Article

Excusabilité du failli, libération du conjoint et protection de son patrimoine propre, R.D.C.-T.B.H., 2011/9, p. 881-886

FAILLITE
Liquidation - Excusabilité du failli - Libération du conjoint - Patrimoine propre - Hypothèque
Le conjoint du failli, qui est codébiteur avec celui-ci d'une dette contractée avant la faillite par les deux époux et qui est dès lors personnellement tenu, est libéré de son obligation à cette dette par l'effet de l'excusabilité.
FAILLISSEMENT
Vereffening - Verschoonbaarheid van de gefailleerde - Bevrijding van de echtgenoot - Eigen vermogen - Hypotheek
De echtgenote van de gefailleerde, die samen met deze laatste als medeschuldenaar gehouden is voor een schuld aangegaan voor het faillissement door de twee echtgenoten en die bijgevolg persoonlijk gehouden is, wordt door de verschoonbaarheid bevrijd van deze schuld.
Excusabilité du failli, libération du conjoint et protection de son patrimoine propre
David Pasteger [1]
I. Les faits et la procédure à l'origine de l'arrêt annoté

1.La défenderesse en cassation est l'épouse, mariée sous le régime de la séparation des biens, d'un commerçant déclaré en état de faillite le 8 mai 2006 et reconnu excusable l'année suivante. La SA Fortis Banque, demanderesse en cassation, a déposé créance à la faillite pour le solde de deux crédits, dont un crédit d'habitation destiné à financer l'acquisition de la maison d'habitation du couple, accordés aux conjoints en qualité de codébiteurs. La créance de la banque est assortie de deux garanties hypothécaires. La première grève la résidence des époux. Le second immeuble hypothéqué appartient, pour la nue-propriété, à la défenderesse et, pour l'usufruit, à la mère de cette dernière (tiers affectant hypothécaire) qui y est domiciliée. Les actifs de la faillite, en ce compris la réalisation de l'immeuble d'habitation des époux, n'ayant pas suffi à désintéresser la banque, elle a choisi de poursuivre l'apurement du solde des crédits par la mise en oeuvre de son droit d'hypothèque sur l'immeuble donné en garantie par la défenderesse et sa mère. En date du 21 septembre 2006, la défenderesse avait toutefois déposé - sur pied de l'article 72bis de la loi sur les faillites - une déclaration de 'sûreté personnelle' et postulait par conséquent la décharge de son engagement.

2.Par son arrêt du 24 février 2009 [2], la cour d'appel de Liège a fait droit à la demande de décharge. Elle a estimé que, la défenderesse en cassation étant personnellement obligée à la dette de son époux failli, elle est libérée [3] - conformément à l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites - par l'effet de l'excusabilité. Une telle libération excluant toute mesure d'exécution forcée de la créance en cause, la banque ne pouvait mettre en oeuvre l'action hypothécaire par la saisie exécution de l'immeuble de la défenderesse. La décision de la cour d'appel de Liège a été confirmée par l'arrêt annoté [4].

II. Une mise en contexte de l'arrêt annoté: l'étendue de la libération du conjoint du failli

3.Par son arrêt du 24 février 2011, la Cour de cassation a été invitée à préciser l'étendue de la libération du conjoint du débiteur failli telle que prévue par l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites. Cette disposition trouve-t-elle à s'appliquer aux dettes qui concernent personnellement le conjoint du failli - et depuis la loi du 18 juillet 2008 [5], également son ex-conjoint [6] - ou bien est-elle, au contraire, limitée aux seules 'dettes propres au failli' [7]?

4.L'article 82, 2ème alinéa de la loi du 8 août 1997 dispose désormais [8] que “le conjoint du failli qui est personnellement obligé à la dette de son époux ou l'ex-conjoint qui est personnellement obligé à la dette de son époux contractée du temps du mariage est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité”. Partant du constat que ce texte n'offre de libérer le conjoint que dans le cas où ce dernier est personnellement obligé [9] 'à la dette de son époux', une certaine doctrine a estimé devoir refuser au conjoint le bénéfice de la libération lorsque ce dernier est directement concerné par la dette du failli. Par 'dette par laquelle le conjoint est directement concerné', il faudrait entendre celle dont il lui incombe de supporter tout ou partie du poids au stade du recours contributoire [10]. Ainsi, selon Mmes Biquet-Mathieu et Notarnicola, “pour que le conjoint soit libéré du seul fait de l'excusabilité du failli, il faut qu'il s'agisse d'une dette du failli pour laquelle il est engagé - contractuellement ou légalement, peu importe - en qualité de tiers garant, par exemple comme caution ou codébiteur non concerné par la dette. L'article 82, 2ème alinéa vise en effet le conjoint du failli qui est personnellement obligé 'à la dette de son époux'” [11]. En d'autres termes, le conjoint du failli est libéré du seul fait de l'excusabilité de son époux si, et seulement si, la dette 'concerne' uniquement son époux, au sens où ce terme est employé par l'article 1216 du Code civil. A l'inverse, le conjoint du failli ne pourra jouir de l'excusabilité lorsque l'affaire pour laquelle la dette a été contractée le concernait également [12].

