Article

Cour d'appel Bruxelles, 29/04/2010, R.D.C.-T.B.H., 2011/9, p. 904-907

Cour d'appel de Bruxelles 29 avril 2010

CONTINUITE DES ENTREPRISES
Mesures conservatoires - Article 28 LCE - Désignation d'un administrateur provisoire - Conditions
La désignation d'un administrateur provisoire trouve sa cause dans la nécessité d'ecarter des organes soupçonnés de porter préjudice aux intérêts de la société pendant la période du sursis et de ses créanciers.
La désignation d'un administrateur provisoire constitue dès lors une mesure grave et exceptionnelle, raison pour laquelle elle est assortie de conditions de forme contraignantes, respectant les droits de défense (rapport du juge délégué et audition préalable).
CONTINUITEIT VAN ONDERNEMINGEN
Bewarende maatregelen - Artikel 28 WCO - Aanstelling voorlopig bestuurder - Toepassingsvoorwaarden
De aanstelling van een voorlopig bestuurder kan enkel gebeuren wanneer het noodzakelijk blijkt om het bestuursorgaan te verwijderen omwille van de gerechtvaardigde verdenking dat ze nadeel zullen berokkenen aan de vennootschap en haar schuldeisers tijdens de opschortingsperiode.
De aanstelling van een voorlopig bestuurder is bijgevolg een ernstige en uitzonderlijke maatregel, zodat er strikte vormvoorschriften gelden om de rechten van verdediging te respecteren (verslag van de gedelegeerd rechter en het voorafgaand horen van de partijen).

Agenet Belgium Services SPRL / S.M.-A.

Siég.: H. Mackelbert, M.-Fr. Carlier et M. Moris (conseillers)
Pl.: Mes Ph. Bossard et J.-Fr. Dascotte
I. Décision entreprise

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement le 8 mars 2010 par le tribunal de commerce de Nivelles, dont la notification, datée du 11 mars 2010, est déposée à la poste le 12 mars et réceptionnée le 15 mars.

II. Procédure devant la cour

L'appel est formé par requête, déposée par Agenet Belgium Services (dénommée ci-après 'Agenet') au greffe de la cour, le 15 mars 2010.

A l'audience du 15 avril 2010, M. J.-F. Godbille, substitut du procureur général, est entendu en son avis.

La procédure est contradictoire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Faits et antécédents de la procédure

1. Les sociétés du groupe Agenet sont actives dans le secteur du nettoyage et des services à domicile.

Le 13 janvier 2010, Agenet dépose au tribunal de commerce de Nivelles une requête en réorganisation judiciaire en vue d'obtenir des termes et délais de ses créanciers et de réorganiser ses structures administratives.

Par ordonnance du 14 janvier 2010, le président du tribunal de commerce de Nivelles désigne M. Remy en qualité de juge délégué.

Ce dernier dépose un rapport le 20 janvier 2010, par lequel il conclut que la demande lui paraît recevable, mais qu'à son estime une réorganisation par transfert sous autorité de justice lui paraît plus appropriée et que la désignation d'un mandataire de justice pourrait déboucher sur une clarification des liens entre les différentes sociétés du groupe qui ont toutes introduit une requête semblable.

Par jugement du 1er février 2010, le tribunal reçoit la demande, déclare ouverte la procédure de réorganisation judiciaire, dit que le sursis se terminera le lundi 8 mars 2010 et invite Agenet à conclure avec tous ses créanciers un accord amiable sous la surveillance du juge délégué.

2. Le 25 février 2010, Agenet dépose une requête en prorogation du sursis, sur la base de l'article 38, § 1er de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises. Elle expose que le délai de sursis qui lui a été octroyé par le tribunal est insuffisant pour lui permettre de conclure des accords amiables avec l'ensemble de ses créanciers, d'autant plus qu'elle a conscience que la concrétisation de ceux-ci passera nécessairement par la réalisation de certains actifs et que l'existence d'un groupe de sociétés interconnectées sur le plan comptable nécessite une concertation entre elles.

Le 5 mars 2010, le juge délégué dépose un second rapport par lequel il conclut que le plan ne semble pas correspondre à l'article 43 de la loi, dès lors qu'Agenet négocie la cession des fonds de commerce. Si le tribunal devait accorder une prorogation limitée du sursis, il reste persuadé que la désignation d'un mandataire de justice donnerait au tribunal une situation plus claire des opérations envisagées.

