Article

Cour d'appel Bruxelles, 16/12/2010, R.D.C.-T.B.H., 2011/9, p. 916-921

Cour d'appel de Bruxelles 16 décembre 2010

CONTINUITE DES ENTREPRISES
Réorganisation judiciaire - Réorganisation judiciaire par accord collectif - Homologation de l'accord - Ordre public - Egalité des créanciers
Il n'y pas lieu de refuser l'homologation d'un plan de réorganisation judiciaire qui repose sur des catégories non arbitraires et qui crée une différenciation proportionnée et non abusive entre créanciers. Le fait de favoriser des créanciers stratégiques n'est en soi pas abusif.
CONTINUITEIT VAN ONDERNEMINGEN
Gerechtelijke reorganisatie - Gerechtelijke reorganisatie door collectief akkoord - Homologatie van het akkoord - Openbare orde - Gelijkheid van schuldeisers
Er is geen reden om de homologatie van een plan te weigeren wanneer het onderscheid tussen categorieën schuldeisers berust op een niet-arbitrair criterium en het plan geen onevenredige en abusieve differentiatie verwezenlijkt. Strategische schuldeisers voorrang geven maakt op zich geen misbruik uit.

Nissim SA / Les Publications Condé Nast SA

Nissim SA / 13524R SA e.a.

Siég.: M.-Fr. Carlier (conseiller)
Pl.: Mes I. Moens, J. Windey et J. Vanden Eynde, G. Ervyn, L. Bermond - I. Moens, J. Windey et P.-A. Leonard, M. Verhaghe, V. De Smet, J. Vanrentergem, A. Naud, L. Bermond
I. La décision entreprise

Les appels sont dirigés contre le jugement prononcé le 3 novembre 2010 par le tribunal de commerce de Bruxelles.

Les parties ne produisent pas d'acte de signification de cette décision.

II. La procédure devant la cour

L'appel est formé par requête, déposée par la SA Nissim (ci-après 'Nissim' ou 'le débiteur') au greffe de la cour, le 4 novembre 2010 (RG 2010/AR/2935) et dirigée contre la SA Les Publications Condé Nast (ci-après 'Condé Nast').

Une requête en intervention volontaire est déposée le 17 novembre 2010 au greffe de la cour par Mme V., M.V., Mme C., Mme B., Mme A., Mme K., Mme L., Mme V., M.D., Mme P.D., M.B., Mme T., M.R. et Mme G., ci-après 'les membres du personnel'.

Un second appel est formé par requête, déposée par Nissim au greffe de la cour, le 22 novembre 2010 (RG 2010/AR/3057) et dirigée contre l'ensemble des créanciers ayant participé au vote à l'exception de Condé Nast.

Des conclusions emportant intervention volontaire en la cause 2010/AR/3057 sont déposées à l'audience du 2 décembre 2010 par les membres du personnel.

A l'audience du 2 décembre 2010, M. Carolus, substitut du procureur général est entendu en son avis.

La procédure est contradictoire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. Par jugement du 28 avril 2010, le tribunal de commerce déclare ouverte la procédure de réorganisation judiciaire sur requête de la société Nissim en vue de lui permettre la recherche d'un accord collectif avec ses créanciers.

2. Le 28 septembre 2010, Nissim dépose son plan de réorganisation au greffe du tribunal de commerce.

Ce plan comporte une partie descriptive et une partie pre­scriptive.

Nissim y expose que “la société a dû se résoudre à proposer à ses créanciers le présent plan de redressement qui s'étale, pour certaines catégories de créanciers, voire qui prévoit, en ce qui concerne les créanciers non stratégiques à la société, des abattements de créance pouvant atteindre 70%. D'autres catégories de créanciers seront remboursées à 100% de leurs créances. Il s'agit de ceux qui participent de son 'écosystème', tels (i) fournisseurs et prestataires indispensables au maintien du produit et qui ont accepté de faire confiance à la société, (ii) les créanciers publics (seul un abandon des intérêts et majoration est prévu) et cela dans le souci de respect de la chose publique, (iii) les établissements de crédits qui bénéficient de créances sursitaires extraordinaires et qui ont accru leur soutien financier à la société en période de redressement judiciaire, telle la banque ING” (plan, p. 4).