Cette thèse fait écho à l'interprétation dégagée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 12 mai 2004 [13] et répétée par la suite dans différentes décisions. Selon la Cour, “la règle de l'excusabilité porte sur les dettes propres au failli. L'extension des effets de l'excusabilité au conjoint du failli qui [s']est personnellement obligé à la dette du failli et aux personnes physiques qui se sont rendues caution à titre gratuit d'une obligation du failli [14] se situe dans le prolongement de cette règle. Ils ont certes souscrit une obligation propre de caution, mais cette obligation ne porte pas sur le paiement d'une dette propre, mais sur la liquidation d'une dette du débiteur principal failli”. L'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites, dans sa version issue de la loi du 4 septembre 2002, limitait la libération du conjoint aux seules dettes du failli auxquelles le conjoint 's'est' personnellement obligé. Le conjoint se voyait ainsi refuser la libération, notamment en matière de dettes d'impôts (par exemple pour la quotité de l'impôt des personnes physiques afférente aux revenus du failli), au motif qu'il ne s'est pas obligé à cette dette mais y est obligé par l'effet de la loi [15]. La Cour constitutionnelle a ainsi estimé, dans son arrêt du 12 mai 2004, que l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites viole la Constitution en ce que le conjoint du failli déclaré excusable reste tenu au paiement de la dette d'impôt du failli. Cet écueil a depuis lors été surmonté par le législateur. Depuis la loi du 2 février 2005, l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites prévoit la libération du conjoint qui 'est' personnellement obligé à la dette du failli. La nature légale ou conventionnelle de son obligation est désormais indifférente [16].

5.La Cour de cassation a, pour sa part, été amenée à prendre position, une première fois, sur la question de l'étendue de la libération du conjoint du failli déclaré excusable dans un arrêt du 14 janvier 2010 [17]. L'espèce soumise à la haute juridiction mettait en scène l'épouse d'un failli reconnu excusable en proie à une saisie exécution commandée par l'administration fiscale. La créance du fisc consistait en l'impôt des personnes physiques, établi au nom des deux conjoints, mais limité à la quotité afférente aux revenus de l'épouse non faillie. Conformément à l'article 394, § 1er du CIR 1992, l'impôt ou la quotité de l'impôt relative au revenu imposable de l'un des époux peut être recouvré tant sur les biens communs que sur le patrimoine propre des conjoints. L'épouse du failli estimait que, dans la mesure où la quotité de l'impôt afférent à ses revenus peut être poursuivie sur le patrimoine de son conjoint, il s'agit bien d'une 'dette du failli' au sens de l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites, pour laquelle elle devait donc bénéficier de la libération prévue par cette disposition. La Cour de cassation n'a pas retenu cette interprétation. Reprenant à son compte l'analyse dégagée par la Cour constitutionnelle, l'arrêt du 14 janvier 2010 commence par indiquer que “la déclaration d'excusabilité ne concerne que les dettes propres du failli”, avant de juger que la partie de l'impôt relative à l'activité de l'épouse ne constitue pas une dette propre du failli, même si elle peut être recouvrée sur le patrimoine propre de ce dernier [18]. L'excusabilité n'a donc pas pour effet de libérer le conjoint non failli de cette dette d'impôt.

6.Saisie quelques mois plus tard d'une espèce similaire, la Cour de cassation s'est vue offrir l'occasion de confirmer cette jurisprudence. Aux termes d'une motivation en tous points identique à celle précédemment développée, l'arrêt du 20 mai 2010 [19] dispose qu'“en matière de dettes fiscales, la déclaration d'excusabilité concerne uniquement les dettes fiscales propres du failli” [20]. La Cour ajoute immédiatement que “la quotité de l'impôt afférent aux revenus imposables du conjoint contribuable du failli ne constitue pas une dette fiscale propre du failli dont répond le conjoint du failli, mais constitue une dette dont répond personnellement [21] le non failli [22], même si en vertu de l'article 394, § 1er du CIR 1992, avant la déclaration d'excusabilité, cette dette pouvait être recouvrée tant sur le patrimoine commun que sur les biens propres des deux conjoints” [23]. Si la Cour de cassation a donc confirmé que la libération du conjoint non failli ne porte que sur les dettes propres au failli, elle a toutefois pris soin d'ajouter que cet enseignement concerne la matière des dettes fiscales.

