, sans être contredite, que c'est dès les conclusions que la curatelle lui a communiquées le 29 octobre 2007, soit avant tout paiement, que celle-ci a précisé ne pas contester le principe de sa créance mais uniquement son caractère privilégié (voir conclusions ING Belgique, p. 5).

La curatelle s'en explique en exposant qu'en vertu de l'article 2032, 2° du Code civil, elle ne pouvait faire autrement puisque cet article dispose que “la caution, même avant d'avoir payé, peut agir contre le débiteur pour être par lui indemnisée (...) lorsque le débiteur a fait faillite ou est en déconfiture”.

Elle soutient toutefois que c'est en déclarant sa créance et donc en manifestant son intention d'agir contre Adapack-Intermills qu'ING Belgique aurait fait naître le principe de sa créance en sorte que celle-ci serait de toute façon postérieure à la cristallisation du passif et conduirait donc nécessairement à qualifier le recours de subrogatoire.

Elle ne peut être suivie en ce que le principe de la créance n'est pas né de la déclaration de créance.

Il est né de l'engagement contractuel d'ING Belgique en sa qualité de caution. En se rendant caution des obligations souscrites par Adapack-Intermills envers ING Lease, ING Belgique s'est soumise envers ING Lease à satisfaire à ces obligations si Adapack-Intermills n'y satisfaisait pas elle-même (art. 2011 C.civ.), ce qui a fait naître en retour le principe même de sa créance contre Adapack-Intermills si d'aventure elle devait payer à sa place.

Par exception aux articles 2028 et 2029 du Code civil, l'article 2032 du même code dispose que la caution peut agir contre le débiteur, et donc que sa créance à son encontre devient exigible avant tout paiement, dans les cas limités qu'il énumère dont celui de la faillite du débiteur.

La créance de la caution existe donc bien au jour de la déclaration de faillite par l'effet de la loi. Il importe peu qu'elle ait été invoquée par la suite car en tout état de cause, elle grève le patrimoine du débiteur au moment où se forme le concours.

Créancière en sa qualité de caution au moment même où s'est cristallisé le passif de la faillite, ING Belgique était fondée à exercer en l'espèce un recours personnel et donc à opposer à la curatelle le gage sur fonds de commerce régulièrement constitué avant la faillite dont elle disposait en garantie des divers engagements contractés à son égard par la société faillie.

C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont admis la créance complémentaire d'ING Belgique de ce chef au passif privilégié de la faillite.

Quant à la demande reconventionnelle de la curatelle

La curatelle entend faire régler en outre “le concours qui peut exister entre le créancier gagiste sur fonds de commerce, le créancier titulaire d'un droit de rétention et la masse” (conclusions, p. 10).

Elle expose que la SA Gruppo Cordenons, créancière de la SA Adapack-Intermills pour un montant originairement de 5.200.000 EUR, exerce un droit de rétention sur un stock de papier de l'ordre de 2.300 tonnes, que le droit de rétention est opposable à la masse des créanciers en sorte que le prix de réalisation doit revenir au rétenteur, sauf à la masse de récupérer les frais exposés pour la réalisation, mais qu'il reste à savoir si ce droit de rétention est ou non opposable aux créanciers gagistes.

Elle estime “qu'en vue d'éviter une contestation d'ordre au moment du processus de la liquidation et de la clôture de la faillite Adapack-Intermills, il est important pour la curatelle que soit, dès à présent, tranché par la juridiction le concours existant entre le créancier rétenteur d'une part (la SA Gruppo Cordenons) et la défenderesse sur reconvention la SA ING Belgique” et qu'il soit dit “pour droit que la SA Gruppo Cordenons, qui bénéficie du droit de rétention sur une partie des stocks affectés en gage au profit d'ING (Belgique) est titulaire d'un droit qui est opposable aux créanciers gagistes sur fonds de commerce” (conclusions, pp. 11 et 12).

La demande pose à l'évidence d'importants problèmes de recevabilité.

Ainsi, ING Belgique relève expressément dans ses conclusions, même si elle accepte pour le surplus de rencontrer le débat de fond, “qu'à travers les informations qui ont été communiquées par la curatelle, il apparaît que cette question est sans doute devenue sans objet puisque de toute façon les actifs réalisés semblent suffisants pour payer ING Belgique indépendamment de la réalisation des stocks ainsi retenus” (conclusions, p. 15).

Or, pour qu'une action soit recevable, il faut que le demandeur ait intérêt et qualité, l'intérêt requis devant être concret, personnel et direct.

“Les juridictions n'ont pas été instaurées pour résoudre à des fins théoriques des controverses juridiques quelle qu'en soit l'importance scientifique. Le droit que le juge dit et applique doit avoir une incidence concrète sur la situation des parties. En d'autres termes, l'action qui tend seulement à obtenir une manière de consultation est irrecevable” (A. Fettweis, Manuel de procédure civile, 1987, p. 39). Certes, l'article 18, 2ème alinéa du Code judiciaire porte que “l'action peut être admise lorsqu'elle a été intentée, même à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d'un droit gravement menacé” mais les conditions de cette action ne se rencontrent pas en l'espèce.

La curatelle qui ne démontre pas qu'elle sera en toute hypothèse confrontée à la question du concours entre le créancier rétenteur et le créancier gagiste sur fonds de commerce ne justifie pas dans ces conditions l'intérêt voulu à faire trancher cette question en l'état.

Par ailleurs, ainsi que de nouveau ING Belgique l'épingle, force est de relever que la curatelle n'a pas attrait le créancier rétenteur intéressé à la cause en sorte qu'en toute hypothèse, la décision à intervenir ne pourrait lui être opposable.

Comme le litige est indivisible au sens de l'article 31 du Code judiciaire dès lors que l'exécution conjointe de décisions distinctes auxquelles donnerait lieu le règlement du concours entre ces deux créanciers serait matériellement impossible, la curatelle ne justifie pas non plus à cet égard de l'intérêt requis à rendre sa demande recevable.

Il appartiendra à la curatelle d'apprécier, le moment venu, l'opportunité de saisir le tribunal de commerce d'une nouvelle demande, si une situation de concours entre créancier rétenteur et créancier gagiste vient à se produire.

Les dépens

ING Belgique ne peut être suivie lorsqu'elle liquide l'indemnité de procédure au montant de “15.000 EUR (montant provisionnel de 1.004.524,26 EUR)” (conclusions, p. 20).

Le litige ne portant pas sur l'admission de la créance en elle-même mais sur la nature du recours exercé par la caution et par voie de conséquence sur le caractère privilégié ou non de la créance, il ne s'agit pas d'une demande évaluable en argent au sens de l'article 2 de l'arrêté royal du 26 octobre 2007. Seules les indemnités prévues par l'article 3 de l'arrêté sont d'application et il n'est justifié en l'espèce d'aucune raison légale de s'écarter du montant de base de 1.200 EUR par instance.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Reçoit l'appel,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a statué sur la demande principale.

Le réformant pour le surplus,

Dit la demande reconventionnelle irrecevable.

Condamne maîtres G.A. et A.P. en leur qualité de curateurs à la faillite de la SA Adapack-Intermills aux dépens des deux instances liquidés pour la SA ING Belgique au montant de 2.400 EUR.

(…)