Nissim y élabore différentes catégories de créanciers allant de la lettre 'A' à la lettre 'M'.

Condé Nast est une société française qui édite les revues Vogue et Glamour. Elle est titulaire d'une créance de 25.521,25 EUR contre Nissim. Ce créancier est repris dans le plan, dans la catégorie 'K', soit celle des créanciers sursitaires ordinaires 'non stratégiques' qui subissent un abattement de créance de 70%, les 30% restant étant remboursables en 60 mensualités (plan, p. 22).

Hencel & Co est titulaire d'une créance de 18.535,89 EUR. Elle est également reprise dans la catégorie 'K'.

OSD, société luxembourgeoise créée en 2008, est, quant à elle, l'actionnaire de référence de Nissim. Elle est aussi détentrice de la marque 'Olivier Strelli' dont le précédent titulaire était M. Nissim Israel. OSD a concédé à Nissim une licence pour l'utilisation de sa marque. En cette qualité, elle figure parmi les créanciers de Nissim pour un montant de 944.000 EUR. Elle est reprise dans le plan dans la catégorie 'M', soit celle des créanciers sursitaires ordinaires 'stratégiques' qui ne subissent pas d'abattement de créances mais la subordination de leur remboursement au respect du plan proposé et à son exécution complète (plan, p. 23).

3. Dans son rapport déposé au greffe le 30 septembre 2010, le juge délégué conclut en faveur du plan proposé.

4. Le 13 octobre 2010, le plan soumis aux créanciers est approuvé selon les deux majorités requises par l'article 54 de la loi relative à la continuité des entreprises (ci-après 'la LCE'). Quelques créanciers dont Condé Nast et Hencel & Co votent contre ce plan.

Condé Nast conclut au refus d'homologation par le tribunal et dépose des conclusions en ce sens, les 12 et 19 octobre 2010. Ce créancier estime que le plan de réorganisation judiciaire est manifestement contraire à l'ordre public et à l'égalité entre les créanciers dès lors qu'il introduit des inégalités importantes de traitement au sein d'une même catégorie de créanciers que sont les créanciers sursitaires ordinaires, et plus spécifiquement entre les catégories 'K' et 'M'.

La question de l'homologation du plan par le tribunal est examinée à l'audience du 20 octobre 2010.

5. Par jugement rendu le 3 novembre 2010, le tribunal de commerce refuse d'homologuer le plan déposé par Nissim.

6. En appel, Nissim demande à la cour, aux termes de ses conclusions déposées le 30 novembre 2010, de:

- recevoir son appel;

- dire pour droit que ses droits de la défense ont été violés et, partant, annuler le jugement entrepris;

- homologuer le plan voté par les créanciers, le 13 octobre 2010;

- renvoyer la cause au rôle pour le surplus.

Les membres du personnel appuient sa demande d'homologation du plan de réorganisation.

En revanche, Condé Nast conclut à l'irrecevabilité et au non-fondement de l'appel dirigé contre elle.

Hencel & Co conclut également au débouté de l'appel de Nissim et forme intervention volontaire, à titre subsidiaire, dans la cause RG 2010/AR/2935.

IV. Discussion
1. Sur la jonction des causes

7. L'appel introduit par Nissim sous le numéro de rôle 2010/AR/2935 est dirigé contre Condé Nast.

L'appel interjeté par Nissim sous le numéro de rôle 2010/AR/3057 est dirigé contre tous les créanciers, à l'exception de Condé Nast.

Nissim sollicite la jonction de ces deux causes. Condé Nast s'y oppose.

Les appels étant formés contre la même décision, il y a lieu de joindre les deux causes.

2. Sur la recevabilité des appels

8. Condé Nast conclut à l'irrecevabilité de l'appel interjeté sous le numéro de rôle 2010/AR/2935 aux motifs qu'il aurait dû être dirigé contre tous les créanciers de Nissim et non exclusivement contre elle et qu'elle n'a pas une qualité différente des autres créanciers.