La lecture combinée de ces deux décisions conduit à l'interrogation suivante: la Cour de cassation aurait-t-elle, de manière quelque peu surprenante, entendu limiter à la seule matière fiscale l'hypothèse où le conjoint non failli se voit refuser le bénéfice de la libération au motif que la dette en cause n'est pas propre au failli, mais constitue une dette qui concerne personnellement son conjoint? Quelle que soit la réponse retenue, force est de constater que les deux arrêts précités sont difficilement conciliables avec la position adoptée par la Cour le 24 février 2011.

III. L'arrêt du 24 février 2011

7.Désireuse de poursuivre l'apurement des crédits octroyés aux époux par la mise en oeuvre de l'hypothèque consentie par l'épouse du failli sur un bien lui appartenant en propre, la banque s'est heurtée à la décharge obtenue par cette dernière devant la cour d'appel de Liège. Demanderesse en cassation, la banque articulait son pourvoi principalement autour du grief suivant: la libération du conjoint par le fait de l'excusabilité du failli, telle qu'inscrite sous l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites, est limitée aux seules 'dettes du failli' pour lesquelles son époux s'est engagé en qualité de tiers garant, par exemple en qualité de caution ou de codébiteur non concerné personnellement par la dette [24]. En l'espèce, les crédits consentis par la banque avaient notamment permis l'acquisition de l'immeuble d'habitation des époux. Les obligations litigieuses, nées par ailleurs antérieurement à l'activité commerciale du failli, avaient donc été contractées par la défenderesse, non pas comme tiers garant, mais en qualité de codébitrice 'concernée' par la dette de son époux. S'agissant dès lors d'une dette conjointe des deux époux, propre et personnelle à la défenderesse, cette dernière ne pouvait, selon la banque, bénéficier de la libération offerte par l'article 82, 2ème alinéa de la loi du 8 août 1997.

Appelée à statuer sur cette question, la cour d'appel avait, pour sa part, jugé que l'interprétation de l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites proposée par la banque consiste à ajouter une condition que le texte ne comporte pas: “en l'absence de distinction, ce serait faire une application incorrecte de l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites de refuser la décharge au conjoint au motif que la dette litigieuse est antérieure à l'activité professionnelle ou qu'elle avait également été contractée par lui”. Aux termes d'une motivation pour le moins succincte, la Cour de cassation a dit pour droit que l'application de l'article 82, 2ème alinéa de la loi du 8 août 1997 “s'étend à l'hypothèse où le conjoint du failli est codébiteur avec celui-ci d'une dette contractée avant la faillite par les deux époux et dont le conjoint du failli est dès lors personnellement tenu”, confirmant ainsi la décision adoptée par la juridiction d'appel.

8.Confrontée à une hypothèse où, s'agissant d'un crédit consenti pour financer l'acquisition de la maison d'habitation du couple, le conjoint non failli était à l'évidence personnellement concerné par la dette de son époux, la Cour de cassation a donc jugé que la libération prévue par l'article 82, 2ème alinéa de la loi du 8 août 1997 est bel et bien applicable. La thèse, défendue par Mmes Biquet-Mathieu et Notarnicola, suivant laquelle “si le conjoint, obligé solidairement, est concerné par la dette en ce sens qu'il est appelé à en supporter tout ou partie du poids au stade du recours contributoire, s'agissant par exemple d'un emprunt contracté pour leurs besoins communs ou d'impôts dus à raison de l'activité professionnelle non pas du failli mais du conjoint lui-même, l'excusabilité ne devrait logiquement pas libérer le conjoint” [25], s'en trouve manifestement compromise. Ainsi, l'arrêt du 24 février 2011 semble contredire l'enseignement traditionnel, dégagé par la Cour constitutionnelle et confirmé par la Cour de cassation dans son arrêt du 14 janvier 2011, suivant lequel la libération du conjoint non failli est limitée aux dettes propres au failli, à savoir, selon la doctrine précitée, celles pour lesquelles son conjoint n'est engagé qu'en qualité de tiers garant 'non concerné par la dette' [26].

9.Par son arrêt du 20 mai 2010, la Cour de cassation avait, il est vrai, paru vouloir limiter cet enseignement traditionnel à la seule hypothèse des créances de nature fiscale [27]. Doit-on dès lors considérer qu'en matière fiscale, la libération du conjoint non failli est circonscrite aux dettes propres au failli - celles qui ne concernent pas le conjoint non failli, en ce sens que ce dernier n'est pas appelé à en supporter le poids au stade du recours contributoire -, tandis que, pour les dettes d'une autre nature, toute créance qui peut être exercée contre le patrimoine du failli entre dans le champ d'application de l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites? Nous ne le pensons pas.