Le procureur du Roi s'oppose à la prorogation du sursis si Agenet ne sollicite pas la désignation d'un mandataire de justice.

Par le jugement entrepris, le tribunal, après avoir acté que le procureur du Roi avait sollicité la désignation d'un administrateur provisoire - ce qu'Agenet conteste - proroge le sursis jusqu'au 17 mai 2010 et désigne Me S. en qualité d'administrateur provisoire. Il considère qu'Agenet fait preuve, à plus d'un titre de mauvaise foi et de fautes graves pour les motifs suivants:

- elle n'a pas souhaité solliciter la désignation d'un mandataire de justice ni le transfert de son entreprise sous autorité de justice;

- elle est restée en défaut de négocier un accord amiable avec ses créanciers, alors que le délai d'un mois qui lui avait été accordé était suffisant;

- elle a adopté une attitude négative à l'égard du juge délégué qui n'a pas reçu les informations indispensables à l'exécution de sa mission;

- elle n'a pas suivi les conclusions et les recommandations émises par le juge délégué;

- elle négocie personnellement deux transferts d'entreprises sans se faire assister d'un mandataire de justice.

3. Agenet interjette appel de cette décision, uniquement en ce qu'elle désigne un administrateur provisoire, et sollicite que la cour poursuive elle-même la procédure de réorganisation judiciaire.

IV. Discussion

4. L'article 28, § 1er de la loi dispose que:

En cas de faute grave et caractérisée ou de mauvaise foi manifeste du débiteur ou d'un de ses organes, le tribunal peut, à la demande de tout intéressé et du ministère public et dans le jugement qui ouvre la procédure de réorganisation judiciaire ou dans un jugement ultérieur, le débiteur entendu et le juge entendu dans son rapport, leur substituer pour la durée du sursis un administrateur provisoire chargé d'administrer l'entreprise de la personne physique ou morale.

Une des caractéristiques de la nouvelle loi est la disparition du commissaire au sursis, tel qu'il était prévu à l'article 15 de l'ancienne loi relative au concordat judiciaire.

Avec la disparition du commissaire au sursis, le débiteur qui entreprend une réorganisation judiciaire ne subit ni dépossession ni même quelque intervention tierce dans sa gestion. Même dans le cas exceptionnel de la désignation d'un mandataire chargé, à la demande d'un intéressé, de l'assister dans cette réorganisation, le débiteur reste en principe à la tête de ses affaires. Mais, en cas de faute grave et caractérisée ou en cas de mauvaise foi manifeste, il peut cependant se justifier de substituer aux organes un administrateur provisoire chargé de gérer l'entreprise (A. Zenner, La nouvelle loi sur la continuité des entreprises, Anthemis, 2009, p. 88, n° 53).

La faute grave et caractérisée s'apparente à celle qui est visée aux articles 265 et 530 du Code des sociétés, à savoir des pratiques frauduleuses ou la transmission d'informations fausses au tribunal (P. Coussement, “De wet op de continuïteit van de ondernemingen van 31 januari 2009”, RDC 2009, p. 303, n° 60).

Quant à la mauvaise foi manifeste, il s'agit de la même notion que celle qui est contenue dans l'article 15 de l'ancienne loi relative au concordat judiciaire, aux termes duquel le tribunal pouvait néanmoins accorder le sursis provisoire pour autant qu'il soit suffisamment garanti que le responsable de l'entreprise qui avait fait preuve d'une telle mauvaise foi, soit écarté de la direction (A. Zenner, o.c., p. 88, note de base de page n° 210).

Il s'en déduit que la désignation d'un administrateur provisoire trouve sa cause dans la nécessité d'écarter des organes soupçonnés de porter préjudice aux intérêts de la société pendant la période du sursis et de ses créanciers.

La désignation d'un administrateur provisoire constitue dès lors une mesure grave et exceptionnelle, raison pour laquelle elle est assortie de conditions de forme contraignantes, respectant les droits de la défense (rapport du juge délégué et audition préalable du débiteur).

5. La cour constate d'emblée qu'aucun reproche n'a jamais été formulé contre les administrateurs d'Agenet quant à leur gestion, tant avant qu'après le dépôt de la requête en réorganisation.