9. L'article 56 de la LCE ne définit pas la notion de 'créanciers' “laissant un doute quant aux parties qu'un débiteur doit mettre à la cause lorsqu'il entend former appel à l'encontre d'un jugement de refus d'homologation” (P. Ramquet, “Un an d'application de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises. L'information, l'accord amiable et la réorganisation par accord, amiable ou collectif, des créanciers”, Réorganisation judiciaire, faillite, liquidation déficitaire. Actualités et pratique, CUP, 2010, vol. 120, p. 127).

Celle-ci “doit s'entendre, à défaut de dérogation expresse au Code judiciaire et de l'article 5 de la loi, des 'créanciers ayant fait intervention en la cause'” (Liège 24 juin 2010, 2009/RG/1947; Anvers 7 octobre 2010; en ce sens également, P. Ramquet, o.c., p. 128).

L'article 5 de la LCE prévoit en son 5ème alinéa que “tout intéressé peut intervenir dans les procédures prévues par la présente loi, conformément aux articles 812 à 814 du Code judiciaire” et en son 6ème alinéa qu'“à défaut d'une telle intervention, celui qui, à son initiative ou à celle du tribunal, est entendu ou dépose un écrit pour faire valoir des observations, formuler une demande ou articuler des moyens, n'acquiert pas de ce seul fait la qualité de partie”.

Certes, l'article 56 utilise l'expression 'créanciers' tandis que l'article 5 utilise celle de 'partie'.

Les travaux préparatoires révèlent cependant que “cette disposition [de l'article 5] était nécessaire pour éviter toute ambiguïté quant au statut de 'partie' que peuvent avoir les intéressés à la suite de contacts informels ou plus ou moins formalisés par le tribunal. Ceci permettra de leur assurer une plus grande liberté dans leur action, et, en même temps, évitera à ceux qui sont déjà partie, de devoir se demander qui il faut impliquer lors de l'exercice d'une voie de recours” (Doc.parl. Chambre, n° 52 0160/002, p. 47 cité par A. Zenner, La loi relative à la continuité des entreprises à l'épreuve de sa première pratique, Larcier, 2010, p. 67), ce qui conforte la thèse selon laquelle il n'y a pas lieu de diriger la requête d'appel à l'encontre de tous les créanciers du débiteur mais uniquement contre ceux qui ont fait intervention.

Cette analyse ne méconnaît pas davantage le prescrit de l'article 53 de la LCE, dès lors que, d'une part, les créanciers ont eu l'occasion de prendre connaissance du plan, de faire valoir leurs observations et de manifester leur position dans le cadre de leur vote et, d'autre part, la question soumise au tribunal de commerce et actuellement à la cour concerne une phase ultérieure dans le cadre de la procédure en réorganisation judiciaire, à savoir l'homologation du plan.

Vainement Condé Nast se prévaut-elle également d'un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 10 mars 2010. La présente problématique n'y a point été débattue. L'arrêt invoqué n'a par ailleurs aucune autorité de chose jugée, les parties étant différentes.

10. De même, vainement Condé Nast conteste-t-elle avoir la qualité de 'partie' au sens de l'article 5 de la LCE.

Comme rappelé ci-avant, aux termes du 5ème alinéa de l'article 5 de la LCE, “tout intéressé peut intervenir dans les procédures prévues par la présente loi, conformément aux articles 812 à 814 du Code judiciaire”.

Selon l'article 813 du Code judiciaire, l'intervention volontaire est formée par requête, qui contient, à peine de nullité, les moyens et conclusions. “La qualification donnée à l'acte de procédure importe peu, il faut avoir égard à son contenu et aux caractéristiques incontestablement mises en oeuvre sans qu'il puisse y avoir méprise des parties” (note sous Cass. 27 janvier 2006, JLMB 2006, p. 1053).