En effet, dans sa décision du 24 février 2009, la cour d'appel de Liège a souligné que le texte de l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites - en ce qu'il se réfère uniquement au conjoint qui “est personnellement obligé à la dette de son époux” - ne permet pas d'opérer une telle dichotomie: “la décharge est générale, la loi ne prévoyant pas d'exception, que ce soit pour le cas où la dette est également propre au conjoint ou pour le cas où la dette n'a pas été contractée à des fins strictement professionnelles” [28]. Cette décision a été confirmée par l'arrêt annoté de la Cour de cassation.

Dans cette optique, on voit mal en quoi la quotité de l'impôt afférent aux revenus du conjoint non failli diffère, du point de vue de l'obligation à la dette, de l'emprunt contracté solidairement par les époux pour l'acquisition d'un bien commun ou indivis [29]. Dans l'un comme dans l'autre cas, il s'agit bien de 'dettes du failli', au sens de la loi du 8 août 1997, dès lors qu'elles peuvent être recouvrées sur le patrimoine de ce dernier. Il est par ailleurs acquis, depuis la loi du 2 février 2005, que l'excusabilité du failli décharge indifféremment son conjoint, que ce dernier soit tenu à la dette de son époux par voeu de loi ou par l'effet de sa propre volonté [30]. Toutefois, une différence existe bel et bien sous l'angle de la contribution à la dette. La quotité de l'impôt relatif aux revenus du conjoint non failli est, comme l'a souligné la Cour de cassation dans son arrêt du 20 mai 2010, une dette dont répond personnellement ce dernier. C'est en définitive à lui seul qu'il incombe, au stade du recours contributoire, d'en supporter la charge. En ce sens, cette dette ne 'concerne' pas, en dernière instance, le failli. La Cour de cassation a estimé qu'une telle dette d'impôt échappe à la libération du conjoint prévue par l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites. A l'inverse, lorsque le failli est concerné par la dette, dans la mesure où il est appelé à en supporter tout ou partie du poids au stade du recours contributoire - comme dans l'hypothèse de l'emprunt consenti au couple pour acquérir un bien commun -, la haute juridiction a reconnu au conjoint du failli le bénéfice de la libération.

10.Il est malaisé, compte tenu du caractère laconique des motifs de l'arrêt annoté, de déterminer la portée exacte que la Cour a entendu réserver à sa décision. Toutefois, dans un effort de conciliation des enseignements dégagés par la Cour de cassation dans l'arrêt du 20 mai 2010 et dans la décision annotée, deux hypothèses pourraient, nous semble-t-il, être distinguées. Lorsque la dette, dont un époux vante la libération en raison de l'excusabilité de son conjoint failli, 'concerne' personnellement ce dernier, en ce sens qu'il doit en supporter tout ou partie de la charge au stade du recours contributoire, alors l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites pourrait trouver à s'appliquer. Tel serait, par exemple, le cas de la quotité d'impôt afférent aux revenus du failli [31], d'une dette du failli pour laquelle son conjoint est intervenu en qualité de tiers garant, de caution ou de codébiteur non concerné par la dette, mais également d'un emprunt contracté pour acquérir un bien commun ou indivis [32]. Au contraire, si le conjoint non failli, et lui seul, est 'concerné' par la dette, celle-ci ne pourrait tomber dans le champ d'application de l'article 82, 2ème alinéa de la loi. Ainsi en irait-il de la quotité d'impôt relative aux revenus du conjoint non failli [33] ou de la dette souscrite par le conjoint du failli, pour laquelle ce dernier s'est porté caution. L'évolution par rapport à l'enseignement antérieur serait alors le suivant: plutôt que d'avoir égard au fait que le conjoint du failli est, ou non, 'concerné' par la dette en cause, c'est du point de vue du failli, et de son éventuelle obligation de supporter in fine tout ou partie de la charge de la dette, qu'il conviendrait de se placer. En d'autres termes, le conjoint du failli serait libéré de son obligation en vertu de l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites lorsque le failli est 'concerné' par la dette, en ce sens que ce dernier serait amené à en assumer tout ou partie du poids au stade du recours contributoire [34].