Il n'est par ailleurs pas soutenu qu'ils auraient commis des malversations, prélevé des sommes excessives, tenu une fausse comptabilité ou posé des actes ayant entraîné une augmentation du passif, portant préjudice à la société ou ses créanciers.

6. La désignation d'un mandataire de justice pour assister le débiteur dans sa réorganisation judiciaire, telle qu'elle est visée à l'article 27 de la loi, ne peut être imposée au débiteur. La loi prévoit expressément qu'il lui appartient d'en faire la demande.

Une telle désignation ne s'impose que dans des réorganisations de grande ampleur, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Le fait pour Agenet de ne pas avoir suivi les conclusions et recommandations du juge délégué ne peut donc être considéré comme une faute grave et caractérisée ou comme l'indice d'une mauvaise foi dans son chef. A cet égard, il convient de rappeler qu'il n'y a pas lieu de confondre le juge délégué avec le commissaire au sursis, même si d'aucuns regrettent sa disparition. La mission du juge délégué est de veiller au respect de la loi en surveillant les opérations pendant toute la durée du sursis et de faire rapport au tribunal, mais pas de prendre des initiatives; tout au plus peut-il entendre toute personne dont il estime l'audition utile à son enquête et demander au débiteur toute information requise pour apprécier sa situation (cf. art. 18, 3ème al. de la loi).

En l'espèce, la désignation d'un mandataire de justice pouvait légitimement paraître inutile à Agenet, dès lors qu'elle était et est toujours assistée par un cabinet d'avocats spécialisés.

7. Il ne convient pas davantage de confondre la réorganisation par transfert de tout ou partie de l'entreprise ou de ses activités sous autorité judiciaire, avec la cession volontaire d'actifs, telle qu'elle est prévue et autorisée par l'article 51 de la loi. C'est donc à tort que le premier juge soutient qu'un tel transfert nécessitait l'assistance d'un mandataire de justice.

Il ne peut donc être reproché à Agenet d'avoir entrepris des démarches en vue de rechercher des amateurs pour l'un ou l'autre de ses fonds de commerce.

Dans sa requête introductive, Agenet précisait déjà que les termes et délais qu'elle solliciterait de ses créanciers devaient lui permettre d'examiner les opportunités de trouver un ou des repreneurs pour tout au partie des activités et de réorganiser les structures administratives existantes au format de la nouvelle organisation. Par ailleurs, dans sa requête en prolongation de la durée du sursis, Agenet informait le tribunal que la concrétisation des accords amiables devait nécessairement passer par la réalisation de certains actifs. Elle a donc fait preuve de transparence à cet égard et n'a pas essayé d'abuser le tribunal. Il ne peut donc être soutenu qu'elle serait de mauvaise foi.

Au demeurant, il y a lieu de rappeler que l'article 39 de la loi dispose que l'objectif de la procédure peut à tout moment être modifié sur demande du débiteur.

Il était donc prématuré, un mois à peine après le dépôt de la requête, de faire grief à Agenet d'avoir voulu modifier son plan de réorganisation.

En tout cas, la négociation personnelle d'un transfert de tout ou partie de l'entreprise ne peut être considérée comme une faute grave puisqu'elle est autorisée par la loi.

8. Le délai d'un mois accordé par le tribunal pour conclure un accord amiable était manifestement insuffisant.

Le tribunal en a eu conscience lui-même, puisqu'il a fait droit à la demande de prorogation et ne s'est pas saisi de ce fait pour ordonner la fin anticipée de la procédure.

Il ne pouvait donc, dans le même jugement, considérer que le fait de ne pas avoir conclu un accord dans le délai d'un mois constituait une faute grave dans le chef du débiteur.

9. Le tribunal et le juge délégué font encore grief à Agenet de ne pas avoir transmis de nouvelle situation comptable du groupe.

A l'audience du 15 avril 2010, l'administrateur provisoire a confirmé qu'il n'était pas facile d'actualiser au jour le jour les comptes consolidés du groupe, mais qu'il était en possession de ceux des filiales, ce qui était le plus important, puisque toute l'activité économique se réalisait au travers d'elles. Le dossier de pièces contient d'ailleurs pour les filiales un bilan provisoire au 31 décembre 2009. L'administrateur provisoire a également fait part à la cour que, nonobstant l'absence des comptes du groupe, il avait une vue claire de l'évolution de la situation des filiales, ce qui lui permettait d'affirmer qu'il n'avait rien constaté d'anormal dans la gestion des sociétés et que les administrateurs avaient même accepté de ne plus être rémunérés pour favoriser l'apurement des dettes envers l'ONSS, principal créancier.