In casu, les conclusions principales et ensuite additionnelles déposées par Condé Nast devant le premier juge, les 12 et 19 octobre 2010 - soit avant et après le vote du plan par les créanciers - et soutenues à l'audience du 20 octobre 2010 alors que le plan avait déjà été voté le 13 octobre précédant, valent intervention volontaire au sens de l'article 813 du Code judiciaire. Elles traduisent la volonté certaine de Condé Nast d'être partie à la procédure. Lesdites conclusions principales et additionnelles sont signées par le conseil de Condé Nast. Elles contiennent les moyens de droit développés par Condé Nast, sur lesquels Nissim et Condé Nast se sont expliquées à l'audience du 20 octobre 2010 et sur lesquels Condé Nast invitait le tribunal de commerce à statuer (“plaise au tribunal (...) refuser l'homologation de ce plan de réorganisation judiciaire”).

Le fait d'avoir déposé des conclusions contenant l'ensemble des moyens invoqués à l'appui de sa demande de rejet de l'homologation du plan, conclusions auxquelles le débiteur a lui-même eu l'occasion de répondre, peut être assimilé, nonobstant le fait que cet écrit ne soit pas intitulé requête en intervention volontaire, à une requête au sens des dispositions précitées. Cette conclusion se déduit d'une application du principe d'économie de procédure: en définitive, la qualification donnée à l'acte de procédure importe peu, il faut avoir égard au contenu et aux caractéristiques incontestablement mises en oeuvre sans qu'il puisse y avoir de méprise des parties (Comm. Liège 8 décembre 2009, cité par A. Zenner, J.-P. Lebeau et C. Alter, La loi relative à la continuité des entreprises à l'épreuve de sa première pratique, Larcier, 2010, p. 68; dans le même sens: Liège 24 juin 2010, 2009/RG/1947).

Condé Nast a donc bien la qualité de 'partie'.

11. Il découle des considérations qui précèdent que l'appel dirigé contre Condé Nast est recevable. L'appel dirigé contre les autres créanciers ne l'est en revanche pas, aucun d'entre eux n'ayant la qualité de partie devant le premier juge.

3. Sur l'écartement de pièces

12. Il y a lieu d'écarter des débats le courrier déposé au greffe de la cour par le conseil de Novagraphica Benelux By Pussac le 7 décembre 2010, celui-ci étant déposé après la clôture des débats et ne contenant pas de demande de réouverture de ceux-ci.

4. Sur l'homologation du plan

13. L'article 55 de la LCE dispose que “l'homologation ne peut être refusée qu'en cas d'inobservation des formalités requises par la présente loi ou pour violation de l'ordre public. Elle ne peut être subordonnée à aucune condition qui ne soit pas prévue au plan, ni apporter quelque modification que ce soit”.

“Selon les travaux préparatoires, 'le tribunal homologuera en principe le vote des créanciers, sauf dans des circonstances exceptionnelles'. Seule l'inobservation des formalités détaillées par la loi et la violation de l'ordre public entendu en son sens le plus strict lui permettront de refuser l'homologation. La volonté du législateur est claire: le tribunal n'a pas à porter de jugement de valeur ni de pertinence sur le plan dès lors que celui-ci a été voté à la double majorité des créanciers dont les droits sont affectés. En synthèse, l'appréciation des créanciers prime sur celle du tribunal” (P. Ramquet, o.c., p. 124). Les travaux préparatoires précisent que le juge “veillera à ne pas qualifier d'ordre public ce qui ne l'est pas. De simples dispositions de droit impératif ne sont pas encore des dispositions d'ordre public” (Doc.parl. Chambre, n° 52 0160/002, p. 70).

14. Une fois voté, le plan de réorganisation est, au stade de l'homologation, à prendre ou à laisser par le tribunal (A. Zenner, “Le bon plan. Elaboration, vote et homologation du plan de réorganisation judiciaire” in La loi sur la continuité des entreprises: premiers enseignements, séminaire organisé le 24 novembre 2010 à Verviers).

La décision prise le 15 octobre 2010 par le conseil d'administration de OSD de convertir à terme sa créance subordonnée en capital, et mise en exergue par Nissim pour conclure à l'absence d'objet de la contestation soulevée par Condé Nast, n'est donc pas relevante. Cette décision constitue 'un élément extrinsèque' au plan dès lors qu'elle n'est pas reprise dans le plan tel que voté par les créanciers, le 13 octobre 2010, et soumis à l'homologation du tribunal.