IV. Conclusions

11.Par son arrêt du 24 février 2011, la Cour de cassation a fait, à notre estime, une correcte application de l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites en jugeant que l'emprunt souscrit solidairement par les époux est, au sens de cette disposition, 'une dette du failli' dont le conjoint est libéré par l'effet de l'excusabilité [35]. Cette position est par ailleurs cohérente avec la volonté du législateur, sous-jacente à toute la matière de l'excusabilité, d'offrir au failli reconnu excusable l'opportunité de repartir de zéro, à l'occasion d'un fresh start [36]. En effet, la libération offerte par la loi fait obstacle à ce que le résidu de la créance de l'établissement de crédit puisse être exercée contre le conjoint du failli et, par son intermédiaire, en cas de communauté de biens, sur les nouveaux revenus professionnels du failli reconnu excusable. Parfois qualifiée d'“aubaine pour le conjoint puisqu'elle lui permet d'être libéré de ses propres dettes” [37], il faut admettre que l'étendue ainsi reconnue à la libération du conjoint du failli par la Cour de cassation conduit la protection du patrimoine propre de ce dernier bien au-delà de celle prévue par l'article 98 de la loi sur les faillites [38]. Rappelons qu'à l'égard du failli, l'excusabilité a pour effet de museler les poursuites des créanciers [39]. En plaçant ce dernier à l'abri de ses créanciers, plutôt qu'en prononçant l'extinction pure et simple de ses obligations, le législateur a entendu permettre aux accessoires de la créance (gages, hypothèques, cautions, …) de subsister [40]. A l'inverse, l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites prévoit que l'excusabilité du failli 'libère' le conjoint qui est personnellement obligé à la dette du failli. Si la libération porte donc sur les obligations personnelles du failli, elle paraît s'étendre également, à l'inverse de la situation du failli, aux obligations propter rem consenties par son conjoint. Par conséquent, alors que l'excusabilité du failli laisse subsister (à l'exception de la situation des cautions à titre gratuit) les sûretés consenties par des tiers pour garantie de la dette du failli, la libération du conjoint déchargerait ce dernier, non seulement de son obligation personnelle, mais également de son engagement en qualité de tiers garant. En d'autres termes, l'excusabilité du failli emporterait un effet plus étendu en faveur du conjoint qu'à l'égard du failli lui-même.

12.Dans l'espèce soumise à la Cour de cassation, l'hypothèque consentie par le conjoint du failli sur son immeuble propre a, en bon accessoire, suivi le sort libératoire de la dette principale. On peut toutefois douter que le législateur ait entendu réserver une telle protection au patrimoine propre du conjoint du failli lorsque, par la loi du 4 septembre 2002, il a édicté que “le conjoint […] est libéré […] par l'effet de l'excusabilité” [41]. Actuellement soumises aux travaux parlementaires, deux propositions de loi déposées respectivement le 16 septembre 2010 par M. George [42] et le 13 janvier 2011 par M. Terwingen et consorts [43], pourraient offrir au législateur l'occasion de préciser sa volonté à cet égard. Ce dernier texte suggère de modifier le libellé des deux premiers alinéas de l'article 82 de la loi sur les faillites comme suit: “Si le failli est déclaré excusable, il ne peut plus être poursuivi par ses créanciers pour des dettes qui ont leur cause dans son activité commerciale. Le conjoint, l'ex-conjoint ou le cohabitant légal du failli qui est personnellement coobligé à la dette commerciale du failli, contractée du temps du mariage ou de la cohabitation, est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité.” Quant à prétendre y trouver un épilogue à la désormais (trop) longue saga juridique de l'excusabilité du failli, il y a là un pas qu'on n'aura pas l'imprudence de franchir.