Il s'en déduit une nouvelle fois qu'aucune mauvaise foi ne peut être imputée aux dirigeants d'Agenet.

En toute hypothèse, la loi dispose que le débiteur doit fournir une situation comptable ne datant pas de plus de trois mois, ce qui a été respecté en l'espèce. Même si elle permet au juge délégué de demander au débiteur toute information utile pour apprécier sa situation, la loi ne requiert pas la communication d'initiative au juge délégué d'une situation actualisée après l'octroi du sursis.

Le grief n'est donc pas fondé.

10. Par ailleurs, il n'apparaît pas du dossier de la procédure et plus particulièrement du procès-verbal de l'audience du 8 mars 2010 que le juge délégué a fait un rapport spécial sur la demande verbale de désignation d'un administrateur provisoire formulée par le procureur du Roi ni qu'Agenet aurait été entendue spécialement sur cette demande.

Le procès-verbal mentionne uniquement:

Madame Chantal Hemeryck, administrateur-délégué + Mes Bonard et Descotte sont entendus après rapport J.D. Débats clos - avis PR sans réplique.

Le caractère lacunaire de ce procès-verbal ne permet pas de dire si le rapport du juge délégué dont il est question est celui sur la demande en prorogation du sursis (dont une copie est au dossier de la procédure) ou sur la demande formulée à l'audience par le procureur du Roi. Il en est de même de l'audition de l'administrateur délégué d'Agenet et de ses conseils. Or, ces derniers contestent dans leur requête d'appel que le juge délégué ait fait rapport sur ce point et qu'ils ont été entendus à ce sujet.

Eu égard au caractère grave et exceptionnel que revêt la désignation d'un administrateur provisoire, il importe que les droits de la défense soient scrupuleusement respectés et qu'une mention spéciale du rapport et de l'audition du débiteur soit faite au dossier de la procédure, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

11. Il se déduit de ce qui précède que la décision entreprise a méconnu les règles de forme imposées par l'article 28 de la loi et qu'elle s'appuie sur des motifs qui ne sont pas fondés.

Elle doit donc être mise à néant.

12. Les frais et honoraires de l'administrateur provisoire doivent être mis à charge de l'Etat.

Quant à l'indemnité de procédure, l'affaire n'est pas d'une complexité telle qu'il faille s'écarter du montant de base.

13. Pour le surplus, il appartient au tribunal de commerce de poursuivre la procédure. De jurisprudence constante, tel était déjà le cas sous l'empire de l'ancienne loi relative au concordat judiciaire, dans la mesure où l'organisation de la cour ne lui permet pas de confier des missions à des juges consulaires ou de demander à ceux qui ont été nommés par le tribunal de lui faire rapport et encore moins d'intervenir dans le cadre des accords collectifs et des transferts sous autorité de justice, notamment en convoquant les créanciers. Rien ne justifie qu'il n'en soit plus ainsi sous le couvert de la nouvelle loi.

L'appel sur la désignation d'un administrateur provisoire ne saisit pas la cour de l'ensemble du litige.

V. Dispositif

Pour ces motifs, LA COUR,

1. Dit l'appel recevable et fondé.

2. Met le jugement entrepris à néant uniquement en ce qu'il a désigné Me M.-A.S. en qualité d'administrateur provisoire de la société privée à responsabilité limitée Agenet Belgium Services dont le siège social est établi à 1420 Braine-l'Alleud, place de la Gare, 15, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0864.218.629.

3. Ordonne la publication du présent arrêt au Moniteur belge, sous forme d'extrait, aux frais de l'Etat belge.

4. Met les frais et honoraires de l'administrateur provisoire à charge de l'Etat belge.

5. Renvoie la cause au tribunal de commerce de Nivelles auquel il appartiendra de statuer sur la poursuite de la procédure.

6. Met les dépens d'appel à charge de l'Etat belge.

Ces dépens s'élèvent à 186 EUR + 1.200 EUR.

(…)