Il en est de même de l'observation de Condé Nast selon laquelle Nissim aurait 'vidé les caisses' avant de déposer sa requête en réorganisation judiciaire, un dividende de 2,2 millions d'euros ayant été versé à son actionnaire unique, OSD, au terme de l'assemblée générale du 30 juin 2010. Cette question est étrangère à celle soumise au tribunal de commerce et ensuite à la cour, à savoir l'homologation du plan de réorganisation tel que voté par les créanciers. Nissim relève que le dividende incriminé est au demeurant afférent à l'année 2008.

15. Selon Condé Nast, le plan de réorganisation proposé par Nissim viole “non seulement les formalités requises par la présente loi, à savoir l'article 49, mais également le principe constitutionnel d'égalité (en l'occurrence des créanciers) ou plus précisément de proportionnalité”, ce 'créancier-actionnaire' bénéficiant d'un traitement de faveur.

L'article 49 de la LCE prévoit que “le plan indique les délais de paiement et les abattements de créances sursitaires en capital et intérêts proposés. Il peut prévoir la conversion de créances en actions et le règlement différencié de certaines catégories de créances, notamment en fonction de leur ampleur ou de leur nature. Le plan peut également prévoir une mesure de renonciation aux intérêts ou de rééchelonnement du paiement de ces intérêts, ainsi que l'imputation prioritaire des sommes réalisées sur le montant principal de la créance”.

Les articles 10 et 11 de la Constitution consacrent les principes d'égalité des Belges devant la loi et de non-discrimination.

16. Quant à la création de catégories 'K' et 'M' distinctes, Nissim expose qu'elle repose sur le caractère stratégique ou non du partenariat avec ses créanciers sursitaires ordinaires.

Dans son plan, Nissim précise à cet égard, comme mentionné ci-avant, que “la société a dû se résoudre à proposer à ses créanciers le présent plan de redressement qui s'étale, pour certaines catégories de créanciers, voire qui prévoit, en ce qui concerne les créanciers non stratégiques à la société, des abattements de créance pouvant atteindre 70%. D'autres catégories de créanciers seront remboursées à 100% de leurs créances. Il s'agit de ceux qui participent de son 'écosystème', tels (i) fournisseurs et prestataires indispensables au maintien du produit et qui ont accepté de faire confiance à la société, (ii) les créanciers publics (seul un abandon des intérêts et majoration est prévu) et cela dans le souci de respect de la chose publique, (iii) les établissements de crédits qui bénéficient de créances sursitaires extraordinaires et qui ont accru leur soutien financier à la société en période de redressement judiciaire, telle la banque ING” (plan, p. 4).

Elle ajoute que “sont considérés comme stratégiques, les fournisseurs et prestataires dont le partenariat est indispensable à l'entreprise pour poursuivre ses activités et réussir son redressement définitif. Il s'ensuit que Nissim ne peut prendre le risque de les voir eux-mêmes confrontés à une situation de discontinuité. La poursuite de la relation est consubstantielle de la réalisation des mesures énoncées plus haut” (plan, p. 19).

Si OSD est effectivement l'actionnaire de référence de Nissim et entend maintenir sa confiance dans le développement de Nissim (plan, p. 3), elle est néanmoins également titulaire de la marque 'Olivier Strelli'. A défaut pour Nissim de pouvoir encore apposer ce signe distinctif sur ses produits, ceux-ci perdraient en très grande partie leur valeur sur le marché et mettrait fondamentalement à mal l'activité de Nissim puisqu'elle consiste précisément en la création, la fabrication et la distribution d'articles de prêt-à-porter sous la marque Olivier Strelli. OSD est un partenaire commercial dont le concours est nécessaire et même indispensable au redressement et à la continuité de Nissim.

Le fait qu'OSD soit simultanément l'actionnaire de référence de Nissim et se dit prête à patienter cinq ans avant de pouvoir réclamer le remboursement de sa créance ne lui enlève pas sa qualité de créancier sursitaire ordinaire dont le partenariat est indispensable à Nissim.