[1] Assistant à la Faculté de droit de Liège; Avocat au barreau de Liège. L'auteur remercie vivement Mme Joëlle Willems pour les discussions, commentaires et précieux conseils.
[2] Liège 24 février 2009, JLMB 2009, p. 1345.
[3] La cour d'appel était saisie, sur pied des art. 72bis et 80, 3ème al. de la loi sur les faillites, d'une demande de décharge d'un engagement en qualité de sûreté personnelle du failli. La défenderesse étant l'épouse du failli, la cour a estimé que cette dernière était libérée de son obligation, conformément à l'art. 82, 2ème al. de la loi sur les faillites, en raison de l'excusabilité de son conjoint. Elle a néanmoins fait droit à la demande de décharge. En vue de prévenir une certaine confusion entre les mécanismes de décharge des sûretés personnelles et de libération du conjoint du failli, n'aurait-il pas été plus opportun que la cour constate la libération de l'épouse et, partant, déclare la demande de décharge sans objet?
[4] Cons. les conclusions contraires de M. l'avocat général Th. Werquin, disponibles sur www.cass.be .
[5] La loi du 18 juillet 2008 (MB 28 août 2008) a étendu l'application de l'art. 82, 2ème al. de la loi sur les faillites à “l'ex-conjoint [du failli] qui est personnellement obligé à la dette de son époux contractée du temps du mariage”. Voy. M. Vanmeenen, “Wet van 18 juli 2008 tot wijziging van artikel 82 Faill.W.: gevolgen van verschoonbaarheid uitgebreid tot voormalige echtgenoten”, TBH 2008, p. 931. Interrogée sur l'existence d'une différence de traitement injustifiée entre le conjoint et l'ex-conjoint d'un failli déclaré excusable, la Cour constitutionnelle avait pourtant conclu, dans un arrêt du 7 mars 2007 (C.const. 7 mars 2007, n° 37/2007, ACC 2007, p. 561, MB 18 et 19 avril 2007), à l'absence de violation des art. 10 et 11 de la Constitution. Dans le même sens, voy. C.const. 17 janvier 2008, n° 3/2008, ACC 2008, p. 27, MB 28 février 2008.
[6] Par son arrêt du 18 novembre 2010 (C.const., n° 129/2010, ACC 2010, p. 1983, MB 20 janvier 2011; RDC 2011, p. 264, JT 2011, note M. Lemal), la Cour a déclaré l'art. 82, al. 2, de la loi sur les faillites inconstitutionnel “en ce qu'il ne prévoit pas la possibilité, pour le cohabitant légal qui est personnellement obligé à la dette de son cohabitant légal failli déclaré excusable, d'être libéré de ses obligations”. Deux propositions de loi, déposées avant même le prononcé de cet arrêt, respectivement les 29 novembre 2009 (Doc.parl. Ch., sess. ord. 2009-10, doc. n° 52-2273/0001) et 16 septembre 2010 (Doc.parl. Ch., sess. ord. 2010, doc. n° 53-0167/001), prévoient notamment d'étendre le bénéfice de l'excusabilité au cohabitant légal du failli.
[7] Au sens où M. l'avocat général Th. Werquin emploie cette expression (de même que la Cour constitutionnelle, voy. infra): “constitue une dette propre au failli celle qu'il a souscrite en raison de tout avantage qu'il entend obtenir, à titre personnel, de son engagement”.
[8] Pour une étude détaillée de la saga juridique de l'excusabilité, cons. P. Cavenaile et T. Cavenaile, “La situation du débiteur failli du conjoint et des cautions dans la loi du 8 août 1997 sur les faillites” dans Sûretés et procédures collectives, Liège, Anthemis, 2008, CUP, vol. 100, p. 101; B. Inghels, “Petite histoire d'une grande idée: l'excusabilité [en matière de faillite]”, RDC 2007, p. 307; M. Lamensch, “L'excusabilité du débiteur failli, le sort des sûretés personnelles et de son conjoint. Dix ans d'évolution depuis l'adoption de la loi du 8 août 1997”, RGDC 2007, p. 490; V. Danneels, “De positie van de borg bij kredietovereenkomsten in het licht van de recente wijziging van de faillissementswet”, TFR 2006, p. 1374; M. Debucquoy, “De wet van 20 juli 2005: koppel verschoonbaarheid & bevrijding uit elkaar”, TRV 2006, p. 443; P. Henfling et J. Willems, “Excusabilité du failli et décharge de la caution” dans Droit des faillites. Actualités 2005, Liège, Ed. du Jeune Barreau, 2005, p. 33.