Vainement Condé Nast soutient-elle qu'OSD ne répond pas à la définition de créancier 'stratégique' dès lors qu'elle ne court aucun risque de discontinuité étant en mesure d'attendre cinq ans. La volonté de Nissim de ne pas prendre le risque de voir ces créanciers eux-mêmes confrontés à une situation de discontinuité s'inscrit dans le cadre du traitement proposé ('il s'ensuit que') par Nissim dans son plan et non de la définition du créancier 'stratégique' qu'elle donne.

Quant à Condé Nast, fournisseur d'un service de publication de publicités pour les magasins français de Nissim, elle ne fait pas partie de “ceux qui participent de [l']'écosystème'” de Nissim. Au demeurant, cette dernière a décidé de se défaire des magasins français (plan, p. 4) en sorte que la collaboration de Condé Nast n'est pas indispensable.

Hencel & Co n'apparaît pas davantage comme un créancier dont le soutien est nécessaire au redressement et à la continuité de Nissim.

Le fait de distinguer OSD des autres créanciers sursitaires ordinaires ne repose pas sur l'arbitraire. Il y a une justification objective et raisonnable à la création de catégories 'K' et 'M' distinctes, même si la catégorie 'M' ne comporte qu'un créancier.

Les créances de OSD et des autres créanciers sursitaires ordinaires 'non stratégiques' ne sont pas objectivement comparables et justifient un traitement différencié.

17. En ce qui concerne ce traitement différencié, Condé Nast l'estime disproportionné, voire abusif.

Il convient de relever à cet égard que OSD n'est pas le seul créancier sursitaire ordinaire 'stratégique'. Au sein de cette catégorie, Nissim a créé des sous-catégories bénéficiant de traitements différenciés. Leur point commun est celui du remboursement intégral en principal de leur créance sursitaire. Les modalités de remboursement diffèrent.

Les catégories 'F', 'I' et 'J' regroupent ainsi d'autres créanciers dits 'stratégiques' ou des créanciers qualifiés d''indispensables'. Ceux-ci se voient proposer le remboursement intégral de leur créance sursitaire sur une période allant de 9 à 60 mois (plan, p. 19).

La volonté d'éviter tout risque de discontinuité dans le chef des créanciers 'stratégiques' n'est donc pas le critère exclusif, comme le prétend Condé Nast. Si tel avait été le cas, aucune distinction n'aurait été opérée sur base de la durée de remboursement.

Comme ces autres créanciers sursitaires ordinaires 'stratégiques' qui bénéficieront d'un remboursement intégral, OSD voit admis le principe d'un remboursement intégral de sa créance sursitaire. Mais à l'inverse de ceux-ci, OSD a accepté de subordonner ce remboursement au respect du plan proposé aux créanciers et à son exécution complète. Elle est dès lors moins bien traitée que les autres créanciers sursitaires ordinaires 'stratégiques'.

OSD assume une part du risque de non-aboutissement du plan. En effet, à supposer que le plan de réorganisation soit ultérieurement révoqué, celui-ci sera privé de tout effet sauf pour ce qui concerne les paiements et les opérations déjà effectués (art. 58 de la LCE). En d'autres termes, les paiements effectués en faveur des autres créanciers sursitaires ordinaires 'stratégiques' et des créanciers sursitaires ordinaires 'non stratégiques' dont Condé Nast et Hencel & Co leur resteront acquis, tandis que OSD n'aura rien perçu.

Dans l'hypothèse inverse, soit l'aboutissement heureux du plan de réorganisation, OSD se retrouva effectivement dans la situation où 100% de sa créance est remboursable, mais:

1. elle restera toujours dans une position moins favorable que les autres créanciers sursitaires ordinaires stratégiques, ceux-ci ayant bénéficié du remboursement intégral de leur créance pendant l'exécution du plan;

2. il n'existe aucune certitude que Nissim disposera au terme de l'exécution du plan des fonds nécessaires pour rembourser OSD.

La jurisprudence dont fait état Hencel & Co (Comm. 10 mars 2005, H:04/00109, pièce 1 de son dossier) n'est pas pertinente dès lors que l'exemple visé ne s'apparente nullement au cas d'espèce, la créance détenue par l'actionnaire consistant en un solde d'une avance reprise en compte courant.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il n'apparaît pas que le traitement réservé à OSD soit disproportionné ou abusif au regard de celui prévu pour les autres créanciers sursitaires ordinaires 'stratégiques' et les créanciers sursitaires ordinaires 'non stratégiques' dont Condé Nast et Hencel & Co.

In casu, l'inégalité de traitement est liée à une différence de position susceptible d'une “justification objective dans un rapport d'adéquation raisonnable aux fins légitimes recherchées”.

18. Partant, que ce soit au regard de l'article 49 de la LCE ou des principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination devant la loi, il n'y a aucun motif de refuser l'homologation du plan de réorganisation élaboré par Nissim et ayant accueilli l'approbation des deux majorités requises. Il n'apparaît pas que les formalités requises par la LCE ou l'ordre public aient été violées.

19. L'examen des autres moyens (violation des droits de la défense de Nissim, ...) est surabondant et ne saura amener la cour à un dispositif autre de celui qui résulte de la discussion des moyens précédents.

4. Sur les dommages et intérêts pour action téméraire et vexatoire

20. Devant le premier juge, Nissim a sollicité la condamnation de Condé Nast au paiement de 5.000 EUR à titre de dommages et intérêts pour contestation téméraire et vexatoire.

Déboutée de cette demande, elle a interjeté appel sur ce point et demande dans sa requête d'appel de condamner Condé Nast au paiement de 5.000 EUR provisionnels.

Actuellement, elle demande toutefois que cette demande soit renvoyée au rôle, “des débats complémentaires étant nécessaires relativement à cette question dans la mesure où toutes les retombées du comportement de Condé Nast sont encore difficilement évaluables”.

Condé Nast entend pour sa part que cette question soit vidée.

21. Pour que Nissim puisse prétendre au paiement de dommages et intérêts, il lui appartient non seulement de démontrer l'existence d'un dommage dans son chef mais également d'une faute dans celui de Condé Nast en relation causale avec ce dommage.

L'attitude procédurale de Condé Nast ne pouvant d'ores et déjà être qualifiée de téméraire ou vexatoire, il n'y a aucun motif de renvoyer cette demande au rôle pour permettre à Nissim de chiffrer son prétendu dommage.

Il n'apparaît pas que Condé Nast ait exercé son droit de faire valoir sa position devant le premier juge lors du vote ou de l'homologation du plan ou dans le cadre de la procédure d'appel d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente et ce, d'autant moins que la LCE est une loi récente dont l'application de certaines dispositions suscite encore certaines controverses.

Ce chef de demande n'est dès lors pas fondé.

V. Dispositif

Pour ces motifs, LA COUR,

1. Joint les appels introduits sous les numéros 2010/AR/2935 et 2010/AR/3057 du rôle général de la cour;

2. Reçoit l'appel dans la cause 2010/AR/2935 et le dit fondé;

Dit l'appel dans la cause 2010/AR/3057 irrecevable;

Réforme le jugement entrepris sauf en tant qu'il déboute la SA Nissim de sa demande de paiement de dommages et intérêts;

Statuant à nouveau pour le surplus,

Homologue le plan de réorganisation de la SA Nissim, dont le siège social est établi à 1190 Bruxelles, rue des Anciens Etangs, 40, inscrite à la BCE sous le numéro 0415.112.488, tel qu'il a été approuvé par les créanciers sursitaires à l'audience du tribunal de commerce de Bruxelles du 13 octobre 2010;

Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt au Moniteur belge par les soins du greffe;

3. Donne acte aux membres du personnel et à la SA Hencel & Co de leur intervention volontaire respective;

4. Met les dépens de première instance et d'appel de la SA Nissim à charge de la SA Les Publications Condé Nast, non liquidés en l'absence d'état de frais.

(…)