[9] Suivant l'art. 7 de la loi hypothécaire, “quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir ses engagements sur tous ses biens mobiliers ou immobiliers, présents et à venir”. Ainsi distingue-t-on l'obligation personnelle, qui engage le débiteur sur tous ses biens, de l'obligation propter rem, c.-à-d. à raison d'une chose dont le débiteur est détenteur et qui seule répondra de la dette (F. T'Kint, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, Bruxelles, Larcier, 2004, 4ème éd., pp. 14 et s.).
[10] Lorsque l'affaire pour laquelle la dette a été contractée ne concernait pas un seul des coobligés, mais plusieurs codébiteurs, celui qui a payé dispose d'un recours contributoire à l'égard des autres (art. 1213 et 1214 C.civ. et art. 1216, a contrario, du même code).
[11] C. Biquet-Mathieu et S. Notarnicola, “La protection des sûretés personnelles dites faibles. Le point après la loi du 3 juin 2007 sur le cautionnement à titre gratuit” dans Sûretés et procédures collectives, Liège, Anthemis, 2008, CUP, vol. 100, p. 85. En ce sens, voy. également M. Debucquoy, “De wet van 20 juli 2005: koppel verschoonbaardheid & bevrijding uit elkaar”, TRV 2006, p. 453; Civ. Termonde (sais.) 12 septembre 2006, RW 2006-07, p. 1686 et les conclusions contraires de M. l'avocat général Th. Werquin relatives à l'arrêt annoté.
[12] Voy. les art. 1213 et 1214 C.civ.
[13] C.const. 12 mai 2004, n° 78/2004, ACA 2004, p. 879, MB 30 août 2004, RDC 2004, p. 876, note J. Windey et K. Driesen, NjW 2004, p. 1134, note M. Tison, RW 2004-05, p. 658, note M. Vanmeenen. Voy. également C.cont. 12 janvier 2005, n° 6/2005, ACA 2005, p. 61, MB 11 mars 2005; C.const. 11 mai 2005, n° 91/2005, ACA, p. 1169, MB 15 juin 2005, RW 2005-06, p. 620, note A. De Wilde.
[14] En effet, sous l'empire de la loi du 4 septembre 2002 (MB 21 septembre 2002), la décharge de la caution à titre gratuit était intrinsèquement liée à l'excusabilité du failli.
[15] Art. 394, § 1er CIR 1992.
[16] Selon l'exposé des motifs de la loi du 2 février 2005 (MB 21 février 2005): “la décharge du failli s'applique ainsi à l'ensemble des dettes du failli auxquelles il est personnellement tenu, que ce soit par l'effet de disposition légale ou par sa propre volonté” (Doc.parl. Ch., sess. ord. 2004-05, doc. n° 1320/001, pp. 4 et 5; voy. aussi M. Lamensch, o.c., p. 515; P. Cavenaile et T. Cavenaile, o.c., p. 124.
[17] Cass. 14 janvier 2010, F.08.0090.N, Pas. 2010, I, p. 157, RDC 2010, p. 640, TFR 2010, p. 640, note G. Goossens.
[18] B. Vanermen (“Actualia fiscaal executierecht” dans Insolventie en beslagrecht, Bruxelles, la Charte, 2010, p. 124) a critiqué cette interprétation au motif que le texte de l'art. 82, 2ème al. de la loi sur les faillites ne permet pas d'opérer une telle distinction. Voy. aussi A. De Wilde, “Verschoonbaarheid en bevrijding in het faillissementsrecht: een schone lei voor de wetgever?”, RW 2005-06, pp. 601 et s.; contra, G. Goossens, “In goede en kwade dagen: over de gehoudenheid van de echtgenoot van de verschoonbaar verklaarde gefailleerde”, TFR 2010, p. 1026.
[19] Cass. 20 mai 2010, F.09.0088.N, FJF 2011, p. 101.
[20] C'est nous qui soulignons.
[21] La Cour ne paraît pas faire référence ici aux termes 'obligation personnelle' au sens de l'art. 7 de la loi hypothécaire (voy. supra note n° 9).
[22] C'est nous qui soulignons.
[23] Les motifs de l'arrêt du 14 janvier 2010 (o.c.) ne diffèrent de ceux de l'arrêt du 20 mai 2010 (o.c.) que par l'ajout, dans cette dernière décision, des termes mis en évidence.
[24] La demanderesse en cassation reprend à cet égard les termes employés par Mmes Biquet-Mathieu et Notarnicola dans leur contribution précédemment citée.
[25] C. Biquet-Mathieu et S. Notarnicola, o.c., p. 85.
[26] Ibid.
[27] Ainsi, les motifs de l'arrêt du 14 janvier 2010 (o.c.) portent que “la déclaration d'excusabilité ne concerne que les dettes propres du failli” tandis que dans son arrêt du 20 mai 2010 (o.c.), la Cour indique que “en matière de dettes fiscales, la déclaration d'excusabilité concerne uniquement les dettes fiscales propres du failli”.
[28] En ce sens, voy. Mons 21 février 2008, JLMB 2008, p. 1241. Voy. également Liège 2 octobre 2008, JLMB 2010, p. 348.
[29] Voy. B. Vanermen, “Actualia fiscaal executierecht” dans Insolventie en beslagrecht, Bruxelles, la Charte, 2010, p. 124.
[30] Voy. supra.
[31] C.const. 12 mai 2004, n° 78/2004, o.c.; 12 janvier 2005, n° 6/2005, o.c.
[32] En ce sens, voy. Mons 21 février 2008, JLMB 2008, p. 1241; Liège 24 février 2009, JLMB 2009, p. 1345, décision confirmée par l'arrêt annoté.
[33] Cass. 20 mai 2010, F.09.0088.N, Pas., n° 359, FJF 2011, p. 101; Cass. 14 janvier 2010, F.08.0090.N, Pas. 2010, I, p. 157, RDC 2010, p. 640, TFR 2010, p. 1025, note G. Goossens; Civ. Gand 30 mars 2010, TGR-TWVR 2010, p. 286.
[34] Comp. I. Verougstraete (Manuel de la continuité des entreprises et de la faillite, Waterloo, Kluwer, 2011, p. 765) qui, après une analyse des différentes décisions précitées (en ce compris l'arrêt de la cour d'appel de Liège du 24 février 2009 confirmé par l'arrêt annoté mais à l'exception de ce dernier), propose de retenir le critère suivant pour l'application de l'art. 82, 2ème al. de la loi sur les faillites: “toutes les dettes du failli couvertes par l'excusabilité sont visées. Il suffit, mais il faut que la dette soit une dette du failli, c'est-à-dire qu'elle soit née de son activité”.
[35] En ce sens, voy. P. Cavenaile, “Le sort du conjoint du failli après l'entrée en vigeur de la seconde loi de réparation du 1er février 2005”, JLMB 2011, pp. 1676 et s.
[36] Selon les travaux parlementaires de la loi du 8 août 1997, l'excusabilité constitue pour le failli une mesure de faveur qui lui permet de reprendre ses activités sur une base assainie, non seulement dans son intérêt, mais également dans celui de ses créanciers ou de certains d'entre eux qui peuvent avoir intérêt à ce que leur débiteur reprenne ses activités sur une telle base (Doc.parl. Ch., sess. ord. 1991-92, doc. n° 631/1, p. 35; Sénat 1996-97, doc. n° 1-498/11, p. 12; voy. C.const. 28 mars 2002, n° 69/2002, ACC 2002, p. 841; C.const. 12 mai 2004, n° 78/2004, o.c.).
[37] C. Biquet-Mathieu et S. Notarnicola, o.c., p. 85.
[38] Suivant cette disposition: “Le paiement des dettes communes contractées par le failli dans l'exercice de sa profession et qui ne sont point réglées par la liquidation de la faillite, ne peut être poursuivi sur le patrimoine propre du conjoint du failli.”
[39] Aux termes de l'art. 82, 1er al. de la loi sur les faillites, “si le failli est déclaré excusable, il ne peut plus être poursuivi par ses créanciers”.
[40] Suivant l'art. 82 de la loi sur les faillites, tel qu'issu de la loi du 4 septembre 2002, la déclaration d'excusabilité avait pour effet d'éteindre, purement et simplement, les dettes du failli. La portée des termes 'éteint les dettes du failli' avait toutefois prêté à controverse. Certains estimaient que l'extinction des dettes implique la disparition des accessoires de celles-ci, tels cautions, gages et hypothèques. D'autres y voyaient plutôt une exception personnelle qui ne pouvait profiter qu'au seul failli, à son conjoint et à la caution du failli. En disposant que le failli déclaré excusable 'ne peut plus être poursuivi par ses créanciers', la loi du 20 juillet 2005 a clos cette controverse (à ce sujet, voy. P. Henfling et J. Willems, o.c., p. 34; G.-A. Dal, “L'excusabilité de la loi du 4 septembre 2002, réparation ou bricolage?”, JT 2003, p. 637; A. Cuypers, “L'excusabilité du failli et la position de l'épouse et des cautions dans la loi de réparation sur les faillites”, RDC 2003, pp. 267 et s.; F. T'Kint et W. Derijcke, “Une caution n'est pas l'autre: sévérité jurisprudentielle passée dans l'attente d'une bienveillance législative à venir (?)”, RDC 2002, p. 419).
[41] En ce sens, voy. les conclusions de M. l'avocat général Th. Werquin; C. Biquet-Mathieu et S. Notarnicola, o.c., p. 87.
[42] Doc.parl. Ch., sess. ord. 2010-11, doc. n° 53-0167/001. Pour un commentaire de cette proposition de loi, voy. T. Bosly, M. Alhadeff et A.-S. De Clercq, “Développements récents en matière de faillite” dans Réorganisation judiciaire, faillite, liquidation déficitaire. Actualités et pratique, Liège, Anthemis, 2010, CUP, vol. 120, pp. 258 et s.
[43] Doc.parl. Ch., sess. ord. 2010-11, doc. n° 53-1018/001. Voy. également la proposition de loi déposée le 16 juin 2011 par M. Terwingen et consorts (Doc.parl. Ch., sess. ord. 2010-11, doc. n° 53-1600/001) dont l'objet se limite, pour sa part, à préciser l'étendue de la libération de l'ex-conjoint du failli telle que prévue par l'art. 82, 2ème al. de la loi sur les faillites.